L'indemnisation du sinistre

L'indemnisation du sinistre

– L'assurance-dommages et la garantie « TOC ». – La volonté de se protéger des coups du sort météorologiques est aussi ancienne que notre système juridique . Dès l'Antiquité grecque existe une forme d'assurance pour l'armateur maritime, conservée par la tradition postérieure : le prêt à la grosse aventure. L'assurance terrestre est apparue ensuite, il y a quelques siècles déjà, principalement pour couvrir le risque incendie des bâtiments et le risque de grêle en matière agricole. Autrement dit, la couverture du risque météorologique est au fondement historique de l'assurance. Pour autant, cette garantie des risques naturels s'effectue aujourd'hui d'une manière qui reste particulière et dérogatoire du droit commun assurantiel.
Ce particularisme s'explique par le fait que le risque météorologique reste difficilement assurable . L'assurance repose en effet sur un principe de mutualisation des risques. Pour pouvoir réaliser un calcul actuariel qui permette de couvrir les dommages par la somme des primes collectées, il convient que les risques soient fréquents, homogènes et dispersés. Or, les aléas climatiques ne répondent pas à ces caractéristiques. Rien de plus inopportun, par exemple, qu'un assureur qui offrirait de couvrir tous les agriculteurs d'un même canton contre la grêle. Si le risque se réalisait, les primes versées ne suffiraient pas. En outre, le risque climatique favorise le phénomène d'antisélection : seuls les plus exposés cherchent naturellement à s'assurer, ce qui empêche la mutualisation. Ainsi, seuls ceux en bord de mer se sentent concernés par les risques d'inondation marine ; de sorte que, si l'assurance était volontaire, eux seuls seraient intéressés pour la souscrire, et ses tarifs seraient alors prohibitifs pour être économiquement rentables.
Pour la raison qui précède, il n'y a que quelques faits de la Nature qui sont couverts selon le droit commun de l'assurance : il en va ainsi, par exemple, de la foudre, de la grêle, ou de la neige . Ces risques sont librement assurables, de manière facultative, et sont généralement inclus dans le contrat multirisque habitation de chacun.
Sur le socle du contrat de base, le législateur est cependant venu ajouter un volet obligatoire pour l'assureur comme pour l'assuré : la garantie « Tempête-Ouragan-Cyclone » (TOC). En effet, les contrats d'assurance garantissant les dommages incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des tempêtes, ouragans et cyclones – sauf franchissement du seuil au-delà duquel on relève du régime de catastrophe naturelle. Ce texte empêche donc l'assureur de fixer une prime spécifique pour ce risque, ou d'en faire une option en sus de l'assurance de base . En revanche, cela n'empêche pas la prime de base d'être calculée en fonction de ce risque à couverture obligatoire. L'important est que la large base imposée de souscripteurs évite le phénomène d'antisélection, et permet une mutualisation forcée.
– Le régime « CatNat ». – Il reste un certain nombre de risques considérés comme inassurables. Outre les ouragans et cyclones évoqués juste avant, l'hypothèse topique traditionnelle est celle des inondations. Après diverses grandes crues – de la Loire en 1980, de la Garonne et du Rhône en 1981 – le législateur a jugé inopportun de laisser les victimes livrées à leur sort, et a mis en place le régime « catastrophes naturelles ». Il ne s'agit pas d'un fonds d'indemnisation, mais d'un régime mixte qui mélange assurance privée et intervention étatique . Cette dernière dimension est toutefois si importante que les victimes peuvent, en pratique, avoir l'impression d'être indemnisées par l'état.
La souscription de la garantie catastrophe naturelle n'est pas libre ; l'assureur est obligé de la proposer dans les contrats d'assurance qui contiennent une garantie de dommages aux biens. La surprime obligatoire est fixée à 6 % de la prime pour les assurances de véhicules terrestres à moteur, et à 12 % pour les autres biens . Pour le reste, le mécanisme diffère singulièrement d'un régime d'assurance obligatoire. En effet, l'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel, après une procédure administrative. En outre, pour éviter le déséquilibre financier entre les primes collectées et les indemnisations à verser, les assureurs peuvent se réassurer auprès de la Caisse centrale de la réassurance, à qui l'état octroie à son tour une garantie illimitée. C'est ainsi que, en 1999, la garantie de l'état a été mise en œuvre, en raison d'indemnisations exceptionnelles, à hauteur de 263 millions d'euros.
La catastrophe naturelle est définie de manière souple, pour ne pas dire floue : il s'agit des « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel » . Autrement dit, la loi n'énumère pas les phénomènes couverts par la garantie, mais se borne à exiger que le phénomène naturel soit d'une intensité anormale. S'agissant des cyclones, il existe un seuil réglementaire de la catastrophe naturelle : les vents doivent dépasser 145 km/h en moyenne sur dix minutes, ou 215 km/h en rafales . Pour tous les autres phénomènes, des critères sont mentionnés dans des circulaires, mais aucun seuil réglementaire n'a été arrêté. Cela laisse une latitude aux pouvoirs publics, et la déclaration de catastrophe naturelle se trouve souvent teintée d'opportunité politique.
Dans sa version initiale, le système englobait tout phénomène naturel d'intensité anormale. Pour cette raison, le mécanisme d'indemnisation s'est trouvé en concurrence de l'assurance de droit commun . Durant les premières années, des arrêtés de catastrophe naturelle furent ainsi pris à propos de tempêtes . Aussi, pour éviter ce chevauchement de régime, fut ajouté depuis le critère exprès du risque inassurable . Cela excluait dès lors les tempêtes, sauf dépassement du seuil mentionné précédemment.
Le chevauchement subsiste néanmoins dans les hypothèses de dommage mixte. Ainsi la tempête Xynthia, en 2010, parce que celle-ci s'est accompagnée d'inondations, a été reconnue catastrophe naturelle. Ce qui a impliqué des indemnisations réparties à peu près à égale part entre le régime « CatNat » et l'assurance « TOC ». Mais une telle superposition n'aide pas les assurés à s'y retrouver, d'autant que les garanties et les franchises diffèrent selon les hypothèses . Par ailleurs, les intempéries de l'automne 2023 – les tempêtes Ciaran et Domingos, ainsi que les inondations du Pas-de-Calais – semblent ouvrir la voie à un changement de paradigme quant aux critères de reconnaissance d'état de catastrophe naturelle. Le Ministre Christophe Béchu a tout récemment déclaré être « en train de travailler sur la totalité des événements climatiques pour revoir la grille des catastrophes naturelles, la manière dont on les prend en charge ; nos règles [n'étant] pas adaptées au dérèglement climatique ».
– L'extension du « CatNat » à la sécheresse. – Dans l'esprit de la loi, la catastrophe naturelle est un phénomène soudain. Initialement, ainsi que cela a été évoqué plus haut, la législation « CatNat » a été créée en réponse à une série de grandes inondations. Autrement dit, selon la ratio legis, la catastrophe naturelle était censée répondre à l'unité de lieu, de temps, et d'action – comme le théâtre classique . Pour cette raison, en pratique, les phénomènes reconnus sans discussion dans la catégorie « CatNat » sont les suivants : inondations, mouvements de terrain, séismes, avalanches, éruptions volcaniques, tsunamis, cyclones et ouragans.
Mais l'absence de liste précise des événements concernés laisse une latitude à l'autorité administrative. C'est la raison pour laquelle, par opportunité politique, le régime « CatNat » a été étendu au retrait-gonflement des argiles (RGA). Seulement, cette extension ne va pas sans quelque difficulté, et ce d'autant plus que 60 % du territoire français est composé de sols argileux.
Les terrains argileux superficiels peuvent voir leur volume varier à la suite d'une modification de leur teneur en eau, en lien avec les conditions météorologiques. Ils se « rétractent » lors des périodes de sécheresse (phénomène de « retrait ») et gonflent au retour des pluies lorsqu'ils sont de nouveau hydratés (phénomène de « gonflement »). Ces variations sont lentes, mais elles peuvent atteindre une amplitude assez importante pour endommager les bâtiments localisés sur ces terrains.
Le fait de savoir si la sécheresse est « anormale », et relève donc de la catastrophe naturelle, est l'objet d'une doctrine administrative, sans support réglementaire . Elle combine des critères hydrogéologiques liés au sol (avec des données du BRGM) et des critères météorologiques. Cette doctrine est âprement disputée, en raison de ses conséquences pratiques.
En outre, il ne suffit pas que l'état de catastrophe naturelle soit reconnu pour être indemnisé – d'autant que l'indemnisation n'est pas versée par l'état, mais par l'assureur. Encore faut-il démontrer le lien de causalité avec son dommage. Pour des phénomènes comme les inondations ou les cyclones, l'établissement du lien de causalité pose peu de difficultés. Mais il en va tout autrement dans le cas du RGA, car le sinistre se manifeste avec retard, et les facteurs sont multiples : fondations insuffisantes de la maison, malfaçons de la construction, vétusté et défaut d'entretien, effet de la végétation alentour. Aussi, en jurisprudence, les deux positions sont constatées : ou bien considérer que la sécheresse est un facteur aggravant de fondations inadaptées, sans être la cause déterminante ; ou bien que les fondations insuffisantes sont un facteur aggravant, la sécheresse étant considérée comme la cause déterminante .
Ce genre d'argutie n'est pas neutre. Le régime « CatNat », lorsqu'il fonctionne, est plus libéral que l'assurance de droit commun, notamment parce qu'il ne comprend aucun plafond d'indemnisation. Mais ce régime « CatNat » reste un système de mutualisation des risques : nonobstant la garantie de l'état, les sinistres sont censés être couverts par les primes collectées. Or, comme nous l'évoquions en introduction, la hausse du montant des sinistres, particulièrement ceux liés au RGA, pose la question de l'assurabilité à venir des risques climatiques . à ce titre, une mission a été nommée par le gouvernement, chargée de rendre ses conclusions en décembre 2023, sur la soutenabilité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Ici encore, le régime juridique dépend de possibilités économiques.
– La conception stricte de la force majeure. – Pour ne pas devoir indemniser de manière trop large les catastrophes naturelles, la législation exige un dommage inévitable. En effet, la garantie n'existe que « lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises » . C'est ainsi, par exemple, dans le cas du RGA, que la garantie est exclue lorsque les fissurations sont apparues avant la sécheresse, qu'elles auraient pu être prévenues par une conception adaptée des fondations, compte tenu de l'implantation de l'ouvrage sur un terrain à forte déclivité sans étude de sol préalable .
Cette exigence n'est pas sans rappeler les critères de la force majeure. D'ailleurs, il faut noter que, dans l'esprit du Code civil, l'exemple topique de la force majeure est le fait climatique. Ainsi, dans le contexte du bail à ferme, l'article 1773, dans sa rédaction inchangée depuis l'origine, évoque le « cas fortuit ordinaire » que sont « grêle, feu du ciel, gelée ou coulure », et les « cas fortuits extraordinaires » comme « l'inondation dont le pays n'est pas ordinairement sujet ».
La doctrine et la jurisprudence ont formalisé la notion de la force majeure, connue de tous les juristes, autour de trois critères fameux : extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité. à l'époque contemporaine, il a cependant été plaidé pour une évolution de cette conception, afin de retenir la force majeure dans l'hypothèse d'un phénomène irrésistible, quand bien même celui-ci serait prévisible . Le recul du trait de côte relève exactement de cette hypothèse : la montée du niveau de la mer n'est plus une surprise ; il est néanmoins impossible de l'éviter au-delà d'un certain seuil.
Afin de mettre fin à la controverse entre ses chambres, l'assemblée plénière de la Cour de cassation est venue trancher la question, et préciser que la force majeure exige tout à la fois d'être imprévisible et irrésistible . Dans le même sens, la réforme du Code civil de 2016 est venue définir la force majeure en matière contractuelle : « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » .
Ce qui se dessine en arrière-plan est une conception stricte de la force majeure, particulièrement en matière climatique, au point de rendre la notion pratiquement inopérante. Il n'est pas possible de détailler tous les aspects de la question, en distinguant notamment entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle. Mais deux jurisprudences peuvent permettre de mesurer l'étendue de l'évolution opérée.
En 1942, le paquebot Lamoricière sombre en Méditerranée, engloutissant les trois quarts des occupants du navire. Dans un arrêt célèbre, la Cour de cassation considère que la tempête qui a frappé le navire constitue un fait de force majeure, en même temps qu'elle ne retient qu'une exonération partielle en considérant que le charbon de mauvaise qualité (les Allemands ayant pris pour eux le meilleur) avait également contribué à la catastrophe .
En 2010, le volcan islandais Eyjafjallajökull entre en éruption. Le nuage de cendres présent dans l'atmosphère est tel qu'une grande partie des aéroports européens sont contraints de fermer pendant une dizaine de jours. Au regard du règlement communautaire no 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, la jurisprudence européenne considère qu'il s'agissait de « circonstances extraordinaires » exonérant le transporteur aérien . Mais, sur le fondement du Code du tourisme, la Cour de cassation décide que l'éruption ne dispensait pas l'agent de voyages de garantir la prise en charge du supplément de prix afférent aux prestations de remplacement .
Cette tendance stricte quant à l'appréciation de la force majeure et de ses conséquences revient, in fine, à écarter l'imprévision climatique au sens large. En sens inverse, cela revient à exiger des acteurs juridiques qu'ils anticipent les dégâts potentiels du climat, afin de s'en prémunir autant que faire se peut.
– Le faible secours de la responsabilité civile. – Comme une première forme de conclusion de ce qui précède, il faut noter ce point d'importance : certains phénomènes ne sont couverts par aucun régime assurantiel ou indemnitaire. Il en va ainsi du recul du trait de côte. Certains phénomènes associés sont certes pris en charge : ainsi le risque de submersion ou les éboulements et chutes de pierres liés aux mouvements de terrain. Mais l'érosion et l'avancée de la mer ne sont pas en elles-mêmes des « catastrophes naturelles », car le phénomène est considéré comme prévisible.
Les victimes ainsi livrées à elles-mêmes peuvent néanmoins songer à tenter d'obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité civile. Car, si la montée des eaux est liée au réchauffement climatique, et si le réchauffement est la conséquence d'émissions de gaz à effet de serre, alors le dommage a une cause humaine. Aussi, en parallèle du contentieux climatique contre les états, est en train de na ître une activité judiciaire visant, sinon tous les pollueurs, du moins les plus significatifs, et particulièrement les grandes industries du pétrole, du gaz et du charbon .
Sur le plan de la responsabilité civile, une telle action se revendique des solutions admises en cas de dommage causé par un groupe de personnes. Le principe, en effet, est que chacun des coauteurs fautifs d'un même dommage est condamné in solidum à le réparer intégralement, dès lors que chacune de ces fautes a concouru à le causer tout entier, sauf le recours entre coresponsables pour déterminer leurs contributions définitives . Dans sa thèse fameuse, François Chabas avait détaillé les deux fondements, d'ailleurs contradictoires, de cette obligation in solidum . D'une part, une fonction de garantie pour la victime, qui n'a pas à diviser ses recours. D'autre part, le principe de l'effet total des causes : chaque codébiteur in solidum, ayant causé le tout par sa faute, doit réparer le tout.
Or, ce raisonnement ne se transpose pas vraiment en matière climatique : les plus gros pollueurs contribuent certes au changement climatique, mais uniquement pour leur part – sans être responsables du surplus des émissions de gaz à effet de serre . Dans ce cas, on se trouve face à une causalité partielle, qui était le raisonnement derrière la solution de l'arrêt Lamoricière précédemment évoqué : lorsqu'un dommage a plusieurs causes, chaque fait retenu comme cause n'a pour conséquence qu'une partie du dommage.
Conséquence du constat précédent, l'affaire topique de la nouvelle forme de contentieux climatique est celle intentée par Saul Luciano Lliuya, agriculteur et guide de montagne péruvien. Son habitat des Andes étant menacé par la fonte des glaciers, celui-ci a initié, devant la justice allemande, une action contre l'énergéticien RWE – le plus gros émetteur de CO2 d'Europe. Partant du postulat que RWE est responsable, à lui seul, de 0,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis le début de l'ère industrielle, la demande de réparation porte sur 0,5 % du coût des travaux exposés pour la sauvegarde de son habitat.
Pour ce qui est de la France, toutefois, le justiciable trouvera plus simple de demander à être indemnisé au titre des dommages de travaux publics, dans les hypothèses où cela peut se concevoir : ainsi lorsque l'augmentation de la submersion marine est provoquée par le détournement des courants marins résultant de la présence d'un ouvrage public .