CGV – CGU

PARTIE I – Améliorer l’accès à un logement locatif
Titre 2 – En facilitant le financement du logement locatif
Sous-titre 3 – Attirer les investisseurs institutionnels : intérêts et limites des fonds

Chapitre II – Les fonds à impact. Loi Pacte. Entreprises à mission orientées logement

20158 – Regain d’intérêt des investisseurs institutionnels pour le logement. – La fuite déjà évoquée des investisseurs sur le marché du logement n’est pas irrémédiable. Si l’on en croit le rapport de l’IGF et du CGEDD, déjà cité (V. supra, no 20143), les investisseurs institutionnels « manifestent un regain d’intérêt pour l’immobilier résidentiel en général et le logement intermédiaire en particulier ». Ce que confirme également une intéressante analyse d’Irène Fossé415. Selon ce même rapport, quatre grandes raisons expliquent ce nouvel intérêt : l’érosion tendancielle du rendement locatif des autres classes d’actif immobilier, par rapport à celle du résidentiel ; la volonté de développer des stratégies de diversification ; la recherche d’actifs jugés plus sûrs et moins volatils dans un contexte marqué par la baisse des rendements obligataires ; dans une moindre mesure, la prise en compte du caractère socialement responsable de leur investissement (ISR).
20159 – Relativiser cet intérêt au regard des fluctuations économiques et financières. – Ce constat appelle de notre part deux remarques : la première est que les trois premières raisons, qui semblent les principales, sont très liées à la situation économique et financière mondiale. Ce sont les mêmes raisons que celles qui ont incité ces mêmes investisseurs à sortir de l’immobilier résidentiel il y a trente ans. Pourquoi les inciter à revenir, alors qu’ils pourraient à nouveau décider de quitter ce marché, à la faveur d’une hausse des taux obligataires ou d’autres événements jugés par eux plus favorables que l’investissement résidentiel ? Nombreux sont ceux, notamment Emmanuelle Cosse, présidente de l’USH416, à affirmer qu’en matière de logement on ne peut pas faire confiance à des investisseurs institutionnels, notamment si le marché devient difficile et que d’autres classes d’actifs s’avèrent plus porteuses.
20160 – Regain d’intérêt du logement pour les investisseurs responsables. – Seconde remarque : il faut néanmoins s’intéresser au dernier argument, celui des investissements socialement responsables, dits aussi « à impact », issus notamment de la loi Pacte, afin de déterminer si de tels fonds dédiés au logement pourraient être mis en place.

Section I – Contexte général de l’investissement responsable. Loi Pacte

20161 – Rapport Senard-Notat. – En préambule, il est nécessaire de recontextualiser ce sujet, dont il est souvent question sous la forme d’acronymes du type ISR (investissement socialement responsable), ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), RSE (responsabilité sociale et environnementale), etc. Sur ce sujet, tout a changé en 2019, à la suite du fameux rapport Senard-Notat intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », remis le 9 mars 2018 aux ministres de l’Économie et des Finances, de la Transition écologique et solidaire, du Travail et de la Justice, et que l’on peut consulter ci-après417 :
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Constatant le besoin d’une réflexion sur l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’économie et de court-termisme de certains investisseurs, les auteurs du rapport concluent qu’au-delà de son objet social, une entreprise a une raison d’être et contribue à un intérêt collectif. Elle est, de ce fait, investie d’une responsabilité sociale et environnementale (RSE). C’est d’ailleurs pour tenir compte de cette responsabilité que la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) demandait déjà à l’ensemble des sociétés cotées de publier dans leur rapport de gestion annuel des informations sociales et environnementales. Ces obligations s’étaient renforcées avec la loi Grenelle II, mais il restait à opérer un changement fondamental : revoir la définition de la société dans le Code civil.
20162 – Loi Pacte. – C’est chose faite avec la loi dite « Pacte »418 du 22 mai 2019, qui a modifié la définition de l’objet social de l’entreprise. L’article 1833 du Code civil dispose, dans sa nouvelle version, que : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La loi Pacte a ajouté, à l’article 1835 du même code, que : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité », et a créé le statut de société à mission dans le Code de commerce419.
20163 – Règlement européen. – Dans le secteur financier, un règlement européen no 2019/2088 du 27 novembre 2019420 est venu définir l’investissement durable comme « un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental (…) ou un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif social, en particulier un investissement qui contribue à la lutte contre les inégalités ou qui favorise la cohésion sociale, l’intégration sociale (…) pour autant que ces investissements ne causent de préjudice important à aucun de ces objectifs. (…) ».
20164 – ISR en droit interne. – Le droit interne français, à la suite de la loi Pacte, a également renforcé la place de l’investissement socialement responsable (ISR) dans les stratégies de portefeuille des institutionnels : depuis le 1er janvier 2020, les assureurs ont ainsi l’obligation de proposer au moins une unité de compte labellisée ISR au sein des contrats d’assurance-vie qu’ils commercialisent421.

Section II – Fonds à impact et logement

20165 – Une tendance à développer. – Le logement, et en particulier le logement intermédiaire, apparaît évidemment comme compatible avec les exigences relatives à l’investissement socialement responsable (ISR). Bien loger les citoyens nous semble même constituer un « but monumental » pour reprendre l’expression de Mme Frison-Roche422. Compte tenu des besoins de financement en matière de logements, en particulier de logement intermédiaire, il y a là une piste de développement qui ne peut être négligée. Le rapport de l’IGF et du CGEDD (V. supra, no 20143) indique que des levées de fonds récentes dans le champ du logement intermédiaire témoignent à la fois de la profondeur du marché et de l’intérêt des investisseurs. Entre 2014 et 2020, In’li et CDC Habitat ont ainsi levé près de 4,3 Md€.
20166 Une expérience concluante mérite d’être citée en exemple. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a lancé le fonds pour le logement intermédiaire FLI 2 destiné à produire 11 000 logements dont 80 % de logements intermédiaires.
20167 – Mais une rentabilité limitée. – Une double et importante difficulté est néanmoins pointée par le rapport IGF/CGEDD qui estime que tant que l’environnement financier sera caractérisé par des taux d’intérêt très faibles, la demande en logement intermédiaire manifestée par la majorité des investisseurs rencontrés devrait se maintenir (hypothèse en voie de disparition à l’heure où nous mettons sous presse…), mais sous réserve qu’elle puisse rencontrer une offre suffisante, problème qui est loin d’être réglé.
20168 – Difficile régulation. – Il nous semble néanmoins important d’attirer les fonds à impact vers le logement, en les responsabilisant. Pour ce faire, il doit être obtenu de leur part un engagement sur un temps suffisamment long, ce qui nécessite de penser à un procédé de régulation, ou de supervision. Il s’agit d’éviter les comportements « prédateurs » souvent reprochés à certains fonds d’investissement. La presse se fait de plus en plus l’écho de cette tendance forte du monde financier423, mais souligne qu’une difficulté résulte de l’absence de définition légale opposable des fonds à impact, qui sont notés seulement par des agences privées424 ou mis en place uniquement dans un cadre contractuel très particulier (cas de financements à impact, dont le taux varie en fonction des objectifs sociaux et environnementaux atteints). En France, le Label Greenfin a été mis en place par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer pour les fonds investissant dans les économies vertes425. Mais il n’a pas d’équivalent pour les investissements durables à objectifs sociaux dans lesquels le logement pourrait entrer.
20169 La financiarisation du monde, dont la ville, les équipements publics, le logement, est parfois contestable et souvent contestée de manière très pertinente426, une fois les dégâts constatés. Mais la finance reste un outil puissant qu’il faut réguler : c’est ce que doivent permettre ces notions d’investissements durables et de fonds à impact, qui trouvent leur traduction juridique dans la nouvelle branche du droit dite de la régulation et de la compliance427, dont l’objectif est simple : faire en sorte que le but, qualifié de « monumental », soit atteint.

Inciter aux levées de fonds responsables et les réguler

Compte tenu de la crainte des comportements de propriétaires institutionnels non liés au monde HLM, rappelée par Emmanuelle Cosse, il nous semblerait opportun que la régulation soit exercée non pas au niveau de l’investisseur propriétaire des logements, mais au niveau contractuel des levées de fonds au profit de ces propriétaires liés au monde HLM, à Action Logement ou à la Caisse des dépôts et consignations, ou de supports d’investissement dédiés, à cadre juridique constant et sans avantages fiscaux supplémentaires, pour reprendre à notre compte les conclusions et propositions de l’IGF et du CGEDD428.

415) I. Fossé, Le point de vue des investisseurs institutionnels sur les marchés du logement européens, 23 mai 2021 (https://politiquedulogement.com/2021/05/le-point-de-vue-des-investisseurs-institutionnels-sur-les-marches-du-logement-europeens).
416) Discours d’Emmanuelle Cosse en ouverture du colloque « Le Logement dans tous ses états ! », organisé par la Fondation pour le droit continental, 20 oct. 2022.
417) Jean-Dominique Senard, alors président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris.
418) L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « loi Pacte ».
419) C. com., art. L. 210-10 : « Une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées : 1° Ses statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du code civil ; 2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ; 3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission (…) ; 4° L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux (…) fait l’objet d’une vérification (…) ; 5° La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce… ».
420) PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2019/2088, 27 nov. 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.
421) Loi Pacte, art. 72.
422) Les buts monumentaux de la compliance, ss dir. M.-A. Frison-Roche, Dalloz, 2022.
426) M. Drozdz, A. Guironnet et L. Halbert, Les villes à l’ère de la financiarisation : Métropolitiques 15 oct. 2020 (https://metropolitiques.eu/Les-villes-al-ere-de-la-financiarisation.html).
427) V. en particulier les travaux de M.-A. Frison-Roche, spéc. Régulation, Supervision, Compliance, Dalloz, 2017.
428) V. not. les paragraphes 5.3.3. et 5.3.4. de ce rapport : « Favoriser la collecte d’épargne à travers la création de fonds dédiés encadrés pour inciter de nouveaux acteurs à s’intéresser au marché du logement intermédiaire à la fois sur le neuf et la rénovation » et « Un fonds créé à cadre juridique constant et sans avantages fiscaux supplémentaires autres que ceux déjà existants au profit des investisseurs institutionnels ».
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