30065 – Absence de vocation successorale légale des partenaires. – Comme le concubin, le partenaire survivant n’est pas héritier légal de son partenaire.
Régulièrement des groupes de travail s’interrogent sur l’opportunité de prévoir une vocation légale pour le partenaire. Des députés ont déposé, en septembre 2021, une proposition de loi visant à faire évoluer les droits ouverts par le Pacs afin d’optimiser la protection du partenaire survivant au regard des évolutions de la société. Il s’agit principalement d’ouvrir aux couples pacsés le droit d’hériter des biens de leur partenaire et de bénéficier du droit à une pension de réversion. Ces articles ont pour objectif de réduire les inégalités entre le Pacs et le mariage, mais aussi de protéger les citoyens pacsés contre les incertitudes financières liées au décès de leur partenaire. L’article 1er de la proposition de loi vise à ouvrir le droit d’héritage aux couples pacsés. Les articles 2 et 3 proposent d’ouvrir le droit à la pension de réversion aux couples pacsés.
Pour la consultation du texte intégral de cette proposition de loi :
Alors que tous les couples peuvent désormais donner à leur union un cadre juridique plus complet en se mariant, il n’est pas opportun de faire tendre le Pacs vers le mariage en offrant un statut d’héritier au co-pacsé survivant. Préserver le pluralisme des modes de conjugalité est une priorité à respecter afin de continuer à répondre aux aspirations de l’ensemble des concitoyens.
En ce sens, « le groupe de travail [sur la réserve héréditaire, sous la direction de C. Pérès et P. Potentier] considère, avec Gérard Champenois, que c’est là « la bonne voie » et propose donc de ne reconnaître au partenaire survivant ni la qualité d’héritier légal, ni a fortiori celle d’héritier réservataire »63.
Il appartient donc aux partenaires, s’ils le souhaitent, de se gratifier, réciproquement ou pas, par une disposition testamentaire. À cet égard, nombreux sont les concitoyens qui :
soit n’ont pas connaissance de cet élément juridique et ne font pas de testament (avec les conséquences qui s’en suivent d’une absence de protection du partenaire survivant) ;
soit rédigent un testament « sur un coin de table » sans connaître les conséquences du legs prévu, qu’il s’agisse d’un legs en propriété ou d’un legs en usufruit.
Or, ces legs au profit du partenaire présentent des conséquences non négligeables, qu’il convient de rappeler.
30066 – Legs au partenaire et ingénierie notariale. En l’absence de descendants. – En l’absence de descendants, cette vocation successorale testamentaire, qu’elle porte sur un ou plusieurs biens en pleine propriété ou usufruit, convient très bien.
Le seul risque qui peut être opposé aux partenaires, lequel vaudrait également pour les legs en présence de descendants, est celui de l’absence de révocation automatique des libéralités en cas de séparation des partenaires.
Nous renvoyons à ce sujet au rapport du 113e Congrès des notaires de France :
Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 17/20 septembre 2017, Le Notaire au cœur des mutations de la société, 2e commission, Focus après le no 1476, p. 175.
30067 – Legs au partenaire et ingénierie notariale. En présence de descendants. – En présence de descendants, de tels legs en pleine propriété ou en usufruit (portant sur la résidence principale par exemple ou sur une universalité de biens) au profit du partenaire survivant seront exposés à un risque élevé de réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.
Cette réduction différera selon que le legs au profit du partenaire porte sur un ou plusieurs biens, en pleine propriété ou en usufruit.
Les risques des legs consentis au partenaire en présence d’héritiers réservataires
30068 – La réduction en valeur du legs en pleine propriété au partenaire. – En présence de descendants, le risque du legs en pleine propriété est évident : il peut excéder la quotité disponible, de sorte que le partenaire survivant se retrouve avec une indemnité de réduction en valeur à régler aux héritiers réservataires.
Depuis la loi du 23 juin 2006, le principe de la réduction en valeur a été généralisé. L’article 924, alinéa 1er du Code civil dispose que : « Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent ». Certes, le legs universel assurera au partenaire survivant la maîtrise totale du patrimoine, et c’est bien souvent la volonté des parties. Néanmoins, il le laissera dans une future insécurité financière avec, en fonction de la composition du patrimoine, la nécessité de recourir à l’arbitrage des biens reçus pour régler cette indemnité de réduction aux héritiers réservataires. Les concitoyens n’ont pas forcément connaissance des conséquences de l’existence de la réserve héréditaire et peuvent être surpris, au décès de leur partenaire, de constater que la volonté de celui-ci ne peut être respectée.
Deux solutions s’offrent alors au partenaire survivant.
Dans un premier temps, il peut recourir à la procédure de l’article 924-1 du Code civil, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle un héritier réservataire l’a mis en demeure de prendre parti. « Le gratifié peut exécuter la réduction en nature, par dérogation à l’article 924 du Code civil, lorsque le bien donné ou légué lui appartient encore et qu’il est libre de toute charge dont il n’aurait pas déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il n’aurait pas déjà fait l’objet à cette même date. »
Dans un second temps, il peut se tourner vers la faculté de cantonnement (V. infra, nos
30069 – L’imputation en assiette du legs en usufruit au partenaire. – En présence de descendants, les legs en usufruit (portant sur la résidence principale ou sur une universalité de biens) au profit du partenaire survivant sont également sujets à la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.
Le legs d’usufruit permet au testateur de « gratifier une personne afin d’assurer ou d’améliorer ses conditions d’existence, sans pour autant léser définitivement les héritiers par le sang auxquels est transmise la nue-propriété, ceux-ci ayant vocation à recouvrer la pleine propriété au décès de l’usufruitier »64.
En pratique, ces legs en usufruit poseront d’abord un problème d’imputation sur la quotité disponible puisque le respect de la réserve héréditaire commande de procéder à une imputation en assiette. Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation le 19 mars 199165.
30070
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Attendu que Maria X…, veuve Y… est décédée en laissant pour unique héritier son fils Félix, Roger Y…, et comme légataire, son petit neveu Didier X…, aux termes d’un testament authentique du 11 décembre 1979, attribuant à ce dernier l’usufruit d’une terre et d’une ferme, donnés à bail à long terme à ses parents, à charge par lui de servir à « M. Y… » une rente annuelle et viagère correspondant au montant du fermage ; que M. Y… ayant engagé une procédure en inscription de faux à l’encontre du testament, la cour d’appel l’en a débouté ; qu’elle a aussi rejeté la demande en réduction pour dépassement de la quotité disponible, du legs fait à M. X… ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;
Mais sur le second moyen :
Vu l’article 913 du Code civil ;
Attendu qu’il résulte de ce texte qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi ;
Attendu que pour rejeter l’action en réduction, formée par M. Félix Y…, à l’encontre du legs en usufruit consentie par sa mère au profit de M. Didier X…, la cour d’appel a retenu qu’il ne pouvait y avoir de dépassement des revenus de la quotité disponible, se montant à la moitié des fermages en provenance du bien sur lequel porte l’usufruit, puisque du fait de la charge grevant le legs litigieux, le donataire était tenu de verser, à titre de rente viagère, le montant de l’intégralité des fermages, à l’héritier réservataire, de sorte que l’usufruit légué ne procurait aucun avantage au légataire ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le legs susvisé avait pour effet de priver l’héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen qui est subsidiaire :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de réduction pour atteinte à la réserve héréditaire, que M. Félix, Roger Y… a formée à l’encontre du legs en usufruit consenti par sa mère à M. Didier X…, l’arrêt rendu le 25 avril 1989, entre les parties, par la cour d’appel d’Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes
En effet, l’usufruit ainsi légué doit nécessairement s’imputer, dans son étendue, sur l’assiette de la quotité disponible, et non par sa conversion en capital. De sorte qu’une libéralité en usufruit est réductible dès lors que son assiette est supérieure à l’assiette de la quotité disponible, peu importe si la valeur de cet usufruit n’excède pas celle de la quotité disponible.
Prenons un exemple simple, soit une libéralité portant sur l’usufruit d’un bien dont la valeur est de 200 000 € en pleine propriété au jour du décès. Le légataire a cinquante-cinq ans, son usufruit est donc valorisé à 50 %, selon l’article 669 du Code général des impôts.
Avec la méthode non retenue de la conversion de l’usufruit en capital : cette libéralité sera réductible uniquement si la quotité disponible est d’un montant inférieur à 400 000 € en pleine propriété.
Avec la méthode retenue de l’imputation en assiette : cette libéralité sera réductible uniquement si la quotité disponible est d’un montant inférieur à 200 000 € en pleine propriété.
M. le Professeur M. Grimaldi rappelle que « la réserve se définit à la fois par la quotité (¼, ½, 2/3, ¾) et par la nature des droits dont elle assure l’intangibilité. À supposer donc qu’elle soit d’une certaine quotité en pleine propriété – ce qui est le cas ordinaire –, elle doit être laissée en pleine propriété. Elle ne saurait être servie en usufruit ou en nue-propriété seulement, quand bien même la quotité ainsi laissée serait supérieure à celle prévue par la loi en toute propriété »66.
Nous renvoyons à ce sujet au rapport du 113e Congrès des notaires de France :
Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 17/20 septembre 2017, Le Notaire au cœur des mutations de la société, 2e commission, Focus après le no 1456, p. 168.
30071 – Le difficile équilibre et la menace de l’article 917 du Code civil pour les legs en usufruit au partenaire. – Au-delà de cette précision quant à l’imputation, il convient de rappeler aux couples non mariés (partenaires ainsi que concubins) qui décident de gratifier le survivant d’un usufruit les facultés ouvertes par l’article 917 du Code civil : « Si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible ».
En présence d’un legs en usufruit, les héritiers réservataires ont le choix entre deux options :
soit ils pourront consentir à l’exécution de la libéralité, sans règlement de l’indemnité de réduction ;
soit ils pourront abandonner la pleine propriété de la quotité disponible, de sorte qu’une situation d’indivision se présentera.
Cet article n’est pas d’ordre public et peut être écarté par le disposant. Dans ce cas, les héritiers réservataires ont la faculté de demander la réduction en valeur de la libéralité en usufruit ou en rente viagère dont l’assiette excède celle de la quotité disponible.
De nombreux auteurs ont analysé ces dispositions de l’article 917 du Code civil67. Certains les défendent et souhaitent que leur application en soit facilitée. « Le groupe de travail considère, avec le 102e Congrès des notaires (Strasbourg, 2006, Les personnes vulnérables, 4e commission, 2e proposition considérant que l’article 917 du Code civil offre « une protection et une application pratique réelles », notamment en ce qu’il permet, en présence d’une libéralité en usufruit, « à l’usufruit d’espérer maintenir son avantage », « l’héritier réservataire étant éventuellement contraint, s’il demande la réduction, d’abandonner une partie du patrimoine en pleine propriété »), que « cette disposition, à la fois protectrice des réservataires et des légataires, a pleinement sa raison d’être dans notre législation » (F. Letellier et M. Nicod, La réduction des legs en usufruit, op. cit., no 10). L’article 917 du Code civil mérite ainsi d’être reconduit dans son principe et utilisé à bon escient dans les libéralités en usufruit au sein des couples non mariés »68. À l’inverse, des auteurs relèvent la complexité de ces dispositions et regrettent qu’elles soient source de difficultés69.
Pour l’heure, il est surtout question de conseils à apporter aux partenaires, ou futurs partenaires. Le schéma ci-dessous a vocation à synthétiser le difficile équilibre et la menace de l’article 917 du Code civil pour ces legs universels en usufruit. Son principal objectif est de savoir, dans les trois options qui s’offrent aux disposants (et à ses héritiers réservataires), quelle sera la part recueillie par ces derniers et par le partenaire survivant, de sorte que le notaire puisse mettre en place des testaments « sur-mesure » en fonction de ce que souhaitent les partenaires.
Finalement, la question n’est pas de savoir si les dispositions de l’article 917 du Code civil sont cohérentes ; elle est de mettre en place une réelle ingénierie sur la rédaction des testaments des partenaires, en fonction de leurs propres souhaits et aspirations.
Le difficile équilibre et la menace de l’article 927 du Code civil du legs en usufruit au partenaire