CGV – CGU

PARTIE I – Une union éclairée…
Titre 2 – … par des contrats adaptés
Sous-titre 2 – Des contrats pour tous les époux

Chapitre II – Anticiper les conséquences financières d’un divorce : la prestation compensatoire

30178 – Le renforcement du rôle du notaire. – Les récentes réformes du droit du divorce ont profondément modifié le rôle du notaire, la volonté du législateur d’en pacifier et d’en accélérer le processus n’étant pas étrangère à ce rôle de premier plan qui lui a été confié.
30179 On pense bien entendu à la réforme de 2016 et à l’introduction dans notre droit du divorce « sans juge »186 qui a permis de déjudiciariser le divorce par consentement mutuel.
Puis est venue la loi no 2019-222 du 23 juin 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a conduit à une réforme du divorce contentieux et de la séparation de corps. Cette loi, complétée par un décret no 2019-1380 du 17 décembre 2019, marque la volonté du législateur de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles par un retrait progressif du rôle du juge au profit de celui accru des notaires.
30180 – Le rôle du notaire dans le divorce. – Le notaire, souvent habitué à intervenir dans le divorce amiable, peut devoir intervenir, depuis la réforme de 2019, quand le divorce est porté sur le terrain contentieux. Sa mission varie alors selon qu’il intervient lors de l’instance en divorce ou lors du partage après le prononcé du divorce, même si l’objectif de sa mission reste le règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux du couple.
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30182 Dans le cadre de sa mission, le notaire constate régulièrement que le règlement financier du divorce peut achopper sur la fixation de la prestation compensatoire.
30183 Créée en 1975, la prestation compensatoire a pour objet, conformément à l’article 270 du Code civil, de « compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » des époux. De précédents congrès se sont penchés sur le régime de cette prestation et sur les difficultés rencontrées lors de l’instance en divorce sur ce point particulier de la fixation de son montant.
Nous renvoyons notamment au rapport du 110e Congrès des notaires de France qui a eu lieu à Marseille en 2014 :
Rapport du 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 15/18 juin 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, 1re commission, nos 1317 et s.
 
À cette occasion, il avait été procédé à un rappel historique de l’institution. Puis les méthodes utilisées par la doctrine et les tribunaux pour déterminer le montant de la prestation avaient été recensées, parmi lesquelles celles de Dominique Martin-Saint-Léon, Axel Depondt et Stéphane David, et celle dénommée « PilotePC ».
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30185 – Inégalités et imprévisibilité. – Des exemples chiffrés les ont illustrées203. De fait, ont ainsi pu être constatés « des inégalités devant la justice et un manque de prévisibilité. À situation économique égale on serait en droit d’attendre la même décision quel que soit le tribunal. Malheureusement il n’en est rien. (…) En comparant les résultats des méthodes proposées par la doctrine, on comprend l’origine de la disparité des décisions judiciaires. (…) À cette inégalité, s’ajoute l’imprévisibilité. (…) [La prestation compensatoire] finit par nuire à l’institution même du mariage au profit d’autres formes de conjugalité dans lesquelles il n’existe pas de prestation compensatoire. La rigidité de la prestation compensatoire tue la prestation compensatoire. Pour éviter les aléas judiciaires d’une fixation de cette prestation compensatoire, et aussi renforcer la prévisibilité patrimoniale, l’anticiper, il est nécessaire de contractualiser la prestation compensatoire. Laissons les époux libres de prévoir la prestation compensatoire à une période où n’existe encore aucun litige (…) ». À partir de ces constats, le 110e Congrès des notaires de France a proposé « que les époux aient la possibilité de déterminer une formule de calcul de la prestation compensatoire dans leur contrat de mariage, ou dans un acte notarié dressé en cours d’union ; et que le juge puisse réviser la prestation compensatoire ainsi déterminée si elle ne correspond plus aux hypothèses fixées dans le contrat ». Cette proposition a été rejetée204.
30186 Les constats relevés en 2014 sont aujourd’hui les mêmes : inégalités et imprévisibilité empêchent les ex-époux d’aborder sereinement l’instance en divorce en ce qu’elle concerne le sujet épineux du calcul de la prestation compensatoire. Même si les époux peuvent s’entendre sur la prestation compensatoire dans le divorce par consentement mutuel ou, pour les autres divorces pendant l’instance, ils ont souvent le sentiment d’être à la merci de décisions judiciaires disparates en la matière. Par ailleurs, pourquoi certains époux pourraient, compte tenu d’un élément d’extranéité constaté, choisir comme loi applicable celle d’une législation qui ne connaît pas la prestation compensatoire ?
La prestation compensatoire est aussi une source importante d’imprévisibilité pour les conjoints qui pourront voir leurs projets, notamment professionnels, anéantis en cas de divorce.
30187 Devant ces difficultés, le notaire constate hélas que nombre de liquidations de régime matrimonial ont peine à être signées, les parties, et parfois leurs avocats, faisant de la fixation de la prestation compensatoire une condition de la liquidation. Or ces questions sont indépendantes : il conviendrait que par voie législative on impose aux époux, avant de pouvoir fixer le montant de la prestation compensatoire, de procéder à la liquidation et au partage de leur régime matrimonial.
Une autre piste, déjà explorée par le 110e Congrès des notaires de France et ci-dessus rappelée, est bien de réfléchir à la contractualisation de la prestation compensatoire.
30188 Aussi, nous nous interrogerons sur la justification de la prestation compensatoire (Section I) avant d’évoquer les aménagements possibles pour sa détermination (Section II).

Section I – La justification de la prestation compensatoire

30189 Lors de la séparation des époux, le règlement des conséquences financières du divorce est fonction de la liquidation du régime matrimonial et de la reconnaissance, ou non, du droit d’un des époux à se prévaloir d’une créance contre son ex-conjoint compte tenu de la rupture du train de vie habituel. Les inégalités de ressources entre époux pendant le mariage sont masquées par la contribution de chacun aux charges du ménage selon les règles du Code civil qui organisent une solidarité suffisamment efficace pour compenser la perte de revenus. Lors du divorce, ces inégalités peuvent fonder une créance de l’époux le moins fortuné.
30190 Un rappel historique (Sous-section I) permettra de mieux comprendre pourquoi en 1975 le législateur a choisi de substituer à la pension alimentaire la prestation compensatoire. Ce rappel fait, il s’agira de s’interroger sur la nature propre de la prestation compensatoire (Sous-section II).
Sous-section I – Historique
30191 Il nous faut ici nous interroger sur ce qui peut justifier le versement d’une somme d’argent à un ex-époux, en dehors de ce qu’il peut recevoir dans la liquidation du régime matrimonial. S’agit-il d’une obligation résultant du mariage afin de ne pas laisser son ex-époux dans le besoin et lui permettre de maintenir son niveau de vie ? S’agit-il d’une obligation fondée sur un préjudice matériel né de l’organisation domestique pendant le mariage ?
30192 – La loi du 11 juillet 1975 crée la prestation compensatoire. – Le Code civil de 1804 est le premier à consacrer le principe d’une pension alimentaire. Ce modèle est repris dans la plupart des pays de tradition latine. La loi no 75-617 du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce en France, substitue à l’obligation alimentaire une prestation compensatoire. Le législateur, par cette réforme, libéralise le divorce en reconnaissant de nouvelles causes de rupture du mariage et rompt avec le règlement jusqu’alors connu des conséquences pécuniaires du divorce par une pension alimentaire. La loi de 1975 octroie à cette prestation un caractère compensatoire, donc détaché de toute faute et de tous besoins, devant permettre « d’épuiser les effets pécuniaires du divorce »205 par un règlement forfaitaire et définitif.
30193 Ce substitut héritait de la pension alimentaire son caractère hybride, à la fois indemnitaire et alimentaire, sur des bases sensiblement renouvelées.
Indemnitaire, la prestation compensatoire l’est à la fois quant à sa finalité puisqu’il s’agit de compenser « autant que faire se peut », la « disparité dans les conditions de vie respectives »206 et quant à son fondement, avec le maintien dans l’article 280-1 du Code civil du principe selon lequel « l’époux aux torts exclusifs de qui le divorce est prononcé n’a droit à aucune prestation compensatoire », sauf, à titre exceptionnel, « si le refus de compensation était manifestement contraire à l’équité ». La dimension indemnitaire se trouve renforcée par le caractère forfaitaire et non révisable de la prestation, même en cas de changement imprévu dans les ressources ou besoins des parties207.
Alimentaire, la prestation compensatoire l’est restée malgré tout, parce que son mécanisme de fixation restait calqué sur celui des pensions : « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre »208. La différence par rapport au régime des aliments résidait dans le mode de calcul des besoins et ressources, qui devenait largement prospectif. Le juge doit tenir compte « de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible », en procédant à un bilan global de la situation des parties, prenant en considération divers critères posés à l’article 272 du Code civil.
Selon le choix des modalités de la prestation, capital ou rente, c’est la dimension indemnitaire ou alimentaire qui l’emporte. La prestation sera alimentaire s’il s’agit d’assurer l’entretien de l’époux se trouvant dans une situation de besoin à laquelle il ne peut seul subvenir. La prestation sera indemnitaire quand il s’agira de tenter d’atténuer les effets de la dissolution du mariage en évitant qu’elle affecte le niveau de vie du moins fortuné.
30194 Le caractère alimentaire a été implicitement posé par la jurisprudence qui applique à la prestation compensatoire les caractéristiques de la pension alimentaire alors même que ces deux notions sont très différentes :

la pension est normalement une rente quand la prestation est versée sous forme de capital ;

la pension est calculée en fonction des ressources et des besoins du créancier et de ce fait est révisable. La prestation est forfaitaire et définitive ;

la pension est fixée en tenant compte de la situation du créancier lors du prononcé du divorce quand l’avenir prévisible des époux a une incidence sur le calcul de la prestation compensatoire ;

la pension alimentaire est d’ordre public et ne peut faire l’objet de renonciation contrairement à la prestation compensatoire, une fois l’instance engagée.

Le caractère alimentaire entraîne209 :

insaisissabilité de la prestation compensatoire ;

interdiction de compensation légale ou judiciaire. Par contre, la pratique utilise la compensation conventionnelle : la prestation compensatoire se compense parfois avec une soulte due, quant à elle, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial ;

impossibilité de transiger ou de renoncer à la prestation compensatoire (sauf une fois l’instance engagée).

30195 Le caractère indemnitaire permet de réparer un préjudice en compensant une disparité. Ainsi, avant 2004, seul l’époux innocent pouvait prétendre à la prestation compensatoire si l’état de besoin existait au jour de la dissolution. La réparation du préjudice entraînait également transmission de la dette.
30196 La modalité du versement en capital, par son caractère instantané, est mieux ajustée à l’idée indemnitaire. La loi de 1975 avait placé en tête cette modalité de paiement de la prestation210 et selon des formes de versement impliquant un apurement rapide des comptes entre les époux211. Les délais de versement étaient brefs. L’article 275-1 du Code civil prévoyait seulement que l’époux débiteur pouvait être autorisé, sous réserve de donner des garanties, à « constituer le capital en trois annuités ».
30197 La rente, modalité subsidiaire212 voulue en 1975, ne peut échapper à la logique alimentaire. Elle est orientée vers les besoins du créancier et se transmet aux héritiers du débiteur. Elle implique des versements périodiques, ce qui la soumet aux aléas classiques des créances d’aliments, indexation, exécution forcée, et surtout demandes de révision.
30198 – Une base légale de détermination du montant de la prestation compensatoire. – Les articles 270 et 271 du Code civil213 offrent au juge divers critères permettant de fixer le montant de la prestation compensatoire. Ces articles justifient par ailleurs le maintien d’une obligation entre époux divorcés.
30199 La lecture des travaux parlementaires relatifs à la loi de 1975 permet de rappeler que le but de la loi était bien de réformer le droit du divorce : la libéralisation du divorce est présentée comme nécessaire pour s’adapter aux mœurs et la prestation compensatoire vient compléter le nouveau dispositif par une notion nouvelle, détachée de la faute et fondée sur la disparité que la rupture entraîne dans les conditions de vie des époux. Supprimer la pension alimentaire revenait à mettre fin au devoir de secours, ce qui alimente les discussions parlementaires qui n’évoquent par ailleurs la prestation que comme devant être versée à l’épouse : c’est la situation matérielle de la femme divorcée, supposée en 1975 économiquement dépendante, qui préoccupe le législateur.
30200 Dans la pratique, la loi de 1975 est appliquée sans tenir compte des précisions du nouveau texte notamment sur la forme que devait prendre la nouvelle prestation qui reste majoritairement versée sous forme de rente parfois viagère. On laissait donc perdurer l’ancienne pension de l’article 301 du Code civil, ceci parce que la prestation compensatoire se heurtait à la réalité économique de la situation des couples qui divorçaient : rares étaient les patrimoines pouvant supporter un tel règlement, même après liquidation du régime matrimonial, et la rente restait la seule solution. Mais le service de ces prestations engendrait le contentieux classique des pensions alimentaires, lié à l’évolution de la situation des débiteurs et des créanciers.
30201 – Réforme de 2000. – Constatant que la rente n’était plus adaptée, le législateur s’est alors attaché, avec la loi du 30 juin 2000214, à faciliter l’attribution d’un capital en complétant les modalités d’octroi de la prestation compensatoire et en allongeant la durée de sa libération. Il a réduit par conséquent le périmètre des rentes. Cependant, en introduisant la durée là où prévalait le court terme, voire l’instantanéité, le législateur ouvrait la voie à de nouveaux incidents de paiement : l’article 275-1 du Code civil autorisait le débiteur à demander « la révision de ces modalités de paiement, en cas de changement notable de sa situation ». Le juge pouvait désormais, à titre exceptionnel, par décision spéciale et motivée, « autoriser le versement du capital sur une durée totale supérieure à huit ans ». C’est sur les rentes que le législateur de 2000 a exercé la pression la plus forte en en limitant les conditions d’octroi et en multipliant les hypothèses de leur remise en cause. La règle est bien le versement en capital, ceci étant principalement motivé par la volonté d’éviter le contentieux post-divorce.
30202 La loi no 2004-439 du 26 mai 2004 vient quant à elle bouleverser le droit du divorce. En détachant le divorce de toute forme de faute, la loi vient aussi bouleverser le régime de la prestation compensatoire : la loi de 2004 s’inscrit dans le courant de contractualisation du droit de la famille et vient affaiblir le caractère d’ordre public de la prestation compensatoire. Les règles légales sont un modèle dont les époux peuvent se détacher, quel que soit le cas de divorce. La loi élargit le domaine d’attribution d’une prestation compensatoire (octroi possible quelle que soit la cause du divorce, remplacement par une prestation compensatoire du devoir de secours en cas de rupture de la vie commune), tout en limitant leur attribution. Ainsi, alors même que le critère d’octroi posé par l’article 270 du Code civil serait satisfait (disparité dans les conditions de vie respectives des époux), le juge peut « au nom de l’équité », refuser d’accorder une telle prestation dans tous les cas de divorce en cas d’absence des critères positifs énumérés par l’article 271 du Code civil pour la fixation d’une prestation. Les critères d’octroi sont à nouveau modifiés, avec un rééquilibrage au profit de la situation passée, l’article 271 du Code civil ayant placé en tête la durée du mariage, et réintégré « les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ». Par ailleurs, en cas de décès du débiteur, la rente ne passe plus à ses héritiers et ne peut être prélevée que dans la limite de l’actif successoral.
30203 – Le divorce sans juge. – Jusqu’alors, était nulle toute convention dans laquelle, avant toute introduction de l’instance en divorce, les époux s’accordaient sur le montant de la prestation compensatoire215.
La loi du 18 novembre 2016216 instaure le divorce sans juge et déjudiciarise la prestation compensatoire. Dans ce cadre, tout tourne autour de la convention de divorce établie par les époux qui règlent eux-mêmes les conséquences de leur divorce en fixant « les modalités du règlement complet des effets du divorce »217. On peut donc convenir d’une prestation compensatoire sans juge, ce qui relance le débat sur la possibilité d’intégrer dans le contrat de mariage ou dans un acte notarié postérieur (comme le proposait le 110e Congrès des notaires de France, V. supra, no a30183) une méthode de calcul de la prestation, voire de prévoir l’absence de prestation, ceci alors que le caractère disponible de la prestation n’est admis qu’une fois l’instance en divorce engagée218 afin de ne pas porter atteinte à la liberté de divorcer.
Sous-section II – La nature de la prestation compensatoire
30204 Au cours des années suivant l’entrée en vigueur de la loi de 1975, la question de la nature de la prestation est régulièrement posée et systématiquement c’est le caractère indemnitaire de la prestation qui sera mis en avant. Il ne s’agit pas de pourvoir aux besoins de l’épouse divorcée, mais de verser une somme visant à l’indemniser compte tenu de la disparité des ressources. Une réponse de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, lors de l’examen d’une proposition de loi de 1984, précise que la prestation vise à réparer « le préjudice que le divorce cause à un conjoint au moment où se produit la dissolution du mariage »219.
30205 Le débat parlementaire préalable à l’adoption de la loi du 30 juin 2000 portant réforme de la prestation compensatoire relance l’ambiguïté sur les objectifs poursuivis par la loi de 1975 quand elle a instauré la prestation. D’un côté, il est avancé qu’il faut, avec la prestation, régler en une seule fois les conséquences pécuniaires du divorce pour éviter de retarder la sortie effective du mariage. Les parlementaires souhaitent veiller à ce que l’abaissement des revenus ne présente pas de conséquences trop brutales pour l’un des conjoints. D’un autre côté, le mariage reste considéré comme créateur d’obligations devant assurer au minimum un devoir d’assistance. Il engage la responsabilité des époux et justifie de compenser le préjudice causé par la rupture.
30206 C’est ainsi que certaines réformes de la prestation compensatoire ont renforcé le caractère indemnitaire de celle-ci (perte éventuelle de droits en matière de pension de réversion en 2000, conséquences des choix professionnels en 2004…), quand d’autres réformes (recours à la durée du mariage avec la réforme de 2000, renforcement de la possibilité de révision à la baisse de la prestation en 2000 et 2004) se fondaient sur les capacités contributives du débiteur, renforçant ainsi le caractère alimentaire de la prestation.
30207 La doctrine, depuis 1975, ne semble pas avoir livré de propositions théoriques sur les fondements de la prestation compensatoire. C’est essentiellement sur les modalités de mise en œuvre de la nouvelle notion de prestation que la doctrine a travaillé, sans discuter des logiques alimentaires, compensatoires, redistributives ou indemnitaires de la prestation. La justification de la compensation serait donc simplement abordée sur le mode de son efficacité juridique sans qu’il soit besoin d’engager une analyse de l’évolution des familles, voire de la place de la femme dans le couple.
30208 Partant de ces discussions entre la prestation analysée comme une obligation née du mariage et la prestation mise à la charge de l’époux qui doit assumer les conséquences des choix posés pendant le mariage, il convient de s’interroger sur les possibilités pour les époux de peser sur le calcul de la prestation compensatoire.

Section II – L’aménagement de la prestation compensatoire

30209 On s’est longtemps interrogé pour savoir si les dispositions relatives à la prestation compensatoire étaient d’ordre public. Avant 1975, la Cour de cassation avait précisé que les créanciers d’aliments ne peuvent transiger ou renoncer à leurs droits220. La prestation compensatoire, sauf cas du divorce sans juge, est forcément judiciaire comme mesure accessoire du prononcé du divorce.
30210 Dans la continuité du vaste mouvement de contractualisation du droit du divorce engagé il y a une cinquantaine d’années, et renforcé par la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, il convient de s’interroger sur l’opportunité de planifier les conséquences pécuniaires de son divorce avant même de se marier, ou en cours de mariage, ce qui nous conduit à nous intéresser au contrat nuptial (Sous-section I) et à la prestation compensatoire soumise à l’arbitrage (Sous-section II).
Sous-section I – Le contrat nuptial
30211 Le contrat nuptial reste une notion étrangère à notre pratique, empruntée à la Common Law, sous la forme de prenups agreements. Il peut être défini comme un contrat, le plus souvent établi préalablement au mariage, et par lequel les futurs époux définissent les règles qui régiront leurs rapports patrimoniaux tant pendant l’union que lors de sa dissolution, et qui détermineront le sort des compensations financières et alimentaires en cas de divorce.
30212 – L’exemple anglais. – Le droit anglais ne connaît pas la notion de régime matrimonial et le mariage n’a pas d’incidence sur les relations patrimoniales entre les époux. Par contre, en cas de divorce, le juge anglais peut décider qu’il faut rétablir un équilibre financier entre les époux et a la possibilité de procéder à une equitable distribution. Dans ce cadre, il peut décider d’attribuer à l’un des époux certains droits sur les actifs du couple, quelle que soit l’origine de ces biens. Afin de ne pas subir cet aléa, la pratique a développé les prenups pour prévoir, de façon anticipée, les conséquences patrimoniales de la séparation. Dans leur prenup, les époux peuvent fixer le sort de certains biens, décider par avance de l’attribution d’une somme déterminée à l’un des époux et fixer les modalités de calcul de cette somme.
La mise en œuvre du prenup nécessite que les époux soient chacun assisté de son conseil, qu’ils fournissent un inventaire patrimonial exhaustif pour que le contrat soit négocié de manière éclairée et équitable. Il est négocié avant le mariage, et un délai de réflexion entre sa conclusion et le mariage est nécessaire.
30213 Globalement, le système français est favorable à l’aménagement des rapports patrimoniaux entre époux, et l’on peut envisager de nombreux aménagements, dont certains destinés à produire effet en cas de divorce (clause de partage inégal de communauté, création d’une société d’acquêts, clause de reprise des apports en cas de divorce…). Néanmoins il n’est pas possible, en dehors de toute instance, de prévoir des compensations financières et alimentaires en cas de divorce, contrairement aux pays de Common Law où, en l’absence de régime matrimonial à liquider, le seul outil de répartition et de distribution est la convention qui a été prévue par les parties avant le mariage.
30214 – Les contrats nuptiaux en Europe. – La pratique des contrats nuptiaux est relativement répandue en Europe, de longue date en Allemagne et en Suisse, et de manière plus récente en Espagne, aux Pays-Bas et en Autriche, même s’il existe de fortes disparités entre ces pays quant à leurs contrats nuptiaux. Le droit allemand établit par exemple une claire distinction entre les clauses du contrat de mariage, dont l’objet est d’organiser la propriété, l’administration et la répartition des biens des époux pendant l’union et à sa dissolution, d’une part, et la clause facultative fixant le montant de la pension alimentaire qu’un époux versera à l’autre en cas de divorce, laquelle ne relèvera pas du régime matrimonial, d’autre part.
30215 En droit interne anglais, les époux peuvent acquérir des biens en indivision, mais leurs quotes-parts indivises demeurent des biens propres. Il n’y a donc ni communauté ni séparation de biens. Le pouvoir des magistrats est colossal concernant la réallocation des biens des époux lors de leur séparation. En se fondant sur le Matrimonial Causes Act de 1973, les tribunaux étaient amenés à prononcer des ordonnances financières, en application d’une liste de critères destinés à satisfaire les besoins de chaque époux. Une fois ces besoins satisfaits, aucun ajustement supplémentaire ne pouvait être opéré.
L’arrêt White de la Chambre des Lords, rendu en 2000, a radicalement changé la donne et la jurisprudence a amorcé un virage vers un principe de redistribution équitable (sharing principle) : la satisfaction des besoins des époux conserve la priorité et domine le règlement des conséquences financières du divorce d’époux peu fortunés. L’idée d’une redistribution égalitaire des biens excédant ces besoins est apparue dans les autres cas.
En réaction à cette jurisprudence, ont proliféré des instruments destinés à éviter les effets dévastateurs de ce nouveau courant prétorien. Le concept de « biens non matrimoniaux » est apparu pour désigner ceux des biens que les époux convenaient d’écarter du partage égalitaire, puisque reçus par donation ou succession, ou fruits de l’activité professionnelle de l’un des époux. Pour autant, la validité des nuptial agreements n’a été admise qu’en 2010, sans leur reconnaître de force obligatoire : le juge doit reconnaître à l’accord nuptial un poids approprié eu égard aux circonstances qui ont présidé à sa conclusion, sauf à ce que le résultat en soit injuste ou inéquitable, et sous la réserve d’un consentement éclairé. Un rapport de la Law Commission a, le 27 février 2014, mis en place des qualifying nuptial agreements qui permettent aux époux, par un écrit, de régler leurs relations pécuniaires sans intervention du juge (sauf pour faire respecter les « besoins » de l’époux vulnérable, et dans l’intérêt des enfants)221.
30216 La question de l’accueil de ces contrats nuptiaux dans l’ordre juridique français s’articule avec le mouvement de contractualisation évoqué plus haut et avec le recul des limites de l’ordre public conjugal. Pourvu qu’ils évoluent dans un contexte international, les époux peuvent désormais choisir la loi applicable à leur désunion et définir à tout moment la loi destinée à régir leurs obligations alimentaires. Ce choix favorise les accords préalables à tout contentieux et garantit une certaine stabilité de loi applicable qui ne sera pas remise en cause par les changements de situations intervenant dans la vie personnelle des parties. Si l’éventail du choix de loi est vaste, des restrictions sont posées quant aux effets dudit choix : il revient à la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments, au moment de la désignation, de déterminer s’il peut renoncer à son droit à des aliments. Ainsi, en l’état actuel de notre droit, si la résidence est en France, une renonciation anticipée serait condamnée. En outre, si le juge estime que la loi choisie par les époux « entraîne des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l’une ou l’autre des parties », la loi sera écartée au profit de celle désignée par les critères de rattachement objectifs222.
30217 Prenuptial agreements et droit français. – Ainsi donc le notaire français peut-il, à l’occasion de la liquidation d’un régime matrimonial, devoir prendre en compte un prenup, préalablement rédigé et signé par les époux pour établir la répartition des biens et les compensations financières entre époux. Le même notaire peut aussi être consulté pour rédiger un tel contrat au profit d’un couple ayant un élément d’extranéité. Il doit alors se poser différentes questions : cet acte est-il valable ? Que faut-il vérifier pour s’assurer de son efficacité ? S’agissant d’un contrat qui évolue le plus souvent dans un contexte international, quelle sera la loi applicable à ce contrat ? L’acte authentique est-il requis ? L’acte sera-t-il reconnu aussi bien devant des tribunaux français qu’étrangers223 ?
30218 La première question qui se pose est celle de la validité de ces prenuptial agreements dans l’ordre juridique français224. La jurisprudence française a établi une distinction selon que le prenup est soumis à la loi française ou à une loi étrangère. Dans le premier cas, la jurisprudence française est, comme indiqué ci-dessus, parfaitement claire : aucune convention de cette nature ne peut être conclue avant l’ouverture de la procédure de divorce puisque l’ordre public interne français affirme que la prestation compensatoire de droit français n’est pas disponible. Dans le second cas, la jurisprudence, en application de l’effet atténué de l’ordre public international, valide les prenups établis à l’étranger conformément à une loi étrangère qui les autorise : ainsi a-t-elle reconnu la validité de prenups conclus sous l’empire du droit anglais ou allemand. Par ailleurs si, en France, il est contraire à l’ordre public d’inclure dans son contrat de mariage des éléments relatifs au calcul de la prestation compensatoire, qui correspondraient à anticiper le montant de la prestation compensatoire, la question de la conformité à l’ordre public international est différente, celle-ci étant régie par le règlement du Conseil du 18 décembre 2008225.
La seconde difficulté est que l’application des règles de droit international privé peut conduire les parties à se retrouver avec autant de juges compétents et de lois applicables que de questions juridiques soulevées. Ainsi plusieurs règlements seront applicables pour le prononcé du divorce afin de déterminer la juridiction compétente (Règl. « Bruxelles II bis » no 2201/2003, 27 nov. 2003) et pour connaître la loi applicable (Règl. « Rome III » no 1259/2010, 20 déc. 2010). Dans un second temps, pour régler les conséquences alimentaires du divorce, il faudra s’en remettre au règlement no 4/2009 du 18 décembre 2008 pour déterminer la juridiction compétente, et au Protocole de La Haye de 2007 pour déterminer la loi applicable. Enfin, pour liquider le régime matrimonial, il faudra s’en remettre soit à la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, soit au règlement de l’Union européenne sur ce point226.
30219 Prenuptial agreement et DIP. – Une fois ces points éclairés, reste que le prenuptial agreement a autant pour objet de répartir les biens entre époux en cas de rupture que d’envisager des compensations financières fondées sur la disparité de revenus des époux. Or le droit international privé soumet ces deux catégories juridiques distinctes que sont le régime matrimonial et l’obligation alimentaire à des lois différentes. Il faut donc s’interroger sur ce qui, dans les règlements pécuniaires entre époux, relève d’une question tantôt de régimes matrimoniaux, tantôt d’obligations alimentaires entre époux. La Cour de justice de l’Union européenne a posé les principes suivants dans une décision Van den Boogaard227 : si la somme d’argent tend à assurer l’entretien d’un des époux dans le besoin ou si les ressources et besoins de chacun sont pris en considération, la décision prise par le juge a un caractère alimentaire. Si la prestation vise uniquement à la répartition des biens entre époux, la décision concerne les régimes matrimoniaux. Lorsque la décision combine les deux fonctions, il appartient au juge de distinguer les aspects alimentaires et patrimoniaux.
30220 Il est donc possible de « jouer » avec les différents règlements européens et de jongler avec leur applicabilité dans les différents pays de l’Union européenne en procédant à la désignation des lois applicables et, quand cela est possible, à la désignation du juge compétent pour aménager le règlement pécuniaire du divorce. La liberté croissante accordée aux époux à l’échelle internationale et européenne ne pourrait-elle pas finir par vaincre les résistances en droit interne et avoir pour conséquence de permettre en France d’anticiper les conséquences pécuniaires du divorce en ce qu’elles touchent au règlement pécuniaire de celui-ci et notamment à la prestation compensatoire ? Lors de la réforme du divorce de 2004, dans son rapport pour la commission des lois Patrice Gélard estimait qu’il s’agissait « d’une suggestion, quoiqu’intéressante » mais « qui ne paraît pas adaptée à l’état actuel de la société ». La transposition en droit français des prenuptial agreements permettrait pourtant d’anticiper la fixation de la prestation compensatoire qui reste une source d’insécurité juridique. La signature d’un contrat par les époux leur éviterait de devoir négocier les conséquences financières du divorce dans un climat de tension. Ce serait également une possibilité de protéger les biens des époux en anticipant leur répartition en cas de séparation du couple, les époux ayant convenu ensemble, selon leurs attentes respectives, des règles futures qui devront en cas de divorce régir leurs relations patrimoniales.
Sous-section II – La prestation compensatoire soumise à l’arbitrage
30221 À côté des modes alternatifs de règlement des différends, on trouve l’arbitrage qui pourrait être qualifié de « mode mixte de règlement des conflits ».
30222
30223 – Définition. – Les parties, par l’intermédiaire d’un juge qu’elles se choisissent, acceptent que ce dernier les départage. La sentence prononcée a autorité de la chose jugée et force exécutoire après exequatur. La décision prononcée s’impose aux parties si elles ne sont pas parvenues à se concilier. C’est une procédure contentieuse même si le juge reste une personne privée, un professionnel choisi par les parties compte tenu de la spécificité du litige qui les oppose et qui va statuer en droit et en équité. Sa sentence est sans appel.
30224 Il est intéressant de constater que, dans la pratique, les juges encouragent la médiation familiale et la conciliation judiciaire, qui seraient un moyen efficace de « désengorger » les tribunaux. Les affaires familiales représentent en effet un pourcentage important des dossiers portés devant la justice.
En ce qui concerne l’arbitrage, il est surtout utilisé en droit des affaires et en droit international. On y a recours dans très peu de cas en droit de la famille.
30225 D’origine conventionnelle, l’arbitrage est un mode alternatif de recours au juge permettant de confier à un tiers le pouvoir de trancher un litige. Pour pouvoir recourir à l’arbitrage, les parties doivent conclure une convention d’arbitrage qui prend la forme d’une clause compromissoire. Cela n’est envisageable qu’autant que le litige n’est pas encore né. Une fois le litige survenu, c’est vers le compromis d’arbitrage que les parties doivent s’orienter.
Les parties choisissent un tribunal arbitral à qui elles confèrent pouvoir de les départager par le prononcé d’une sentence. Cette décision a autorité de la chose jugée et force exécutoire.
30226 – Historique. – L’arbitrage régnait en maître dans le droit de la famille avant la Révolution française puis dans le droit intermédiaire. En 1806, le Code de procédure civile229 le réserve aux professionnels, contraignant les familles à recourir aux juges.
La loi du 15 mai 2001 réforme les règles relatives à l’arbitrage, le législateur limitant ses effets aux litiges commerciaux. On ne souhaite pas alors permettre la clause compromissoire s’il y a un risque d’existence d’un rapport de force entre les parties. En 2016230, la clause compromissoire est ouverte aux intérêts civils alors qu’elle n’était valable que dans les contrats conclus en raison d’une activité professionnelle.
30227 Cependant beaucoup restent méfiants sur le développement de ce mode de résolution des différends en droit de la famille.
Pourtant, pourquoi les relations familiales tendues prennent-elles une voie judiciaire ? Justement parce qu’elles ne peuvent être souvent apaisées autrement que par le recours au droit et donc au juge. Or les tribunaux sont engorgés et il est impossible de maîtriser la durée et le coût d’une instance. Le recours à des experts, en cours d’instance, dans des matières où le juge n’est pas spécialiste permettrait aux justiciables d’aborder sereinement le procès qui reste souvent psychologiquement passionné dans ces matières sensibles de divorce ou d’indivisions conflictuelles.
Par ailleurs le législateur, conscient des inconvénients d’une justice trop lente, ne cesse de décharger les juges de certains contentieux pour ne les solliciter qu’en dernier recours. Les réformes récentes sur le changement de régime matrimonial ou le divorce sans juge démontrent bien ce mouvement de déjudiciarisation du droit de la famille.
Il est donc nécessaire de s’interroger sur la place que l’arbitrage peut avoir en droit de la famille (§ I) et sur son appréhension par la pratique notariale (§ II).

§ I – Droit positif et place de l’arbitrage en droit de la famille

30228 – Domaine. – L’arbitrage en droit patrimonial de la famille n’est possible que dans le strict respect des articles 2059 et 2060 du Code civil : les parties doivent avoir la libre disposition de leurs droits et ne peuvent compromettre sur des matières intéressant l’ordre public.
30229 Or il n’existe pas de définition précise des notions de droit disponible et d’ordre public. La jurisprudence a donc utilement précisé ces notions.
30230 La jurisprudence a atténué le recours à la notion d’ordre public comme critère de distinction entre ce qui serait arbitrable et ce qui ne le serait pas. Elle reconnaît le droit de soumettre à l’arbitrage une matière relevant de l’ordre public si l’arbitre applique les règles d’ordre public et n’y porte pas atteinte. Il s’agit des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la nation, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique et aux droits et libertés essentiels de chaque individu.
30231 – Droit disponible. – Il faut donc préciser la notion de droit disponible qui serait celui qui par nature est dans le commerce, sauf disposition contraire de la loi. On pense alors au droit de propriété, droit de créance, usufruit, servitudes conventionnelles, droits successifs et droits indivis. Restent par contre indisponibles tous les droits incorporels attachés à la personne et donc inaliénables : la capacité, le nom, la filiation, le prononcé du divorce, la liberté de tester…
30232 La Cour de cassation a ainsi pu déclarer arbitrables des litiges portant sur la liquidation des régimes matrimoniaux ou des successions231. La cour a aussi affirmé que la prestation compensatoire était un droit disponible232, ce qui laisserait, à un arbitre désigné par les époux, la possibilité de fixer le montant de ladite prestation.
30233 L’arbitrage en droit de la famille est une réponse aux demandes d’efficacité de nos clients dans cette matière, certes sensible, mais où ne peuvent être ignorés les soucis de rapidité, de coût et de confidentialité auxquels nos concitoyens sont attentifs dans leur quête d’apaisement psychologique. Les délais de traitement des dossiers dans des tribunaux encombrés comme le manque de moyens de la Justice, la nécessité de s’en remettre à des spécialistes dans des matières complexes de droit des successions ou de régimes matrimoniaux sont autant d’arguments qui doivent nous interroger et nous conduire à participer au développement de l’arbitrage dans les domaines d’intervention privilégiés des notaires. L’arbitrage n’est plus cantonné au monde des affaires et de l’entreprise.
30234 L’autonomie croissante laissée aux individus, la contractualisation et la déjudiciarisation des affaires familiales ainsi que la promotion faites aux Mard militent pour une utilisation plus large de l’arbitrage en droit de la famille et nous amènent donc à nous questionner sur sa mise en œuvre.

§ II – La mise en œuvre de l’arbitrage

30235 Le rôle du notaire, comme conseil et comme arbitre, prend une dimension essentielle. En raison de son statut et de ses règles déontologiques, de sa formation et de son expérience, il est tout indiqué pour participer à la mise en œuvre de l’arbitrage, que ce soit en cours d’instance ou en dehors de toute instance judiciaire.
A/ L’arbitrage en cours d’instance
30236 – Volonté des époux. – L’article 1466 du Code de procédure civile prévoit que les parties ont la possibilité de compromettre même en cours d’instance. Rien n’empêche donc les époux de conclure un compromis pendant l’instance en divorce tant que le juge n’a pas rendu une décision devenue définitive.
30237 Reste que l’articulation entre la procédure arbitrale et la procédure devant le tribunal peut être complexe quand le litige soumis à l’arbitrage ne porte que sur certains aspects de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux. Le notaire aura donc un rôle de conseil important dans la rédaction du compromis d’arbitrage, et il devra veiller avec les parties à parfaitement définir l’objet du litige à arbitrer : les points soumisau tribunal arbitral ne seront pas portés devant le juge étatique puisque seul l’arbitre aura compétence pour les trancher.
30238 Ainsi, pour la liquidation du régime matrimonial, la convention d’arbitrage ne peut être conclue qu’après l’assignation ou la requête conjointe en divorce.
L’arbitrage est d’autant plus justifié dans cette situation si les époux n’ont pas, par déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire ou par dépôt d’un projet liquidatif notarié, demandé au juge du divorce de statuer sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux.
Le compromis doit alors déterminer l’objet du litige. Il doit également prévoir que la sentence liquidative du régime matrimonial ne produira ses effets qu’au jour où le prononcé du divorce aura acquis force de chose jugée.
Après divorce, le compromis peut également être signé pendant la procédure de partage judiciaire du régime.
30239 Si la procédure d’arbitrage ne porte que sur la prestation compensatoire, la convention d’arbitrage ne peut être conclue tant qu’aucune instance en divorce n’est engagée.
Les époux peuvent signer cette convention après l’assignation ou la requête conjointe en divorce et avant le jugement de divorce. L’arbitrage peut aussi intervenir si le jugement de première instance a été porté en appel.
Tant que la sentence n’est pas prononcée, il faut être prudent sur les effets de l’arbitrage en cour : pendant la première instance ou pendant la procédure d’appel, lorsque l’appel porte aussi sur la cause de divorce, le compromis doit prévoir que les parties demandent un sursis à statuer. Dès que la sentence est rendue sur la prestation compensatoire, elle a l’autorité de la chose jugée et l’instance peut se poursuivre sur les autres demandes.
Il sera aussi recommandé de prévoir que la prestation compensatoire arbitralement fixée ne sera due qu’au jour où le prononcé du divorce aura acquis force de chose jugée.
B/ L’arbitrage hors de toute instance
30240 – La clause compromissoire. – On peut aussi imaginer qu’en dehors de toute instance, les époux aient envisagé le recours à l’arbitrage pour liquider leur régime matrimonial, organiser une indivision dans laquelle ils souhaitent maintenir certains biens, déterminer le montant des créances entre époux… On peut ainsi penser à insérer une clause compromissoire dans un contrat de mariage233 : les parties s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître à l’occasion de la liquidation de leur régime matrimonial. Cela nécessite que le client ait reçu un conseil éclairé sur les conséquences de l’insertion dans son contrat de mariage d’une telle clause. Il serait bon de s’inspirer des précautions qui sont prises lors de la rédaction d’un prenup, et que le notaire rédige des clauses adaptées à la situation des époux en précisant les motifs qui ont conduit les parties à insérer ces clauses au contrat de mariage. Il sera prudent de rédiger une consultation avant d’adresser un projet de contrat et sans doute, comme cela est pratiqué dans les pays anglo-saxons, de constater dans l’acte l’envoi du projet et le délai de « réflexion » qui a été laissé aux époux avant de signer le contrat.
30241 Les parties pourront, si le litige est porté devant l’arbitre choisi, lui demander de statuer en équité, permettant de respecter la commune intention des parties largement exprimée dans la clause insérée à leur contrat de mariage.
30242 Le Code civil doit, pour permettre la mise en œuvre de cette solution, prendre en compte de manière plus explicite la notion de ce qui est arbitrable ou non. Particulièrement en ce qui concerne le règlement pécuniaire des effets du divorce, il doit définir les droits des époux qui seraient indisponibles et ceux qui seraient disponibles et donc arbitrables, notamment ceux afférents à la liquidation technique des droits patrimoniaux.
30243 L’intérêt principal de l’arbitrage en matière familiale, qui pourrait être assuré par le notaire, consisterait pour le citoyen en la simplification du règlement de la liquidation et du partage, qui aurait lieu avec un seul interlocuteur, choisi par les parties, formé aux règles de liquidation et de partage du régime matrimonial, présent sur la totalité du territoire et capable, de par ses fonctions, sa technicité et son expérience, de trancher en équité.

186) L. no 2016-1547, 18 nov. 2016.
187) C. civ., art. 262-1.
188) CPC, art. 233.
189) CPC, art. 237.
190) C. civ., art. 255, 9o et CPC, art. 238.
191) CPC, art. 246.
192) CPC, art. 1368.
193) CPC, art. 1115.
194) Cass. 1re civ., 8 avr. 2009, no 07-15.945 et Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, no 16-23.531.
195) L. no 2004-439, 26 mai 2004.
196) Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, no 11-20.195.
197) C. civ., art. 267 : « À défaut d’un règlement conventionnel par les époux, le juge statue sur leurs demandes de maintien dans l’indivision, d’attribution préférentielle et d’avance sur part de communauté ou de biens indivis.

Il statue sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux, dans les conditions fixées aux articles 1361 à 1378 du Code de procédure civile, s’il est justifié par tous moyens des désaccords subsistants entre les parties, notamment en produisant :

1. une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre les époux ;

2. le projet établi par le notaire désigné sur le fondement du 10o de l’article 255.

ll peut, même d’office, statuer sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux ».
198) V. AJF 2011, p. 482.
199) V. AJF 2005, p. 95 et AJF 2010, p. 360.
200) V. AJF 2013, p. 41.
201) V. AJF 2014, p. 525.
202) AJF 2014, p. 541 ; AJF 2015, p. 479.
203) Rapport du 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 15-18 juin 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, no 1333.
204) Rapport du 110e Congrès des notaires de France, op. cit., Commission 1, « Le partage des richesses professionnelles du couple », Proposition no 5, Me C. Dessertenne-Brossard.
205) J. Carbonnier, La question du divorce : D. 1975, chron. p. 118.
206) C. civ., art. 270 ancien.
207) C. civ., art. 273.
208) C. civ., art. 271.
209) H. Bosse-Platière, Droit de la prestation compensatoire, Dalloz-Action Droit de la famille, nos 135-51 et s.
210) C. civ., art. 274 ancien.
211) C. civ., art. 275 ancien.
212) C. civ., art. 276.
213) C. civ., art. 270 : « Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture ».
C. civ., art. 271 : « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
À cet effet, le juge prend en considération notamment :

1. la durée du mariage ;

2. l’âge et l’état de santé des époux ;

3. leur qualification et leur situation professionnelles ;

4. les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

5. le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;

6. leurs droits existants et prévisibles ;

7. leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa ».

214) L. no 2000-596, 30 juin 2000, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.
215) Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, no 16-23.531.
216) L. no 2016-1547, 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
217) C. civ., art. 229-3.
218) Cass. 2e civ., 21 mars 1988, no 86-16.598. – Cass. 1re civ., 14 déc. 2004, no 02-20.334.
219) S. Bouabdallah et I. Sayn, Les justifications de la prestation compensatoire dans le discours juridique français : Rev. canadienne droit et société 2016, no 2, p. 161-181.
220) Cass. civ., 28 févr. 1949 : D. 1949, 301.
221) C. Chalas, Contrats de mariage et nuptial agreements : vers une acculturation réciproque ? Regards croisés entre la France et l’Angleterre (Étude de droit comparé de droit international privé et de droit interne) : JDI juill. 2016, no 3, doctr 7.
222) Règl. (CE) no 4/2009 ; Cons. UE, règl. (UE) no 1259/2010, 20 déc. 2010 sur la loi applicable au divorce.
223) A. Isambert et M. Héricher, L’efficacité des mesures patrimoniales prises à l’étranger – La réception en France des dispositifs patrimoniaux étrangers : Act. prat. strat. patrimoniale juill. 2021, no 3, dossier 16.
224) L. Perreau-Saussine, Les prenuptial agreement et les contrats de mariage : perspective franco-anglaise : Dr. famille 1er juin 2015.
225) Comm. CE, règl. (CE) no 4/2009, 18 déc. 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et la coopération en matière d’obligations alimentaires..
226) Règl. (UE) no 2016/1103, 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux.
227) CJCE, 27 févr. 1997, aff. C-220/95, Van den Boogaard.
228) CPC, art. 21, 127, 831 et 1530 et s.
229) CPC, art. 1003 et 1004.
230) L. no 2016-1547, 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
231) Cass. 2e civ., 25 janv. 1963. – Cass. 1re civ., 8 févr. 2000 : JurisData no 2000-000512.
232) Cass. 1re civ., 11 mars 2009 : JurisData no 2009-047362.
233) Modèles de clauses : V. N. Couzigou-Suhas et G. Barbe, La clause compromissoire dans le contrat de mariage : Sol. Not. 21 oct. 2021, no 34.
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