La « superposition » de permis de construire

La « superposition » de permis de construire

– Problématique. – Plusieurs autorisations d'urbanisme peuvent-elles coexister ensemble sur une même unité foncière ? Cette question peut sembler anodine, néanmoins les cas dans lesquels elle se pose sont fréquents.
Qu'en est-il en effet lorsque le projet d'origine est modifié voire abandonné et qu'un nouveau projet voit le jour ? Faut-il que le pétitionnaire demande au préalable le retrait du permis initial ?
Qu'en est-il lorsque le porteur de projet décide de compléter une opération par un projet complémentaire nécessitant la délivrance d'un permis de construire ? Le premier permis survit-il à la nouvelle demande ?
Qu'en est-il en cas de pluralité de maîtres d'ouvrage réalisant des projets distincts sur une même unité foncière et à une période différente ? Le premier ayant obtenu son permis encourt-il le risque de le voir être « effacé » par le second ?
Et en cas de contentieux, l'annulation de l'un des permis entraîne-t-elle l'annulation de l'autre ?
– Une jurisprudence fluctuante. – Suivant un premier arrêt de 1982, le juge administratif a considéré que le fait pour un même pétitionnaire de déposer une nouvelle demande de permis de construire sur le même terrain que celui sur lequel lui a été délivré un premier permis a pour effet de rapporter implicitement ce dernier.
Dans une autre décision Vicqueneau , le Conseil d'État a confirmé cette solution et a jugé que l'annulation d'un second permis de construire n'a pas pour effet d'anéantir le retrait implicite qu'il avait opéré dès lors que ce retrait, n'ayant pas été contesté, est devenu définitif.
Il résulte de la combinaison de ces deux décisions que, alors même que le second permis a été délivré postérieurement à l'annulation contentieuse du premier permis, il est tout de même considéré comme ayant retiré ce premier permis. La conséquence étant que la contestation du jugement ou de l'arrêt qui en a prononcé l'annulation est sans objet.
La jurisprudence Vicqueneau a finalement été abandonnée par une décision Société Semmaris . Il ressort de cette décision qu'il ne peut pas y avoir de retrait d'une décision qui a déjà été annulée et qui, de ce fait, a déjà disparu de l'ordonnancement juridique.
Il convient cependant de noter que la jurisprudence Société Semmaris n'est revenue ni sur la théorie du retrait implicite d'un permis initial par un permis ultérieur lorsque le premier n'a pas été annulé, ni sur la portée limitée au seul permis de construire, à l'exclusion du retrait implicite, de l'annulation du second permis.
Pourtant, le Conseil d'État avait admis dans une décision de 1986 que « l'octroi de permis postérieurs portant sur le même terrain n'a pas eu par lui-même pour effet de rapporter le permis » initialement délivré.
Par cette décision, le juge a reconnu que plusieurs autorisations d'urbanisme peuvent coexister sur un même terrain.
La Haute assemblée a confirmé cette solution en 2002 pour le cas où le pétitionnaire de la demande de permis de construire est distinct de celui qui a bénéficié du permis de construire d'origine, confirmant ainsi que même dans cette hypothèse le deuxième permis n'est pas rapporté.
On aurait pu penser qu'il s'agissait d'un revirement de jurisprudence. Cependant, comme l'ont fait remarquer les professeurs Étienne Fatôme et Jérôme Tremeau, la jurisprudence de 1982, confirmée par une décision de 2014, vise un cas particulier : il s'agissait surtout de reconnaître que le retrait du premier permis était fait à la demande du pétitionnaire.
Une nouvelle décision du Conseil d'État est cependant venue semer le trouble en reprenant le principe en vertu duquel « la délivrance d'un nouveau permis de construire au bénéficiaire d'un précédent permis, sur le même terrain, a implicitement mais nécessairement pour effet de rapporter le permis initial », considérant que « ce retrait est indivisible de la délivrance du nouveau permis ». La Haute assemblée poursuit en décidant que « par suite, les conclusions aux fins d'annulation du permis initial ne deviennent sans objet du fait de la délivrance d'un nouveau permis qu'à la condition que le retrait qu'il a opéré ait acquis, à la date à laquelle le juge qui en est saisi se prononce, un caractère définitif ; que tel n'est pas le cas lorsque le nouveau permis de construire a fait l'objet d'un recours en annulation, quand bien même aucune conclusion expresse n'aurait été dirigée contre le retrait qu'il opère ».
– Coexistence de plusieurs permis dans un même ensemble immobilier. – Au-delà des considérations tenant à l'identité du pétitionnaire, la question s'est posée de savoir si plusieurs permis de construire pouvaient coexister au sein d'ensembles immobiliers dont les constructions sont divisibles, voire même au sein d'ensembles immobiliers uniques.
Cela posait très concrètement la question de la possibilité de réaliser des projets au sein d'ensembles divisés en volumes.
– Jurisprudences – Demoures et Ville de Grenoble . – Dans le premier cas, le Conseil d'État a décidé que « dans l'hypothèse où l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation de construire une construction indivisible d'une autre construction ayant déjà fait l'objet d'un premier permis de construire, elle ne peut délivrer l'autorisation demandée qu'à la double condition que le permis de construire initial ne puisse être retiré et qu'elle ait tiré toutes les conséquences juridiques de l'indivisibilité des deux ouvrages ».
Il en résulte que lorsque des constructions au sein d'un ensemble immobilier sont divisibles, il est possible que plusieurs permis de construire soient délivrés.
Le juge administratif, dans sa décision Ville de Grenoble , l'a également admis dans l'hypothèse d'un ensemble immobilier unique, sous certaines conditions sur lesquelles nous ne reviendrons pas puisque déjà étudiées par ailleurs dans le présent rapport.
– Loi ELAN. – Tirant les conséquences de cette succession de décisions, la loi ELAN a finalement modifié l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme dans son alinéa 2 qui dispose désormais que : « La délivrance antérieure d'une autorisation d'urbanisme sur un terrain donné ne fait pas obstacle au dépôt par le même bénéficiaire de ladite autorisation d'une nouvelle demande d'autorisation visant le même terrain. Le dépôt de cette nouvelle demande d'autorisation ne nécessite pas d'obtenir le retrait de l'autorisation précédemment délivrée et n'emporte pas retrait implicite de cette dernière ».
La formule est assez large et permet de couvrir de multiples situations, en particulier dans les hypothèses d'autorisations de nature différente.
Elle permettra aussi au bénéficiaire de deux permis de construire dont l'un fait l'objet d'un recours contentieux de mettre en œuvre celui qui ne l'est pas, sans craindre que l'annulation de l'un entraîne la disparition de l'autre.
On peut cependant regretter que l'article ne mentionne que le cas d'une autorisation sollicitée par « le même bénéficiaire » que le premier permis de construire délivré.