Une vertu environnementale mal récompensée a10096

– La réponse économico-juridique à la question environnementale. – Dans l'acception traditionnelle, la norme juridique est un acte de volonté, qui commande que quelque chose « doit avoir lieu » . Or, quand le droit met en place un système assimilable à celui de la consigne, nous sommes en présence d'un usage indirect de la norme. La norme n'exige plus directement, elle ne fait que prescrire le cadre économique ; c'est la poursuite de l'intérêt individuel qui permet, ensuite, d'obtenir le résultat désiré.
Face au réchauffement climatique, le droit de l'environnement peine à proposer mieux que des condamnations de la situation, en jugeant à partir de ses grands principes. Aussi, le cœur de la réponse, désormais, provient du droit économique « environnemental ». L'idée va bien au-delà d'une volonté de concilier les enjeux économiques et les enjeux environnementaux . Tout comme elle va bien au-delà de l'idée d'utiliser la science économique pour jauger le droit de l'environnement . Bien plutôt, le droit économique de l'environnement est le droit de l'organisation de l'économie ; mais d'une économie orientée, directement ou indirectement, vers les questions environnementales .
Le droit économique de l'environnement dérive d'un économicisme (i.e. la tendance à tout ramener à un jeu de facteurs économiques). Il réduit les problèmes environnementaux à des problèmes économiques, pour ensuite leur apporter une réponse strictement économique. Le droit n'a alors qu'une fonction subalterne, celle d'instituer le cadre appelé par l'analyse économique de la situation.

L'appréhension économique de la biodiversité

Un exemple significatif d'économicisme est l'analyse de la perte de biodiversité – une des « limites
planétaires » évoquées précédemment. Selon certaines présentations, nous serions à l'aube de la «
sixième extinction de masse ». Une « extinction de masse » se caractérise par une disparition de plus
des trois quarts du Vivant. Cela fut le cas, lors de la « cinquième » : la disparition des dinosaures.
Or, nous n'en sommes pas encore à ce stade, même si la situation est très préoccupante

.

Depuis 1948, existe l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui réunit 170
états, 18 000 experts et scientifiques. Elle étudie environ 140 000 espèces. à partir de là, elle
établit sa « liste rouge », au sein du panel observé : en 2021, il y a ainsi 40 000 espèces menacées
dans le monde ; près de 2 000 en France (14 % des mammifères, 32 % des oiseaux nicheurs, 19 % des
poissons,<em>etc.</em>). Seulement, la population ainsi surveillée reste un tout petit échantillon. Sur
la planète, près de 2 millions d'espèces animales ou végétales ont été décrites – avec un total estimé,
en incluant ce qui n'a pas encore été découvert et étudié, autour de 8 millions. Et si l'on ne raisonne
pas en espèces, mais en population, les chiffres sont plus impressionnants encore, surtout si l'on
délaisse les oiseaux et les mammifères pour s'intéresser à l'infiniment petit : par exemple, les fourmis
sont estimées à 20 millions de milliards sur Terre (2,5 millions de fourmis par être humain !), on peut
trouver 10 milliards de bactéries dans un seul litre d'eau de mer,<em>etc</em>.

Aussi, pour avoir une vue plus globale de la situation, a été créé un organisme pour l'étude de la
biodiversité, sur le modèle du GIEC : la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur
la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), regroupant 132 états. En 2019, celui-ci a rendu
son premier rapport d'évaluation, à partir de 15 000 références scientifiques. Un million d'espèces
animales et végétales (sur un total estimé à 8 millions) pourraient dispara ître dans les prochaines
décennies

. Les causes sont connues : destruction de l'habitat naturel, chasse et surpêche, pollution,
introduction d'espèces invasives

. à cela vient encore se rajouter le réchauffement climatique – le GIEC et l'IPBES ont établi un rapport
commun à ce propos

.

On commettrait une erreur à comprendre cette perte de biodiversité sur le modèle de la disparition du
dodo de l' île Maurice – c'est-à-dire ramener le phénomène à une sorte de diminution de folklore au sein
du Vivant, sans autre conséquence. Pour cette raison, l'IPBES a établi un second rapport, à propos de la
biodiversité liée à la population humaine. 50 000 espèces sauvages répondent aux besoins des humains –
dont 10 000 pour l'alimentation

. Nombre de choses qui permettent aux hommes de vivre pourraient dispara ître. Les arbres notamment : 12
% des espèces sont aujourd'hui menacées.

La science économique s'est saisie du phénomène pour réaliser ses calculs. Un cas topique est celui de
la pollinisation réalisée par les insectes. Dans le cas du melon, par exemple, il faut que sa fleur soit
fécondée pour produire la cucurbitacée. à 90 %, cette fécondation est le fait des abeilles et des
bourdons – le vent étant ici inefficace. En l'absence d'insectes, il est toutefois possible pour la main
humaine de féconder la fleur du melon. Or, à partir du moment où il y a une forme d'équivalence entre le
travail humain et le travail des abeilles, il est possible de calculer la contribution économique des
insectes pollinisateurs

. En Europe, 84 % des espèces de plantes à fleurs dépendent, à des degrés divers, de la pollinisation
par les insectes. C'est ainsi que la contribution à l'économie française des abeilles et apparentées est
estimée entre 2 et 5 milliards d'euros

.

On se rend compte aujourd'hui que le système économique ne rémunère pas tous les acteurs de la cha îne
de production – la Nature offrant ici un service gratuit, qui contribue pourtant à la richesse du pays

. Sur le plan de l'explication de l'origine de la richesse, il y a donc comme une revanche de la
physiocratie sur l'économie classique d'Adam Smith et de David Ricardo. Et l'on comprend, avec ce type
de présentation, que les dégâts écologiques ont nécessairement des conséquences économiques très
concrètes. Dans le cas des abeilles, pour en finir avec cet exemple, notons que leur population a
diminué de près de 40 %, en conséquence notamment de l'emploi de divers pesticides.