La complexité juridique ne résulte pas seulement de frontières floues entre les matières. Elle est
la conséquence, également, du rôle essentiel joué par la hiérarchie des normes. En matière
environnementale, il existe nombre de principes et de règles, à l'échelon constitutionnel, mais
surtout à l'échelon européen, auxquels lois et règlements doivent se conformer. Bien sûr, la
hiérarchie des normes concerne l'ensemble du droit, et n'est pas spécifique à la question de
l'aménagement du territoire. Mais, en raison de la considération croissante pour les questions
environnementales, ces normes supra-législatives jouent un rôle de plus en plus important, au point de
« chambouler », parfois, des règles que l'on pensait établies. Et si la mise en cohérence de l'ordre
juridique est chose importante, la manière dont elle se réalise ne facilite pas la tâche de
l'interprète.
La hiérarchie des normes
La hiérarchie des normes
– La Constitution et la Charte de l'environnement. –
Depuis la révision du 1er mars 2005, la France s'est dotée d'une Charte de l'environnement à
valeur constitutionnelle
. Après un préambule de sept considérants, elle proclame le droit de vivre dans un environnement
équilibré et respectueux de la santé, et le devoir de toute personne de prendre part à la préservation
et à l'amélioration de l'environnement (art. 1 et 2). Elle formule ensuite quatre grands principes :
principe de prévention (art. 3), principe de précaution (art. 5), principe d'information et de
participation du public (art. 7), ainsi qu'une variante du principe pollueur-payeur (art. 4). Elle
consacre également un principe de conciliation entre la protection de l'environnement et le
développement économique et social (art. 6), la contribution de l'éducation et de la recherche à
l'exercice des droits et devoirs de la Charte (art. 8) ainsi que celle de la recherche et de
l'innovation à la préservation de l'environnement (art. 9). Le dernier article exige que la Charte
inspire l'action européenne et internationale de la France (art. 10).
La valeur constitutionnelle de l'ensemble de cette charte, des sept alinéas introductifs aux dix
articles qui la forment, a été consacrée tant par le Conseil constitutionnel
que par le Conseil d'état
. Et un objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l'environnement, patrimoine commun des
êtres humains » a été formulé
. Ainsi, le Conseil n'écarte pas la possibilité de se prononcer sur la conformité de la loi aux «
exigences constitutionnelles » du Préambule
. Tout comme il est affirmé que le législateur ne saurait priver de garanties légales « le droit à
l'environnement », sauf exigences constitutionnelles ou motif d'intérêt général
. Plus encore, le législateur doit veiller à ce que les choix pour les besoins du présent ne
compromettent pas la satisfaction des besoins des générations futures
.
Alors même qu'elles ont une égale valeur constitutionnelle, les dispositions de la Charte n'ont
cependant pas une même portée juridique
. Toutes les dispositions de la Charte n'instituent pas, d'abord, un droit ou une liberté que la
Constitution garantit au sens de la question prioritaire de constitutionnalité : ni l'article 6 ni le
Préambule ne sont invocables dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité
.
Il est ensuite jugé que les droit et devoir des articles 1er et 2 de la Charte s'imposent « à
l'ensemble des personnes »
, et non aux seuls pouvoirs publics et autorités administratives. L'invocabilité directe de ces
dispositions, qui ne nécessitent pas l'intermédiation de la loi, en est ainsi trouvée reconnue, ainsi
que leur « effet horizontal » dans les rapports entre particuliers. Chacun est en effet tenu, comme le
rappelle le Conseil constitutionnel, « à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à
l'environnement qui pourraient résulter de son activité ». La Charte a, sur ce point, une portée
considérable.
Mais les autres dispositions de la Charte sont dépourvues « d'effet horizontal ». Leur effet est
uniquement « vertical ». Elles ne visent que l'action législative et administrative. Et encore, leur
invocabilité n'est-elle pas toujours directe. Lorsque leur mise en œuvre nécessite, comme pour les
articles 3, 4 et 7, une intervention législative, il est jugé qu'elles s'imposent aux pouvoirs
législatif et réglementaire, mais ne confèrent pas de droits directement invocables en justice par une
personne physique ou morale
.
Il n'en va donc pas de même notamment de l'article 5 de la Charte, qui institue le principe de
précaution en matière environnementale dans les termes suivants : « Lorsque la réalisation d'un
dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière
grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe
de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des
risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du
dommage ». Ainsi défini comme norme constitutionnelle, le principe de précaution est invocable contre
une autorisation d'urbanisme
, ce qui opère un renversement de la solution antérieure, fondée sur l'indépendance des législations,
lorsque le principe de précaution ne résultait que de l'article L. 110-1 du Code de l'environnement
.
– Le droit européen. –
On ne mesure pas nécessairement l'importance qu'a prise le droit européen pour la question du droit de
l'environnement. La Convention européenne des droits de l'homme, tout d'abord, ne consacre pas en tant
que tel un droit à l'environnement. Mais la Cour européenne des droits de l'homme a été amenée à
reconna ître que l'exercice de certains droits garantis par la Convention peut être compromis par la
dégradation de l'environnement – par exemple, l'article 8 de la Convention, sur le droit à une vie
familiale normale
. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 9 avril 2024, Verein KlimaSeniorinnen
Schweiz et autres c. Suisse, no 53600/20, en est une illustration récente parmi les plus
frappantes.
Pour l'Union européenne, en revanche, et aussi paradoxal que cela puisse être, la question
environnementale est devenue primordiale. L'objectif initial des Communautés était notamment d'assurer
la libre circulation des biens et des personnes. L'environnement est néanmoins progressivement entré
dans le droit communautaire, via des textes d'harmonisation, avec l'idée que les divergences
de législations nationales sur le sujet pouvaient entraver la libre circulation des marchandises
. à partir de l'Acte unique européen de 1986, la protection de l'environnement est entrée en tant que
telle dans le traité de Rome. Depuis, la construction européenne a eu une action croissante en ce
domaine, partant du principe qu'une action transnationale est plus efficace que des actions isolées
des états membres
. Ainsi, le traité d'Amsterdam de 1997 entérine le principe du « développement durable ». Le traité de
Lisbonne de 2007 ajoute la lutte contre le changement climatique.
La politique européenne de l'environnement se fonde aujourd'hui sur les articles 11 et 191 à 193 du
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
. L'UE y consacre près d'un tiers de son budget. Son huitième « programme d'action pour
l'environnement », pour la période 2021-2030, comporte les objectifs suivants : réduction des
émissions de gaz à effet de serre, adaptation au changement climatique, économie circulaire, recherche
d'une pollution zéro, protection de la biodiversité. La feuille de route est définie par deux
documents majeurs. D'une part, en 2019, le Green Deal, « Pacte vert », visant la neutralité
carbone en Europe, en 2050. D'autre part, en 2021, le Fit for 55, « Paré pour 55 », sur
l'objectif de l'Union européenne (UE) de réduire ses émissions carbone de 55 % d'ici 2030. Ces
feuilles de route se déclinent en toute une série de règlements ou directives, présents mais surtout à
venir
.
Le règlement est applicable dans les états membres directement après son entrée en vigueur. Au
contraire, la directive n'est pas immédiatement applicable ; elle doit être transposée dans le droit
national. Or, s'agissant des directives environnementales, il y a un récurrent problème de
transposition incorrecte en droit français
.
Il existe différents mécanismes afin d'assurer la primauté du droit européen. Spécialement, une
directive peut produire certains effets directs lorsque : la transposition dans le droit national n'a
pas eu lieu après son délai de transposition ou a été effectuée de manière incorrecte ; les termes de
la directive sont inconditionnels et suffisamment clairs et précis. Lorsque ces conditions sont
remplies, un particulier peut invoquer la directive à l'encontre d'un état membre devant les
juridictions nationales
. En revanche, un particulier ne peut invoquer l'effet direct à l'encontre d'un autre particulier si
la directive n'a pas été transposée
. On dit que l'effet direct d'une directive non transposée dans le délai requis est vertical ascendant
et non pas horizontal.
– Conclusion. –
On ne se rend toutefois pas entièrement compte du degré de complexité inutile auquel est parvenu le
droit de l'aménagement quand on en reste à ce niveau de généralité. Il serait toutefois réellement
fastidieux d'envisager l'ensemble des zones de contact entre les différentes branches juridiques en la
matière. Aussi, le plus judicieux est de détailler un cas exemplaire, ayant valeur de paradigme, pour
permettre d'illustrer l'étendue du problème.