La temporalité de la demande

La temporalité de la demande

– Application des règles d'urbanisme à la date de délivrance de l'autorisation. – En vertu d'un principe classique du contentieux de l'excès de pouvoir, la légalité d'un acte administratif unilatéral s'apprécie normalement à la date de son édiction. C'est donc cette date que l'on retient, sans reconnaître sur ce point aucune spécificité au droit de l'urbanisme, pour vérifier la bonne application des règles d'urbanisme à un projet. En d'autres termes, les règles opposables à une demande d'autorisation sont celles existantes à la date où il est statué sur cette demande, sans considération de la date de son dépôt.
Ce principe ne pose pas de réelle difficulté pour le pétitionnaire compte tenu de la relative stabilité des règles applicables et de la maîtrise des délais d'instruction. Plus délicate est cependant la question de l'application de ce principe lorsque l'évolution d'un projet avant l'achèvement de la construction autorisée nécessite une modification du permis initial, toujours en cours de validité.
– Permis de construire modificatif et évolution de la réglementation. – Aucun fondement législatif ou réglementaire n'est accordé au permis de construire modificatif. Pour autant une circulaire administrative l'envisage ; il existe un formulaire CERFA idoine et la jurisprudence le reconnaît. Son objet est d'autoriser la prise en compte de modifications et d'adaptations justifiées ou imposées par des impératifs techniques, commerciaux ou juridiques sans remettre en cause le permis de construire initial. Comme le relève N. Agnoux dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'État Madame Vincler , le permis modificatif s'analyse « comme un outil de simplification administrative, en dispensant le pétitionnaire du dépôt d'un nouveau dossier complet, en facilitant la tâche des services instructeurs, et en évitant la juxtaposition d'autorisations distinctes ». Comme le relève encore Marie Sirinelli, « le permis modificatif est avant tout une fiction qu'utilise le juge pour appréhender comme un tout différentes autorisations successives dès lors qu'elles sont rattachées à la même cordée, celle du projet initialement autorisé ».
À ce titre, il est empreint d'une souplesse et d'une flexibilité qui ne nous semblent pas justifier son intégration dans l'ordonnancement juridique. Une réponse ministérielle Masson du 27 décembre 2018 confirme d'ailleurs que cette flexibilité profite autant aux porteurs de projet qu'aux services instructeurs des autorisations d'urbanisme.
Ainsi qu'il en va dans le contentieux de l'excès de pouvoir, la légalité d'un permis de construire modificatif, à l'instar du permis de construire, s'apprécie à la date de son édiction. Il est par conséquent accordé ou refusé au visa des règles applicables au jour de sa délivrance, sans que l'on prenne en compte les règles existantes à la date du permis initial auquel il se rattache. Une évolution défavorable à un projet des règles d'urbanisme depuis le permis de construire peut donc faire obstacle à sa modification. L'obstacle n'est cependant pas absolu ; il mérite d'être nuancé. Quand la construction autorisée par le permis initial, en cours de validité, est devenue non conforme aux règles d'urbanisme intervenues depuis sa délivrance, sa modification n'en est pas moins possible. Il convient alors que le permis modificatif n'aggrave pas l'atteinte portée à ces règles nouvelles, qu'il apporte des modifications étrangères aux dispositions méconnues par le permis initial. Il y a là une souplesse dont on peut reconnaître l'utilité pour de nombreux projets, qui est de nature à favoriser aussi bien leur évolution que leur régularisation spontanée, à l'initiative du bénéficiaire du permis, en dehors du cadre procédural de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.
Cette souplesse est d'autant plus appréciable qu'un arrêt du Conseil d'État du 26 juillet 2022, Madame Vincler, vient de donner une portée nouvelle, tout à fait remarquable, aux permis modificatifs, dans le sillage de l'avis (contentieux) Barrieu du 2 octobre 2020 sur le permis de régularisation de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme.
Alignant le permis modificatif sur le permis de régularisation, le Conseil d'État a étendu significativement son champ d'application. Il a mis un terme à sa jurisprudence qui limitait les permis modificatifs aux modifications qui, par leur nature ou leur ampleur, ne remettaient pas en cause la conception générale du projet initialement autorisé. Désormais, le permis modificatif n'est plus restreint par cette atteinte à « la conception générale du projet », mais par une nouvelle notion, plus large, celle d'un « bouleversement tel qu'il en changerait la nature même ».
Le champ du permis de construire modificatif s'en trouve élargi. Mais ses multiples limites temporelles demeurent. Outre la nécessité d'intervenir avant l'achèvement de la construction, tant que le permis initial est en cours de validité, l'évolution des règles d'urbanisme peut constituer un obstacle.
Nonobstant l'élargissement par le Conseil d'État du champ du permis modificatif, la façon la plus pérenne de sécuriser un projet par rapport à une évolution demeure la garantie du maintien de la réglementation applicable au jour de la délivrance du permis de construire. Il serait intéressant de permettre au porteur de projet de sanctuariser ces règles. Aujourd'hui, seule l'obtention d'un certificat d'urbanisme (par l'effet de cristallisation) permettrait au pétitionnaire de s'assurer le maintien des règles pendant une durée de dix-huit mois. Cette durée peut paraître courte eu égard au délai de réalisation d'une construction. Aussi serait-il souhaitable d'envisager la possibilité d'assurer une cristallisation des règles applicables au permis de construire pendant toute sa durée de validité, à l'identique du certificat d'urbanisme.

« Permis modificatif » et « permis balais »

Fréquentes sont les situations où le notaire, en charge de la régularisation des actes de vente consécutifs à l'obtention d'un permis de construire, se voit confronté à une évolution du projet dictée par les impératifs de commercialisation (modification du nombre de logements, adaptations, voire évolution du projet). Il est certain que le devoir d'efficacité de l'acte authentique, comme le principe même de l'existence « juridique » de la chose vendue, impose au notaire un devoir de contrôle minimum de la concordance entre l'autorisation délivrée et les plans annexés à son acte de vente. Aussi ne nous semble-t-il pas possible d'instrumenter dès lors que la chose vendue n'est pas administrativement autorisée, et l'évolution du champ matériel du permis de construire modificatif doit être accueillie par la pratique notariale avec toute la prudence qu'il convient de lui réserver. En effet, alors que l'obtention d'un permis modificatif, sauf cas particulier, ne semblait pas constituer un obstacle à la régularisation des actes, la possibilité pour un opérateur de déposer un permis de construire modificatif à champ matériel élargi suppose une vigilance particulière que le régime jurisprudentiel antérieur à 2020 permettait de limiter. Tel n'est plus le cas aujourd'hui. En effet, le notaire appelé à prêter son concours à des actes de vente consécutifs à l'obtention d'un permis de construire réalise le montage de l'opération et les actes préparatoires au vu du permis de construire, et le champ matériel d'un éventuel permis modificatif était jusqu'alors limité. Or l'ajustement du permis modificatif sur le permis de régularisation impose désormais au notaire d'être associé à toute demande de permis modificatif dont l'objet élargi pourrait contrarier les actes du montage de l'opération et les ventes déjà régularisées.

En revanche, les évolutions mineures du projet sont généralement reléguées par le promoteur à de simples adaptations qui ne justifient pas à ses yeux, en cours d'opération, le dépôt d'un permis de construire modificatif eu égard à la multiplicité des modificatifs qu'il conviendrait de devoir gérer au cours de la construction de l'immeuble. Les opérateurs envisagent dans ce genre de situation le dépôt, en fin d'opération, d'un « permis balai ».

À la différence du permis modificatif spontané, le « permis balai » est un simili « permis de régularisation », prévu à l'article L. 462-2 du Code de l'urbanisme, à la demande de l'administration s'il est constaté des non-conformités après le dépôt de la déclaration attestant de l'achèvement et de la conformité des travaux (DAACT). Il s'agit de la seule possibilité, après l'achèvement dont la constatation résulte des circonstances de fait, pour déposer un permis de construire modificatif. Rappelons que le jeu de l'article L. 462-2 du Code de l'urbanisme n'était acquis au pétitionnaire que si la demande de régularisation était formulée dans le délai postérieur à l'achèvement dont disposait l'administration pour procéder au récolement. À défaut, passé ce délai, seul un nouveau permis de construire pourra être déposé afin de purger les irrégularités de la construction.

– Évolution du projet en cours d'instruction. – Il s'agit d'une situation différente de la question de substitution de pièces que nous évoquerons plus loin (V. infra, nos et s., aspects procéduraux). Il apparaît en effet légitime de s'interroger sur la possibilité qui pourrait être donnée au porteur de projet de faire évoluer son projet lors de la phase d'étude et d'instruction de ce dernier sans que cela soit assimilé à une nouvelle demande de permis, situation dont il pourrait bénéficier depuis 2020 (avis Barrieu, préc.) par le jeu d'un permis modificatif. Nous renvoyons à ce sujet au rapport du GRIDAUH.
– Modification de l'assiette du projet. – La question de l'identité de l'assiette entre l'autorisation d'urbanisme et la DAACT est un sujet récurrent d'inquiétude pour les professionnels de l'aménagement et de la construction.
Les raisons d'un changement d'assiette sont multiples : simple régularisation du parcellaire cadastral à l'occasion d'un bornage postérieur à l'obtention d'un permis de construire ; cession à une collectivité territoriale dans le cadre de la conclusion d'une convention de projet urbain partenarial ; engagement de cession à titre gratuit ou onéreux de tout ou partie de l'assiette d'un projet.
Il convient d'aborder la question du changement d'assiette d'un permis de construire avant la DAACT au regard tant des règles d'urbanisme que du droit des contrats et de la copropriété.
Certains auteurs soutiennent une ligne dure, celle de l'intangibilité de l'assiette d'un permis de construire avant la conformité. Toute adaptation qui en résulte serait impossible. Mais cela ne saurait, d'après nous, exclure des adaptations liées à la configuration des lieux après réalisation d'un bornage ou d'un document modificatif du parcellaire cadastral (DMPC) au titre d'un alignement. De telles adaptations ne devraient pas être de nature à faire obstacle à la conformité.
Par ailleurs, il ne serait pas concevable qu'une cession en exécution d'une convention de projet urbain partenarial (PUP), voire d'une prescription du permis de construire (au même titre que les cessions gratuites déclarées depuis inconstitutionnelles), puisse constituer un obstacle à la conformité. En toute logique, il ne devrait pas être nécessaire de déposer à ce titre une demande de permis de construire modificatif.
Concernant la modification éventuelle de l'assiette dans des proportions excédant la simple régularisation foncière ou l'exécution d'une convention de PUP, voire d'une prescription d'un permis de construire, un permis de construire modificatif nous paraît bien nécessaire, pour autant que le changement d'assiette n'emporte pas un « bouleversement tel qu'il en changerait la nature même » du permis de construire.
S'agissant cependant de la conformité entre l'assiette d'un permis de construire et d'une copropriété à constituer, la question peut se poser de savoir dans quelle mesure, le/les acquéreurs d'un ensemble immobilier autorisé par un permis de construire déposé sur une assiette donnée (une ou plusieurs unités foncières), sont fondés à remettre en cause une cession amiable d'une partie de l'assiette du permis à une collectivité ou à un tiers en exécution d'une convention (quelle que soit au demeurant sa légalité) au motif d'un manquement à l'obligation de délivrance conforme.
Nous considérons que l'obligation de délivrance conforme ne doit pas s'apprécier au regard de l'assiette de l'autorisation, mais en considération des stipulations de l'acte de vente. Par conséquent, il appartiendra au notaire de veiller à ce que l'acte de vente précise les éventuelles modifications qui pourraient intervenir entre l'assiette du permis de construire et l'assiette de l'ensemble immobilier.