CGV – CGU

PARTIE I – Améliorer l’accès à un logement locatif
Titre 2 – En facilitant le financement du logement locatif
Sous-titre 3 – Attirer les investisseurs institutionnels : intérêts et limites des fonds

Chapitre I – Le logement locatif intermédiaire

20141 – Historique. – La notion de logement intermédiaire a été créée en 2014 pour permettre un nouvel accès à des logements à loyers réglementés inférieurs aux prix du marché libre, abordables dans les zones tendues aux classes moyennes n’ayant pas accès au parc social. L’initiative a été portée par André Yché, alors président du directoire de CDC Habitat (SNI à l’époque), et Cécile Duflot, alors ministre du Logement. Il en est résulté un régime fiscal400 et une définition juridique des logements intermédiaires401, codifiés à l’article L. 302-16 du Code de la construction et de l’habitation402.
20142 – Ambition. – Benoist Apparu, alors président du directoire de la société In’li, la filiale dédiée au logement intermédiaire d’Action Logement, le rappelle : « Ce qui doit dicter le choix de produire, ou non, du logement intermédiaire c’est le différentiel entre le montant des loyers du marché privé et celui du social »403. Les logements locatifs intermédiaires sont une offre de logements locatifs se situant entre les logements locatifs sociaux et les logements locatifs libres, ciblant les ménages « coincés » entre des logements libres trop chers et des logements locatifs sociaux auxquels ils n’ont pas accès du fait de revenus supérieurs aux seuils sociaux même les plus élevés (PLS).
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20144 – Un besoin d’investisseurs. – L’objectif des pouvoirs publics a été de faire revenir les investisseurs institutionnels (banques, assureurs, fonds de retraite, fonds d’investissement, foncière) sur le secteur résidentiel. En effet, au début des années 1990, ces investisseurs institutionnels étaient fortement présents sur le secteur résidentiel : les banques et assureurs détenaient près d’un million de logements contre moins de 100 000 en 2020405. Le début des années 2000 a été marqué par une envolée des prix de l’immobilier résidentiel, qui a eu un double effet pervers du fait d’une augmentation des loyers moins élevée : baisse de la rentabilité locative mais fortes plus-values. Les investisseurs ont donc massivement cédé leur parc de logements en réorientant leurs investissements vers des produits immobiliers plus rentables (commerce, bureau, logistique). Le stock de logements locatifs intermédiaires en Île-de-France peut être estimé à 200 000 unités fin 2020, soit 4 % du parc de logements régional. Le dispositif Pinel représente 25 % de ces logements intermédiaires avec 50 000 unités. In’li en possède 30 000, CDC Habitat 26 000, et Paris Habitat 10 000. Le reste est la propriété de différents autres bailleurs sociaux406.
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20146 – Enjeux financiers et levier fiscal. – Les enjeux financiers sont colossaux, d’où l’idée d’attirer des investisseurs nombreux et de mettre en place une ingénierie financière importante. De tels investissements ne sont en effet possibles qu’en faisant appel à toutes les couches d’investissements financiers : fonds propres, financements bancaires, émissions obligataires, etc. Par ailleurs, créer l’offre locative recherchée supposait de trouver des propriétaires acceptant de louer moins cher. Il est apparu que cela ne serait possible qu’en utilisant un levier de nature fiscale, qui a été déployé tant auprès des investisseurs particuliers qu’en direction des investisseurs institutionnels.
20147 – Le régime fiscal des particuliers est celui de dispositifs de défiscalisation déjà évoqués. Une réduction d’impôt sur le revenu, dite « Duflot », a remplacé le dispositif dit « Scellier » qui a pris fin, sauf exceptions, le 31 décembre 2012. Ce dispositif a rapidement été renforcé par l’article 5 de la loi de finances pour 2015407 et renommé « Pinel », pour les investissements réalisés à compter du 1er septembre 2014. Nous renvoyons le lecteur aux développements qui précèdent, précisant que les plafonds de ressources des locataires et les plafonds de loyers des logements sont rigoureusement identiques entre ce dispositif et le régime LLI institutionnel.
20148 Nous aborderons donc ici le régime des investisseurs institutionnels en logements locatifs intermédiaires (LLI) (Section I) avant de tirer un bilan qui mettra en lumière certains pièges du dispositif ainsi déployé (Section II).

Section I – Le régime applicable aux institutionnels

20149 – TVA au taux réduit et exonération TFPB. – Le régime fiscal spécifique au logement intermédiaire prévoit l’application d’un taux de TVA de 10 % (CGI, art. 279-0 bis A) et une exonération de taxe foncière des opérations de construction de logements intermédiaires pour une durée maximale de vingt ans (CGI, art. 1384-0 A).
20150 – Conditions. – Pour bénéficier de ce régime, les logements locatifs intermédiaires doivent remplir les conditions suivantes :

être implantés sur des terrains situés dans les zones A et B1 du zonage relatif à l’investissement locatif « Pinel » (CGI, art. 199 novovicies) ;

être intégrés dans un ensemble immobilier, comprenant au minimum 25 % de logement social, clause dite « de mixité sociale », sauf dans les communes comprenant plus de 25 % de logement social (taux fixé à 35 % jusqu’en 2021) ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ;

être destinés à la location à usage de résidence principale, à des personnes physiques dont les ressources à la date de conclusion du bail ne dépassent pas les plafonds fixés dans le cadre du dispositif d’investissement locatif intermédiaire « Pinel ». Le loyer mensuel de ces logements ne dépasse pas les plafonds applicables dans le cadre de ce même dispositif.

La direction de l’aménagement, du logement et de la nature propose ci-après l’étude « Logement locatif intermédiaire “institutionnel” », réalisée en septembre 2021 :
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Une description complète du dispositif est également accessible ici :
20151 – Logements concernés. – Les logements doivent être neufs ou résulter d’une transformation de locaux affectés à un usage autre que l’habitation par des travaux mentionnés au 2° du 2 du I de l’article 257 du Code général des impôts.
20152 – Destinataire des logements. – Le destinataire de la livraison ou, en cas de démembrement de la propriété, l’usufruitier, est l’une des entités suivantes :

organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation, sociétés d’économie mixte mentionnées à l’article L. 481-1 du même code ou sociétés anonymes de coordination entre les organismes d’habitations à loyer modéré mentionnées à l’article L. 423-1-1 dudit code ;

organismes soumis au contrôle, au sens du III de l’article L. 430-1 du Code de commerce, de la société mentionnée à l’article L. 313-20 du Code de la construction et de l’habitation ;

personnes morales dont le capital est détenu, directement ou indirectement, en totalité par des personnes passibles de l’impôt sur les sociétés ;

établissements publics administratifs ;

caisses de retraite et de prévoyance.

L’application du taux réduit de TVA était subordonnée à l’obtention par l’opérateur d’un agrément préalable entre le propriétaire ou le gestionnaire des logements et le représentant de l’État dans le département. L’article 50 de la loi de finances pour 2021 a supprimé cet agrément préalable pour y substituer une obligation de déclaration permettant d’assurer le suivi de la production et la vérification du respect des conditions fixées408. Cette même loi de finances a modifié le mode de calcul de la clause de mixité sociale, effectué en fonction du nombre de logements et non plus des surfaces, et a étendu le régime de faveur à la transformation de tout type de local en logement.
20153 – Absence d’impact sur l’IS. – Aucune exonération d’impôt sur les sociétés n’est prévue. Notamment, lorsqu’un organisme HLM est propriétaire de logements intermédiaires, les résultats générés par les revenus locatifs perçus au titre de ces logements ne sont pas exonérés d’impôt sur les sociétés en tant qu’opérations réalisées au titre du service d’intérêt général (SIEG), défini à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation409.

Section II – Les pièges du régime

20154 Bien que très favorable aux investisseurs institutionnels, le régime des logements locatifs intermédiaires (LLI) s’avère « piégeux » ; il mériterait quelques correctifs.

Sous-section I – Difficile équilibre économique du modèle LLI dans les communes en très forte tension

20155 Dans les zones très tendues, les opérateurs du logement intermédiaire doivent résoudre une équation infernale :

le produit LLI bénéficie de deux avantages importants, sur la TVA et la TFPB, qui permettent d’offrir des loyers inférieurs de l’ordre de 15 à 20 % par rapport au marché libre ;

mais les sociétés qui le portent sont soumises à l’impôt sur les sociétés de manière classique ;

un promoteur qui monte une opération a des obligations LLS, mais pas d’obligation LLI (sauf exception sur certaines communes) : le LLI entre donc en concurrence directe avec les logements libres en accession, les logements locatifs libres acquis en bloc par les autres investisseurs, et les logements « Pinel » ;

le modèle économique LLI institutionnel compte tenu des plafonds de loyers permet de payer des prix maxima de l’ordre de 6 000 € TTC par mètre carré. Or, plus le marché est tendu, plus le LLI serait pertinent, mais moins les investisseurs LLI peuvent supporter les prix d’acquisition en compétition avec d’autres investisseurs.

En Île-de-France, l’étude de l’ORHH évoquée en tête de ce chapitre (V. supra, no 20143), et que cite Benoist Apparu dans son article précité410, permet de fixer les critères suivants de pertinence pour cibler les communes : accessibilité aux emplois, écarts de loyers significatifs avec le logement social et le logement libre, diversification du parc, concurrence avec l’accès à la propriété. Il en ressort malheureusement, selon Benoist Apparu, que « 60 % des besoins ne peuvent plus être couverts par le modèle économique et fiscal actuel » des investisseurs en logements intermédiaires.
Ce difficile équilibre économique du logement intermédiaire ressort assez nettement du rapport IGF/CGEDD remis en 2019 consacré à l’évaluation du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel, qui avait estimé que 70 % des biens construits dans le cadre de ce dispositif se situaient en zone B1, les 30 % restant étant en zone A et A bis. Un constat similaire concernant le dispositif Duflot a également été dressé dans le rapport 2021 sur le logement intermédiaire. La répartition constatée pour les logements LLI institutionnels agréés entre 2014 et 2020 est meilleure : les deux tiers l’ont été en zone A ou A bis ; la zone B1, qui regroupe 55 % des logements mis en location par des particuliers dans le cadre du dispositif Pinel, ne représente que 33 % des logements agréés pour les investisseurs institutionnels.
Ce qui illustre un problème de cible territoriale de ces dispositifs bénéficiant aux particuliers, et un meilleur ciblage des investissements institutionnels.
Pour éviter la surenchère inflationniste (augmenter les loyers pour permettre de payer des prix plus chers) et maintenir l’équilibre actuel des investisseurs LLI, une des solutions préconisées serait d’inciter les collectivités locales à imposer un pourcentage de LLI dans les opérations sur leurs territoires, afin de mieux contenir les prix fonciers. Certaines communes ont commencé à le faire. Certaines communes ont commencé à le faire. Ce sujet est évoqué par la première commission.

Sous-section II – Une cible de ménage en concurrence avec les logements sociaux PLS

20156 Second piège du système : le rapport de l’IGF et du CGEDD d’avril 2021, précité (V. supra, no 20143), permet de constater, à partir d’analyses ciblées sur l’Île-de-France, que le cœur de cible du régime LLI est constitué des ménages très largement en dessous des plafonds du PLS et toujours nettement en dessous des plafonds réglementaires du logement intermédiaire. Le statisticien et économiste Jean Bosvieux constate que cela pose une vraie difficulté, car si ces deux segments de l’offre s’adressent aux mêmes tranches de revenus, ils ont des régimes très différents : la loi SRU considère que les premiers font partie du parc social, mais pas les seconds. Faut-il alors privilégier le développement du parc PLS au détriment du LLI411 ? Le rapport ne répond pas à cette problématique, car la lettre de mission était d’élaborer « des propositions opérationnelles pour permettre une montée en puissance des investisseurs institutionnels sur le marché du logement locatif intermédiaire, avec une utilisation plus efficace des deniers de l’État et sans éviction de l’offre sociale ou privée ». Mais le constat est posé, et est essentiel non seulement au regard de la réglementation des logements sociaux, mais aussi au regard de la fiscalité locale.

Sous-section III – Impact négatif de la fiscalité locale

20157 Si l’exonération de la TFPB est une bonne chose pour les investisseurs LLI en leur permettant effectivement une économie significative qui rend possible une offre de loyer attractive, celle-ci est un piège car elle dissuade de nombreuses communes d’accepter les logements intermédiaires. En effet, cette exonération de la TFPB n’est en pratique pas compensée par l’État à un niveau satisfaisant, et se trouve confrontée à la disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales412. Cette réforme organise une compensation en affectant aux seules communes tout le produit de la TFPB, qui était auparavant partagé entre le département, l’intercommunalité et les communes. Toutes collectivités confondues, une étude publiée en juillet 2022 par la Direction générale des finances publiques (DGFiP)413 indique que, en intégrant les compensations versées par l’État (PSR VLEI, delta entre surcompensations et sous-compensations suite à l’application du coefficient correcteur), la TFPB reste la ressource principale des collectivités locales avec un produit de 36,8 Md€. Elle est suivie de la TVA (32 %), dont le produit s’élève à 32,6 Md€. L’effet pervers de ce système de compensation est que le coût pour les communes de l’exonération de TFPB peut devenir prohibitif pour les budgets municipaux, ce qui est très peu incitatif pour créer des logements intermédiaires. Benoist Apparu, dans l’article déjà cité414, après avoir identifié les communes n’acceptant pas l’exonération de TFPB pour le LLI, estime sur la base de l’étude précitée de l’ORHH que 15 % des besoins en LLI ne peuvent plus désormais être satisfaits.
Rappelons également qu’en matière d’investissement « Pinel », l’exonération de TFPB n’est que de deux ans, ce qui est un autre avantage pour les communes qui pourraient privilégier ce mode de logement intermédiaire à celui des institutionnels. Le rapport de l’IGF et du CGEDD, précité (V. supra, no 20143), en est bien conscient et propose de substituer à l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) un crédit d’impôt.

400) L. fin. 2014, no 2013-1278, 29 déc. 2013, art. 73.
401) Ord. no 2014-159, 20 févr. 2014, relative au logement intermédiaire.
402) CCH, art. L. 302-16 : « (…) les logements intermédiaires s’entendent, à l’exclusion des logements locatifs sociaux (…), des logements : 1° Faisant l’objet d’une aide directe ou indirecte, (…) ; 2° Destinés à être occupés, à titre de résidence principale, (…) par des personnes physiques dont les ressources n’excèdent pas des plafonds, (…) ; 3° Dont le prix d’acquisition ou, pour les logements donnés en location, dont le loyer, n’excède pas (…) des plafonds… ».
403) B. Apparu, Actualité du logement locatif intermédiaire, 23 déc. 2020 (https://politiquedulogement.com/2020/12/actualite-du-logement-locatif-intermediaire).
404) L’Observatoire régional de l’habitat et de l’hébergement (ORHH) d’Île-de-France est une émanation technique du Comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH), qui a pour rôle de suivre la mise en œuvre du schéma régional de l’habitat et de l’hébergement (SRHH), de préparer son évaluation et de réaliser des études sur des sujets émergents ou de coordonner les études d’observatoires existantes, et travaille particulièrement sur le logement étudiant, les résidences sociales et le logement intermédiaire.
405) ORHH, Étude préc. sur le développement de l’offre de logement locatif intermédiaire par les investisseurs institutionnels.
406) Ibid.
407) L. fin. 2015, no 2014-1654, 29 déc. 2014, art. 5.
408) Pour l’obligation déclarative : CCH, art. L. 302-16-1.
409) Avant 2020, ces logements intermédiaires faisaient partie du SIEG à condition de représenter moins de 10 % des logements locatifs sociaux détenus par l’organisme ; ils en ont été exclus par la loi no 2015-990 du 6 août 2015. Sur cette question de l’accompagnement des OLS ayant perdu l’exonération de revenus des logements intermédiaires, V. P. Loiseaux, Logements locatifs intermédiaires, modalités de fiscalisation à compter de 2020 : Actualités Habitat 29 mai 2020, no 1123.
410) B. Apparu, Actualité du logement locatif intermédiaire, op. cit.
412) L. fin. 2020, no 2019-1479, 28 déc. 2019, art. 16.
413) DGFiP, La réforme de la taxe d’habitation sur les résidences principales et ses impacts sur les collectivités territoriales en 2021, juill. 2022 (www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/Maquette-fiche%20th%C3%A9matique%20CL-test.pdf).
414) B. Apparu, Actualité du logement locatif intermédiaire, op. cit.
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