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Chapitre III – La place laissée à l’autonomie de la volonté dans l’anticipation successorale

Partie V – ANTICIPER
Titre 2 – Les limites à l’anticipation successorale
Chapitre III – La place laissée à l’autonomie de la volonté dans l’anticipation successorale

3561 La place laissée à l’autonomie de la volonté dans le cadre de l’anticipation successorale varie en droit interne d’un pays à l’autre. En termes de liberté de transmission, les pays de common law font figure de vainqueur. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les proches parents dans le besoin peuvent souvent bénéficier à l’encontre de la succession d’une action en vue d’obtenir une provision suffisante à leur subsistance ; il en est ainsi en Angleterre (provision for family and dependants Act 1975). De façon assez répandue aux États-Unis, mais non uniforme, le conjoint survivant a droit à une partie de la succession équivalant à un tiers en toute propriété en présence d’enfant(s) et à la moitié en l’absence de descendant. Si le testament prive le conjoint survivant de cette quotité ou la diminue, ce dernier pourra décider de recevoir cette part au lieu de la part prévue par le testament. C’est pourquoi cette part est connue sous le nom d’elective share (la part de la succession que le conjoint survivant peut choisir de recevoir). Cette part varie dans sa consistance suivant les États : dans certains, il s’agira de la conférer au conjoint survivant en pleine propriété, dans d’autres, elle sera scindée pour partie en pleine propriété et pour partie sous forme de trust destiné à lui servir de revenus. Elle varie également quant à ses modalités de calcul, certaines législations tenant compte des donations et des trusts constitués par le défunt de son vivant, d’autres non. Parfois, elle est conditionnée à l’existence de jeunes enfants ou à une certaine durée du mariage. Généralement, toute tentative par le testateur de priver son conjoint de choix entre ces deux options pourra être attaquée pour fraude à la loi.

À l’opposé de ce système libéral, on trouve les systèmes de droit religieux et plus particulièrement le système musulman dans lequel la liberté de tester n’existe pas ou est très encadrée et peu utilisée, et où des incapacités à hériter en fonction de son appartenance religieuse existent. En effet, dans les pays appartenant au système « révélatif », c’est-à-dire ceux dans lesquels la révélation divine est à l’origine du droit, les parts revenant aux héritiers sont énoncées clairement dans les textes. Ainsi la sourate IV du Coran énumère les parts devant revenir à chacun ou chacune. Mais il convient de nuancer la place laissée à l’autonomie de la volonté suivant les pays en raison historiquement de leur appartenance à telle ou telle école, l’école hanéfite étant considérée comme la plus libérale (elle est représentée principalement dans les pays d’Asie centrale) et l’école hanbalite comme la plus intégriste (elle est représentée par des pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar). L’école malékite que l’on retrouve dans les pays du Maghreb, elle, accorde à côté du Coran une place importante à la coutume de Médine (ville du Prophète). Elle fait figure d’école historique et l’école chaféite est considérée comme une école modérée (on la retrouve en Afrique orientale). La possibilité d’effectuer des donations variera donc en fonction des pays. Lorsque ces donations seront autorisées, elles ne seront pas rapportables à la succession.

À mi-chemin se situent les pays appartenant au système législatif, système qui confère à la loi une supériorité face aux autres sources du droit. Outre tous les pays d’Europe, à l’exception du Royaume-Uni, on y retrouve un grand nombre d’États d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et d’Asie comme le Japon ou la Chine. Dans ces pays, les proches parents (aujourd’hui à peu près partout, le conjoint et les descendants) bénéficient généralement d’une protection sous forme de réserve en nature ou en valeur et la protection du conjoint survivant s’est accrue au fil du temps. Ce dernier tire bien souvent ses droits du régime matrimonial en plus de la loi successorale. La part de réserve assignée aux héritiers varie d’un État à l’autre. Ainsi, certains pays comme la Russie ne protègent au titre de la réserve que les héritiers dans l’incapacité de travailler et qui dépendaient financièrement du défunt.

La diversité des droits internes en la matière résulte de l’histoire du pays et de son évolution sociologique.

La mobilité des individus a pour conséquence de soumettre ces derniers à des règles de droit qui ne sont pas les leurs originairement. Cependant, le règlement européen « Successions » permet aux ressortissants des États ayant ratifié ledit règlement un choix en faveur de leur loi nationale. Cette professio juris en faveur de la loi nationale existait déjà dans certains pays comme la Suisse, la Corée du Sud ou encore Monaco. Mais cette professio juris a ses limites comme il a été rappelé ci-dessus.

L’harmonisation des règles de conflit de lois, cependant, permet une anticipation plus efficace du règlement de la succession.

Les donations, quant à elles, doivent être utilisées dans l’ordre international avec quelques précautions : vérification de la fiscalité applicable en raison de la rareté des conventions fiscales, respect des conditions de formes au regard des dispositions de l’article 11 du règlement Rome I, champ réservé à la d’autonomie et à la loi successorale au regard des différentes stipulations de la donation.

Lorsque l’anticipation n’aura pas conduit au résultat souhaité, l’accord des héritiers, sous réserve des dispositions fiscales, restera le moyen de sortir d’une situation non voulue. Ainsi en présence d’une donation entre époux inefficace en la forme dans un pays ne la reconnaissant pas, les héritiers pourraient s’accorder à reconnaître un legs verbal en faveur du conjoint si cette institution existe dans le pays étranger rejetant en la forme la donation entre époux. L’autonomie de la volonté reprendrait ainsi sa place non plus au regard du testateur, mais au regard des héritiers, tous d’accord.



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