L'évitement du sinistre

L'évitement du sinistre

– L'expropriation en prévention de risques naturels majeurs et le « fonds Barnier ». – En principe, l'expropriation est une procédure qui permet à la puissance publique d'obtenir le transfert à son profit d'un bien immobilier, en vue de la réalisation d'un objectif d'utilité publique et moyennant le paiement d'une indemnité juste et préalable. Mais il existe des procédures d'expropriation dérogatoires, et notamment celle instituée par la loi no 95-101 du 2 février 1995, dite « loi Barnier » et codifiée à l'article L. 561-1 du Code de l'environnement.
Ce texte a pour origine le hameau de l' île Falcon, village d'Isère de quelques centaines de personnes, pour lequel était redouté un potentiel éboulement. Le site réputé dangereux à proximité, les « Ruines de Séchilienne », a fait l'objet de nombreuses surveillances et expertises à partir des années 1980. La redoutée catastrophe de grande ampleur n'a jamais eu lieu. Mais, par précaution, l'administration a souhaité évacuer les habitants du lieu, et s'est heurtée à leur opposition – l'expulsion des derniers irréductibles n'a d'ailleurs eu lieu qu'en 2011.
Face à l'insuffisance de la législation d'alors, le gouvernement déposa un projet de loi créant un pouvoir de police spéciale « pour des motifs de sécurité publique susceptibles de se réaliser à court terme et menaçant gravement des vies humaines ». Il s'agissait d'éviter d'instaurer un droit à indemnisation en faveur de tous ceux installés dans une zone exposée à un risque naturel connu qu'ils avaient choisi de négliger. Mais, lors du processus parlementaire, le Sénat transforma le projet en une nouvelle procédure d'expropriation, pour aboutir au texte actuel.
La procédure d'expropriation dérogatoire est soumise à certaines conditions. D'abord, le risque naturel à l'origine de la menace doit être : un mouvement de terrain, un affaissement de terrain dû à une cavité souterraine ou à une marnière, une avalanche, une crue torrentielle ou à montée rapide, une submersion marine (la fin de la liste a été ajoutée après la tempête Xynthia, en 2010). Ensuite, le risque prévisible doit menacer gravement des vies humaines. Enfin, l'expropriation doit être moins coûteuse que les autres moyens de sauvegarde et de protection et il doit n'exister aucune solution alternative.
Dans l'esprit du législateur, le dispositif concerne des populations pour lesquelles le délai d'alerte serait insuffisant pour permettre leur complète évacuation . Dit autrement, sont exclus les risques « lents », comme l'érosion des côtes. Dans l'esprit du législateur, encore, la procédure concerne des problèmes très localisés, et n'est pas destinée à prendre en charge des risques à l'échelle d'une ville ou d'un département, comme les séismes ou l'activité volcanique. En outre, l'expropriation n'est pas exclusive de la mise en œuvre des pouvoirs de police du maire pour le risque concerné .
Un fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit « fonds Barnier », est destiné à financer ces opérations . Comme son champ d'intervention ne cesse d'être élargi, celui-ci est désormais financé par des crédits issus du budget de l'état, pour un budget annuel de 200 millions d'euros, environ.
Dans le contexte de l'affaire de l'immeuble « Le Signal », le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, relativement au dispositif décrit ci-dessus. Il était reproché au texte légal une rupture d'égalité devant la loi, en envisageant le risque de submersion marine, mais en excluant l'érosion côtière. Ce à quoi le Conseil constitutionnel a répondu que le texte est conforme à la Constitution : la procédure, exceptionnelle, est destinée à protéger la vie des personnes face à un péril prévisible mais soudain (ce que n'est pas l'érosion côtière) ; il ne s'agit pas d'instituer un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires d'un bien exposé à un risque naturel .
– Les plans de prévention des risques naturels (PPRN). – Face au risque, la meilleure attitude reste encore l'anticipation. Ainsi, une étude récente estime que la proportion de logements assurés qui subissent des dommages dus aux inondations diminue de 40 %, environ dans les communes dotées d'un plan de prévention des risques d'inondation – environ 100 millions d'euros de sinistres évités par an . Dans un contexte où le coût des dégâts climatiques ne cesse d'augmenter, ce point mérite d'être souligné.
Les plans de prévention des risques naturels ont pour objet, d'une part, de délimiter les zones exposées aux risques, dites « zones de danger », où il est possible de restreindre ou interdire constructions ou activités afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines et, d'autre part, de délimiter des « zones de précaution » qui ne sont pas directement exposées aux risques, mais où des constructions pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux . Ils se substituent à d'anciens documents : plans de surfaces submersibles, plans de zones sensibles aux incendies de forêts, notamment . Les PPRN ont une vocation généraliste et concernent, en pratique, les risques d'inondation, de mouvement de terrain, de feu de forêt, d'avalanche, de tempête, de séisme,etc. Toutes les hypothèses de risques naturels sont envisageables .
Les plans de prévention des risques naturels valent servitudes d'utilité publique : ils doivent être annexés au plan local d'urbanisme. Mais comme les servitudes qui résultent du PPRN n'ont pas pour base le Code de l'urbanisme, celles-ci ne sont pas indemnisables au titre de l'article L. 160-5 dudit code . On peut d'ailleurs objecter que la moins-value subie par l'immeuble est moins la résultante de la servitude que du risque naturel que l'on essaye d'éviter .
Les PPRN sont élaborés sous la responsabilité de l'état, en y associant les collectivités territoriales. S'il existe un risque dont le préfet aurait dû avoir connaissance, son abstention à élaborer un PPRN engage la responsabilité de l'état . En cas d'urgence, il est possible d'appliquer le PPRN de manière anticipée .
Les conséquences d'un PPRN sont importantes sur le plan de l'assurance . Pour un terrain classé inconstructible en vertu d'un PPRN, l'assureur est en droit de refuser de couvrir les dommages causés par les catastrophes naturelles, sauf biens et activités existant antérieurement à la publication du plan. Le refus d'assurer les catastrophes naturelles est également possible à l'égard des biens immobiliers construits et des activités déjà exercées, mais seulement en cas de violation des règles administratives déjà en vigueur, lorsque celles-ci visent à prévenir les dommages causés par une catastrophe naturelle. Enfin, même pour les terrains qui n'ont pas été déclarés inconstructibles, l'assureur peut exceptionnellement, sur décision du bureau central de tarification, exempter certains biens de la garantie ou bien procéder à des abattements spéciaux.
– Une information perfectible : l'état des risques. – Nous avons déjà évoqué les règles applicables à l'état des risques dans le chapitre précédent – puisque l'état des risques intègre aussi l'information sur les plans de prévention des risques miniers. Il convient uniquement de rappeler que cet état contient, notamment, la mention des PPRN concernant l'immeuble, ainsi que la déclaration des catastrophes naturelles ayant donné lieu à indemnisation .
Cette information est toutefois d'une qualité perfectible. Pour ce qui est des catastrophes naturelles, le texte légal impose de déclarer seulement l'hypothèse où l'immeuble bâti a subi un sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnité « catastrophe naturelle » . Dans le doute, l'usage s'est pris de lister l'ensemble des déclarations de catastrophes naturelles ayant frappé la commune, peu importe le type de bien, mais aussi peu importe que la catastrophe ait affecté ou non le bien. Ce qui noie l'information pertinente. Et, inversement, les sinistres en dehors du régime « CatNat » – les tempêtes, par exemple – ne relèvent pas de l'obligation de déclaration. Alors pourtant que cette information n'est pas neutre pour l'acquéreur.
Pour le surplus, il faut noter que, en pratique, les états des risques sont généralement établis par des diagnostiqueurs professionnels, moyennant rémunération, avec l'ensemble des diagnostics obligatoires du bien vendu. Le texte légal est fort précis quant au contenu à faire figurer : « Pour chacun des plans de prévention des risques (...) dans le périmètre duquel se trouve le bien, un extrait de document graphique situant ce bien par rapport au zonage réglementaire et l'extrait du règlement le concernant, ainsi qu'une information indiquant si des travaux sont prescrits par ce règlement pour ce bien et s'ils sont été (sic) réalisés » .
En pratique, peu de diagnostics transmis par les clients – pourtant établis par un professionnel rémunéré – délivrent une information adaptée. Souvent, l'extrait du règlement est absent. Trop souvent, la cartographie est fantaisiste (commune entièrement coloriée en bleu parce qu'une infime partie est en zone inondable, par exemple), quand elle n'est pas la bonne (carte du BRGM, par exemple, au lieu du plan du PPRM). Dans une telle hypothèse, il est vivement conseillé au notaire de faire ré-établir l'état des risques par le client, via le site « ERRIAL » au sein de Géorisques . Même si ce dernier doit être utilisé de manière critique : l'extrait du règlement du PPRN manque, l'identification de certains risques est parfois bien plus claire sur la page internet de création que sur le rapport final généré, et les informations données peuvent être caduques. Cela reste néanmoins un outil précieux – et d'usage gratuit. C'est d'ailleurs bien parce que l'état des risques est si perfectible que la profession notariale a désormais pris l'habitude de le redoubler systématiquement par le rapport de Géorisques.
Mais surtout, la principale limite de l'état des risques est ici : l'information donnée porte moins sur le risque que sur le zonage réglementaire à propos de ce risque. L'acquéreur n'est vraiment informé que d'une planification à propos de l'utilisation des sols. Or, si l'on se limite à l'information légale, cela ne lui permet que fort modérément d'appréhender le risque concret auquel le bien est soumis : est-ce à dire que, en cas de réalisation du risque, la situation va ressembler à une montée de la Seine noyant le zouave du pont de l'Alma ? Ou bien aux flots mortels et décha înés de l'Ouvèze, près du pont antique de Vaison-la-Romaine ?
Aussi peu informatif soit-il, l'état des risques est excessivement formaliste – ce qui est toujours un nid à contentieux, avec le risque que l'irrégularité formelle soit réduite à un prétexte pour se dédire d'un engagement. Fort opportunément, dans le contexte du bail, la Cour de cassation est venue décider que l'annexion d'un état des risques vieux de plus de six mois ne justifie pas la résiliation du contrat, dans le cas où cela ne cause pas de préjudice au preneur . Car ce n'est pas le formalisme de ce document qui mérite d'être renforcé, mais bien sa pertinence et la qualité de son caractère informatif. Chose d'autant plus essentielle que l'état des risques s'étend désormais aussi à l'information sur le recul du trait de côte.