CGV – CGU

Partie I – Établir une filiation
Titre 3 – Cas particuliers de la GPA et de la PMA
Chapitre II – La gestation pour autrui

3062 La gestation pour autrui, aussi appelée »GPA« , décrit la situation dans laquelle des parents recourent à la prestation d’une mère porteuse87.

L’article 16-7 du Code civil français dispose que : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cette disposition n’a pas été modifiée suite à l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013. Elle reste d’ordre public conformément à l’article 16-9 du Code civil.

Le Conseil constitutionnel a expressément rappelé que l’article 6-1 du Code civil aux termes duquel « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois (…) que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe » n’a ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des dispositions de l’article 16-7 du Code civil88.

La GPA étant illégale en France, en cas de succession, un enfant issu d’une GPA doit-il être considéré comme un héritier au même titre que les enfants qui seraient nés du couple ou du défunt ?

D’un point de vue pratique, le notaire doit-il rechercher l’existence d’héritiers issus d’une GPA effectuée à l’étranger ?

Sur ce point, une lettre du garde des Sceaux a été adressée au Conseil supérieur du notariat en 2015, selon laquelle : « Le seul recours à une convention de gestation pour autrui ne peut d’emblée conduire le notaire à écarter ces enfants de leur qualité d’héritier de la succession de leurs parents, dès lors que le lien de filiation avec ces derniers résulte de leur acte de naissance étranger quand bien même il ne serait pas procédé à la transcription de ces actes sur les registres français de l’état civil »89.

3063 La Cour de cassation s’est, à plusieurs reprises, prononcée sur les contrats de gestation pour autrui.

Déjà, en 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a pu juger que « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ».

Plus récemment, par trois arrêts du 6 avril 201190ayant largement retenu l’attention de la doctrine, la Cour de cassation avait précisé l’impossibilité de transcrire à l’état civil français les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger des suites d’une gestation pour autrui.

La justification invoquée était celle de la contrariété au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes qui est une composante de l’ordre public.

3064 Par deux décisions du 13 septembre 2013, la Cour de cassation confirme son hostilité à la GPA91.

La nouveauté réside non pas dans la sanction en elle-même, mais dans le fondement de la sanction.

Jusqu’alors, le fondement de la sanction était celui d’une contrariété à l’ordre public : conclure une convention de gestation pour autrui était, et est toujours, considéré comme contraire à nos valeurs les plus fondamentales, ce qui justifiait le refus de transcription des actes de naissance d’enfants nés suite à la conclusion d’un tel contrat.

Avec les arrêts du 13 septembre 2013, il n’est plus question de contrariété à l’ordre public. C’est sur le terrain de la fraude que se fonde désormais la sanction du recours à la GPA92.

3065 Il convient de souligner ici l’intérêt de la définition de la fraude.

La fraude consiste à contourner la loi normalement applicable afin d’aboutir à une loi plus favorable.

La fraude est constituée de trois éléments. Un élément matériel (qui consiste en une délocalisation), un élément moral (qui consiste en l’intention de se soustraire à la loi normalement applicable) et un élément légal (c’est-à-dire échapper à une prohibition édictée par la loi). En l’occurrence, il est évident que les couples en cause sont volontairement allés à l’étranger dans le but de pouvoir accéder à la GPA qui est proscrite en France et donc de se soustraire à la loi française. Les trois éléments de la fraude sont donc réunis dans ces deux affaires.

La fraude, si elle justifie le refus de transcription des actes de naissance, permet une nouvelle sanction : la nullité de la reconnaissance paternelle.

Ces deux arrêts de 2013 permettent également de constater que les droits de l’homme et l’intérêt supérieur de l’enfant ne suffisent pas à écarter toute sanction en présence d’une fraude à la loi française.

Il convient de noter trois éléments au sujet de ces arrêts :

3066 – 1) Le refus de transcription des actes de naissance. – Classiquement, la fraude est sanctionnée par l’inefficacité de l’acte frauduleusement obtenu. Dans les cas de gestation pour autrui que nous étudions, la sanction retenue par la Cour de cassation est le refus de transcription des actes de naissance. Or, ce refus de transcription consiste bien à rendre l’opération de gestation pour autrui inefficace puisque le lien de filiation des enfants nés des suites du contrat ne sera pas établi envers le contractant français (qui ne sera donc pas considéré légalement comme le parent de ces enfants nés à l’étranger). C’est donc finalement une sanction traditionnelle qui est ici appliquée : on prive d’effet l’acte frauduleux.

Il n’en demeure pas moins qu’à nouveau saisie de ces questions, la Cour de cassation a récemment estimé devoir interroger la Cour européenne des droits de l’homme, de la question de savoir : « En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa “mère légale” la “mère d’intention”, alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le “père d’intention”, père biologique de l’enfant, un État partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la “mère d’intention” ? »93.

3067 – 2) L’annulation de la reconnaissance paternelle. – On aurait pu penser que la Cour de cassation allait valider la reconnaissance paternelle. Mais elle va plus loin que le seul refus de transcription des actes de naissance avec l’annulation de la reconnaissance paternelle (1re esp.).

En l’espèce, il n’était nullement contesté que le demandeur était le père biologique de la petite Émilie. De ce fait, il avait, à l’appui de son pourvoi, invoqué l’article 332 du Code civil qui dispose que « La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père ». Toutefois, il faut noter que l’article 336 du Code civil prévoit que le ministère public peut contester la filiation en cas de fraude à la loi94.

Au regard du droit français, la filiation semblait donc régulièrement établie. Mais, parce que le couple a commis une fraude à la loi française, l’établissement de la filiation paternelle – à l’instar de la filiation maternelle – résultait de cette fraude et devait également être sanctionné.

C’est là la seconde nouveauté apportée par le premier arrêt commenté : la fraude justifie l’annulation de la reconnaissance paternelle.

3068 – 3) La fraude, l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits de l’homme. – Les demandeurs, pour échapper aux sanctions, soutenaient que le refus de reconnaître la filiation paternelle légalement établie à l’étranger portait atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’au droit au respect à la vie privée et familiale. Étaient donc invoquées les dispositions de la Convention de New York et de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette argumentation avait déjà été invoquée – et rejetée – dans les arrêts du 6 avril 2011.

Dans le premier arrêt commenté, l’argumentation est rejetée. En effet, la Cour de cassation juge qu’au regard de la fraude à la loi française, « ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ».

Cette solution n’est pas totalement nouvelle. En effet, un arrêt en date du 17 novembre 2010 avait déjà pu décider : « Attendu qu’ayant relevé que M. Y… avait produit au consulat de France une déclaration mensongère attestant d’un faux accouchement de son épouse, c’est à bon droit que l’arrêt retient que l’intérêt supérieur de l’enfant ne saurait justifier un état civil et une filiation conférés en fraude à la loi… »95.

À noter cependant que le Conseil d’État, dans une décision du 4 mai 2011, invite les juges à délivrer aux enfants nés à l’étranger des suites d’une gestation pour autrui, des titres de transport afin qu’ils puissent venir en France96.

De plus, une récente circulaire du garde des Sceaux a invité les greffiers en chef des tribunaux d’instance à faire droit aux demandes de certificat de nationalité française en cas de soupçon de recours à une convention de mère porteuse97.

3069 Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France98pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’état civil français ayant refusé la transcription d’actes de naissance d’enfants nés d’une GPA en Ukraine sur les registres français99.

Quelques jours auparavant, la Cour de Strasbourg avait également rendu un arrêt contre l’Italie.

Au cas précis, la question était celle du placement, en vue de son adoption, d’un enfant conçu par une GPA pratiquée en Russie en fraude à la loi italienne.

En l’occurrence, la Grande chambre a estimé qu’il n’y avait pas d’atteinte à la vie privée et familiale des parents d’intention : le fait de laisser l’enfant frauduleusement conçu auprès de ses parents d’intention, alors même qu’aucun d’eux n’était son parent biologique, reviendrait, selon les juges européens, à légaliser une pratique pourtant interdite par la loi italienne100.

3070 La Cour de cassation s’est par la suite à nouveau prononcée en la matière par quatre arrêts du 5 juillet 2017101.

Dans les deux premiers arrêts, les actes de naissance dressés aux États-Unis (1re affaire) et en Ukraine (2e affaire) indiquent que les enfants sont nés de leur père et de leur mère d’intention, mariés et de nationalité française. La question de la transcription de ces actes est soumise à la Cour de cassation.

3071 En l’occurrence, la première chambre civile juge dans la première affaire que :

« Vu l’article 47 du Code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Attendu que, pour refuser la transcription des actes de naissance étrangers en ce qu’ils désignent M. X… en qualité de père, l’arrêt retient qu’en l’absence de certificat médical délivré dans le pays de naissance attestant de la filiation biologique paternelle, d’expertise biologique judiciaire et d’éléments médicaux sur la fécondation artificielle pratiquée, la décision rendue le 17 septembre 2010 par une juridiction californienne le déclarant parent légal des enfants à naître, est insuffisante à démontrer qu’il est le père biologique ; Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français n’était pas subordonnée à une expertise judiciaire, d’autre part, qu’elle constatait que le jugement californien énonçait que le patrimoine génétique de M. X… avait été utilisé, sans relever l’existence d’éléments de preuve contraire, de sorte que ce jugement avait, à cet égard, un effet de fait et que la désignation de M. X… dans les actes comme père des enfants était conforme à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

3072 Dans la deuxième affaire, elle juge que : « Selon l’article 47 du Code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ; Qu’ayant constaté que Mme Y… n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ; Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ; Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil ; Et attendu que ce refus de transcription ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du Code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ».

3073 Dans le troisième arrêt, l’enfant a été reconnu par son père d’intention et par la femme qui en a accouché. Le conjoint du père demande l’adoption simple de l’enfant. Les deux époux sont de nationalité française. La première chambre civile a dans, cette affaire, jugé que : « Le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

3074 Dans le quatrième arrêt, l’acte de naissance a été dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres sur production de faux documents de grossesse, d’un faux certificat d’accouchement, et d’échographies et examens médicaux falsifiés par les parents d’intention. C’est la question de son annulation qui s’est posée. La Cour de cassation répond en ces termes : « Saisie d’une demande d’annulation d’un acte dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres, sur le fondement de l’art. 48 c. civ., la cour d’appel a constaté que [les époux] avaient produit au consulat de France de faux documents [de sorte] qu’elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à la possession d’état de l’enfant ou à la réalité de la filiation biologique paternelle, que l’acte de naissance dressé sur les registres consulaires était entaché de nullité ».

3075 Si la Cour de cassation ne fait pas évoluer dans les arrêts du 5 juillet 2017 sa position s’agissant de la transcription en France d’un acte de naissance dressé à l’étranger indiquant que l’enfant issu de la gestation pour autrui est né de son père et de sa mère d’intention102, elle admet pour la première fois que le recours à la gestation pour autrui n’empêche pas le conjoint de celui qui a conçu un enfant avec une mère de substitution d’adopter celui-ci : « Le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption par l’époux du père de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Il convient de constater que la Cour de cassation ne distingue pas entre adoption simple et adoption plénière. Il semble possible d’en déduire que le prononcé de l’adoption plénière par le conjoint du père biologique de l’enfant issu d’une gestation pour autrui est en théorie possible (dès lors que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant et que les conditions légales de l’adoption sont réunies). Si l’acte de naissance dressé à l’étranger désigne comme seul parent de l’enfant le ressortissant français, géniteur et commanditaire de la gestation pour autrui, sans faire aucune référence à celle qui l’a mis au monde, l’adoption plénière de l’enfant par le conjoint du père biologique serait concevable. En revanche, si la mère porteuse figure sur l’acte de naissance, les conditions posées à l’article 345-1 du Code civil aboutiront dans la plupart des cas à exclure une adoption plénière.

3076 Depuis, est intervenue une décision de la cour d’appel de Paris103refusant de prononcer une adoption plénière dans un contexte post-GPA.

Dans cette espèce, l’acte de naissance dressé en Inde ne comportait pas d’indication du nom de la mère ; était seulement mentionné que la petite fille était issue de M. X., de nationalité française et bulgare, et qu’elle avait été reconnue par celui-ci en Inde (l’enfant fut également reconnu par son père en France et en Bulgarie). Saisies d’une demande de transcription sur les registres français de l’état civil, les autorités consulaires françaises demandèrent des instructions au parquet de Nantes en raison d’indices laissant présumer un recours à un contrat de gestation pour autrui. En 2014, le père de la petite fille se maria avec M. Y., avec qui il était pacsé depuis plusieurs années. L’acte de naissance fut finalement transcrit sur les registres français de l’état civil, conformément à la règle fixée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 3 juillet 2015104, s’agissant de la filiation paternelle, rien dans l’acte ne laissait en effet présumer que l’acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité105. En 2015, M. Y. saisit le tribunal de grande instance de Paris d’une requête en adoption plénière de l’enfant de son conjoint. L’adoption fut prononcée par le tribunal de grande instance de Paris en septembre de la même année. Sur le recours formé par le ministère public, la cour d’appel de Paris rejette la demande d’adoption plénière. Reprenant le principe posé par la Cour de cassation, elle affirme que le recours à la GPA ne fait pas obstacle, en lui-même, à l’adoption par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, mais elle estime qu’en l’espèce elle ne peut prononcer l’adoption plénière demandée, car elle ne peut conclure des éléments dont elle dispose que cette adoption serait conforme à l’intérêt de l’enfant106.

Ajoutons à toutes fins utiles qu’un autre argument pourrait, nous semble-t-il, contrarier les demandes d’adoption simple ou plénière « post-GPA » : dans la plupart des cas, il fait peu de doute que la mère porteuse consentira à l’adoption, mais cette dernière aura préalablement reçu une rémunération dans le cadre de la convention de mère porteuse. Or, les conditions posées à l’article 370-3, alinéa 3 du Code civil sont dénuées d’ambiguïté : « Quelle que soit la loi applicable, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier, s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ».

En outre, il est rappelé qu’une question préjudicielle a été posée le 5 octobre 2018107par la Cour de cassation à la Cour européenne des droits de l’homme, tendant à vérifier la conformité de sa position actuelle à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans ce contexte encore incertain quant à l’admission de l’adoption par le père d’intention, mais plus encore par la mère d’intention, un notaire français ne peut pas à l’heure actuelle garantir à ses clients le succès d’une procédure d’adoption (simple ou plénière) « post-GPA ».

3077 Cependant, il peut attirer leur attention sur l’existence d’outils juridiques permettant de faciliter la vie quotidienne et de sécuriser la situation de l’enfant :

le parent d’intention ne figurant pas sur les actes de naissance français est susceptible de bénéficier d’une délégation-partage de l’autorité parentale consentie par son époux en qualité de père biologique108 ;

il pourrait également être désigné comme tuteur par le père biologique dans le cas de prédécès de ce dernier109 ;

en cas de séparation, il pourrait se prévaloir de son droit au maintien des relations personnelles avec les enfants.

En effet, l’article 371-4, alinéa 2 du Code civil a été modifié par la loi du 17 mai 2013 et prévoit désormais expressément que ce droit peut être invoqué en particulier lorsque le « tiers » a résidé de manière stable avec l’enfant et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.


87) J.-S. Bergé, Contextualisation et circulation des situations : approche modale des phénomènes de gestation pour autrui à l’étranger : JDI févr. 2015, n° 1, doctr. 1.
88) Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013-669, consid. 44.
89) V. A. Leclair, Les enfants nés par GPA reconnus héritiers : Le Figaro 28 avr. 2015(www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/04/28/31003-20150428ARTFIG00354-les-enfants-nes-par-gpa-reconnus-heritiers.php).
90) Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, nos 09-66.486, 10-19.053 et 09-17.130 : « attendu qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principede l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil ».
91) Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, nos 12-18.315 et 12-30.138.

92) La première chambre civile juge en effet, dans la première affaire, que « la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. Y… et Mme X…, en a déduit à bon droit que l’acte de naissance de l’enfant établi par les autorités indiennes ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français ; Qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués » et « qu’ayant caractérisé la fraude à la loi commise par M. Y…, la cour d’appel en a exactement déduit que la reconnaissance paternelle devait être annulée » et, dans la seconde affaire, elle rend un arrêt de cassation jugeant « les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l’existence d’un processus frauduleux comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. Y… et Mme X…, ce dont il résultait que les actes de naissance des enfants ne pouvaient être transcrits sur les registres de l’état civil français ».

On pourrait, au vu de cette jurisprudence, se demander si les actes d’état civil indien (dont il est question dans l’un de ces arrêts) sont contraires à nos conceptions les plus fondamentales. À cet égard, et pour répondre par l’affirmative, on pourrait songer au principe d’indisponibilité du corps humain, au principe de dignité de la personne humaine « qui s’oppose à ce qu’un humain soit traité comme un simple instrument, un moyen, au service d’autrui » (F. Chénedé, Non-reconnaissance des gestations pour autrui réalisées à l’étranger : après la mère, le père ; après l’ordre public, la fraude : AJF 2013, p. 579).

93) Cass. ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053.
94) C. civ., art. 336 : « La filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ».
95) Cass. 1re civ., 17 nov. 2007, n° 09-68.399.
96) Dans cette espèce toutefois, la filiation paternelle était établie et non annulée. CE, 4 mai 2011, nos 348778 et 348779 : « qu’il ne s’agit pas par ailleurs d’établir une filiation mais de délivrer un titre de transport à ses filles ; que les articles 16-7 et 16-9 du Code civil ne peuvent faire échec à une filiation réelle et aux droits d’un enfant naturel, notamment de bénéficier d’une condition de nationalité et du droit d’aller et venir ; que le ministère des Affaires étrangères commet un excès de pouvoir en substituant son appréciation à la sienne en ce qui concerne l’intérêt de l’enfant ; que même s’il s’agissait d’une gestion pour autrui, la position de l’administration ne respecterait pas le principe constitutionnel d’égalité ».
97) Circ. 25 janv. 2013, n° JUSC1301528C.
98) La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme.
99) CEDH, 19 janv. 2017, req. n° 44024/13, Laborie c/ France : D. 2017, n° 21, p. 1229, note A.-B. Caire.
100) CEDH, 24 janv. 2017, req. n° 25358/12, Paradisio et Campanelli c/ Italie : D. 2017, n° 21, p. 1229, note A.-B. Caire.
101) Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-16.455 et 16-16.495 : AJF 2017, n° 9, p. 482.
102) Refusant toujours la transcription de la filiation maternelle d’intention au motif que ce refus « lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil », Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 15-28.597. – Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-16.901.
103) CA Paris, pôle 1, ch. 1, 30 janv. 2018 : JurisData n° 2018-003358.
104) Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21.323 : JurisData n° 2015-015879. – Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 15-50.002 : JurisData n° 2015-015881.
105) C. civ., art. 47.
106) H. Fulchiron, Résistance ou cas d’espèce ? Pas d’adoption plénière pour le père d’intention : Dr. famille avr. 2018, n° 4, comm. 92.
107) Cass. ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053, P+B+I : JurisData n° 2018-016889.
108) C. civ., art. 377 et 377-1.
109) C. civ., art. 403.
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