CGV – CGU

PARTIE I – Une union éclairée…
Titre 1 – … par des conseils avisés et obligatoires
Sous-titre 1 – Un mariage sans conseil : une absence d’information contentieuse

Chapitre I – Régime matrimonial légal d’aujourd’hui : le notaire oublié

30013 Après avoir dressé le bilan de deux cent dix-huit années d’un régime légal de communauté supplétif de volonté, sans notaire (Section I), seront évoquées les raisons historiques des choix réalisés en 1804 (Section II), conduisant aujourd’hui à un régime matrimonial légal réfléchi et conçu sans notaire.

Section I – Bilan de deux cent dix-huit années d’un régime légal de communauté supplétif de volonté, sans notaire

30014 Ce bilan de deux cent dix-huit années débutera par les évolutions que le régime matrimonial légal a connues depuis le Code civil de 1804 jusqu’à la jurisprudence de 2022 (Sous-section I), et se terminera par l’évolution sociétale, avec un tour d’horizon de la société contemporaine (Sous-section II).
Sous-section I – L’évolution du régime matrimonial légal : du Code civil de 1804 à la jurisprudence de 2022
30015 Le régime matrimonial légal de la communauté conçu sans notaire, sans choix (§ I), a connu au fil des années une grande stabilité législative (§ II) qui a, par là même, contribué à sa complexité grandissante. Les évolutions de la société et les innovations ont mis en exergue les limites de cette grande stabilité. Une abondante jurisprudence a dû venir compléter les dispositions du Code civil afin d’apporter une solution à ces nouvelles situations, ce qui a fortement complexifié le régime légal et sa compréhension (§ III).

§ I – La conception du régime matrimonial légal : une communauté sans choix et sans notaire

30016 – Notaire, spécialiste du contrat mais « ignorant » des régimes communautaires. – L’idée que le notaire pouvait avoir un rôle central en matière de régime matrimonial légal n’était pas plus présente dans l’esprit des rédacteurs du Code civil que dans celui du législateur au cours des siècles qui ont suivi, bien qu’il lui fût reconnu un monopole en matière de contrat de mariage, et ce dès 1804.
Cette situation n’est pas surprenante dans la mesure où le notaire était, depuis le Moyen Âge, le spécialiste des contrats. Sur tout le territoire, il était celui qui rédigeait les conventions matrimoniales passées par les futurs époux et leurs familles.
À cette époque, deux droits distincts s’appliquaient : un droit écrit inspiré du droit romain au sud d’une ligne tracée de La Rochelle à l’ouest jusqu’à Genève à l’est, dont le régime matrimonial était le régime dotal, et un droit coutumier au nord de cette même ligne, dont le régime matrimonial était un régime communautaire.
Parce que le notariat était plus présent dans le Sud, pays de droit écrit, il n’est pas apparu, aux yeux des rédacteurs du Code civil, être le grand spécialiste du régime communautaire. Or, il s’agissait du régime matrimonial ayant eu les faveurs des rédacteurs du Code civil.
Comment le notaire, spécialiste du régime dotal, pouvait-il avoir une place centrale dans le régime matrimonial de droit commun ? Comment pouvait-il expliquer et éclairer les futurs époux et leurs familles sur les dispositions du régime communautaire qu’il maîtrisait peu, voire qu’il méconnaissait ?
D’ailleurs, les paroles du consul Cambacérès et de M. Treilhard, en Conseil d’État, sont la preuve de l’inquiétude des rédacteurs du Code civil quant au domaine d’expertise du notaire en matière de régime communautaire. À la question de savoir s’il fallait permettre aux futurs époux de choisir dans leur contrat de mariage telle ou telle coutume, le consul Cambacérès, qui ne semblait pas s’opposer à cette possibilité, répondait que : « Les notaires peu instruits sont dirigés par une sorte de routine qu’ils ne peuvent perdre qu’avec le temps : il ne faut pas leur ôter l’avantage de s’exprimer dans une forme à laquelle ils sont accoutumés. Dans les pays de droit écrit, ils n’apprendront que par la suite ce qu’est la communauté. La facilité qu’on leur laissera jusque-là ne nuira point au Code civil (…) »12 ; ou encore M. Treilhard indiquait « (…) qu’en employant ces clauses générales, les notaires peu instruits ignorent le sens de ce qu’ils écrivent dans leurs actes ; ils ne peuvent, en conséquence, l’expliquer aux parties (…) ».
Dans un pays où deux droits bien distincts s’opposaient, chaque juriste était formé selon son droit local. Évoquer ainsi l’ignorance d’un notaire du Sud en matière de communauté était loin d’être un affront fait à la profession, mais bien une réalité.
En raison de cette méconnaissance du régime communautaire, aucun statut particulier ne pouvait être accordé au notaire en matière de régime matrimonial légal. L’enjeu consistait à écarter le risque de voir perdurer les anciens usages, par l’intervention des hommes du Droit. Cette diversité de règles aurait nui au souhait d’unicité de la règle voulue par le Code civil.
30017 – Un régime matrimonial communautaire simple et clair. – L’absence de référence au notaire dans le régime matrimonial communautaire légal s’explique également par le fait que les rédacteurs du Code civil étaient animés d’un souci de simplicité et d’unicité de la règle.
Le régime communautaire fut d’ailleurs retenu comme régime légal, « parce que ses règles sont simples, claires et justes, et que l’union des personnes conduit à celle des biens »13.
De manière générale, le Code civil se voulait être un outil simple que chaque citoyen devait pouvoir comprendre dès le plus jeune âge. Dès lors la nécessité de recourir au service d’un notaire ne se justifiait pas, puisque la règle serait connue et surtout compréhensible de tous.
Cette simplicité revendiquée l’était également sur la forme. L’automaticité d’un régime légal supplétif de volonté était inconciliable avec la nécessité d’un écrit, notamment à une époque où une partie de la population n’avait pas accès au droit et au notaire.
De nos jours, la problématique n’est plus d’assurer l’unicité de la règle de droit, qui est désormais acquise. La difficulté est de s’assurer de la connaissance par les époux de leur régime matrimonial. Tâche qui n’est pas aisée, notamment en présence d’un régime matrimonial fortement influencé par la jurisprudence, corollaire d’une impressionnante stabilité législative.

§ II – L’évolution d’un régime matrimonial légal : une stabilité législative

30018 – Les régimes matrimoniaux, en trois articles. – Selon l’article 1387 du Code civil, dont la rédaction ne diffère quasiment pas de celle issue du projet de Code civil de 1804 (dit « projet de l’an VIII ») : « La loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent » (« … mœurs, et, en outre, sous les modifications qui suivent », pour la version du Code de 1804). Principe de liberté des conventions matrimoniales.
L’article 1393 du Code civil disposait initialement que : « À défaut de stipulations spéciales qui dérogent au régime de la communauté ou la modifient, les règles établies dans la première partie du chapitre II formeront le droit commun de la France ». Cette même disposition existe encore, aujourd’hui, au deuxième alinéa du même article. Principe d’un droit commun : un régime supplétif de volonté.
L’article 1394 du Code civil disposait initialement que : « Toutes conventions matrimoniales seront rédigées, avant le mariage, par acte devant notaire ». De nos jours, cet article dispose que : « Toutes les conventions matrimoniales seront rédigées par acte devant notaire, en la présence et avec le consentement simultanés de toutes les personnes qui y sont parties ou de leurs mandataires. (…) ». Principe de la forme notariée des contrats de mariage.
Ainsi il apparaît que les grands principes de la liberté des conventions matrimoniales, d’un droit commun des régimes matrimoniaux (un régime légal supplétif de volonté) et d’un contrat de mariage en la forme notariée sont inchangés, et ce depuis plus de deux siècles.
30019 – 96 articles versus 91 articles. – Le Code civil contenait, initialement, 2 281 articles, organisés en trois livres consacrés aux personnes, aux biens et à la propriété. Les régimes matrimoniaux étaient, alors, traités dans le titre 5 intitulé « Du contrat de mariage et des droits respectifs des époux », du livre 3. Le régime légal de la communauté de biens meubles et acquêts comptait quatre-vingt-seize articles (C. civ., art. 1400 à 1496).
Aujourd’hui ce nombre est quasiment similaire. Le souhait annoncé du législateur, lors de la réforme de 1965, de conserver la numérotation des articles et la structure du titre 5, associé au formidable travail de rédaction réalisé par le doyen Carbonnier, a permis de conserver l’ossature de la codification des régimes matrimoniaux, et ce malgré une réforme majeure.
Bien qu’au cours des deux cent dix-huit années d’existence du Code civil, le régime matrimonial légal ait été changé, le nombre d’articles reste à peu près le même.

§ III – Une abondante jurisprudence : complexité du régime légal

30020 Le régime matrimonial légal ne peut parfaitement se comprendre sans l’ensemble de la jurisprudence ou des éclaircissements apportés par la doctrine.
Un juriste étranger qui se contenterait de lire les articles du Code civil ne pourrait pas appréhender correctement le régime légal.
Aussi, à l’instar de ce juriste étranger, les futurs époux seront tout autant ignorants de l’ensemble de ces règles qui vont régir leur vie patrimoniale et financière.
La complexité du régime légal, donnant lieu à un contentieux en fin d’union, gravite essentiellement autour des problématiques de qualification d’un bien (A), du sort des opérations non dénouées (B) et des flux financiers (C). Nous présenterons dans un tableau un récapitulatif des solutions intéressant la pratique notariale (D).
A/ Difficulté de qualification des biens, problématique spécifique au régime communautaire
30021 – Absence de définition et sémantique trop restrictive. – La première difficulté, qui revêt plusieurs aspects, concerne les qualifications de communs ou propres des biens qui sont entrés, sortis ou qui sont encore présents dans le patrimoine des époux.
Il s’agit d’une terminologie spécifique du régime légal qui n’aura jamais été expliquée aux futurs époux, avant le mariage, que ce soit en termes de « propriété » ou de « pouvoirs ».
Si ces termes peuvent paraître simples et clairs de prime abord, il ne faut pas ignorer que leur sens juridique est souvent différent de celui que pourraient leur donner la plupart des personnes.
En outre, ces notions ne sont bien souvent portées à la connaissance des futurs époux que par un petit fascicule qui leur est remis par la mairie, préalablement à leur mariage.
Pour consulter un modèle de fascicule remis aux futurs époux :
Modèle de livret remis aux futurs époux, par les mairies.
Le législateur lui-même n’a pas pris le soin de définir ces termes.

Selon l’article 1401 du Code civil, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage.

Le terme « acquêts » vient du latin acquirere signifiant « acquérir ». D’ailleurs les fascicules remis par les mairies définissent les biens communs comme ceux « acquis par les époux et les revenus », sans autre précision.
Le dictionnaire Larousse donne une définition « juridique » du mot « acquêts », savoir : « Dans le régime de communauté légale, bien acquis par l’un des époux à titre onéreux pendant la durée du mariage, lorsque ce bien entre dans la masse commune ».
Les époux qui auront fait ce travail de recherche sauront que l’acquêt consiste en une acquisition à titre onéreux réalisée par l’un d’eux ou les deux durant le mariage.

Mais l’article 1401 du Code civil nous apprend, également, que les acquêts proviennent « tant de leur [celle des époux] industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ». Si le lecteur s’arrête à la lettre du texte, il en conclut que cette fin d’alinéa ne vise que le mode de financement de l’acquêt : par l’industrie des époux ou par les revenus de biens propres. L’article ne dit pas que l’industrie personnelle ou que les fruits et revenus de biens propres sont, eux-mêmes, des acquêts – c’est la doctrine et la jurisprudence qui apporteront cette précision.

Les futurs époux ne trouveront ni dans le fascicule de la mairie ni dans le dictionnaire Larousse de définition ou d’explication quant à ces notions « d’industrie personnelle », ou « fruits de biens propres ». Il est fort probable que ces notions soient même incompréhensibles pour le plus grand nombre.
Les différents aspects de cette première difficulté concernent donc la définition des acquêts et la délicate détermination de ce qu’est ou non un acquêt (I) (cette définition est importante puisque tout ce qui ne sera pas un acquêt sera finalement un bien propre, ce qui implique des règles de pouvoirs et de propriété différentes), ainsi que la détermination des autres catégories de biens qui ne sont pas visés par l’article 1401 du Code civil mais qui sont devenus des biens communs au fil des jurisprudences (IIIIIIV).
Ces thèmes seront étudiés sous un angle pratique et non exhaustif, par la présentation de situations qui se rencontrent fréquemment.
I/ La notion d’acquêts, biens communs
30022 – Première mise en situation : construction sur un terrain propre de l’un des époux. – La règle est simple : par le jeu de l’accession, la construction a la même qualification juridique que le terrain : la construction est un bien propre par accession.
Cette solution est-elle si évidente pour les époux qui s’apprêtent à édifier une construction sur un terrain propre à l’un d’eux ?
Souvent ils procéderont à la construction sans avoir rencontré un notaire pour leur expliquer les conséquences de cette situation. Si le terrain propre a été acquis de longue date par l’un des époux, ou a été reçu par donation avant qu’il ne se soit marié, le conseil donné par le notaire à cette occasion ne pouvait pas porter sur les conséquences d’un hypothétique mariage du client se trouvant dans son bureau.
Quelles alertes les clients vont-ils avoir ? Aucune.
Les époux découvriront que la construction est propre (par le jeu de l’accession) à l’un d’eux au jour de la vente de celle-ci, ou pire lors de la dissolution du régime matrimonial. En effet, lors de la construction de la maison, il était légitime de penser, pour des époux non informés, que cette construction était assimilée à une acquisition durant le mariage (d’ailleurs les époux payeront un constructeur pour la réalisation d’un ouvrage). Pour eux, il ne peut y avoir de différence entre un couple qui achète sa maison (qui va tomber dans la masse commune) et celui qui procède à la construction de sa maison.
La théorie de l’accession, qui ne relève pas des régimes matrimoniaux, peut être inconnue des époux.
Bien évidemment des mécanismes, tels que les récompenses, vont permettre de rééquilibrer les enrichissements entre la masse propre et la masse commune. Mais est-ce suffisant pour désamorcer ce contentieux naissant, qui aura pour terreau le sentiment de l’un des époux d’avoir été lésé ?
En outre, il sera difficile pour cet époux, ne serait-ce qu’en matière de preuve, de valoriser l’ensemble de ces petites choses qui, au fil du temps, ont permis d’apporter une plus-value au bien de l’autre. Cet époux non propriétaire se serait-il comporté de la même manière s’il avait su que ce bien ne lui appartenait pas ?
Si les époux avaient rencontré un notaire en amont de leur mariage, ils auraient pu être alertés sur le risque lié à la présence d’un terrain à bâtir dans le patrimoine de l’un d’eux. Le notaire, en réalisant une analyse patrimoniale, aurait eu connaissance de la présence de ce terrain à bâtir. Il aurait pu les questionner sur leur projet, même lointain, et ainsi leur proposer des solutions en amont.
30023 – Deuxième mise en situation. Construction à cheval sur un terrain propre et un terrain commun. – Comment réagiront les époux qui s’apprêtent à édifier une construction à cheval sur un terrain propre à l’un d’eux et sur un terrain commun acquis postérieurement (qualifié de bien propre par accessoire au titre de l’article 1404 du Code civil) ?
Même si les époux ont vu un notaire pour l’achat du terrain, la particularité consistant à acquérir un bien commun contigu à un bien propre peut ne pas avoir été portée à sa connaissance.
Éventuellement, le permis de construire peut permettre au notaire de découvrir cette particularité si la demande venait à porter sur les deux terrains (qui ne constitueraient donc pas une unité foncière au sens de l’urbanisme), ce qui l’amènera à informer les époux sur les conséquences en matière de qualification du bien au regard des régimes matrimoniaux. Mais cette information arrivera à un moment, nous semble-t-il, trop tardif puisque les acquéreurs seront engagés aux termes de l’avant-contrat. À ce stade, le notaire n’aura que peu de solutions à proposer aux époux, mais au moins ils auront été informés de la situation avant le début de la construction.
Et si cette acquisition n’est pas conditionnée à l’obtention d’un permis de construire, puisque finalement, il ne s’agit que d’un petit terrain non nécessaire à la construction projetée, quelles alertes auront les époux ? Aucune.
Une fois encore il est légitime, pour l’époux qui aura acquis un terrain à titre onéreux avec son conjoint et construit une maison dessus, de penser que ce bien est commun même s’il est contigu à un terrain propre qui ne supportera que des constructions annexes.
II/ La notion d’industrie personnelle des époux, une qualification jurisprudentielle de biens communs
30024 – La force de travail n’est ni propre ni commune, seul le résultat compte. – Au préalable, il est rappelé que l’industrie personnelle correspond à la force de travail de chaque époux. En tant que tel, ce travail n’est qualifié ni de propre ni de commun. Seul le résultat ou le produit de cette force de travail est qualifié de bien commun. Il s’agira notamment, dans une société où les personnes sont majoritairement salariées, de la paie, mais s’y ajoutent également les revenus provenant de l’activité professionnelle agricole, artisanale, libérale, ou commerciale, ainsi que tous leurs substituts : primes, indemnités, pension de retraite.
30025 – Troisième mise en situation. Construction réalisée par l’époux non propriétaire du terrain. La notion d’industrie personnelle. – La situation des époux pourrait être encore plus compliquée si le conjoint non propriétaire du terrain est un professionnel du bâtiment, ou même seulement un bon bricoleur qui a construit totalement ou partiellement le bien, sur son temps libre, durant plusieurs mois ou années.
La Cour de cassation, dans divers arrêts, a eu à se prononcer sur la délicate question de l’industrie personnelle des époux.
Que l’époux qui fournit son industrie le fasse sur l’un de ses biens propres ou sur celui de son conjoint, la problématique est la même pour le juriste. D’ailleurs les solutions de la Cour de cassation n’opèrent pas de distinction entre les deux situations. Or, du point de vue des époux, il y a une différence puisque, dans un cas, l’époux travaille sur les biens qui lui appartiennent en propre et, dans l’autre cas, il enrichit la masse propre de son conjoint, sur laquelle il n’a pas de droit ou de pouvoir particulier.
Une nouvelle fois, l’époux non conseillé n’aura pas eu la possibilité d’analyser la situation d’un point de vue juridique, en amont. C’est lors de la vente du bien ou lors de la dissolution de la communauté qu’il découvrira cette analyse juridique. Dès lors, les attentes de cet époux (espérant que son travail et la plus-value apportée au patrimoine de l’autre soient pris en compte, et comptant bénéficier en nature ou en valeur d’un juste retour sur cet investissement) vont se confronter à la position de la Cour de cassation, qui ne reconnaît aucun droit à récompense ou indemnité.
En effet la Cour de cassation, dans une jurisprudence14 assez constante depuis les années 1990, considère qu’il n’y a pas de droit à récompense pour l’industrie personnelle de l’époux.
La cour a notamment pu se prononcer sur des faits15 similaires au cas exposé ci-dessus, dans un arrêt de la première chambre civile du 29 mai 201316 : « (…) selon le premier de ces textes [C. civ., art. 1437], qu’un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il est pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement, lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté ; qu’il s’ensuit que la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté.
(…) Attendu qu’un époux ne doit récompense à la communauté que lorsqu’il est pris une somme sur celle-ci ou, plus généralement, lorsque l’époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté ; qu’il s’ensuit que la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté ».
Et même si un droit à récompense était reconnu, celui-ci ne serait pas dû à l’époux castor sous forme de créance ou d’indemnité, mais bien à la communauté puisque le produit de l’industrie personnelle des époux (en l’occurrence, les travaux et la plus-value apportée par le travail de l’époux) est un bien commun. Or, en cas de divorce, l’époux castor aura le sentiment d’avoir été manifestement lésé.
En fin d’union, que ce soit par succession ou par divorce, le notaire héritera de ces situations inextricables.
Une fois de plus, si ces époux avaient rencontré un notaire en amont, des solutions auraient pu être mises en œuvre afin d’éviter la naissance de ce futur contentieux, tel que l’apport à la communauté du terrain propre par l’un des époux.
III/ Les fruits et revenus de biens propres : une qualification jurisprudentielle et doctrinale de biens communs
30026 – Fruits et revenus de propres, plus de tergiversation. – Dès 1804, l’article 1401 du Code civil disposait, notamment à son deuxième alinéa, que la communauté se composait activement « de tous les fruits, revenus, intérêts et arrérages, de quelque nature qu’ils soient, échus ou perçus pendant le mariage, et provenant des biens qui appartenaient aux époux lors de sa célébration, ou de ceux qui leur sont échus pendant le mariage, à quelque titre que ce soit ». Les fruits et revenus de biens propres, en tant que meubles, tombaient en communauté sans aucun débat possible.
Puis les volontés des réformes de 1965 et de 1985 d’accroître les pouvoirs et droits des femmes ont conduit le législateur à s’interroger sur la question de savoir si les fruits et revenus des biens propres de l’épouse devaient ou pouvaient être des biens communs sur lesquels le mari disposait, en outre, de tous les pouvoirs.
Depuis la réforme de 1965, les interrogations sur la qualification des fruits et revenus ont la même origine que le débat sur la qualification de l’industrie personnelle, évoqué ci-avant : la rédaction de l’article 1401 du Code civil qui ne vise que le « financement de l’acquêt ».
En effet, l’article 1401 du Code civil ne vise pas expressément les fruits et revenus de biens propres pour les qualifier de biens communs, mais les évoque en tant que mode de financement d’un acquêt : « (…) acquêts faits par les époux (…), et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ».
En outre, et spécifiquement pour cette notion, une deuxième difficulté apparaît autour de la notion « d’économie faite ». Littéralement, l’article 1401 du Code civil ne vise que les acquêts provenant des économies faites sur les fruits et revenus des biens propres. Notion renforcée par l’article 1403 du Code civil : « La communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ».
Après de nombreux débats doctrinaux depuis la loi de 1965 et quelques hésitations jurisprudentielles, le principe à retenir, désormais fixé par la jurisprudence17, est que les fruits et revenus de biens propres sont des biens communs, et ce dès leur perception, sans avoir à se demander s’ils sont économisés ou non.
Ces fruits et revenus de biens propres suivent finalement le même sort que les gains et salaires. D’ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi de 1985 que l’ensemble de ces revenus avait un sort lié au sujet.
Pour autant une différence demeure. Alors que la créance de gains et salaires (avant la perception) est commune, pour les fruits et revenus de biens propres celle-ci reste propre. Seul l’époux propriétaire pourra décider de les percevoir ou non. Il restera tout de même responsable envers la communauté d’une gestion frauduleuse.
En conséquence, la communauté doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens. Les charges usufructuaires dépendent de la masse commune. Pour rappel, les charges dites « usufructuaires » sont celles que doit assumer l’usufruitier en contrepartie de la jouissance de la chose. Il s’agit essentiellement des dépenses d’entretien et de menues réparations, ainsi que des charges périodiques18. D’ailleurs la Cour de cassation a pu assimiler aux charges périodiques usufructuaires les intérêts d’un emprunt, bien que certains auteurs, dont notamment Michel Grimaldi, s’interrogent sur la pertinence de cette assimilation (charges usufructuaires et intérêts d’emprunts).
30027 – Quatrième mise en situation. Remboursement d’un prêt souscrit avant le mariage pour l’acquisition ou la rénovation d’un bien propre, au moyen des loyers perçus. – Un époux, propriétaire d’un immeuble de rapport acquis avant le mariage (par donation ou par ses propres revenus) sera rassuré quant au fait que ce patrimoine reste propre. Il en est de même pour le prêt éventuellement souscrit avant le mariage pour la rénovation de l’immeuble.
Et pourtant celui-ci ignore que le remboursement dudit prêt (le capital) par les loyers de cet immeuble sera constitutif en fin d’union d’une récompense au profit de la communauté, car les loyers sont en réalité des biens communs.
L’époux qui utilisera les revenus d’un bien propre pour construire un autre bien sur un terrain lui appartenant en propre se retrouvera être débiteur d’une récompense à l’égard de la communauté. En effet, le bien construit sera qualifié de bien propre par accession (le terrain étant propre), mais les acquêts provenant des revenus de biens propres étant communs, ce bien construit (propre) aura été financé au moyen de deniers communs.
Dans de telles situations, et si les époux avaient rencontré un notaire en amont, ils auraient pu être informés de ce « piège » du régime légal. Des solutions auraient pu leur être proposées.
La solution du régime matrimonial. Cette problématique aurait pu facilement être résolue en stipulant conventionnellement dans un contrat de mariage que les fruits et revenus de biens propres resteront propres, ainsi que les charges qui en sont le corollaire. Cela suppose encore une fois que les futurs époux aient pu rencontrer un notaire qui, à l’aune de leur situation patrimoniale, les aura préalablement informés sur les conséquences et risques de cette qualification de biens communs, et les aura ainsi aiguillés afin d’éviter le contentieux de demain. Pour un modèle de clause, il convient de se référer ci-après – V. infra, no .
La solution du droit des sociétés. Si l’époux propriétaire apporte à une société civile, qu’il pourrait constituer avec son épouse (qui aurait une part) ou avec un autre membre de sa famille ou un ami, le bien immobilier avant la célébration du mariage, ou même après, les parts ainsi souscrites seront propres à monsieur.
Bien évidemment le résultat distribuable sera constitué des revenus de biens propres et sera commun. Mais tant que ceux-ci ne sont pas distribués, ils peuvent être inscrits en réserve à la seule décision de l’époux, majoritaire, et ne prennent pas la qualité de biens communs. En outre, il est rappelé que la créance de récupération des fruits et revenus de biens propres reste propre. Aussi le conjoint ne pourra pas revendiquer ou demander la distribution de ces sommes. L’époux associé pourra toutefois être tenu responsable envers la communauté d’une gestion frauduleuse (ce qui est en pratique compliqué à prouver, notamment quand il s’agit de mettre en réserve des revenus perçus par la société, pour la réalisation de futurs projets notamment).
L’époux vigilant dans ce contexte ne devra pas omettre d’apporter le prêt en cours (ce qui supposera l’accord du créancier dans la majorité des cas). La société pourra ainsi rembourser le prêt (intérêts et capital) avec les loyers encaissés sans que cette opération puisse être constitutive d’une récompense, puisque le loyer encaissé appartient à la société et n’a plus de qualité de propre ou commun et que la société rembourse son propre prêt. Évidemment, si le loyer n’est pas suffisant pour couvrir la charge d’emprunt, l’associé devra chaque mois apporter des fonds à la société pour couvrir le solde. Dans ce cas, selon l’origine des fonds, le compte courant d’associé sera commun.
L’époux pourra même envisager d’investir, via la société, les liquidités au fil du temps.
Ce montage a un coût, qui peut être celui de la constitution de la société, mais aussi et surtout celui de l’apport d’un prêt à la SCI, qui constitue un apport à titre onéreux taxé aux droits de mutation à titre onéreux. Outre, le fait que cette opération soumet l’apporteur à l’impôt sur les plus-values, le cas échéant.
Or, les futurs époux qui n’ont pas pris le temps de consulter un juriste ne se verront jamais expliquer la notion de « fruits et revenus de leurs biens propres », et comme nous l’avons évoqué, à une époque où les couples se forment à un âge plus avancé, en présence d’un patrimoine personnel déjà constitué, la méconnaissance de cette définition et de ses conséquences pratiques sera source de contentieux et d’incompréhension à la fin de l’union.
IV/ Les « gains et salaires » et leurs substituts : une qualification jurisprudentielle et doctrinale de biens communs… particuliers
30028 – Les gains et salaires, un statut hybride. – Les gains et salaires sont une catégorie particulière de biens communs, puisqu’ils ne sont pas visés expressément par l’article 1401 du Code civil.
D’ailleurs historiquement, les gains et salaires ont toujours eu un traitement particulier.
Il faut rappeler que les deux principales réformes des régimes matrimoniaux ont eu successivement pour motivation d’atténuer, voire de supprimer la suprématie reconnue au mari par le Code Napoléon. En effet, la réforme de 1965 a donné à l’épouse l’administration et la libre disposition de ses biens propres, qui jusque-là relevaient des prérogatives du mari, et la réforme de 1985 a admis la cogestion sur les biens communs (dont l’épouse était exclue).
Ainsi jusqu’en 1985, seul le mari avait la capacité et le pouvoir de gestion des biens communs. L’épouse était donc soumise à la bonne ou mauvaise gestion par son époux de cette masse commune.
Si les gains et salaires avaient été considérés comme des biens communs ordinaires (en étant visés, expressément, par l’article 1401 du Code civil), les épouses qui avaient une activité rémunérée n’auraient disposé d’aucun pouvoir sur leurs propres revenus, tombés dans la communauté et soumis au seul pouvoir du mari. Cette conséquence aurait été un effet pervers de la loi, contraire à l’esprit du législateur.
C’est ainsi que les gains et salaires étaient auparavant des biens dits « réservés » ; notion qui a disparu avec la réforme de 23 décembre 1985.
L’article 224 du Code civil issu de la loi de 1965 disposait que : « Chacun des époux perçoit ses gains et salaires et ne peut en disposer librement qu’après s’être acquitté des charges du mariage. Les biens que la femme acquiert par ses gains et salaires dans l’exercice d’une profession séparée de celle de son mari sont réservés à son administration, à sa jouissance et à sa libre disposition (…) ».
Il ne faut jamais oublier que la qualification d’un bien a une conséquence directe sur les pouvoirs de chaque époux sur ledit bien. Selon qu’un bien est qualifié de « bien commun » ou de « bien propre », il sera soumis ou non à la cogestion et sera assujetti ou non au gage des créanciers personnels de l’époux ou des créanciers communs, voire des créanciers de son époux. Et ce principe est d’autant plus important quand il s’agit de gains et salaires, source de revenu des familles.
Les gains et salaires sont-ils propres ou communs ?
La Cour de cassation a tranché dans un arrêt du 8 février 197819 (arrêt dont il faut préciser qu’il a été rendu avant la suppression de la notion de « biens réservés ») disposant que :
« Attendu qu’aux termes du premier de ces textes le paiement des dettes dont la femme vient à être tenue pendant la communauté peut être poursuivi sur l’ensemble des biens communs si l’engagement est de ceux qui se forment sans aucune convention ;
Qu’il résulte du second que les produits de l’industrie personnelle des époux Y… partie de la communauté ;
Que si, en vertu de l’article 224, alinéa 1er, du même Code, chacun des époux a… ses gains et salaires et peut en disposer librement après s’être acquitté des charges du mariage, ces pouvoirs ne mettent pas obstacle à ce que ces gains et salaires soient saisis par les créanciers envers lesquels la communauté est tenue du chef de l’autre époux ;
Attendu que dame X…, mariée sous le régime de la communauté, ayant été condamnée par la juridiction répressive à verser une somme de 1 906,11 francs à titre de dommages-intérêts à dame Z…, pour coups et blessures portés à celle-ci, la créancière a, pour obtenir paiement, fait saisie-arrêt sur les salaires de X… ;
Que le jugement attaqué après avoir reproduit les termes de l’article 1414 du Code civil, a cependant refusé de valider cette saisie-arrêt au motif que les dettes délictuelles de la femme n’ouvrent pas aux créanciers action sur les biens communs ;
Qu’en statuant ainsi, il a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : casse et annule le jugement rendu entre les parties le 22 mai 1975 par le tribunal d’instance de Troyes ».
A contrario, les revenus d’un époux sont communs. Toutefois, les gains et salaires conservent ce statut de biens particuliers : il s’agit de biens communs répondant à des règles particulières en matière de pouvoirs car administrés par le seul époux qui les perçoit (C. civ., art. 223).
La qualification ayant une conséquence sur les règles relatives aux pouvoirs, en tant que biens communs, les gains et salaires devraient être soumis à la cogestion des époux. Or, l’article 223 du Code civil permet à chaque époux d’en disposer librement dès lors qu’ils ont supporté les charges du mariage leur incombant. Les gains et salaires ne sont donc pas soumis à la cogestion des époux.
Là encore, la jurisprudence a apporté une limite à cette exception en introduisant dans la réflexion la notion d’économie. Les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires ne sont pas valables si les sommes ont été économisées. En d’autres termes, et de nombreux arrêts en sont la démonstration, un époux ou une épouse peut consentir une libéralité, seul, portant sur ses gains et salaires, non économisés (bien que ces salaires soient des biens communs).
La notion de biens réservés a certes disparu du langage du juriste et des textes, mais le statut particulier des gains et salaires demeure et a été consolidé au fil des jurisprudences : les gains et salaires sont des biens communs dès leur perception (qualification/propriété), qui ne sont pas soumis au principe de la cogestion des biens communs (pouvoir), sauf quand ils sont économisés.
30029 – Un revenu économisé ? – Un revenu est économisé quand il n’est pas utilisé immédiatement après sa perception.
De nos jours, les feuillets d’information des mairies, en tout cas pour ceux qui ont été consultés, précisent aux futurs époux que « (…) les revenus sont communs »20.
À l’époux curieux, le dictionnaire Larousse donnera la définition suivante du terme « revenu » : « Ce qui est perçu, en nature ou en monnaie, par quelqu’un ou une collectivité comme fruit d’un capital placé (intérêt sur un capital prêté, dividende sur un capital engagé), ou comme la rémunération d’une activité (profit) ou d’un travail (salaire) ».
Éclairés sur la définition de gains et salaires, peut-on pour autant considérer que les époux auront compris, par cette seule définition, que leurs gains et salaires sont parfois soumis à la cogestion et parfois non ?
30030 – Cinquième mise en situation. Donation de liquidités par un époux au moyen de ses gains et salaires. – Un époux pourra seul, après s’être acquitté de sa contribution aux charges du mariage, disposer librement de ses gains et salaires. Il pourra, dès lors, en faire la donation seul, puisqu’il s’agit de biens communs non soumis à la cogestion.
Le même époux ne pourra pas seul, après s’être acquitté de sa contribution aux charges du mariage, disposer par donation de ses gains et salaires si entre-temps lesdits gains et salaires ont été placés sur un compte d’épargne ou un support financier, car dès lors ces gains et salaires sont dits « économisés » et par conséquent de nouveau soumis à la cogestion des époux.
Là encore, des époux non informés ne peuvent pas appréhender correctement la subtilité de cette règle. Cette méconnaissance sera source d’un important contentieux en fin d’union, avec une remise en cause des libéralités par le conjoint.
B/ Difficultés liées aux opérations non dénouées au jour de la dissolution de la communauté
30031 Les problématiques liées à la qualification des biens (« propres » ou « communs ») ne sont pas les seules difficultés spécifiques au régime légal. En effet, l’existence de trois masses, dont une masse commune, pose également la question des opérations non dénouées.
Comment réagiront les époux à la qualification du contrat de retraite complémentaire (régime facultatif) souscrit pendant l’union, et non échu à la dissolution ? Ou encore à la qualification des stock-options ?
Dans toutes ces situations, les juges de la Cour de cassation sont venus apporter des réponses aux situations qui leur étaient soumises.
C/ Difficulté d’identification des mouvements financiers et de leur nature
30032 Lorsqu’un époux marié en communauté de biens réduite aux acquêts effectue un virement d’un compte personnel vers le compte personnel de son conjoint ou même vers un compte joint, nous sommes bien incapables de savoir si ce mouvement sera constitutif d’une indemnisation (nous entendons par là récompense entre époux ou créance entre époux), car au préalable, il faudra déterminer la provenance de ces fonds : s’agit-il d’une somme reçue par donation ? S’agit-il de ses gains et salaires ? D’une épargne salariale, d’une indemnisation pour perte d’emploi, ou d’une indemnisation pour un préjudice personnel ?… Et sans évoquer la problématique d’individualisation et la traçabilité de la somme sur ce compte.
Comme évoqué précédemment, la qualification de « commun » ou « propre » peut s’avérer parfois hasardeuse pour le juriste. Pour l’époux non informé, il sera impossible de maîtriser les conséquences de ces mouvements de fonds.
Dans la majorité des jurisprudences évoquées ci-avant, la problématique d’une somme reçue encaissée sur un compte personnel ou un compte joint, puis l’utilisation de cette somme à titre personnel ou dans l’intérêt de la communauté est souvent présente.
D/ Récapitulatif des solutions intéressant la pratique notariale

§ IV – État du contentieux en fin d’union

Sous-section II – L’évolution sociétale : tour d’horizon de la société contemporaine
30033 Après avoir évoqué les tendances en France (§ I), celles d’Europe et d’ailleurs seront étudiées (§ II).

§ I – Les tendances en France

§ II – Les tendances en Europe et ailleurs

Section II – Les raisons historiques des choix réalisés en 1804

30034 En droit de la famille, nous pensons souvent que le Code civil (ou « Code Napoléon ») est à l’origine de tout. En matière de régime matrimonial, ce n’est pas totalement exact.
L’histoire des régimes matrimoniaux nous apprend que les régimes tels qu’ils existent aujourd’hui proviennent des pratiques et des usages des familles et des couples, et ce depuis la création de Rome.
Quelles que soient les époques (Empire romain, époque franque, Moyen Âge…), le pouvoir séculier s’est souvent contenté d’accompagner les populations en reconnaissant comme la règle officielle (pour ne pas dire la règle de droit) des usages si répétés et pratiqués qu’ils en devenaient la règle généralisée pour la population.
Ce pouvoir apportait parfois des réponses pour remédier aux lacunes ou aux situations injustes qui pouvaient naître de ces usages, mais il a rarement, voire jamais, été créateur de droit en matière de régime matrimonial.
Le pouvoir se préoccupait bien plus de l’institution du mariage que du régime des biens entre les époux.
Les autorités (romaines, mérovingiennes, carolingiennes ou royales…), sans le vouloir, ont tout de même influencé les régimes matrimoniaux, dans la mesure où ces différents pouvoirs ont entraîné des changements de comportement et de mentalité dans la population, notamment en matière d’union et de régime matrimonial.
En effet, la plupart du temps, ces usages familiaux trouvaient leur fondement dans les préoccupations qui animaient les familles, et qui ne sont pas les mêmes d’une époque à l’autre : conservation du patrimoine familial, ou à l’inverse transmission de celui-ci, protection du conjoint… D’ailleurs, le droit des successions a également souvent marqué et modifié les usages des familles en matière de régime matrimonial.
30035 Les régimes matrimoniaux sont au cœur des familles et ce sont, d’ailleurs, ces familles qui ont donné naissance au régime de biens entre époux en passant entre elles des accords familiaux, prémices des régimes matrimoniaux (Sous-section I). Puis de contrat entre les familles, le régime matrimonial est devenu supplétif de volonté (Sous-section II).
Sous-section I – Des accords familiaux au régime matrimonial légal
30036 Les accords de famille ont tout d’abord donné naissance au régime de biens entre les époux (§ I) avant de muter en un régime communautaire légal (§ II).

§ I – La naissance des régimes de biens entre époux : les accords de famille

30037 C’est ainsi qu’à Rome, est né, des usages répétés des familles de doter les filles par convention lors de leur mariage, le régime dotal ; régime qui d’ailleurs perdurera en Gaule, et notamment dans la région méridionale, jusqu’à la rédaction du Code civil en 1804.
Puis, après la chute de l’Empire romain d’Occident et les invasions des peuples barbares, est apparu ce droit non écrit : les coutumes, dont les règles applicables aux époux étaient très différentes du régime dotal romain.
La naissance d’un régime communautaire coutumier.
« (…) C’est bien durant cette période médiévale que les futurs “régimes matrimoniaux” prennent naissance, qu’apparaît notamment cette fameuse communauté de meubles et acquêts qui deviendra, dans le Code civil, le régime légal »30.
Cette époque a été marquée par une diversité de règles et d’usages, puisque chaque village, chaque seigneurie disposait de sa propre coutume. En outre, les époux avaient la possibilité d’y déroger librement, sans avoir l’obligation que cette convention soit écrite.
La coutume avait une place centrale sur tout le territoire, bien qu’il reste quelques traces du régime dotal romain dans le sud, à cette période.
En effet, les coutumes trouvaient également à s’appliquer dans le sud du pays (pourtant pays de droit écrit), telle la coutume de Montpellier au XIIIe siècle. Mais peu à peu la dot a repris sa place dans les pays de droit écrit.
La Coutume de Paris avait pour régime une communauté de meubles et acquêts, dont les principales règles se retrouveront ensuite dans le Code civil.

§ II – La naissance d’un régime communautaire légal

30038 En 1804, les rédacteurs du projet de l’an VIII (qui deviendra le Code napoléonien) ont dû, pour répondre à cet impérieux souhait d’unification du droit, choisir parmi les divers régimes matrimoniaux, tous nés des usages des familles, ceux qui seraient les régimes matrimoniaux des Français, et surtout celui qui deviendrait le droit commun applicable à tous. À cette époque, le territoire, en matière de régime de biens entre époux, était divisé entre les pays de droit coutumier, dont la communauté et plus particulièrement la communauté de meubles et acquêts (présentes dans de nombreuses coutumes, notamment celle de Paris), et le régime dotal issu du droit romain dans les pays de droit écrit. Le choix opéré par les rédacteurs du Code civil allait conduire à modifier considérablement les usages des populations qui se verraient imposer un régime légal ne relevant pas de leur usage. D’ailleurs, les rédacteurs du Code civil ont très justement identifié la problématique consistant dans le fait que la population n’était pas demandeuse de cette unification du droit en la matière. Et parce que le régime des biens entre époux touche à l’intime, au cercle familial, aux considérations et aux aspirations des couples et des familles, il était difficile d’imposer un régime qui, s’il était mal accueilli, aurait eu pour sanction un rejet total par la population.
Ce fut un travail d’équilibriste. La solution se trouva dans un consensus : chaque région aura la possibilité de conserver son régime puisque le Code civil retiendra la liberté des conventions matrimoniales, et surtout admettra quatre régimes matrimoniaux distincts (la communauté, la séparation de biens, le régime sans communauté, le régime dotal), tout en imposant un régime commun légal : la communauté de meubles et acquêts (issue de la Coutume de Paris, notamment).
L’honneur était sauf ! Les rédacteurs du Code civil ont su trouver le juste équilibre entre liberté des conventions, qui permettait à la population d’adhérer à ces nouvelles règles, tout en réussissant à imposer un régime commun à tous ceux qui ne feraient pas de contrat de mariage, symbole de cette unification du droit voulue par Napoléon (et avant lui, les penseurs de la Révolution française). Ce régime de droit commun, pour en assurer son efficacité et sa propagation sur le territoire, se trouvait être supplétif de volonté. Ainsi, tous ceux qui ne s’étaient pas souciés de leur régime se trouvaient automatiquement soumis au régime légal. Cette règle existait déjà dans la Coutume de Paris, qui prévoyait que les époux mariés sans contrat s’étaient, eux-mêmes, placés par une convention tacite au régime de la communauté légale établi par cette coutume.
30039 – Pourquoi un régime communautaire eut-il la préférence des rédacteurs du Code civil, et de Napoléon ? – Il faut au préalable souligner que la commission désignée par Napoléon sous le Consulat pour travailler sous la direction de Cambacérès à l’élaboration du Code civil était composée de deux juristes des pays de coutumes (MM. Bigot de Préameneu et Tronchet) et de deux juristes des pays de droit écrit (MM. Portalis et Maleville).
Les réunions furent nombreuses et les débats animés au sujet du choix du régime matrimonial légal entre les deux principaux régimes applicables sur le territoire entre le sud et le nord, et ce depuis des siècles. Un « clan » allait devoir changer des habitudes et usages établis pourtant depuis des siècles !
Le principal argument en défaveur du régime dotal était, évidemment, la nécessité d’un écrit pour constituer la dot, et ce formalisme était de toute évidence incompatible avec un régime légal supplétif de volonté et un régime qui se devait d’être simple, accessible et compris de tous.
Le second argument était que le régime de la communauté paraissait plus protecteur du conjoint survivant, souvent l’épouse, qu’un régime de séparation. Le mariage est une communauté de corps et d’esprit, corollaire d’une communauté d’intérêts pécuniaires et financiers. En outre, à une époque où seul le travail des hommes était rémunéré (le rôle des femmes se limitant à des tâches ménagères), la mise en communauté des revenus du mari et des acquêts semblait nécessaire et juste vis-à-vis de l’épouse qui, dans une société fortement rurale et agricole, était souvent amenée à aider aux travaux des champs, en sus de l’éducation des enfants et des tâches ménagères. Cette mise en communauté ne présentait pas de grand risque, au regard des « faiblesses » supposées des femmes à cette époque, puisque ces dernières étaient placées sous l’autorité de leur époux et ne disposaient pas des pouvoirs d’engager la communauté.
Sous-section II – Un régime matrimonial légal supplétif de volonté
30040 Il est difficile d’identifier historiquement avec certitude l’origine du régime supplétif de volonté en matière de régime matrimonial (§ I). Ce régime a toutefois été consacré par Napoléon (§ II).

§ I – Une origine difficilement identifiable

30041 Il est difficile de déterminer l’origine du mécanisme consistant à appliquer une règle à une personne qui n’exprime pas de volonté particulière.
Des auteurs identifient les prémices du régime supplétif de volonté dès l’Ancien Régime (1500-1800), car les époux étaient libres de choisir leur régime matrimonial (sauf en Normandie) et qu’à défaut de choix, et même de contrat, ils étaient considérés avoir tacitement choisi le régime du lieu de leur premier domicile conjugal (lex rei sitae).
Finalement, le régime supplétif n’est-il pas inhérent au droit coutumier, qui est un droit territorial ? Le droit qui s’applique est celui de la tribu, celui des usages, le seul qui est connu des époux et de leur famille. L’expression d’un choix n’était pas nécessaire car il n’existait pas de solution alternative, pas de choix.
Le régime supplétif de volonté ne trouverait-il pas son explication dans cette conception territoriale du droit coutumier, majoritairement appliqué sur notre territoire ?
D’ailleurs, les pays de coutume prévoyaient la possibilité de choisir un régime matrimonial seulement quand les familles étaient issues de territoires différents, et donc de coutumes différentes.

§ II – Une consécration napoléonienne

30042 Lors de la Révolution française, et conformément à l’idéologie de ce mouvement, le principal objectif fut la « Liberté ». Ainsi fut décidé le principe de liberté matrimoniale et de liberté des conventions matrimoniales, reprises dans le Code civil (après de longs débats). Certes cette liberté, pilier idéologique de la Révolution, était parfaitement conciliable avec la diversité des régimes (chacun opterait pour le régime local habituel, celui de son choix). Toutefois, cette liberté des conventions matrimoniales était une opposition majeure à l’unification du droit (souhait qui aurait dû conduire à imposer un régime unique pour tous).
Si un régime unique avait été mis en place, comme dans la coutume, il n’aurait sans doute pas été nécessaire d’édicter un principe supplétif de volonté. C’est parce que les rédacteurs du Code civil avaient permis un choix qu’il fallut organiser juridiquement l’absence de choix. En outre, l’enjeu était de ne surtout pas voir perdurer dans les régions des régimes anciens coutumiers par l’absence de choix exprimé par les époux. Il fallait donc organiser légalement le régime unique et commun à tous les époux qui n’avaient pas exprimé de choix.
Dans ce domaine encore, les rédacteurs du Code civil se sont inspirés de la Coutume de Paris, et c’est ainsi que la rédaction de l’article 1387 du projet de l’an VIII prévoyait : « La loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos… ». Le régime légal est avant tout un régime supplétif. La priorité est donnée aux conventions matrimoniales et à la liberté des époux.
De nos jours, l’enjeu de l’unification du droit et la crainte de voir réapparaître d’anciens droits coutumiers différents d’une région à l’autre ne sont plus d’actualité.
30043


12) P.-A. Fenet, Naissance du Code civil, Flammarion, 1989.
13) Ibid.
14) Cass. 1re civ., 30 juin 1992, no 90-19.346 : la seule circonstance qu’un époux se soit consacré à l’exploitation du fonds de commerce propre à son conjoint n’est pas de nature, en l’absence d’investissement pour conserver ou améliorer le fonds à ouvrir droit à récompense pour la communauté.
15) Rappel des faits : une épouse mariée sous le régime de la communauté légale est propriétaire d’un terrain en propre et y fait construire une maison, grâce aux travaux réalisés par son époux, lequel demandait une récompense.
16) Cass. 1re civ., 29 mai 2013, no 11-25.444.
17) Cass. 1re civ., 20 févr. 2007 : Bull. civ. 2007, I, no 67 ; D. 2007, 1578 : Jusque-là, l’arrêt Authier du 31 mars 1992 n’évoquait que l’« affectation » desdits fruits et revenus à la communauté. Désormais, les fruits et revenus sont qualifiés de biens communs.
18) Cass. 1re civ., 31 mars 1992 : Bull. civ. 1992, I, no 96.
19) Cass. 1re civ., 8 févr. 1978, no 75-15.731, publié au bulletin : rendu en matière de saisie, il doit être interprété a contrario.
20) Extrait du livret remis aux futurs époux, par la mairie de Nancy (V. supra, no 30021).
21) Rapp. AN no 1475, M. Collette : JOAN CR 26 juin 1965 (3e séance), p. 2665.
22) Ibid.
23) JO Sénat CR 6 mai 1965, p. 179 (M.-E. Le Bellegou).
24) G. Champenois, Rapport de synthèse : JCP N 2009, no 22, 1193.
25) Enquête Insee no 462-463-2013, « Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France ».
27) Angola, Burkina-Faso, Cameroun, Congo, Madagascar, Mali, Maurice.
28) Chili, Mexique.
29) Allemagne, plusieurs États du Canada, Costa Rica, Finlande, Grèce, Nouvelle-Zélande, Panama, Suisse, Turquie.
30) A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, PUF, 1re éd., 1996, p. 147.
31) G. Lepointe, Droit romain et ancien droit français – Régimes matrimoniaux, libéralités, successions, Montchrestien, 1958.
32) A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, PUF, 1re éd., 1996.
33) A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., p. 104, no 76.
34) Les Commentaires de César vers le milieu du Ier siècle et La Germanie de Tacite.
35) A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., p. 147, no 107.
36) Voltaire dans son Dictionnaire philosophique cité par A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, op. cit., p. 189, no 139.
37) Naissance du Code civil, La raison du législateur (An VIII, an XII – 1800 – 1804), Editions Flammarion, p. 323.
38) Propos tenus lors de l’ouverture de la discussion du projet de loi, par Jean de Broglie, alors secrétaire d’État, in Débat parlementaire du Sénat, jeudi 6 mai 1965, 7e séance : JO 7 mai 1965, no 8, p. 174.
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