La clause filet

La clause filet

– Un nouveau moyen susceptible d'être invoqué en contentieux. – La clause filet a été instaurée par le décret no 2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets.
Le principe, posé à l'article R. 122-2 du Code de l'environnement, établit un seuil à partir duquel un projet doit obligatoirement et systématiquement faire l'objet d'une évaluation environnementale ou d'un examen au cas par cas. Cela signifiait qu'en dessous de ce second seuil, les projets de faible ampleur n'étaient pas soumis à évaluation environnementale.
Toutefois, un nouvel article R. 122-2-1 du Code de l'environnement dispose désormais que : « I. – L'autorité compétente soumet à l'examen au cas par cas prévu au IV de l'article L. 122-1 tout projet, y compris de modification ou d'extension, situé en deçà des seuils fixés à l'annexe de l'article R. 122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d'une procédure d'autorisation ou d'une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1.
II. – L'autorité compétente pour la première demande d'autorisation ou déclaration déposée relative au projet informe le maître d'ouvrage de sa décision motivée de soumettre le projet à examen au cas par cas, au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande ou déclaration. Le maître d'ouvrage saisit l'autorité en charge de l'examen au cas par cas dans les conditions prévues aux articles R. 122-3 et R. 122-3-1.
III. – Le maître d'ouvrage peut, de sa propre initiative, saisir l'autorité chargée de l'examen au cas par cas dans les conditions prévues aux articles R. 122-3 et R. 122-3-1, de tout projet situé en deçà des seuils fixés à l'annexe de l'article R. 122-2 ».
Ce nouveau dispositif, applicable aux premières demandes d'autorisations ou déclarations de projets déposées à compter de la date d'entrée en vigueur du décret, a des conséquences sur l'instruction des dossiers de demande d'autorisation ou de déclaration (allongement des délais), mais est également un nouveau moyen offert aux avocats des riverains souhaitant faire un recours contre la première autorisation.
– Un terreau favorable au contentieux. – Il n'existe pas encore de contentieux à ce jour, mais plusieurs éléments du dispositif sont de nature à les favoriser.
La définition floue de la notion d'« incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine » du projet conduit à s'interroger sur les critères à retenir pour justifier de l'absence ou non d'incidences notables d'un projet. Ces critères vont être définis au fil des contentieux, des cas d'espèce par le juge administratif. Cette notion est sujette à interprétation.
Le refus, par l'autorité compétente lors de la première demande d'autorisation de soumettre le projet à l'examen au cas par cas, n'offre aucune garantie au porteur de projet si le moyen est soulevé au contentieux. Devant le juge administratif se posera de nouveau la question des critères qui définissent les termes « d'incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine ».
Le décret ne prévoit pas la possibilité que la mise en œuvre de la « clause filet » puisse résulter de l'initiative de tiers. Ainsi, les associations de protection de l'environnement qui ne peuvent intervenir à ce stade pourront utiliser le contentieux contre la première autorisation (permis de construire par exemple, sous réserve de l'intérêt à agir) pour soulever le moyen concernant l'absence d'évaluation environnementale au regard des incidences notables du projet sur l'environnement.
Pour le juge administratif, les dispositions du décret, et en particulier celles de l'article R. 122-2-1, I, « instituent bien une obligation, et non une simple option, à la charge de l'autorité compétente ». De ce point de vue, il est vrai que l'autorité compétente « soumet » – et non « peut soumettre » – les projets concernés à l'examen au cas par cas. Néanmoins, cette compétence liée repose sur des déterminants subjectifs et objectifs.
D'abord, au niveau objectif, il est possible de se demander si l'administration – qui doit agir au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande ou déclaration – sera en mesure de procéder à l'examen de tous les projets qui se présenteront à elle, d'autant que le décret ne contient aucune précision sur le sens de son silence à l'issue de ce délai.
Ensuite, si l'autorité compétente est tenue de soumettre les projets à l'examen au cas par cas, ce n'est que « lorsque ce projet lui apparaît susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'article R. 122-3-1 » ; or, si les critères posés par l'annexe de cet article sont, il est vrai, objectifs, le caractère « notable » des incidences reste soumis à l'appréciation des autorités en question, ce qui atténue grandement l'obligation identifiée par le juge. En d'autres termes : une obligation d'agir uniquement si on l'estime nécessaire est-elle vraiment une obligation d'agir ?
Sur ce point, dans son avis relatif au projet de décret, l'autorité environnementale avait d'ailleurs douté de l'objectivité de l'autorité chargée de la mise en œuvre de la clause filet, « en particulier pour son interprétation des critères environnementaux listés par l'annexe III de la directive « projets » mais également parce que cette autorité est confrontée à l'injonction « d'accélérer les procédures » et « de réduire les délais » ».
Le risque d'ineffectivité de cette clause filet est réel, même si les contentieux contre les actes concernés permettront de corriger le tir soit de façon générale, soit de façon ponctuelle.
– Une solution : la saisine systématique par le maître de l'ouvrage ? – Dans un tel contexte d'incertitude – d'insécurité juridique –, on ne peut que soutenir la mise en œuvre du dernier alinéa de l'article R. 122-2-1 qui permet au maître d'ouvrage de saisir l'autorité chargée de l'examen au cas par cas de sa propre initiative. À noter qu'il est aussi possible d'interroger l'autorité environnementale dans le cadre de la procédure de cadrage préalable : « Le pétitionnaire peut demander à l'autorité compétente pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation un avis, appelé « cadrage préalable », sur le champ et le degré de précision des informations à fournir dans l'étude d'impact. Dans sa demande, le pétitionnaire doit fournir au minimum les principaux enjeux environnementaux et les principaux impacts du projet. L'autorité compétente saisit ensuite l'autorité environnementale de la demande de cadrage préalable (articles L. 122-1-2 et R. 122-4 du code de l'environnement) ». Selon l'avis de l'autorité environnementale sur le contenu de l'étude d'impact, il sera difficile pour la collectivité de refuser d'activer ensuite la clause filet.
Toutefois, on peut raisonnablement se demander si cette manière de procéder va dans le sens d'une diminution des délais pour produire du logement.
– La décision du 4 octobre 2023 du Conseil d'État : annulation et précisions. – Le décret no 2022-422 du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets, qui précise également l'articulation du nouveau dispositif de la clause filet avec les modalités d'instruction (délais, suspension) des autres demandes qui concernent le projet, et en particulier en droit de l'urbanisme, a été annulé par le Conseil d'État en tant qu'il ne prévoit pas d'exception aux dispositions de l'article R. 424-1 du Code de l'urbanisme dans l'hypothèse où une déclaration préalable a fait l'objet d'une évaluation environnementale à la suite de la mise en œuvre de la « clause filet ».
Ainsi, par une décision du 4 octobre 2023, le Conseil d'État annule l'article 8 du décret et apporte des précisions utiles mais insuffisantes sur l'articulation entre la procédure de la « clause filet » et les règles applicables en matière d'interruption des délais d'instruction des autorisations d'urbanisme.
Pour rappel, les dispositions des articles L. 122-1-1 et L. 123-2 du Code de l'environnement et de l'article L. 424-4 du Code de l'urbanisme imposent que toute décision conduisant à autoriser un projet soumis à évaluation environnementale soit expresse et comporte les éléments mentionnés au I de l'article L. 122-1-1.
Les juges du Palais-Royal considèrent que ces dispositions ont été méconnues par l'article 8 du décret attaqué, faute d'avoir prévu une exception aux dispositions de l'article R. 424-1 du Code de l'urbanisme, dans l'hypothèse où l'autorité compétente pour statuer sur une déclaration préalable a décidé, en application de l'article R. 122-2-1 du Code de l'environnement, de soumettre cette déclaration à un examen au cas par cas et que l'autorité chargée de cet examen a estimé qu'elle devait donner lieu à une évaluation environnementale.
En effet, il résulte des dispositions de l'article R. 424-1 du Code de l'urbanisme, auxquelles les dispositions du décret attaqué n'ont pas apporté de modification ni de dérogation, que le silence gardé par l'autorité compétente au terme du délai d'instruction sur une déclaration préalable au titre du Code de l'urbanisme vaut décision tacite de non-opposition à cette déclaration.
Ainsi, le décret n'a pas introduit de nouvelle exception pour traiter du cas où, saisie d'une déclaration préalable, l'autorité administrative a activé la clause filet et que l'autorité chargée de l'examen au cas par cas a prescrit une évaluation environnementale.
Partant, le Conseil d'État annule le décret du 25 mars 2022 en tant qu'il ne prévoit pas d'exception aux dispositions de l'article R. 424-1 du Code de l'urbanisme définissant le principe dit « silence vaut acceptation », dans l'hypothèse ou une déclaration préalable fait l'objet d'une évaluation environnementale après activation de la « clause filet » instituée par ce même décret.
À noter que le Conseil d'État en profite pour préciser dans sa décision l'articulation du dispositif dit « clause filet » avec les demandes de pièces complémentaires et la suspension des délais d'instruction des autorisations d'urbanisme (application notamment des articles R. 423-38 et R. 423-39 du Code de l'urbanisme).
Selon la décision du Conseil d'État :
  • la notification de la décision de soumettre le projet à examen au cas par cas doit s'accompagner de l'envoi d'une demande de pièce manquante par l'autorité compétente dans le délai d'un mois suivant la réception du dossier (C. urb., art. R. 423-38) ;
  • le demandeur a alors trois mois à compter de la réception de cette lettre pour communiquer lesdites pièces. À défaut, la demande fait l'objet d'une décision tacite de rejet (C. urb., art. R. 423-39) ;
  • la décision de l'autorité environnementale est adressée par le pétitionnaire à l'autorité compétente pour instruire la demande d'autorisation d'urbanisme dans le délai de trois mois qui lui est imparti, et quel qu'en soit le sens :
Par cette décision, le Conseil d'État vient clarifier l'impact de l'activation de la clause filet sur les demandes d'autorisation d'urbanisme en cours d'instruction. Cela démontre la complexité du dispositif qui, en pratique, ne manquera pas de faire naître de nouvelles interrogations sur la délicate articulation entre le Code de l'environnement et le Code de l'urbanisme.
Dans l'attente de la modification du texte réglementaire, les porteurs de projets devront s'assurer que leurs projets relevant du champ d'application de la déclaration préalable et soumis à évaluation environnementale par la mise en œuvre de la « clause filet », en application du I de l'article R. 122-2, 1 du Code de l'environnement, font l'objet d'une décision de non-opposition à déclaration préalable expresse mentionnant en annexe les éléments du I de l'article L. 122-1-1 du Code de l'environnement.