La responsabilité du notaire

La responsabilité du notaire

– Du devoir de conseil au devoir d'investigation. – Le devoir de conseil du notaire ne conna ît aucune définition légale, à la différence d'autres devoirs. L'éloquent exposé du conseiller Réal, à propos de la loi du 25 ventôse an XI, évoquait déjà les « conseils désintéressés » de la profession. La jurisprudence de la Cour de cassation – depuis un arrêt fondateur du 21 juillet 1921 – a consacré la responsabilité du notaire à propos de son devoir de conseil, dont la mission n'est pas seulement d'authentifier les actes. Puis la Cour de cassation a forgé sa formule qui depuis fait florès : « le notaire est tenu d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes rédigés par lui » .
Plus récemment, rattaché au devoir de conseil, la jurisprudence est venue consacrer un véritable « devoir d'investigation » du notaire. Car il ne saurait se fier aux déclarations des parties si elles conditionnent la validité et l'efficacité de l'acte dressé. Il ne peut pas davantage se contenter d'énonciations ambiguës si d'elles dépendent l'étendue et la teneur des droits transmis. Ce qui suppose nécessairement que le notaire se livre à des vérifications et à des investigations .
La jurisprudence n'est pas sans atermoiements ou hésitations sur le sujet du « devoir d'investigation » . Quelques grands principes élémentaires émergent toutefois :
  • le notaire n'est pas tenu de procéder sur place à une visite des lieux ;
  • en cas de déclarations erronées d'une partie quant aux faits rapportés, le notaire n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude ;
  • le notaire est tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse .
– Les incertitudes sur la jurisprudence à venir. – Tout cet exposé fait, il faut conclure en faisant une énième et dernière référence au dossier de Grézieu-la-Varenne. L'importance du contentieux en cours devrait permettre de fixer la jurisprudence. Mais, pour l'instant, la généralité des formules employées par les juges ainsi que les faits particuliers de l'espèce ne permettent pas réellement de savoir si la jurisprudence va rester sur ses solutions antérieures, ou si, au contraire, la responsabilité notariale est en train de s'élargir, sous l'apparence de la continuité.
Le grief retenu était l'absence de consultation de BASIAS, ainsi que l'absence d'interrogation de la préfecture. Nous avons vu précédemment ce qu'il faut penser du système actuel de publicité. Il existe de sérieux trous dans la raquette. à tout le moins, d'autant que les fiches d'information sont susceptibles de changer dans le temps, il est vivement conseillé de conserver la trace des diligences accomplies, pour pouvoir justifier de leur caractère vain le cas échéant.
Mais le point qui laisse le plus dubitatif est le fait que l'immeuble n'était pas exactement sur le site de l'ancienne usine, mais à côté. Il s'agissait, à l'origine, d'un garage, édifié en 1962. Puis, en 2001, cet édifice est transformé en habitation, après obtention d'un permis de construire, par le petit-fils du fondateur de la blanchisserie. Celui-ci habite les lieux une dizaine d'années, avant d'effectuer la vente litigieuse. Dans la situation du notaire de l'acquéreur, il y a quand même matière, dans de telles circonstances, à être moins suspicieux et moins inquisitorial que dans l'hypothèse topique de l'acquéreur qui achète l'usine pour la détruire et bâtir un nouvel édifice à la place.
Le vrai problème de Grézieu-la-Varenne, ainsi que cela appara ît sur la carte BASOL montrée plus avant (V. supra, n°), est que la pollution est si colossale qu'elle a essaimé bien au-delà du site industriel à proprement parler. Et c'est tout le drame de la pollution à l'ère industrielle : le voisinage affecté peut être fort lointain. Il en va ainsi de l'usine « Metaleurop », déjà évoquée. Située à Noyelles-Godault et Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais), elle fut la plus grande fonderie d'Europe. Le site a fermé en 2003. La pollution provoquée par son activité est telle que, lors de la fermeture, le secteur a reçu le titre médiatique de « zone la plus polluée de France ». Vingt ans après, les problèmes engendrés forment encore un triste feuilleton – dont des problèmes de saturnisme détectés sur des enfants. La question sanitaire est telle qu'elle a nécessité la mise en place d'un projet d'intérêt général pour toutes les communes alentour. D'ailleurs, plusieurs actions contentieuses sont toujours en cours – contre l'état, notamment.
Dans un cas extrême, qui a fait l'objet d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes, ont été reconnus des troubles de voisinage, provoqués par une centrale nucléaire en République tchèque, au détriment de parcelles agricoles en Autriche . Reste que le devoir d'investigation du notaire ne peut être infini : il est juriste expert, et on lui demande à raison d'être subtil et sagace ; mais on ne peut exiger en plus de lui un bagage de physique-chimie. C'est-à-dire que, en poussant le raisonnement jusqu'à la caricature, on ne peut pas reprocher à un notaire de n'avoir pas conseillé à son client d'investiguer à propos des effets du nuage de Tchernobyl sur le bien qu'il acquiert.