30402 L’article 1048 du Code civil pour la libéralité graduelle et l’article 1057 du même code pour la libéralité résiduelle donnent les définitions de ces deux donations depuis la loi du 23 juin 2006. Celles-ci étaient antérieurement prohibées, et ce depuis la Révolution française, au titre de la prohibition des substitutions fidéicommissaires.
Il ne sera pas envisagé de présentation des conditions de fonds et de forme de ces deux libéralités. De nombreux ouvrages l’ont déjà fait.
Toutefois, ces deux libéralités, qui n’ont sans doute pas eu le succès qu’elles auraient dû avoir, méritent d’être étudiées sous l’angle de l’ingénierie notariale.
Au préalable, il faut noter que ces libéralités à plusieurs échelons n’ont pas été étudiées, comme les donations-partages transgénérationnelles, dans la partie réservée aux transmissions concertées car, à l’instar des donations-partages transgénérationnelles, l’accord de l’enfant pivot, ici dénommé premier gratifié, de voir grever sa réserve d’une telle charge est requis, mais à la différence de la transgénérationnelle, le premier appelé bénéficie ici de la libéralité en premier rang (alors que dans la transgénérationnelle, il permet un allotissement direct de ses propres enfants). Cette libéralité permettra donc de s’assurer, avec l’accord de son enfant, du sort à deux générations d’un ou plusieurs biens, sans porter atteinte à la réserve de l’enfant du donateur (premier gratifié).
L’article 1054, alinéa 2 du Code civil dispose que : « Le donataire peut toutefois accepter, dans l’acte de donation ou postérieurement dans un acte établi dans les conditions prévues à l’article 930, que la charge grève tout ou partie de sa réserve ». L’alinéa 4, quant à lui, apporte la précision suivante : « La charge portant sur la part de réserve du grevé, avec son consentement, bénéficie de plein droit, dans cette mesure, à l’ensemble de ses enfants nés et à naître ».
30403 – Quels sont les pièges à éviter ? – Le bien donné est la résidence principale du premier gratifié : le rôle du notaire sera d’alerter et d’anticiper des situations particulières, telles que la possibilité que le bien transmis lors de la donation devienne lelogement du premier gratifié, et qu’à son décès, son conjoint, son partenaire ou simplement son concubin y réside encore.
Les articles 763 et 764 du Code civil relatifs au droit au logement temporaire et au droit viager au logement s’appliqueront-ils ?
Non. Le bien ne sera plus dans le patrimoine du défunt.
Dans une telle situation, l’acte de donation devra prévoir en amont un droit de jouissance au profit du conjoint, du partenaire ou éventuellement du concubin.
30404 – Situation dans laquelle ces libéralités devraient être plus souvent envisagées. La volonté de gratifier un enfant handicapé. – Les donations graduelle et surtout résiduelle sont des libéralités parfaitement adaptées aux familles dont l’un des enfants présente un handicap et une importante dépendance. Les parents sont toujours soucieux, souvent avec l’accord des autres enfants, d’assurer à cet enfant handicapé les revenus nécessaires à sa dépendance pour le temps où ils ne seront plus là.
Les libéralités successives sont une possibilité pour eux d’organiser ainsi cette dépendance, et d’éviter un effet fiscal négatif au jour du décès de l’enfant handicapé sans postérité (les héritiers restant ses frères et sœurs ou éventuellement leur enfant, à défaut de dispositions testamentaires, avec une fiscalité de transmission assez lourde).
Les parents peuvent ainsi consentir une libéralité graduelle d’un patrimoine frugifère (immeuble de rapport, compte-titres).
Toutefois, afin que cet outil soit parfaitement adapté aux familles dont un enfant est vulnérable, les règles de capacité devraient pouvoir être modifiées.
30405 « Il fut un temps où les anciens disaient à leurs petits-enfants, attendez votre tour ou encore votre tour viendra. Ils pourront maintenant inciter leurs enfants à sauter leur tour »345 au moyen d’une donation-partage transgénérationnelle.
30406 La transmission transgénérationnelle peut être définie comme la transmission par des grands-parents à leurs petits-enfants de biens qui seront, lors de l’ouverture de la succession des grands-parents, imputés sur la réserve héréditaire de l’enfant pivot (génération intermédiaire).
Cette « presque atteinte » à la réserve de l’enfant pivot n’est admise que parce qu’il a consenti à ce que ses propres enfants (ou une partie d’eux) soient allotis en ses lieu et place. Et c’est cette caractéristique de la transmission transgénérationnelle, à savoir le consentement de l’enfant pivot, qui en fait toute son originalité.
Il s’agit d’un acte empreint de concertation familiale, puisque les enfants, bien qu’ils ne revêtent pas civilement et fiscalement la casquette de donateur, acceptent que la libéralité consentie à leurs propres enfants soit imputée sur leur réserve. En quelque sorte, ils renoncent à leur action en réduction en dehors du formalisme spécifique de la renonciation à l’action en réduction de la réserve.
30407 – Les avantages propres aux donations-partages transgénérationnelles. – Outre les avantages communs à toutes les donations-partages, la donation-partage transgénérationnelle a des prérogatives qui lui sont spécifiques.
D’une part, elle permet à des parents n’ayant qu’un enfant de bénéficier du mécanisme de la donation-partage, en y intégrant désormais au minimum un petit-enfant (C. civ., art. 1078-5), là où une donation-partage ne serait pas envisageable.
Dans cette situation (enfant/souche unique), l’article 1078-5 du Code civil permet également d’allotir l’enfant unique et tout ou partie de ses propres enfants, voire même de n’allotir que les petits-enfants :
Dans la mesure où l’opération de partage (consubstantiel à la donation-partage) impose au moins deux copartageants (donc au moins deux héritiers présomptifs), les donations-partages étaient impensables en présence d’un enfant unique.
Désormais, grâce à la donation-partage transgénérationnelle, l’ascendant pourra gratifier son enfant unique avec son ou ses petits-enfants (ou même gratifier exclusivement ses petits-enfants) et ainsi bénéficier des avantages d’une telle transmission.
Ensuite, et en complément des règles liquidatives applicables à toutes les donations-partages évoquées ci-avant, la donation-partage transgénérationnelle présente une particularité liée au cumul des générations concernées par la transmission (une double détente : entre le donateur et l’enfant pivot, puis entre l’enfant pivot et les donataires).
Lors de l’ouverture de la succession du donateur, pour la détermination de la quotité disponible et des éventuelles atteintes à la réserve, la valeur des biens donnés sera imputée sur la réserve héréditaire de l’enfant pivot, en laissant intacte la quotité disponible du donateur (sauf imputation subsidiaire de la donation-partage en cas de dépassement de la réserve).
30408 Si M. Moustache, père de trois enfants, envisage d’effectuer une donation de 150 à ses petites-filles :
À son décès, le patrimoine de M. Moustache est évalué à 450.
Biens existants : 450
Donations à réunir : 150
Patrimoine reconstitué : 600
En présence de trois enfants, la quotité disponible est du 1/4, soit 150.
Par conséquent, grâce à la transgénérationnelle, le donateur préserve sa quotité disponible. Les droits du conjoint survivant pourront, le cas échéant, s’exercer correctement. Il conserve également intacte sa capacité à transmettre à des tiers ou à des associations.
En effet, si les grands-parents avaient dû donner directement à leurs petits-enfants, cette ou ces libéralités se seraient imputées sur leur quotité disponible, l’imputant d’autant.
Enfin, nous pensons que la donation-partage transgénérationnelle accentue le consensus familial et élargit la sphère de l’organisation des transmissions au sein des familles (puisqu’il est possible d’intégrer dans cette réflexion les enfants et les petits-enfants, sans pénaliser les grands-parents en entamant fortement leur quotité disponible).
Ainsi, les donations-partages transgénérationnelles permettent de faire « l’économie » d’une transmission, en allotissant directement les petits-enfants. Il n’est pas rare, dans nos études, d’organiser peu de temps après une succession la transmission par des parents à leurs enfants des biens qu’ils viennent de recevoir de leur propre parent, notamment par succession.
30409 – La donation-partage transgénérationnelle peut-elle être cumulative ? – Oui, la donation-partage transgénérationnelle peut être cumulative, c’est-à-dire porter sur des biens compris dans la succession du grand-parent prédécédé et les biens appartenant au grand-parent survivant.
Il est important de s’assurer qu’il y a bien une identité de parties entre la succession et la donation-partage transgénérationnelle.
En effet, il ne serait pas possible d’envisager d’intégrer les biens de la succession déjà acceptée par les enfants, génération intermédiaire, à une donation-partage transgénérationnelle gratifiant les petits-enfants desdits biens successoraux.
Il ne serait pas non plus concevable d’envisager une incorporation desdits biens (successoraux) dans la donation-partage transgénérationnelle, car seuls les biens donnés peuvent faire l’objet d’une incorporation (les biens acquis à titre onéreux, ou reçus par succession sont exclus de la réincorporation).
M. et Mme Moustache étaient époux communs en biens. Mme Moustache est décédée.
M. Moustache envisage aujourd’hui, avec ses enfants (Jean et Luc), d’effectuer une donation-partage transgénérationnelle en intégrant à celle-ci les biens reçus dans la succession de leur mère.
Il s’agit donc d’une donation-partage transgénérationnelle, et cumulative. La masse à transmettre et à partager comprendra :
la moitié en nue-propriété d’une maison, la moitié en nue-propriété d’un appartement au ski, et la moitié en nue-propriété d’un petit studio à la mer, appartenant à M. Moustache, avec réserve d’usufruit à son profit ;
la moitié en nue-propriété de ces mêmes biens dépendant de la succession de Mme Moustache, dont le conjoint survivant (monsieur) est usufruitier en vertu de ses droits successoraux légaux, et dont il souhaite conserver l’usufruit.
Présentation des solutions
Situation 1 : Si les enfants (Jean et Luc) n’ont pas encore accepté la succession de leur mère prédécédée, il est possible d’envisager :
une renonciation à la succession par Jean et Luc, afin que leurs propres enfants (Cloé et Charlotte, d’une part ; et Étienne, d’autre part) viennent à la succession de leur grand-mère par représentation ;
une donation-partage transgénérationnelle cumulative par M. Moustache à ses trois petits-enfants, avec l’accord des enfants pivot (Jean et Luc) est envisageable avec une attribution libre des biens entre les petits-enfants.
Cette solution permet de valider le principe selon lequel il doit y avoir une identité de personnes entre les héritiers et les donataires attributaires.
Situation 2 : Si les enfants ont déjà accepté la succession de leur mère prédécédée, il est possible d’envisager :
• une donation-partage transgénérationnelle cumulative par M. Moustache à ses trois petits-enfants, à la condition que les biens successoraux soient attribués aux enfants (Jean et Luc), et que les biens donnés par le grand-père, donateur, soient attribués aux petits-enfants, avec l’accord des enfants pivot.
Les développements à suivre de nos travaux :
30409-1
Il est rappelé que la mutation s’opérant directement du grand-parent donateur aux petits-enfants donataires, il n’y a pas lieu de considérer que la donation-partage transgénérationnelle s’exerce en deux temps. Sur le plan civil et fiscal, il n’y a pas de double mutation.
Même si cette mutation transgénérationnelle échappe à une double fiscalité, il n’en demeure pas moins que les descendants gratifiés aux lieu et place de leur auteur sont taxés en fonction de leur degré de parenté direct avec le donateur (CGI, art. 784 B), soit la fiscalité entre grand-parent/petits-enfants ; ce qui, compte tenu des abattements moindres dont ils bénéficient, s’avère pénalisant et renchérit le coût fiscal de la transmission transgénérationnelle.
Sur le plan civil, la donation-partage transgénérationnelle n’est pas fondée sur le mécanisme de la représentation. Les petits-enfants ne sont pas allotis aux lieu et place de leur auteur par le jeu de la représentation. L’administration fiscale a tiré les conséquences fiscales de ce principe aux termes du rescrit fiscal no 2010/58 du 28 septembre 2010 prévoyant qu’« en cas de donation-partage faite à des descendants de degrés différents (C. civ., art. 1078-4), l’article 784 B du CGI exclut expressément toute représentation, les droits étant liquidés en fonction du lien de parenté entre l’ascendant donateur et les descendants allotis ».
À titre d’exemple, M. Moustache, âgé de quatre-vingt-un ans, souhaite donner à son fils Luc qui a décidé de créer son entreprise la somme de 100 000,00 € afin de l’aider.
Dans un souci d’égalité, il souhaite transmettre la même somme à son fils aîné (Jean). Ce dernier lui a pourtant dit qu’il n’avait pas besoin de cet argent, qui serait certainement plus utile à ses deux filles qui viennent de finir leurs études (Cloé et Charlotte).
M. Moustache avait déjà donné à ses deux fils et trois petits-enfants (Luc ayant un fils) la somme de 31 865,00 € à chacun au titre de l’article 790 G du Code général des impôts. Cet abattement spécifique a également déjà été utilisé par Jean au profit de Cloé et Charlotte, l’année dernière.
Première simulation : réalisation d’une double donation-partage
• Première donation-partage :
Aux termes de l’acte de donation-partage, M. Moustache, âgé de quatre-vingt-un ans, transmet à Jean et Luc la somme globale de 200 000,00 €.
Dans la partie de l’acte relative à la fiscalité, il sera possible de lire :
Droits dus par chaque donataire :
Somme donnée : 100 000,00 €
Abattement spécial de l’article 790 G du CGI : inutilisable compte tenu de l’âge du donateur.
Abattement légal : 100 000,00 €
Masse taxable : 0,00 €
• Deuxième donation-partage :
Le même jour, le notaire reçoit la donation-partage consentie par Jean à ses deux filles, Cloé et Charlotte, d’une somme globale de 100 000,00 €.
Dans la partie de l’acte relative à la fiscalité, il sera possible de lire :
Droits dus par chaque donataire :
Somme donnée : 50 000,00 €
Abattement spécial de l’article 790 G du CGI : 0,00 € – celui-ci a également déjà été utilisé l’année dernière.
Abattement légal : 100 000,00 € utilisé à concurrence de 50 000,00 €
Masse taxable : 0,00 €
Seconde simulation : réalisation d’une donation-partage transgénérationnelle
Au lieu de recevoir les deux donations-partages susvisées, le notaire aurait pu proposer à M. Moustache (qui n’était pas contre l’idée de transmettre directement à ses petites-filles, si Jean était d’accord) de réaliser une donation-partage transgénérationnelle.
Aussi, M. Moustache aurait transmis à son fils Luc la somme de 100 000,00 € (le fils de Luc n’aurait rien reçu aux termes de l’acte) et à ses deux petites-filles (filles de Jean) la somme de 50 000,00 € chacune.
Dans la partie de l’acte relative à la fiscalité, il aurait été possible de lire :
Droits dus par Luc (inchangé à l’exemple précédent) :
Somme donnée : 100 000,00 €
Abattement spécial de l’article 790 G du CGI : inutilisable compte tenu de l’âge du donateur.
Abattement légal : 100 000,00 €
Masse taxable : 0,00 €
Droits dus par chacune des petites-filles du donateur (Cloé ou Charlotte) :
Somme donnée : 50 000,00 €
Abattement spécial de l’article 790 G du CGI : inutilisable compte tenu de l’âge du donateur.
Abattement légal : 31 865,00 €
Masse taxable : 18 135,00 €
Droits dus : 1 821,00 €
Soit pour les deux petites-filles, des droits acquittés de 3 642,00 €.
Le coût fiscal de la donation-partage transgénérationnelle aurait été de 3 642,00 €.
30409-2
D’un point de vue purement économique, la donation-partage transgénérationnelle apparaît plus onéreuse (avec un coût fiscal plus important) à l’instant de sa réalisation, et ce malgré l’économie réalisée sur les frais d’acte notarié.
Toutefois, la donation-partage transgénérationnelle a pour mérite de laisser intact l’abattement légal entre :
M. Moustache (le grand-père) et Jean (l’enfant pivot) contrairement à la première simulation où cet abattement est intégralement utilisé ;
Jean (enfant pivot) et ses deux filles, contrairement à la première simulation où cet abattement est utilisé à concurrence de la moitié.
Aussi la donation-partage transgénérationnelle laisse au donateur (à l’égard de Jean) et à l’enfant pivot (à l’égard de ses deux filles) une capacité de transmission en franchise d’impôt de 100 000,00 € chacun.
Cet exemple chiffré confirme que l’attrait pour les donations-partages transgénérationnelles est limité en raison d’un régime fiscal peu attractif. Or, leur succès sera évidemment conditionné à un régime fiscal séduisant, qui se rencontre dans les formes les plus complexes des donations-partages transgénérationnelles.