L'efficience environnementale de l' îlot urbain

L'efficience environnementale de l' îlot urbain

– L'existence d'un infra-urbanisme. – L'urbanisme organise l'espace du haut vers le bas. Bien sûr, il essaye, autant que faire se peut, d'impliquer les populations concernées, et d'être « participatif » . Mais cela ne remet pas en cause l'organisation du haut vers le bas. L'idée d'une planification en sens inverse, du bas vers le haut, d'un urbanisme dit « DIY » ou « tactique », est entre l'embryonnaire et l'anecdotique : ainsi, le projet R-Urban, à Colombes (Hauts-de-Seine). Car il est illusoire de vouloir se départir d'un urbanisme centralisé à court terme, puisque cette structure dérive nécessairement, entre autres, de la planification autour de l'énergie, du transport, et spécialement du « tout-voiture » .
Cet urbanisme du haut vers le bas use de la voie réglementaire, et a alors le défaut de toute règle générale et impersonnelle : elle ignore les particularismes – même si l'autorité d'urbanisme a un pouvoir d'appréciation pour l'application de certaines règles, et notamment pour toutes celles dont la formulation implique une latitude d'interprétation. Pour autant, le législateur a senti la nécessité de prévoir, parfois, certains mécanismes correcteurs pour déroger à certaines règles d'application automatique.
Il en va ainsi de la servitude dite « de cour commune ». Cette charge correspond à une interdiction de bâtir (non aedificandi) ou de construire au-delà d'une certaine hauteur (non altius tollendi), afin de préserver des espaces minimaux entre les constructions de fonds voisins. Elle est prévue par le Code de l'urbanisme . En effet, pour apprécier le respect des distances imposées par l'urbanisme, elle permet de prendre en compte non seulement le terrain du propriétaire qui souhaite construire, mais également la surface sur laquelle la servitude est établie. Dit autrement, cette servitude ne permet pas de s'affranchir des règles d'urbanisme, mais de modifier l'assiette d'appréciation de leur respect . Reste qu'un mécanisme de droit privé, négocié entre voisins ou institué par la voie judiciaire, permet d'éviter l'application rigoureuse de la règle d'urbanisme.
Cette articulation du droit privé et du droit public n'est pas une anomalie. Servitude et urbanisme ont un point de contact lorsqu'il s'agit d'organiser les relations au sein d'un îlot urbain. De fait, une part des règles d'urbanisme par lesquelles le droit romain organisait la Cité subsiste encore aujourd'hui sous la forme de servitudes légales d'utilité publique . Ainsi les règles sur les distances et les vues, contenues au Code civil, sont pour l'essentiel une traduction du latin. La raison est que les Romains n'avaient pas à gérer des problèmes moins simples que les nôtres : au temps de sa splendeur, la cité antique de Rome abritait un million d'habitants – l'équivalent de toute l'aire urbaine de Lyon aujourd'hui.
– Isolation thermique par l'extérieur. – Cette articulation servitude-urbanisme se voit dotée d'une nouvelle application, dans une perspective environnementale, liée à la transition énergétique. En effet, désormais, la loi offre la possibilité de réaliser une isolation thermique de sa propriété, en surplomb chez son voisin, sous certaines conditions : absence d'alternative équivalente sans coût excessif, trente-cinq centimètres d'épaisseur maximum, bas de l'isolant à plus de deux mètres de hauteur (sauf accord pour une hauteur moindre), une indemnité préalable . Ce texte, introduit par la loi no 2021-1104 du 22 août 2021, fait suite à une proposition du 114e Congrès des notaires . Ce dernier évoquait explicitement une servitude légale. Le texte législatif, au contraire, ne se prononce pas sur la nature du mécanisme. Pour certains, il s'agit bien d'une servitude . D'autres en doutent .
L'important est toutefois moins la nature du mécanisme que sa portée . D'une part, il va permettre d'organiser un empiètement durable, au moins aérien, de l'isolant sur la propriété du voisin. D'autre part, en raison de ce même empiètement, il conduit à une application souple de la règle d'urbanisme sur la construction en limite de propriété. évidemment, ce mécanisme a été mis en place pour faciliter la rénovation et l'isolation des bâtiments existants, en partant du principe qu'une isolation par l'extérieur est plus efficiente qu'une isolation par l'intérieur. Sauf que sa mise en œuvre, pour des bâtiments déjà construits en limite de propriété, supposait l'intervention du législateur, afin de permettre d'éviter les rigueurs du droit des biens.
– L'Urba-Score. – Au-delà du bâtiment individuel, les défis posés par le réchauffement existant sont immenses à l'échelle de la ville : adapter les logements à l'évolution du climat, végétaliser pour rafra îchir, réinventer les moyens de circulation dans l'espace urbain,etc. Dans le même temps, face à un tel objectif, la politique urbaine bute sur le fait que la ville existe déjà. Là encore, la transformation ne peut se faire qu'en partant de l'existant, en ayant bien conscience que l'existant est presque toujours résistant au changement.
Dans ce contexte, a émergé l'idée d'un « Urba-Score » – sur le modèle du Nutri-Score en matière alimentaire – dans le cadre de l'élaboration du nouveau plan local d'urbanisme de la Ville de Paris . Fondamentalement, il ne s'agit plus d'envisager le projet sous le seul angle de ses qualités intrinsèques, mais surtout d'apprécier, en distribuant bons et mauvais points, les externalités positives que le projet serait susceptible d'avoir pour le voisinage : taux de pleine terre, végétalisation du bâti, eaux pluviales, performance énergétique, énergies renouvelables, émissions carbonées,etc. Car pour les habitants, et la ville en général, il y a une différence entre espaces verts et blocs de béton. Ce système de notation a toutefois une limite, inhérente à la législation d'urbanisme : il s'agit seulement d'orienter et d'infléchir les nouveaux projets.
– Les avaries maritimes adaptées à l'urbanisme. – L'urgence climatique est telle et le temps de renouvellement urbain si lent qu'on ne voit pas comment le législateur ne sera pas contraint d'instituer un mécanisme permettant de contraindre l'existant et le voisinage – sur le modèle de la servitude d'isolation par l'extérieur . à cette fin, il pourrait être judicieux de s'inspirer des « avaries communes » en droit maritime . Il s'agit d'une dérogation au droit commun des contrats de transport, héritée du droit romain . L'avarie commune découle d'une décision du capitaine du navire : pour faire face au péril, celui-ci peut user de son autorité pour sacrifier une partie des marchandises, afin de sauver le bateau, les gens à bord, et le surplus de la cargaison. Mais, dans un tel cas, la perte est partagée entre tous, par péréquation selon la valeur des biens de chacun – elle n'est pas subie seulement par celui dont la marchandise a été détruite.
Un principe similaire pourrait s'imaginer en matière d'urbanisme, d'une mutualisation forcée face au péril. à l'échelle d'un îlot urbain, l'ensemble des propriétaires (via leur syndic, en cas de copropriété) devraient pouvoir se concerter sur un projet global de réaménagement, pour verdir les lieux, désimperméabiliser, réaménager l'exposition au soleil,etc. En cas de récalcitrants au projet global, il serait possible d'imposer toutes servitudes nécessaires. Pour la protection de la propriété privée, cette demande ne pourrait se faire qu'auprès du juge. Et, sur le fond, il faudrait pouvoir justifier d'une amélioration environnementale de tout le secteur – sur le modèle de l'Urba-Score évoqué précédemment. Sous ces réserves, on serait tenté d'autoriser toute la gamme des servitudes imaginables : servitude de passage, servitude de canalisation et réseaux, servitude non aedificandi (!), servitude non altius tollendi, servitude d'appui ou de surplomb, servitude interdisant ou imposant une affectation,etc. Quant à l'indemnisation, il conviendrait de prendre en compte, au préalable, la plus-value créée pour l'ensemble, et n'indemniser que dans l'hypothèse d'une moins-value causée à certains seulement.
Mais il faut rappeler ce que nous évoquions au premier chapitre sur la reconstruction de Paris par Haussmann. D'une part, celui-ci a pu réaliser ses aménagements tels qu'il les souhaitait, en ayant massivement recours à l'expropriation, suivie de reventes avec cahier des charges : or, la servitude imposée permet d'aboutir à un résultat similaire, sans devoir exproprier la propriété. D'autre part, en expropriant au-delà de la voie, et en revendant les abords des zones aménagées, Haussmann pouvait recevoir une compensation de l'externalité positive, et donc encaisser la plus-value générée au voisinage par ses aménagements – chose que peut recréer une servitude judiciaire où la moins-value serait compensée à due concurrence avec la plus-value.