– Plan. – L'encadrement des transactions en matière d'urbanisme a suivi le même parcours que la sanction pour recours abusif. Introduit par une ordonnance de 2013 s'inspirant du rapport Labetoulle (A), il a été renforcé par la loi ELAN (B), qui n'est cependant pas allée aussi loin que souhaitable (C).
La transaction
La transaction
Contexte de l'adoption de l'article L. 600-8 (2013)
– Le nécessaire encadrement des transactions compte tenu de leur augmentation et des abus. – Pour une large part, le contentieux d'une autorisation de construire se nourrit des inquiétudes du voisinage, anxieux à propos de la vue sur son jardin, de la perte de lumière, du trafic augmenté sur la rue étroite qui sert d'accès commun, notamment quand le projet présente une certaine importance.
Conscient de cet aspect des choses, il arrive parfois que les promoteurs engagent très tôt des échanges avec les voisins, leur présentent et expliquent le projet puis proposent l'édification d'une clôture en limite de propriété ou la plantation d'arbres. En quelque sorte, se noue une concertation de terrain en amont. Un protocole d'accord est alors signé dans lequel les voisins s'engagent à ne pas exercer de recours en excès de pouvoir contre le futur permis en contrepartie d'une modification du projet initial ou de l'octroi d'un avantage en nature.
Plus délicat pour le promoteur, il est fréquent que la négociation intervienne après le dépôt d'un recours gracieux ou contentieux contre le permis de construire. Sous la pression du portage financier de l'opération, le constructeur est encore plus enclin à trouver une solution rapide qui rassurera ou apaisera le requérant et lui permettra de démarrer le chantier et de conclure les premières ventes. Les avocats établissent alors une transaction : contre une somme d'argent, le voisin se désiste de l'instance en cours. En général, la somme est placée sous séquestre jusqu'à la délivrance de l'ordonnance du juge donnant acte au requérant du désistement. Ce désistement met fin à l'instance et le juge en prend acte sans en connaître ni en rechercher les motifs.
Les groupes de travail Pelletier et Labetoulle ont relevé cette pratique sans la condamner. Au contraire, ils y ont vu dans bien des cas un bon équilibre entre les intérêts légitimes des voisins et la nécessité de mener à bien des constructions nouvelles.
En revanche, à côté de ces transactions de bonne foi, s'est développé un comportement de prédation et de chantage, quasi crapuleux, de professionnels du recours attirés par l'argent facile en monnayant les désistements d'instance. En effet, comme nous l'avons rappelé, bien que le permis soit exécutoire, les travaux ne débutent qu'à l'issue du recours : une faiblesse à exploiter.
Afin de décourager cette pratique qui renchérit le coût de construction, l'ordonnance du 18 juillet 2013, reprenant la proposition du rapport Labetoulle, a instauré l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme qui oblige les parties à enregistrer les transactions auprès de l'administration des impôts indirects dans le délai d'un mois à peine de répétition des sommes versées ou correspondant à l'avantage en nature. L'action se prescrit par cinq ans.
L'objectif est de moraliser les transactions et de dissuader les professionnels du recours. Il en résulte vraisemblablement davantage de transparence qu'un réel découragement.
Le dispositif de l'article L. 600-8 fait écho aux dispositions de l'article 1589-2 du Code civil pour l'obligation d'enregistrement et à celles de l'article L. 332-30 du Code de l'urbanisme sur les participations indues pour la répétition des sommes versées.
Les modifications apportées par la loi ELAN (2018)
– L'amélioration du dispositif. – La commission Maugüé a souhaité « étendre et modifier l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme sur les transactions ».
En effet, les auditions auxquelles elle a procédé « ont confirmé l'importance persistante du nombre de transactions financières mettant fin à un recours contentieux, même si les juridictions administratives ne disposent d'aucun élément précis sur la mise en œuvre de ces dispositions ».
Aussi le groupe a-t-il proposé d'élargir le dispositif de l'article L. 600-8 aux recours gracieux et d'interdire aux associations de conclure des transactions ayant pour contrepartie le versement d'une somme d'argent, sauf lorsqu'elles agissent pour leurs intérêts propres, c'est-à-dire en qualité de « voisines » du projet.
Ces deux propositions ont été reprises dans la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi ELAN », par l'adjonction des termes « ou ayant l'intention de demander » et « ou à ne pas introduire de recours » au premier alinéa de l'article et par la création d'un quatrième et dernier alinéa.
Enfin, la loi ELAN, par des dispositions à caractère interprétatif, a rappelé le délai d'enregistrement contraint d'un mois appliqué avec rigueur par la Cour de cassation.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 juin 2023 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée pour Hélène C, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2e alinéa de l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance no 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme.
L'auteure de la QPC soutenait que ce mécanisme instituait une différence de traitement injustifiée entre les parties à la transaction, en méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant la justice, ainsi qu'une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en sanctionnant le défaut d'enregistrement, destiné à assurer la publicité des transactions, le législateur a souhaité dissuader la conclusion de celles mettant fin à des instances introduites dans le seul but d'obtenir indûment un gain financier. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d'incertitude juridique qui pèsent sur les décisions d'urbanisme et lutter contre les recours abusifs. Ainsi, « au regard de cet objet, l'auteur du recours dirigé contre l'autorisation d'urbanisme est dans une situation différente de celle du bénéficiaire de cette autorisation ». « Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté. » Par conséquent, le Conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalité de l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme.
Critiques sur le dispositif de l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme
– Trois critiques peuvent être formulées – sur le dispositif de l'article L. 600-8 du Code de l'urbanisme.
La première critique, commune à celle précédemment formulée à l'encontre de l'article L. 600-7, concerne son champ d'application : le texte ne vise que les permis de construire, de démolir ou d'aménager à l'exclusion des déclarations préalables. Or, ces dernières ne cessent de prendre de l'importance et peuvent concerner des projets d'une certaine ampleur. De plus, cette différence contribue à complexifier le contentieux de l'urbanisme.
La deuxième critique concerne le troisième alinéa de l'article. Plus précisément, la possibilité pour les acquéreurs successifs d'agir en répétition à raison du préjudice qu'ils ont subi. On comprend mal qu'une action en répétition de l'indu soit conditionnée à l'existence d'un préjudice. En droit commun, l'article 1302-3 du Code civil n'envisage d'ailleurs la réduction de la restitution que si le paiement procède d'une faute. La jurisprudence aura vocation à se prononcer sur cette difficulté.
La troisième critique tient à ce que le texte n'a pas réservé l'hypothèse de la transaction conclue par acte authentique. Dans ce cas, à l'exemple de l'article 1589-2 du Code civil, la nullité ne devrait pas être encourue à défaut d'enregistrement dans le délai d'un mois.
– Propositions
. – Il est toujours intéressant d'aller voir ce qui se passe chez nos voisins, notamment en matière de modes alternatifs de règlement des litiges.
En Grande-Bretagne la majorité des litiges sont résolus soit par des administrative tribunals, soit en dehors de toute juridiction. Les juges incitent fortement à la médiation. En Allemagne les recours administratifs préalables sont la règle. Par ailleurs, l'Allemagne développe également une forte culture de la médiation. Dans ces deux pays, le nombre des recours contentieux est limité.