L'application de la règle de la constructibilité limitée

L'application de la règle de la constructibilité limitée

Le principe : les constructions dans les parties urbanisées de la commune

– La notion de « partie urbanisée de la commune ». – Dans un souci de lutte contre le gaspillage de l'espace par la dispersion de l'habitat en milieu rural (ce qu'on appelle « le mitage ») et dans le but d'inciter les communes à se doter d'un plan d'occupation des sols, la loi du 7 janvier 1983 a posé la règle de la constructibilité limitée aux seules parties urbanisées de la commune aujourd'hui codifiée à l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme. Par conséquent, tout l'enjeu consiste à identifier ces parties urbanisées qui ne sont pas définies par le Code de l'urbanisme mais laissées à l'appréciation de l'autorité locale sous le contrôle du juge.
L'identification des parties urbanisées résulte d'une appréciation in concreto de la structure du bâti et doit être entendue comme incluant les divers secteurs de constructions agglomérées existant au moment de l'instruction de l'autorisation d'urbanisme. Pour les parcelles situées à proximité de la zone agglomérée, la jurisprudence s'appuie sur divers indices : la contiguïté des parcelles à qualifier avec des parcelles déjà significativement bâties, la proximité des réseaux, le sens du développement de l'urbanisation. De longue date, les parcelles en contiguïté des bourgs relèvent des parties urbanisées. La doctrine administrative et le juge estiment que les hameaux existants doivent être considérés comme des parties urbanisées : ils doivent regrouper un nombre suffisant d'habitations disposant de voies d'accès et desservies par les réseaux d'eau et d'électricité, étant précisé qu'il est toujours possible de réaliser un assainissement individuel. De façon générale, « la construction projetée ne [doit] pas venir aggraver ladispersion de l'habitat, ce que la règle de la constructibilité limitée a précisément pour objet d'éviter, tandis qu'elle [doit] être autorisée si elle [contribue] à diminuer la dissémination du bâti en permettant une densification » . Cela implique qu'il est impossible d'autoriser des constructions « dès lors que leur réalisation a pour effet d'étendre la partie actuellement urbanisée de la commune » . Comme l'observait le rapporteur public, l'interdiction de l'extension des parties urbanisées « ne doit pas conduire (…) à interdire systématiquement toute construction en bordure d'une zone densément construite de la commune lorsque le terrain d'assiette du projet est suffisamment modeste pour qu'on puisse estimer qu'il s'intègre dans la partie déjà urbanisée de la commune ». Il ajoutait que l'objet de la loi est certainement « d'interdire des projets qui par leur situation et leur ampleur conduiraient à eux seuls à étendre l'urbanisation, et non l'évolution à la marge de ces parties déjà urbanisées par des projets qui s'intègrent tour à tour dans le tissu urbain existant ».

Les exceptions : les constructions dans les parties non urbanisées de la commune

– La règle de la constructibilité limitée comporte des exceptions qui ouvrent la voie aux réalisations en dehors des parties déjà urbanisées. – Alors, l'artificialisation des sols est possible. Ces exceptions n'ont cessé de se développer depuis 1983 avec, toutefois, un durcissement opéré par la loi ALUR du 24 mars 2014 en cas d'atteinte aux surfaces agricoles. L'article L. 111-4 du Code de l'urbanisme prévoit cinq séries d'aménagements et de constructions pouvant être autorisés en dehors des parties urbanisées de la commune.
– Première série d'exceptions : l'adaptation, le changement de destination, la réfection, l'extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d'habitation à l'intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d'une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales. – Cette première catégorie d'exceptions appelle les précisions suivantes.
Une construction sera considérée comme existante dès lors qu'elle n'est pas en état de ruine : des travaux sur des bâtiments en ruine ne peuvent être regardés comme constituant l'adaptation, la réfection ou l'extension de constructions existantes ; dès lors qu'un cinquième des murs et la moitié de sa toiture sont détruits, le bâtiment litigieux présente le caractère d'une ruine et ne peut être regardé comme une construction existante.
Sur les notions d'adaptation, réfection et extension des constructions existantes : des travaux consistant dans la réfection et la surélévation d'environ 50 cm de la toiture, l'agrandissement des ouvertures de la façade, le percement de quelques ouvertures supplémentaires et un réaménagement des espaces intérieurs sont bien des travaux de réfection et d'adaptation.
Le Conseil d'État précise encore qu'une annexe n'est pas une extension. Une extension de construction existante n'a par ailleurs pas besoin d'être mesurée pour pouvoir être autorisée et la condition tenant au respect des traditions architecturales locales ne s'applique pas à l'extension de constructions existantes mais uniquement à la construction de bâtiments nouveaux.
L'exception tenant à la construction de bâtiments nouveaux à usage d'habitation à l'intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d'une ancienne exploitation agricole n'est pas réservée aux cas dans lesquels le périmètre constitué par les bâtiments d'une ancienne exploitation agricole est clos, mais peut aussi valoir pour les cas où les bâtiments nouveaux sont implantés dans un espace entouré de bâtiments agricoles suffisamment rapprochés pour pouvoir être regardés comme délimitant, même sans clôture ou fermeture, un périmètre regroupant les bâtiments d'une ancienne exploitation agricole.
L'exception relative au changement de destination des constructions existantes a été ajoutée dans la loi « Urbanisme et Habitat » de 2003. Elle permet notamment de transformer d'anciennes granges agricoles en habitations.
Les constructions nouvelles ayant pour conséquence une réduction des surfaces sur lesquelles est exercée une activité agricole ou qui sont à vocation agricole doivent être préalablement soumises pour avis à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du Code rural et de la pêche maritime.
– Deuxième série d'exceptions : les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole, à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées, à la réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, à la mise en valeur des ressources naturelles et à la réalisation d'opérations d'intérêt national. – Cette deuxième catégorie d'exceptions appelle les précisions suivantes :
  • un gîte rural ne peut pas être considéré comme nécessaire à l'exploitation agricole ;
  • les projets visés au 2° ayant pour conséquence une réduction des surfaces sur lesquelles est exercée une activité agricole ou qui sont à vocation agricole doivent être préalablement soumis pour avis à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du Code rural et de la pêche maritime.
– Troisième série d'exceptions : les constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation de produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l'acte de production et dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées. Ces constructions et installations ne peuvent pas être autorisées dans les zones naturelles, ni porter atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. – Cette troisième exception a été ajoutée par la loi ELAN afin de permettre aux agriculteurs d'étendre leurs activités, mais toujours avec un lien de connexité par rapport à leur activité première : la maîtrise d'un cycle animal ou biologique.
La doctrine a observé que cette dernière exception n'était pas ouverte dans les zones naturelles et s'interroge sur l'identification de ces zones naturelles. Bien que l'article L. 111-5 du Code de l'urbanisme ne le prévoie pas expressément pour cette catégorie d'exceptions, l'avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du Code rural et de la pêche maritime est systématiquement requis pour l'autorisation des locaux de commercialisation de produits agricoles.
– Quatrième série d'exceptions : les constructions et installations incompatibles avec le voisinage des zones habitées et l'extension mesurée des constructions et installations existantes. – Elle appelle les précisions suivantes.
Sur les notions d'extension mesurée et limitée, le Conseil d'État précise que l'extension s'entend en principe « d'un agrandissement de la construction existanteprésentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ».
S'agissant de son caractère mesuré, on peut renvoyer à une réponse ministérielle de 2014 où se trouve une précieuse synthèse de la jurisprudence administrative : « Pour le Conseil d'État, l'extension doit rester « subsidiaire par rapport à l'existant ». Le Conseil d'État refuse le qualificatif de « mesuré » en fonction de l'importance de l'extension et de sa nature. Ainsi, ne sont pas des extensions mesurées : – la réhabilitation et l'extension d'un bâtiment de 65,87 à 111 m² (CE, 31 mars 1993, no 94686, Cne de Gatigne) ; – la modification des volumes du bâtiment préexistant par une élévation de 2,83 à 5,27 mètres, la création d'un nouvel espace habitable et d'une terrasse couverte (CE, 23 février 1990, no 950274, M. Basquin contre commune de Leucate) ; – l'accroissement de 73 % de l'emprise au sol d'un chalet et la création au premier étage d'une surface habitable jusque-là inexistante (CE, 5 juin 1992, no 119164, M. Perpina) ; – le passage de 76 à 168 m² de la surface hors œuvre nette (SHON) existante (CE, 24 janvier 1994, no 127910, M. Balhosa) ; – une extension représentant 55 % de la surface existante (CE, 30 mars 1994, no 134550, M. Daguet et autres). En revanche, une extension de 30 % a été considérée comme « mesurée » (CE, 18 novembre 2009, no 326479, Suzanne Quillaud) ».
On peut par ailleurs noter que cette exception est susceptible de s'appliquer aux installations classées pour la protection de l'environnement ou à un parc d'éoliennes.
– Cinquième série d'exceptions : les constructions ou installations, sur délibération motivée du conseil municipal, si celui-ci considère que l'intérêt de la commune, en particulier pour éviter une diminution de la population communale, le justifie, dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la salubrité et à la sécurité publiques, qu'elles n'entraînent pas un surcroît important de dépenses publiques et que le projet n'est pas contraire aux objectifs visés à l'article L. 101-2 et aux dispositions des chapitres I et II du titre II du livre Ier ou aux directives territoriales d'aménagement précisant leurs modalités d'application. – Cette cinquième et dernière catégorie d'exceptions est susceptible de concerner de nombreux projets : un entrepôt parce que l'activité qui y sera abritée sera créatrice d'emplois, une construction modeste destinée à l'accueil d'une nouvelle famille qui sauvera l'école, un cabinet médical.
La légalité de l'exception tenant à l'intérêt communal est appréciée en fonction de l'importance de la construction autorisée, du caractère plus ou moins approprié de sa localisation par rapport à sa destination et de l'intérêt économique et social qu'elle présente pour la commune.
S'agissant d'une exception, le juge est particulièrement exigeant à l'égard de la motivation du conseil municipal qui doit faire apparaître très clairement l'intérêt communal.
La délibération du conseil municipal est soumise à l'avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du Code rural et de la pêche maritime réputé favorable s'il n'est pas rendu sous un mois.
Si la commune n'est pas couverte par un SCoT, l'exception prévue au 4° ne peut jouer. Toutefois, après avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, le préfet peut donner son accord dès lors que « l'urbanisation envisagée ne nuit pas à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers ou à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques, ne conduit pas à une consommation excessive de l'espace, ne génère pas d'impact excessif sur les flux de déplacements et ne nuit pas à une répartition équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services ».

Les perspectives : une application plus rigoureuse de la constructibilité limitée

– Un renforcement indirect mais puissant de la lutte contre l'artificialisation des sols. – Les objectifs de la loi Climat et Résilience en matière de lutte contre l'artificialisation conduiront à une application plus rigoureuse des règles de la constructibilité limitée.
Dans sa circulaire du 7 janvier 2022, le Premier ministre rappelle aux préfets que « dans ces territoires, relevant du règlement national d'urbanisme (RNU), les nouvelles constructions sont strictement encadrées et doivent intervenir, sauf exception, dans les espaces déjà urbanisés ». Il leur demande également « de veiller à la cohérence des dérogations accordées à ce principe avec les besoins des territoires et les objectifs nationaux de réduction de la consommation d'espaces » et exige d'eux qu'ils rendent compte, tous les trois ans, de « l'artificialisation des sols constatée dans les communes soumises au RNU ». Dans la mesure où dans ces territoires, les autorisations d'urbanisme sont instruites par les directions départementales des territoires (DDT) et délivrées par le maire au nom de l'État, l'application des règles de la constructibilité limitée promet d'être plus rigoureuse.
Pierre Soler-Couteaux et Élise Carpentier estiment pour leur part que le Conseil d'État « a jugé nécessaire de revenir à une conception plus rigoureuse de la règle de la constructibilité limitée, en affirmant que ne peuvent recevoir la qualification de partie (actuellement) urbanisée que les parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de construction » et que « cette rigueur jurisprudentielle nouvelle est d'autant plus remarquable qu'elle intervient à un moment où un nombre non négligeable de communes, ayant assisté à la caducité de leur POS, se retrouvent sous urbanisme minimum ».
Enfin, l'exception à la constructibilité justifiée par l'intérêt communal suppose entre autres que le projet ne soit pas contraire aux objectifs visés à l'article L. 101-2 du Code de l'urbanisme relatif aux objectifs généraux du droit de l'urbanisme. Or, la loi Climat et Résilience a modifié l'article L. 101-2 avec l'insertion d'un 6° bis ainsi rédigé : « Dans le respect des objectifs de développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants (…) 6° bis La lutte contre l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme ». Il semble donc bien que, sur ce point précis, la loi Climat et Résilience s'applique aux territoires non couverts par un document d'urbanisme.