3554 Le trust représente le pivot du droit anglo-saxon. C’est sans doute le concept juridique le plus caractéristique du système de common law, et c’est en matière d’organisation du patrimoine familial qu’il est né. Les trusts les plus nombreux sont les family trusts ou les « trusts testamentaires ». Le trust intéresse trois personnes qui sont, en premier lieu le settlor, c’est-à-dire le constituant du trust, en second lieu le trustee, c’est-à-dire celui à qui seront confiés les biens en vue de les administrer ou de les vendre (le trustee détient les prérogatives d’un véritable propriétaire), au profit d’un cestui que trust, c’est-à-dire d’un bénéficiaire. Vouloir créer un trust sur certains biens, voire sur tous ses biens, c’est d’abord les séparer de son propre patrimoine afin qu’ils forment une masse distincte sans pour autant qu’au terme du trust, ces biens ou ce qui en serait la représentation ne deviennent la propriété du trustee. Le trustee gère et dispose des actifs ; ses attributions sont définies dans le trust instrument, ou à défaut par la loi. Indépendant de celui du trustee, le patrimoine trustal n’est pas le gage des créanciers potentiels d’un trustee incompétent ou malhonnête. Les equitable interest dont le bénéficiaire du trust est titulaire sont essentiellement des droits résiduaires. À l’expiration du trust, le bénéficiaire prend possession des estates abrités sous le trust.
Le trust est souvent défini comme le procédé juridique destiné à scinder la gestion et le contrôle d’un bien, de la jouissance et des profits qu’il procure. Il peut être établi par testament ou par acte entre vifs.
En application de l’article 1er, § 2 j) du règlement « Successions », la constitution, le fonctionnement et la dissolution des trusts se trouvent exclus du champ d’application dudit règlement, mais le traitement successoral des trusts relève bien du règlement.
Dès lors que la loi applicable au règlement de la succession sera celle d’un État connaissant l’institution du trust, ce dernier sera accueilli sur les biens situés en France et le trustee pourra appréhender les biens successoraux, les vendre et de manière générale exécuter sa mission telle qu’elle aura été définie suivant les cas par l’acte entre vifs, le testament ou la loi.
Plus compliqué sera le traitement d’un trust portant sur une succession régie par la loi française. Cette hypothèse est assez fréquente dans la mesure où le testament aura été établi dans un pays de common law. En présence d’héritiers réservataires, il ne sera pas possible de laisser toute latitude au trustee, les réservataires étant saisis de plein droit des biens composant la succession et devant pouvoir appréhender leur réserve en nature.
3555 Sur le plan fiscal, le trust est traité par l’article 792-0 bis du Code général des impôts688.
En cas de réception d’un trust portant sur des biens immobiliers situés en France, quelles seront les modalités de transfert de la propriété suite au décès, au regard de la publicité foncière ?
L’article 5 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière énonce : « En ce qui concerne les attestations après décès, l’état civil doit être indiqué et certifié pour le défunt et par chacun des héritiers, successeurs irréguliers ou légataires ».
Il serait audacieux de classer le trustee parmi les successeurs irréguliers.
Le règlement européen « Successions », qui exclut de son champ d’application les droits réels, pose dans son article 31 le principe de l’adaptation en ces termes : « Lorsqu’une personne fait valoir un droit réel auquel elle peut prétendre en vertu de la loi applicable à la succession et que la loi de l’État membre dans lequel le droit est invoqué ne connaît pas le droit réel en question, ce droit est, si nécessaire et dans la mesure du possible, adapté au droit réel équivalent le plus proche en vertu de la loi de cet État en tenant compte des objectifs et des intérêts poursuivis par le droit réel en question et des effets qui y sont liés ».
En l’absence de ratification de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, qui permettrait tout simplement d’accueillir le trust au regard de la publicité foncière, la pratique tente de trouver des solutions afin de permettre la vente des biens dépendant de la succession, mais aucune de ces solutions n’est satisfaisante.
Certains, au nom de l’adaptation, vont jusqu’à convertir un trust en une institution juridique de droit français comme une libéralité graduelle ou résiduelle ; cette démarche, même si elle vise à faire respecter la volonté du défunt, risque de conduire naturellement à une dénaturation de l’institution étrangère et paraît dangereuse au regard de la responsabilité du notaire.
Dès lors, comment établir l’attestation après décès dans ce contexte ? Ce point fera ci-après l’objet des développements de la quatrième commission.
La ratification de la convention de La Haye sur les trusts permettrait enfin de pouvoir appréhender en toute sérénité le trust régulièrement constitué et applicable en vertu de la loi étrangère régissant la succession.
3556 Le pacte successoral connu des droits germaniques vise originairement à aménager sa succession par contrat. Dans les pays germaniques ou influencés par le BGB, il pourrait être défini comme un acte juridique bilatéral conclu entre le testateur et l’héritier, par lequel ce dernier est appelé à succéder de façon irrévocable ; ce contrat n’empêche pas le testateur de disposer de ses biens comme bon lui semble de son vivant, l’héritier institué par le contrat ne recevant au décès que le reliquat.
Généralement, le pacte successoral ne peut être révoqué que d’un commun accord ou en vertu d’une disposition de la loi.
Comme à l’encontre de toute autre disposition de dernières volontés, les héritiers réservataires pourront faire respecter leur droit à la réserve héréditaire.
Dès lors que la loi applicable au règlement de la succession sera celle d’un État validant le pacte successoral, ce dernier sera accueilli sur les biens situés en France et le contrat pourra s’exécuter.
Plus compliquée sera l’exécution du pacte successoral sur des biens situés en France, dès lors que la loi successorale applicable sera la loi française, en raison de la prohibition formulée par l’article 1130 du Code civil.
L’application de la loi successorale française devrait conduire, en l’état actuel du droit positif, à l’annulation d’un tel pacte, mais dans la mesure ou aucun héritier réservataire n’aura été lésé, il devrait être possible d’accueillir ce pacte successoral valablement conclu suivant la loi étrangère afin de respecter la volonté du testateur.
L’article 25 du règlement « Successions »689règle cette difficulté.
Le règlement européen « Successions » permet d’accueillir les pactes successoraux allemands ou suisses ou ceux des législations influencées par le BGB.
En droit français, de plus en plus de pactes successoraux sont autorisés par la loi, faisant ainsi figure d’exceptions au principe de prohibition des pactes sur succession future découlant des articles 722, 1130 et 1389 du Code civil. Il en est ainsi des donations-partages, des testaments-partages, des donations entre époux de biens à venir, des stipulations dérogeant aux règles légales sur les modalités de rapport, des libéralités graduelles, de la renonciation anticipée à l’action en réduction et des donations entre époux. La plupart de ces pactes répondent à une qualification successorale et relèvent de la définition de l’article 3.1, b) du règlement : aux fins du règlement, on entend par « pacte successoral » un accord, y compris un accord résultant de testaments mutuels, qui confère, modifie ou retire, avec ou sans contre-prestation, des droits dans la succession future d’une ou plusieurs personnes parties au pacte.
3557 La ou plutôt les sociétés évoluent rapidement. Suivant les conceptions politiques, religieuses et sociétales des différents pays, l’ordre public différera d’un État à l’autre. Le mariage entre personnes de même sexe, considéré en France comme une institution désormais bien établie, est jugée contraire à l’ordre public dans de nombreux pays. L’inégalité des droits successoraux en fonction de la religion est considérée comme contraire à l’ordre public international en France. À mi-chemin, certaines situations créées à l’étranger conformément à la loi nationale des intéressés peuvent produire des effets sur le territoire français : il en est ainsi du mariage polygamique contracté à l’étranger par des ressortissants du pays admettant cette forme d’union. À ce titre, des droits successoraux pourront être reconnus et partagés entre plusieurs épouses.
Ainsi conviendra-t-il, lors de l’importation d’une règle juridique ou d’une institution étrangère, de toujours vérifier si celle-ci ne heurte pas l’ordre public international français à la lumière essentiellement des décisions rendues par les juges. Il est établi aujourd’hui que la réserve héréditaire n’est pas d’ordre public dans un contexte international ; en revanche, une loi successorale qui consacrerait une discrimination en raison de la religion de l’héritier sera contraire à l’ordre public.
Parfois le notaire se devra également de vérifier si une loi de police est susceptible de contrevenir à la règle de droit étranger désignée par application des règles de conflit de lois. Ainsi la vente du logement de la famille situé en France devra toujours être consentie par les deux époux, même si ces derniers se trouvent mariés sous un régime matrimonial de droit étranger autorisant la vente du logement de la famille par le seul époux propriétaire dudit logement.
Les cas de fraude à la loi sont quant à eux plus marginaux. Un client marié sans contrat avant l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, qui indiquerait volontairement au notaire avoir eu son premier domicile après le mariage dans un pays où le régime légal se trouve être la séparation de biens afin d’éluder le régime légal de communauté du pays dans lequel il a réellement eu son premier domicile, peut représenter un cas de fraude à la loi. Mais une telle tentative de fraude ne pourra pas prospérer si le notaire sollicite des justificatifs de nature à déterminer le réel premier domicile conjugal.