Les clauses bénéficiaires des contrats d'assurance-vie

Les clauses bénéficiaires des contrats d'assurance-vie

L'efficacité des clauses : le rôle du notaire
L'enthousiasme des Français pour l'assurance-vie est réel, notamment parce qu'elle leur permet de réaliser leur souhait d'épargne et de prévoyance, mais aussi parce qu'elle bénéficie d'un régime fiscal de faveur.
Pourtant, le régime de l'assurance-vie reste incertain en droit patrimonial de la famille, notamment parce que la loi du 13 juillet 1930 est muette sur la combinaison entre assurance-vie et régimes matrimoniaux et des successions. Cela n'est pas sans poser des difficultés lorsque, dans sa pratique, le notaire est confronté à une liquidation de régime matrimonial ou de succession conflictuelle.
– Définition. – L'assurance-vie est une variété d'assurances de personne. C'est le contrat par lequel, en contrepartie du versement de primes ou de cotisations, l'assureur s'engage à couvrir le risque de décès ou de survie de l'assuré en versant une rente ou un capital à la personne désignée en qualité de bénéficiaire. L'assurance-vie est donc un contrat de couverture de risque liée à la durée de vie de l'assuré.
Le contrat peut être :
  • une assurance en cas de vie. Dans ce cas, la compagnie d'assurance s'engage à verser un capital ou une rente à une date déterminée si l'assuré est encore en vie à ce moment-là. La souscription de ce type de contrat est essentiellement justifiée par l'idée de constituer un complément de retraite ;
  • une assurance en cas de décès. La compagnie d'assurance s'engage à verser un capital ou une rente à une date déterminée en cas de décès de l'assuré à un bénéficiaire désigné.
Aujourd'hui la majorité des contrats proposent de couvrir les deux risques, soit sous la forme d'une assurance-vie avec contre assurance décès, soit sous la forme d'une assurance-vie mixte. Dans les deux cas, il s'agit d'un contrat d'assurance qui combine une assurance en cas de vie et une assurance décès. L'assureur s'engage à verser le capital garanti soit à la date convenue au souscripteur s'il est encore en vie, soit au bénéficiaire si l'assuré décède avant la date prévue. L'assurance alternative s'est développée de façon très considérable à partir des années 1990, parce qu'elle permet au souscripteur à la fois de réaliser une opération d'épargne et de protéger ses proches contre les conséquences financières de son décès.

Quelques rappels civils et fiscaux

I/ Le contrat d'assurance sur la vie est un contrat aléatoire et la désignation du bénéficiaire est une stipulation pour autrui. Ces deux caractéristiques particulières conduisent à ne pas appliquer aux contrats d'assurance-vie un ensemble de règles juridiques particulières.
1) La valeur de l'assurance-vie est en principe insaisissable par les créanciers du souscripteur, à la différence de celle d'un contrat d'épargne.
Le législateur a toutefois porté une atteinte supplémentaire importante à ce principe aux termes de la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (art. 41). Celle-ci permet de donner une base légale aux procédures simplifiées de saisie réalisées par le comptable public sur les valeurs de contrats d'assurance-vie. La loi de finances rectificative pour 2016 a élargi au règlement des contributions indirectes le domaine de la saisie des contrats d'assurance-vie rachetables.
Par un arrêt du 2 juillet 2020 (Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, no 19-11.417), la Cour de cassation précise également que « le créancier bénéficiaire d'un nantissement de contrat d'assurance-vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d'un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés ». Cette décision renforce l'utilité d'un nantissement de l'assurance-vie.
2) La valeur du contrat, au décès de l'assuré, est hors succession, c'est-à-dire qu'elle n'est pas à prendre en compte dans les opérations de liquidation de la succession de l'assuré.
Cette règle résulte de deux articles du Code des assurances : « Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré » (C. assur., art. L. 132-12) ; « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés » (C. assur., art. L. 132-13).
Il faut cependant préciser que ce principe selon lequel la valeur acquise est hors succession ne s'applique qu'autant qu'il y a un bénéficiaire déterminé ou déterminable au jour du décès de l'assuré. Ainsi, en l'absence de désignation bénéficiaire, la garantie tombe dans le patrimoine du contractant ou dans la succession s'il est l'assuré (C. assur., art. L. 132-11). Il en résulte dans ce dernier cas que celle-ci sera traitée, juridiquement et fiscalement, comme un bien successoral ordinaire
3) La désignation du bénéficiaire, lorsqu'elle est à titre gratuit, peut être causée par une intention libérale. Mais cette preuve ne suffit pas à caractériser l'existence d'une donation. La présence d'une clause bénéficiaire interdit de considérer que le capital constitue l'objet d'une libéralité, sauf absence d'aléa. Quant aux primes, celles-ci servant à financer la couverture du risque, elles n'ont pas à être prises en compte dans les opérations de liquidation de la succession de l'assuré, sauf en cas de primes manifestement exagérées.
4) La valeur de rachat peut constituer l'objet de la donation, en particulier en cas de renonciation expresse (du souscripteur) à l'exercice de son droit de rachat garanti par le contrat. Ces règles sont cependant de plus en plus souvent remises en cause par une partie de la doctrine, qui s'est en particulier exprimée à l'occasion d'un groupe de travail sur la réserve héréditaire dont le rapport, rédigé sous la direction du professeur Cécile Pérès et de Me Philippe Potentier, a été remis au ministre de la Justice le 13 décembre 2019. Ce rapport, par sa proposition no 23, entend « soumettre, pour les seuls aspects civils, l'assurance-vie au droit commun des successions et des libéralités ».
5) La garantie acquise, au décès de l'assuré, par le conjoint survivant du souscripteur commun en biens est un capital propre sans récompense au profit de la communauté.
II/ Le droit fiscal tire aujourd'hui les conséquences résultant de la stipulation pour autrui.
Jusqu'en 1959, le capital versé au bénéficiaire était fiscalement réputé faire partie de la succession de l'assuré. La loi du 28 décembre 1959 soustrait la garantie décès aux droits de mutation à titre gratuit.
Tel est encore aujourd'hui le principe. La garantie acquise n'est pas soumise aux droits de mutation, mais à une taxe spécifique oscillant de 20 % à 31,25 % après abattement de 152 500 € par bénéficiaire (CGI, art. 990 I).
Les droits de mutation à titre gratuit ne s'appliquent qu'exceptionnellement : seules les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré, à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 € (CGI, art. 757 B).
La loi no 2013-1279 de finances rectificative pour 2013 a précisé les modalités d'application de l'article 990 I du Code général des impôts : le texte prévoit un prélèvement forfaitaire sur les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues à un bénéficiaire par un ou plusieurs organismes d'assurance et assimilés à raison du décès de l'assuré lorsque ces sommes, rentes ou valeurs n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 757 B dudit code.
Pour les contrats d'assurance-vie dénoués par décès de l'assuré avant le 1er juillet 2014, chaque bénéficiaire est redevable d'une taxe de 20 % (jusqu'à 902 838 €) ou 25 % (au-delà de 902 838 €) pour la fraction de la garantie correspondant à ses droits, après un abattement de 152 500 €.
Pour les contrats dénoués après le 1er juillet 2014, la loi a durci l'imposition prévue : le prélèvement sui generis est applicable aux sommes, rentes ou valeurs versées par un organisme d'assurance à raison du décès de l'assuré, n'entrant pas dans le champ d'application des droits de mutation à titre gratuit, prévu à l'article 990 I du Code général des impôts, à un taux qui est porté de 25 % à 31,25 % pour la fraction de la part taxable de chaque bénéficiaire excédant 700 000 €.
L'application de l'article 990 I aux clauses bénéficiaires démembrées a soulevé de nombreuses difficultés.
Dans un premier temps, l'administration fiscale avait précisé, dans une réponse ministérielle Perruchot du 9 août 2005, que l'usufruitier était, par l'application des règles du quasi-usufruit, le seul redevable de la taxe dès lors qu'il est le « bénéficiaire exclusif » des sommes versées.
À la suite de la réforme opérée par la loi no 2007-1223 du 21 août 2007, le bénéficiaire n'était plus assujetti au prélèvement forfaitaire prévu par l'article 990 I du Code général des impôts lorsqu'il était exonéré des droits de mutation à titre gratuit en application des dispositions des articles 795, 796-0 bis et 796-0 ter du même code. Malgré ce changement législatif, l'administration n'a pas modifié sa position et, par une réponse ministérielle Dassault du 7 mai 2009, a permis de créer une véritable niche fiscale ; l'administration admettant que lorsque le conjoint ou le partenaire pacsé était désigné comme bénéficiaire en quasi-usufruit, la garantie soit attribuée sans aucun prélèvement à la source.
La deuxième loi de finances rectificative pour 2011 a mis fin à cette tolérance. En effet, selon l'alinéa 2 de l'article 990 I du Code général des impôts : « En cas de démembrement de la clause bénéficiaire, le nu-propriétaire et l'usufruitier sont considérés, pour l'application du présent article, comme bénéficiaires au prorata de la part leur revenant dans les sommes, rentes ou valeurs versées par l'organisme d'assurance, déterminée selon le barème prévu à l'article 669. L'abattement prévu au premier alinéa du présent article est réparti entre les personnes concernées dans les mêmes proportions ». Usufruitier et nu-propriétaire sont chacun redevables de la taxe de l'article 990 I du Code général des impôts au prorata de la part leur revenant dans les sommes, rentes ou valeurs versées par l'organisme d'assurance, déterminée selon le barème prévu à l'article 669 du même code. La loi du 29 juillet 2011 précise que l'abattement prévu par le premier alinéa de l'article 990 I du Code général des impôts se répartit entre « les personnes concernées ». Ainsi, en présence d'une pluralité de nus-propriétaires, chaque nu-propriétaire partage un abattement avec l'usufruitier en fonction des droits revenant à chacun en application du barème prévu à l'article 669 dudit code. Dans cette situation, l'usufruitier ne peut toutefois bénéficier au total que d'un abattement maximum de 152 500 € sur l'ensemble des capitaux décès reçus à raison de contrats d'assurance-vie du chef du décès d'un même assuré.
Quant à l'article 757 B du Code général des impôts, il s'applique aux contrats souscrits à compter du 20 novembre 1991. Ainsi les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 €. Lorsque plusieurs contrats sont conclus sur la tête d'un même assuré, il est tenu compte de l'ensemble des primes versées après le soixante-dixième anniversaire de l'assuré pour l'appréciation de la limite de 30 500 €. En cas de pluralité de bénéficiaires, le bénéfice de l'abattement est ventilé au prorata de leurs droits à la garantie. Lorsque l'un des bénéficiaires est une personne exonérée de droits de succession, pour l'administration fiscale, l'abattement se répartit uniquement entre les personnes non exonérées.
III/ L'acceptation du bénéfice de l'assurance
Jusqu'à la loi du 17 décembre 2007, l'acceptation par le bénéficiaire du contrat peut intervenir à tout moment sans formalité particulière. La loi du 17 décembre 2007 a modifié les modalités de l'acceptation pour les contrats en cours n'ayant pas donné lieu à acceptation antérieurement à son entrée en vigueur.
  • Avant la loi du 17 décembre 2007 : une fois le contrat accepté, le souscripteur ne peut plus révoquer le bénéficiaire, sauf accord de celui-ci. La Cour de cassation (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, no 06-11.934) précise que le bénéficiaire acceptant ne peut s'opposer aux éventuelles demandes de rachat par le souscripteur, sauf à ce qu'une clause du contrat prévoie le contraire.
  • Depuis la loi du 17 décembre 2007, et conformément à l'article L. 132-9 du Code des assurances, l'acceptation est faite par un avenant signé de la compagnie d'assurance, du souscripteur et du bénéficiaire ou par acte authentique ou sous seing privé signé entre souscripteur et bénéficiaire et notifié à la compagnie d'assurance. L'acceptation devient alors irrévocable sauf accord du bénéficiaire acceptant de modifier la clause bénéficiaire. Le souscripteur, sauf accord du bénéficiaire acceptant, ne peut plus opérer de rachat.
L'assurance-vie a fait l'objet de nombreux contentieux, d'abord quant à la requalification des contrats. Désormais, seule la preuve de l'absence d'incertitude sur la durée de la vie de l'assuré au moment de la souscription permet d'annuler le contrat ou de demander sa requalification. D'autres difficultés sont nées sur l'exagération manifeste des primes.
– La rédaction de la clause bénéficiaire, outil d'ingénierie. – Nous nous concentrerons sur le contentieux lié à une mauvaise rédaction des clauses bénéficiaires qui ne produiront un effet utile qu'à la condition que le souscripteur ait pu clairement exprimer sa volonté. Il est en effet nécessaire d'analyser les objectifs poursuivis, tant civils que fiscaux, pour rédiger une clause suffisamment claire afin d'éviter toutes difficultés ultérieures d'interprétation, voire qu'une mauvaise rédaction de la clause conduise à une déshérence du contrat.
Certes dans de nombreuses situations, la clause type habituellement insérée par les compagnies d'assurance dans leur contrat peut suffire à satisfaire la volonté du souscripteur en désignant son conjoint et ses héritiers. Dans ce cas, une désignation par qualité peut être retenue. Une désignation nominative est à conseiller quand l'objectif du souscripteur est d'attribuer tout ou partie du capital à un tiers ou à tel membre de sa famille.
La réflexion à apporter à la rédaction de la clause bénéficiaire est plus complexe quand elle s'inscrit dans une stratégie patrimoniale de transmission.
Le notaire a bien évidemment un rôle de conseil à jouer auprès de ses clients dans la rédaction de la clause bénéficiaire de leurs contrats d'assurance-vie. Pour leur apporter le meilleur appui dans la construction d'une stratégie de transmission patrimoniale optimisée, il n'est sans doute pas inutile de rappeler les principes essentiels à appliquer pour une rédaction adaptée des clauses (Section I), avant d'étudier un certain nombre de clauses particulières (Section II).
Rédaction de la clause bénéficiaire : principes fondamentaux
– Des clauses sur-mesure. – Il est, une fois encore, important d'insister sur la nécessité de rédiger une clause claire qui permettra au souscripteur de voir ses volontés facilement appliquées. En effet, si une difficulté survient dans l'interprétation de la clause bénéficiaire, il faudra s'en remettre au juge à qui il appartient de rechercher la volonté du stipulant et d'apprécier si la qualité énoncée permet de considérer que le bénéficiaire est ou non déterminé.
Les clauses particulières
La rédaction de la clause bénéficiaire est une tâche particulièrement complexe puisqu'elle s'inscrit généralement dans une stratégie patrimoniale de transmission qui nécessite de tenir compte de la situation familiale du souscripteur et donc des autres dispositions qu'il a pu prendre dans le cadre de cette stratégie.