CGV – CGU

PARTIE II – Une transmission organisée
Titre 1 – Une transmission acceptée
Sous-titre 1 – Le support de la transmission acceptée

Chapitre II – La transmission à « plusieurs échelons »

Section I – Donation ou donation-partage graduelle/résiduelle

30402 L’article 1048 du Code civil pour la libéralité graduelle et l’article 1057 du même code pour la libéralité résiduelle donnent les définitions de ces deux donations depuis la loi du 23 juin 2006. Celles-ci étaient antérieurement prohibées, et ce depuis la Révolution française, au titre de la prohibition des substitutions fidéicommissaires.
Il ne sera pas envisagé de présentation des conditions de fonds et de forme de ces deux libéralités. De nombreux ouvrages l’ont déjà fait.
Toutefois, ces deux libéralités, qui n’ont sans doute pas eu le succès qu’elles auraient dû avoir, méritent d’être étudiées sous l’angle de l’ingénierie notariale.
Au préalable, il faut noter que ces libéralités à plusieurs échelons n’ont pas été étudiées, comme les donations-partages transgénérationnelles, dans la partie réservée aux transmissions concertées car, à l’instar des donations-partages transgénérationnelles, l’accord de l’enfant pivot, ici dénommé premier gratifié, de voir grever sa réserve d’une telle charge est requis, mais à la différence de la transgénérationnelle, le premier appelé bénéficie ici de la libéralité en premier rang (alors que dans la transgénérationnelle, il permet un allotissement direct de ses propres enfants). Cette libéralité permettra donc de s’assurer, avec l’accord de son enfant, du sort à deux générations d’un ou plusieurs biens, sans porter atteinte à la réserve de l’enfant du donateur (premier gratifié).
L’article 1054, alinéa 2 du Code civil dispose que : « Le donataire peut toutefois accepter, dans l’acte de donation ou postérieurement dans un acte établi dans les conditions prévues à l’article 930, que la charge grève tout ou partie de sa réserve ». L’alinéa 4, quant à lui, apporte la précision suivante : « La charge portant sur la part de réserve du grevé, avec son consentement, bénéficie de plein droit, dans cette mesure, à l’ensemble de ses enfants nés et à naître ».
30403 – Quels sont les pièges à éviter ? – Le bien donné est la résidence principale du premier gratifié : le rôle du notaire sera d’alerter et d’anticiper des situations particulières, telles que la possibilité que le bien transmis lors de la donation devienne lelogement du premier gratifié, et qu’à son décès, son conjoint, son partenaire ou simplement son concubin y réside encore.
Les articles 763 et 764 du Code civil relatifs au droit au logement temporaire et au droit viager au logement s’appliqueront-ils ?
Non. Le bien ne sera plus dans le patrimoine du défunt.
Dans une telle situation, l’acte de donation devra prévoir en amont un droit de jouissance au profit du conjoint, du partenaire ou éventuellement du concubin.
30404 – Situation dans laquelle ces libéralités devraient être plus souvent envisagées. La volonté de gratifier un enfant handicapé. – Les donations graduelle et surtout résiduelle sont des libéralités parfaitement adaptées aux familles dont l’un des enfants présente un handicap et une importante dépendance. Les parents sont toujours soucieux, souvent avec l’accord des autres enfants, d’assurer à cet enfant handicapé les revenus nécessaires à sa dépendance pour le temps où ils ne seront plus là.
Les libéralités successives sont une possibilité pour eux d’organiser ainsi cette dépendance, et d’éviter un effet fiscal négatif au jour du décès de l’enfant handicapé sans postérité (les héritiers restant ses frères et sœurs ou éventuellement leur enfant, à défaut de dispositions testamentaires, avec une fiscalité de transmission assez lourde).
Les parents peuvent ainsi consentir une libéralité graduelle d’un patrimoine frugifère (immeuble de rapport, compte-titres).
Toutefois, afin que cet outil soit parfaitement adapté aux familles dont un enfant est vulnérable, les règles de capacité devraient pouvoir être modifiées.

Section II – Donation-partage transgénérationnelle (réincorporant ou non)

30405 « Il fut un temps où les anciens disaient à leurs petits-enfants, attendez votre tour ou encore votre tour viendra. Ils pourront maintenant inciter leurs enfants à sauter leur tour »345 au moyen d’une donation-partage transgénérationnelle.
30406 La transmission transgénérationnelle peut être définie comme la transmission par des grands-parents à leurs petits-enfants de biens qui seront, lors de l’ouverture de la succession des grands-parents, imputés sur la réserve héréditaire de l’enfant pivot (génération intermédiaire).
Cette « presque atteinte » à la réserve de l’enfant pivot n’est admise que parce qu’il a consenti à ce que ses propres enfants (ou une partie d’eux) soient allotis en ses lieu et place. Et c’est cette caractéristique de la transmission transgénérationnelle, à savoir le consentement de l’enfant pivot, qui en fait toute son originalité.
Il s’agit d’un acte empreint de concertation familiale, puisque les enfants, bien qu’ils ne revêtent pas civilement et fiscalement la casquette de donateur, acceptent que la libéralité consentie à leurs propres enfants soit imputée sur leur réserve. En quelque sorte, ils renoncent à leur action en réduction en dehors du formalisme spécifique de la renonciation à l’action en réduction de la réserve.
Sous-section I – Les avantages de la donation-partage transgénérationnelle
30407 – Les avantages propres aux donations-partages transgénérationnelles. – Outre les avantages communs à toutes les donations-partages, la donation-partage transgénérationnelle a des prérogatives qui lui sont spécifiques.
D’une part, elle permet à des parents n’ayant qu’un enfant de bénéficier du mécanisme de la donation-partage, en y intégrant désormais au minimum un petit-enfant (C. civ., art. 1078-5), là où une donation-partage ne serait pas envisageable.
Shéma d'une Souche unique : donation-partage versus donation-partage transgénérationnelle
Souche unique : donation-partage versus donation-partage transgénérationnelle
Dans cette situation (enfant/souche unique), l’article 1078-5 du Code civil permet également d’allotir l’enfant unique et tout ou partie de ses propres enfants, voire même de n’allotir que les petits-enfants :
Schéma représentant Les formes des donations-partages transgénérationnelles
Les formes des donations-partages transgénérationnelles
Dans la mesure où l’opération de partage (consubstantiel à la donation-partage) impose au moins deux copartageants (donc au moins deux héritiers présomptifs), les donations-partages étaient impensables en présence d’un enfant unique.
Désormais, grâce à la donation-partage transgénérationnelle, l’ascendant pourra gratifier son enfant unique avec son ou ses petits-enfants (ou même gratifier exclusivement ses petits-enfants) et ainsi bénéficier des avantages d’une telle transmission.
Ensuite, et en complément des règles liquidatives applicables à toutes les donations-partages évoquées ci-avant, la donation-partage transgénérationnelle présente une particularité liée au cumul des générations concernées par la transmission (une double détente : entre le donateur et l’enfant pivot, puis entre l’enfant pivot et les donataires).
Lors de l’ouverture de la succession du donateur, pour la détermination de la quotité disponible et des éventuelles atteintes à la réserve, la valeur des biens donnés sera imputée sur la réserve héréditaire de l’enfant pivot, en laissant intacte la quotité disponible du donateur (sauf imputation subsidiaire de la donation-partage en cas de dépassement de la réserve).
30408 Si M. Moustache, père de trois enfants, envisage d’effectuer une donation de 150 à ses petites-filles :
À son décès, le patrimoine de M. Moustache est évalué à 450.
Biens existants : 450
Donations à réunir : 150
Patrimoine reconstitué : 600
En présence de trois enfants, la quotité disponible est du 1/4, soit 150.
Tableau représentant un Comparatif d'imputation d'une donation simple et d'une donation-partage transgénérationnelle
Comparatif d’imputation d’une donation simple et d’une donation-partage transgénérationnelle
Par conséquent, grâce à la transgénérationnelle, le donateur préserve sa quotité disponible. Les droits du conjoint survivant pourront, le cas échéant, s’exercer correctement. Il conserve également intacte sa capacité à transmettre à des tiers ou à des associations.
En effet, si les grands-parents avaient dû donner directement à leurs petits-enfants, cette ou ces libéralités se seraient imputées sur leur quotité disponible, l’imputant d’autant.
Enfin, nous pensons que la donation-partage transgénérationnelle accentue le consensus familial et élargit la sphère de l’organisation des transmissions au sein des familles (puisqu’il est possible d’intégrer dans cette réflexion les enfants et les petits-enfants, sans pénaliser les grands-parents en entamant fortement leur quotité disponible).
Ainsi, les donations-partages transgénérationnelles permettent de faire « l’économie » d’une transmission, en allotissant directement les petits-enfants. Il n’est pas rare, dans nos études, d’organiser peu de temps après une succession la transmission par des parents à leurs enfants des biens qu’ils viennent de recevoir de leur propre parent, notamment par succession.
30409 – La donation-partage transgénérationnelle peut-elle être cumulative ? – Oui, la donation-partage transgénérationnelle peut être cumulative, c’est-à-dire porter sur des biens compris dans la succession du grand-parent prédécédé et les biens appartenant au grand-parent survivant.
Il est important de s’assurer qu’il y a bien une identité de parties entre la succession et la donation-partage transgénérationnelle.
En effet, il ne serait pas possible d’envisager d’intégrer les biens de la succession déjà acceptée par les enfants, génération intermédiaire, à une donation-partage transgénérationnelle gratifiant les petits-enfants desdits biens successoraux.
Il ne serait pas non plus concevable d’envisager une incorporation desdits biens (successoraux) dans la donation-partage transgénérationnelle, car seuls les biens donnés peuvent faire l’objet d’une incorporation (les biens acquis à titre onéreux, ou reçus par succession sont exclus de la réincorporation).
Sous-section II – Une fiscalité peu attractive

345) V. Cossic, Libre propos sur la loi portant réforme des successions et des libéralités : Rev. Lamy dr. civ. 2006/29, no 2154, p. 55.
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