Éviter les recours abusifs

Éviter les recours abusifs

– Plan. – Répondant à une forte dénonciation par des élus locaux et promoteurs de l'existence de recours abusifs paralysant les projets immobiliers, une ordonnance de 2013 prise dans le sillage du rapport Labetoulle a mis en place un mécanisme inédit de sanction (A) dont la loi ELAN a renforcé l'efficacité (B). Aussi utile soit-il, il n'est pas exempt de critiques sur son champ d'application que l'on peut trouver trop restreint (C).

Contexte de l'adoption de l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme (2013)

– Sanctionner les recours abusifs contre un permis de construire est le leitmotiv des élus locaux et des promoteurs. – Ils y voient le meilleur moyen de dissuader les requérants davantage animés par l'opposition systématique ou l'attrait de l'argent que par les règles défendues par l'urbanisme.
Jusqu'en 2013, la voie d'une sanction contre un recours abusif n'était guère opérante.
De jurisprudence ancienne, le juge administratif n'admettait pas une demande reconventionnelle visant à la condamnation du requérant à des dommages-intérêts pour abus de droit dans le cadre d'un recours en excès de pouvoir, à la différence des instances de plein contentieux.
L'auteur d'un recours malveillant n'était susceptible d'être sanctionné pécuniairement qu'au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (CJA, art. L. 761-1) ou de l'amende pour recours abusif (CJA, art. R. 741-12).
Le juge civil, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et 31-2 du Code de procédure civile, pouvait être saisi. Mais cela supposait l'ouverture d'une nouvelle action devant un nouveau juge après que le recours en excès de pouvoir avait été écarté par le juge administratif. Le succès de l'action supposait bien sûr que fussent réunies les conditions de la responsabilité civile.
Aussi la commission Labetoulle a-t-elle proposé d'introduire en droit français la possibilité de former une demande reconventionnelle en dommages et intérêts devant le juge de l'excès de pouvoir : une nouvelle solution particulière au contentieux de l'urbanisme. L'ordonnance du 18 juillet 2013 a repris cette proposition en créant l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme.
– Le mécanisme de l'article L. 600-7 : un dispositif dans un premier temps rigide. – Le dispositif originel permettait au pétitionnaire dont l'autorisation faisait l'objet d'un recours abusif d'effectuer une demande reconventionnelle d'indemnisation. Au sein de la même instance, mais par un mémoire distinct, le défendeur pouvait solliciter des dommages et intérêts. En 2013, une telle demande ne pouvait aboutir qu'en cas de recours abusif défini par la loi selon deux critères cumulatifs :
  • le recours devait être exercé dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant ;
  • le recours devait causer un préjudice excessif au pétitionnaire.
La demande reconventionnelle pouvait être effectuée pour la première fois en appel, mais n'était pas ouverte à la défense d'une déclaration préalable.
Par ailleurs, la doctrine comme la commission Labetoulle se sont aussitôt interrogées sur le point de savoir si la possibilité d'action devant le juge civil restait ouverte.
Plus substantiellement, la doctrine ainsi que les auteurs de la proposition ont dès l'origine douté du caractère opérationnel du dispositif.

Les modifications apportées par la loi ELAN (2018)

– Un dispositif assoupli. – La commission Maugüé a souhaité « assouplir l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme sur la sanction des recours abusifs ».
En effet, elle a relevé que « depuis l'entrée en vigueur de l'article L. 600-7, les conclusions reconventionnelles à fin de dommages et intérêts présentées devant les tribunaux administratifs ont quasiment toutes été rejetées. À ce jour, seuls trois jugements de tribunaux administratifs en ont fait une application positive, dont un seul pour un montant un peu significatif » et que « ces rejets tiennent à deux causes : la difficulté de justifier que la requête, même rejetée, excède la défense des intérêts légitimes du requérant ; l'absence de justification, tant dans son principe que dans son montant, du caractère excessif du préjudice subi par le bénéficiaire du permis ».
Aussi le groupe a-t-il proposé de supprimer la notion de préjudice excessif et de remplacer la formule « conditions excédant la défense des intérêts légitimes » par les termes « dans des conditions qui traduisent un comportement déloyal de la part du requérant ».
Ces deux propositions ont été reprises par la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi ELAN ». À cette occasion a également été supprimé le régime dérogatoire des associations.
Par ailleurs, la Cour de cassation a confirmé que l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme ne fermait pas la voie à une action civile pour abus du droit d'ester en justice.
Il ne semble toutefois pas que les modifications apportées en 2018 aient conduit à une augmentation significative des condamnations prononcées.
Ainsi, « un requérant qui obtient satisfaction par l'annulation de la décision ne peut être regardé comme ayant un comportement abusif » ; « ne traduit pas un comportement abusif l'action d'une société contestant un permis de construire pour un projet susceptible d'affecter le fondement de son exploitation et dont les moyens d'appel ne sont pas manifestement infondés » ; « ne traduit pas non plus un comportement abusif l'action de propriétaires d'un terrain situé à proximité d'un projet portant sur un immeuble collectif de 75 logements (…), alors même qu'ils ne soulèvent qu'un moyen non fondé ».
Au contraire, « le comportement abusif d'une association a été reconnu pour une demande entachée de nombreuses irrecevabilités (défaut de notification de l'article R. 600-1 du Code de l'urbanisme, objet excédant l'objet social ; précédent recours déjà rejeté pour irrecevabilité) ».

Critique sur le dispositif de l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme

– Un champ d'application limité. – La principale critique qui peut être formulée à l'encontre du dispositif de l'article L. 600-7 du Code de l'urbanisme concerne son champ d'application : le texte ne vise que les permis de construire, de démolir ou d'aménager à l'exclusion des déclarations préalables. Or, ces dernières ne cessent de prendre de l'importance et peuvent concerner des projets d'une certaine ampleur. De plus, cette différence contribue à complexifier le contentieux de l'urbanisme.