La rigidité du rapport de conformité : focus sur les servitudes d'emplacements réservés

La rigidité du rapport de conformité : focus sur les servitudes d'emplacements réservés

– Le périmètre des servitudes administratives. – Les servitudes administratives ne font l'objet ni d'une définition légale ni d'un statut d'ensemble, mais constituent des contraintes juridiques qui limitent le droit d'un propriétaire sur son bien dans un objectif commun de satisfaction de l'intérêt général. Elles peuvent être instituées au profit de personnes publiques (État, collectivités locales, établissements publics), ou de concessionnaires de services d'intérêt général (énergie, canalisations, etc.).
En tant que servitude légale (C. civ., art. 649 et 650), la servitude administrative fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité et ne peut être ni implicite ni conventionnelle. Son opposabilité est certaine dès lors qu'elle satisfait à l'objectif qui lui est assigné. Comme le relève le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 décembre 1985, elle doit poursuivre « un objectif d'intérêt général qu'il appartient au législateur d'apprécier ».
Compte tenu de leur objet, leur variété est très importante. Elles obéissent à des réglementations disparates au point que leur ensemble a pu être qualifié de « bric-à-brac » ou d'enchevêtrement par multiplication et chevauchement .
Nous pouvons toutefois identifier trois catégories de servitudes administratives qui intéressent notre matière :
  • les servitudes d'urbanisme dont l'existence résulte des dispositions du Code de l'urbanisme (C. urb., art. L. 112-1 et L. 121-31 et s. [servitudes de passage sur le littoral]) ;
  • les servitudes d'utilité publique affectant l'utilisation du sol et prévues par le document d'urbanisme (art. L. 151-43 [PLU] L. 161-1 [cartes communales]) et dont l'opposabilité est organisée par l'article L. 152-7 du Code de l'urbanisme qui impose leur annexion au plan local d'urbanisme ou leur publication au portail national de l'urbanisme (www.geoportail-urbanisme.gouv.fr">Lien) ;
  • les servitudes d'utilité publique (SUP) résultant d'une législation indépendante du Code de l'urbanisme (C. env., art. L. 515-8 et s. [installations classées]).
– La servitude d'emplacement réservé, une servitude d'urbanisation. – La servitude d'emplacement réservé prévue à l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme est une servitude d'urbanisation en ce que le législateur autorise le règlement, dans les zones U et AU des plans locaux d'urbanisme, à délimiter des terrains sur lesquels sont instituées des catégories d'emplacements réservés. L'opposabilité des emplacements réservés s'apprécie par principe selon un rapport de conformité. Ainsi l'autorité compétente au titre de la délivrance des autorisations d'occuper le sol est-elle tenue de refuser tout projet non conforme à l'objet de l'emplacement réservé (ER). Ce principe de conformité est d'application stricte et est apprécié avec rigueur par la jurisprudence administrative. Un rapport de compatibilité autoriserait par exemple l'aménagement en sous-sol d'un parking souterrain sur un emplacement réservé au visa de l'article L. 151-41, 3° (espaces verts ou espaces nécessaires au maintien des continuités écologiques). Un rapport de conformité l'interdit alors même que la réalisation d'un tel aménagement du sous-sol pourrait assurer la destination de l'emplacement réservé. Pour autant, en 2016, le Conseil d'État a pu atténuer le principe en reconnaissant la possibilité de s'y soumettre dans un simple rapport de compatibilité si l'objet pour lequel l'emplacement réservé avait été institué pouvait trouver son accomplissement à l'occasion d'un projet plus global intégrant les prescriptions de l'emplacement réservé même si ce n'était pas nécessairement sur la parcelle grevée. Cette jurisprudence a été confirmée dans un arrêt du 19 juillet 2023. Cette relative souplesse d'appréciation reste exceptionnelle et réservée à des circonstances bien particulières. Elle ne semble pas transposable aux emplacements réservés prévus aux 4°) et 5°) de l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme.
– Une utilisation dévoyée des alinéas 4°) et 5°) de l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme ? – La jurisprudence se rapportant au contrôle de l'utilisation des emplacements réservés est relativement peu nourrie, car l'office du juge administratif est somme toute limité. En effet le juge opère un contrôle restreint, limité à la sanction éventuelle de l'erreur manifeste d'appréciation. L'utilisation de l'emplacement réservé peut cependant permettre d'immobiliser durablement un terrain ou un secteur sans que cette servitude puisse donner lieu à une quelconque indemnisation sauf pour le propriétaire à exercer son droit de délaissement. Toutefois, le juge administratif veille à ce que le maintien sur une durée longue ne soit pas constitutif d'une erreur manifeste d'appréciation. Si la jurisprudence Kergall laissait supposer qu'une durée manifestement excessive pouvait entraîner légitimement une action tendant à l'abrogation de l'emplacement réservé, la jurisprudence Geoffroy a précisé que le facteur temps n'était pas à lui seul déterminant, le maintien pouvant être justifié dès lors que pouvait être constaté un commencement d'exécution de l'objet pour lequel l'emplacement réservé avait été institué.
En effet, afin de s'assurer un contrôle et une maîtrise du rythme de l'urbanisation sans recourir à une orientation d'aménagement et de programmation (V. infra, nos et s.), la collectivité peut être tentée d'instituer une servitude d'urbanisation au visa de l'article L. 151-41, 5°) au motif de l'intégration du terrain dans un périmètre d'attente de projet d'aménagement (PAPA). La conséquence n'est pas neutre pour le propriétaire qui voit son terrain gelé pendant cinq ans (le temps d'un mandat en somme).
Plus criante est l'institution d'un emplacement réservé social (ERS) au visa de l'article L. 151-41, 4° du Code de l'urbanisme, qui a un effet identique voire plus contraignant faute de limitation dans le temps. Nous savons en effet que le règlement du PLU peut délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d'un programme de logements, un pourcentage de ce programme est affecté à des catégories de logements dans le respect des objectifs de mixité sociale (C. urb., art. L. 151-15) ou une proportion de logements d'une taille minimale (C. urb., art. L. 151-14). Or l'institution d'un secteur de mixité sociale ne peut instaurer une obligation de réaliser 100 % de logements sociaux. Il y a un naturel principe de proportionnalité entre le droit de propriété et la faculté offerte au rédacteur de planification urbaine pour satisfaire à ces objectifs.
C'est en revanche ce que peut autoriser un ERS compte tenu du droit de délaissement qui lui est attaché. Pour autant, c'est toutefois peu faire cas de la situation d'un propriétaire qui n'acceptera que très difficilement de céder son terrain pour la réalisation d'une unique opération de logement social lorsque l'on connaît le prix de la charge foncière associée à la surface de plancher LLS, PLAI et PLUS.
Aussi l'institution d'un ERS nous semble participer d'une utilisation abusive des prérogatives offertes à la collectivité pour favoriser la production de logements sociaux. Comme le souligne Rozen Noguellou, il conviendrait « que les textes viennent encadrer plus précisément cette technique qui, en l'état, apparaît souvent comme un moyen trop commode pour les collectivités publiques de se préconstituer, sans aucune incidence financière, des réserves foncières ».