CGV – CGU

2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 1 – Chapitre II – Les directives laissées par le défunt

PARTIE III – La mort dans le monde numérique
Titre 2 – La survie numérique après la mort

Chapitre II – Les directives laissées par le défunt

1485 Selon l’article 85 de la loi informatique et libertés : « Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ».
1486 – Une possibilité offerte à toute personne dès l’âge de quinze ans ! – Il est remarquable de lire que cette faculté n’est pas limitée aux seules personnes majeures, mais ouverte à toutes les personnes concernées, dont nous avons vu801 qu’il pouvait s’agir d’un mineur, numériquement autonome en France dès l’âge de quinze ans.
Ainsi, avant sa majorité légale, et avant même l’âge de seize ans – qu’un mineur doit pourtant attendre pour rédiger un testament, dont l’efficacité est encore limitée à la moitié de son patrimoine802 –, un mineur pourra prendre seul des dispositions pour le sort de ses données personnelles. Ceci est toutefois cohérent : la patrimonialité des données personnelles n’étant pas admise, les administrateurs de ses biens n’ont pas à intervenir. Il s’agit de l’exercice de droits personnels, dont le RGPD et la loi informatique et libertés attribuent la capacité de gestion au mineur concerné dès l’âge de quinze ans.
Nous avons vu803 qu’un mineur de moins de quinze ans (en France) devait consentir, avec son ou ses parents, au traitement de ses données personnelles. Transmettre ce droit par l’adoption de directives générales ou particulières supposera donc le même consentement conjoint, avec les mêmes problématiques qu’évoquées804 en cas de conflit entre les parents et l’enfant, et la nécessité de désigner un administrateur ad hoc.
1487 – Deux catégories de directives. – La loi classe les directives post mortem d’une personne concernée en deux catégories distinctes :

les directives générales, lorsqu’elles « concernent l’ensemble des données à caractère personnel se rapportant à la personne concernée » ;

ou particulières, lorsqu’elles « concernent les traitements de données à caractère personnel mentionnées par ces directives ».

La distinction entre les directives générales et les directives particulières trouve son pendant dans la distinction entre legs universels et particuliers dont les juristes en droit des successions sont familiers.
Le champ des directives générales ne sera donc que celui où la personne concernée évoquera toutes ses données personnelles, sans aucune restriction ou précision selon leur nature ou le traitement dont elles font l’objet.
Dès que la moindre précision sera apportée à la nature des données personnelles concernées par les directives (photos, posts, vidéos, etc.) ou au traitement qui en est réalisé (tel réseau social, ou même l’ensemble des réseaux sociaux ou comptes clients, etc.), ces directives ne pourront plus être qualifiées de générales.
Toutefois, au sein de directives générales quant à leur périmètre, la personne concernée pourra prendre des directives distinctes sur le sort de données différentes (effacement des ses écrits, transmission de ses photos à ses enfants, etc.), tant que cette distinction ne limitera pas le champ des directives elles-mêmes, ce qui leur ferait perdre leur qualification de directives générales.
De son côté, le champ des directives particulières sera celui des directives dans lesquelles la personne concernée n’évoquera que le ou les traitements dont elles font l’objet (tel réseau social, tel blog, etc.).
1488 – Une distinction entre directives générales et directives particulières insuffisante pour couvrir l’ensemble des directives pouvant être prises. – La distinction qui peut être faite entre les directives générales et les directives particulières est insuffisante, car entre la définition des unes et celle des autres se trouve un vaste champ de directives qui ne seront ni les unes ni les autres ; celles, intermédiaires, qui seraient « à titre universel » pour poursuivre la comparaison avec les dispositions testamentaires.
En effet, des directives prises par un défunt pour traiter le sort de données spécifiques, sa correspondance numérique (sans évoquer un ou des services de messagerie particuliers), ses photographies (sans viser un ou des réseaux numériques particuliers sur lesquels il les a déversées), etc., ne seront pas générales, puisqu’elles ne concerneront pas l’ensemble des données à caractère personnel de cette personne. Elles ne seront pas non plus particulières, puisqu’elles ne viseront pas un ou des traitements identifiés. Comment alors qualifier et traiter des directives « transversales » qui ne sont ni générales ni particulières ?
Rien n’est prévu pour cet entre-deux. Ceci est d’autant plus regrettable que le régime des deux catégories légales de directives est singulièrement différent, notamment quant à leurs formes respectives805.
Qu’arrivera-t-il alors lorsque des directives qui se voulaient générales, prises dans les formes libres de celles-ci, échapperont à cette qualification, en raison d’un périmètre non universel ? Comment mettre en œuvre des directives catégorielles (mes photos numériques, ma correspondance numérique, etc.) auprès d’un responsable de traitement qui pourrait relever qu’elles ne sont pas générales et auraient dû être particulières pour lui être opposables ?
Ces directives risquent la nullité, au mépris des intentions de la personne concernée défunte. Ceci démontre que la rédaction de directives ne devra pas être improvisée, mais au contraire confiée à des juristes professionnels, aptes à les rédiger de manière efficace. À moins que les tribunaux, comme en matière d’interprétation testamentaire, ne s’accordent quelques libertés avec la lettre de la loi et la rédaction des directives, pour mieux respecter l’esprit peut-être de la première et en tous cas des secondes.
Cette distinction et son application ne sont donc pas anodines, le régime des directives générales et particulières étant singulièrement différent.

Section I – Les directives générales

1489 Les directives générales ne se rapportent pas à des données détenues ou traitées par un responsable de traitement particulier, auprès duquel elles pourraient être enregistrées, mais sont relatives à l’ensemble des données à caractère personnel se rapportant à la personne concernée.
Elles peuvent prendre des formes variées (Sous-section I) et leur exécution peut être confiée à des personnes diverses (Sous-section II).
Sous-section I – Une grande liberté formelle
1490 – Pas de forme prévue. – Si la loi indique que les directives, qu’elles soient d’ailleurs générales ou particulières, définissent la manière dont la personne entend que soient exercés, après son décès, ses droits sur ses données personnelles, elle ne fixe pour autant aucune condition de forme à l’expression de ces directives.
Le décret d’application attendu au titre des tiers de confiance numérique et du registre unique prévu pour l’enregistrement des directives générales n’a pas vocation à apporter des précisions à cet égard.
Tout moyen conservant la preuve et l’origine des directives sera donc par principe admissible. Un simple mail, adressé à partir d’une messagerie dont l’accès était protégé, devrait être suffisant. La forme écrite n’étant pas même prescrite, une vidéo du défunt énonçant ses volontés devrait l’être aussi, tout comme un enregistrement sonore. Finalement toute forme pouvant attester de l’auteur de ces directives semble recevable.
1491 – Pas de limite temporelle. – Ces directives sont modifiables ou révocables à tout moment, comme peuvent l’être des dispositions de dernières volontés de la personne concernée. Pour choisir quelles directives appliquer en cas de pluralité, elles pourront utilement être datées, bien que la loi n’en fasse pas une exigence.
Aucune hiérarchie de forme n’est prévue. Ainsi, sous réserve d’en établir la date pour déterminer les dernières, des directives vidéo postérieures à un testament authentique pourraient révoquer les dispositions numériques contenues dans celui-ci806.
Comme pour toute disposition de dernières volontés, celles-ci peuvent, au moment du décès et de leur exécution, ne plus être en adéquation avec les ultimes intentions de la personne concernée. Pour autant, comme pour les dispositions de dernières volontés, leur validité n’est pas limitée dans le temps ; leur révocabilité permanente étant présumée garantir leur pertinence.
1492 – Des directives pouvant être prises sous la forme d’un testament. – Évidemment, un testament, document par nature destiné à consigner des directives post mortem, et dont les conditions de validité sont parfaitement fixées, représenterait une forme parfaitement adaptée, et de validité certaine.
En particulier, la forme aujourd’hui inusitée du testament mystique pourrait présenter un intérêt particulier pour consigner ces directives807 : une personne concernée pourrait apprécier la sécurité, la confidentialité et l’efficacité du dépôt auprès d’un notaire, et sous pli cacheté d’un testament contenant des instructions et codes informatiques devant demeurer secrets jusqu’à son décès. Ces instructions seraient rédigées par lui, par un tiers ou même mécaniquement, ce qui pourrait faciliter la compilation, voire la mise à jour de listes de nombreux codes et identifiants.
Ces directives seraient ainsi conservées, ainsi que le notariat en a la mission et l’organisation, enregistrées auprès du Fichier central des dispositions de dernières volontés, assurant leur révélation, et enfin exécutées ; là où tout service marchand808, même labellisé, présentera toujours un risque de défaillance, au moins technique ou économique.
Sous-section II – De multiples exécuteurs possibles
1493 La personne concernée peut désigner une personne chargée de la mise en œuvre de ses directives.
Même si la loi ne l’a pas expressément prévu, il est également possible de désigner plusieurs personnes, pour agir ensemble ou à défaut les unes des autres. Dans le premier cas, les directives pourront prévoir pour ces différentes personnes des prérogatives concurrentes ou hiérarchisées.
1494 – Un tiers de confiance numérique… ou pas. – La loi a prévu que les directives générales pouvaient être enregistrées auprès d’un corps d’intervenants, dénommés « tiers de confiance numérique », certifiés par la Cnil.
Le rôle de ce tiers de confiance numérique n’est évoqué que pour l’enregistrement des directives générales. Doit-il également en conserver le dépôt ? En assurer l’exécution ? La loi n’apporte pas de réponse à ces questions.
La loi n’impose pas le recours aux seuls tiers de confiance numérique labellisés par la Cnil, puisqu’elle n’en prévoit que la possibilité809. Le recours à un autre tiers, privé ou professionnel, est donc possible.
En dehors du monde numérique, ce rôle, avec cette qualification de tiers ou personne de confiance, a déjà été reconnu dans les domaines de la fiscalité810 ou de la fin de vie811. Dans le monde numérique, il s’agit d’une mission qui se définit, avec notamment une Fédération des tiers de confiance du numérique, créée en 2001 sous la dénomination de « Fédération des tiers de confiance », à la suite de la publication le 13 mars 2000 de la loi « portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique ».
1495 – Ou des héritiers. – À défaut de personne spécialement désignée, ou en cas de prédécès de celle-ci, et sauf directive contraire, la mise en œuvre des directives de la personne concernée reviendra à ses héritiers812.
Ils auront la même mission, après le décès de leur auteur, de prendre connaissance de ses directives et de demander leur mise en œuvre auprès des responsables de traitement.
Il faut noter qu’une rédaction encore maladroite pourrait laisser penser qu’il appartiendrait aux héritiers de la personne désignée et non à ceux de la personne concernée d’accomplir la mission confiée par cette dernière. Il ne semble toutefois pas devoir interpréter cette disposition en ce sens, qui ferait de la mission d’une personne désignée pour l’exécution de directives d’un défunt une fonction héréditaire… En outre, cette règle étant prévue tant en cas de décès de la personne désignée qu’à défaut d’une telle désignation, les héritiers visés ne peuvent être ceux d’une personne qui n’a pas été désignée.
1496 – Avec des pouvoirs de simple exécution. – Les prérogatives de cet exécuteur de directives sont, après le décès de la personne concernée, d’en prendre connaissance et de requérir leur mise en œuvre auprès des responsables de traitement concernés.
Il faut donc noter que la personne désignée n’a pas vocation à prendre connaissance des directives de la personne concernée avant le décès de celle-ci. Se pose alors la question de la connaissance de sa désignation elle-même ! À cet égard, et encore une fois, l’intérêt d’un testament déposé chez un notaire est manifeste.
Indépendamment de l’attribution des biens et données numériques, les personnes éventuellement désignées par les personnes concernées pour la mise en œuvre de leurs droits sur leurs données personnelles n’en deviennent pas personnellement titulaires. Il n’est toujours question que du maintien temporaire de ces droits, pour la seule exécution des directives de la personne concernée décédée.
1497 – Une exécution délicate. – Un écueil à l’exécution des directives tient à leur nature numérique elle-même. De nombreux codes et identifiants étant régulièrement modifiés pour des raisons de sécurité informatique, comment consigner des directives, avec les accès informatiques permettant leur mise en œuvre, qui soient toujours exécutables, quelquefois bien longtemps après leur élaboration ?
Les ressources numériques devraient être mises à contribution à cet effet pour déterminer des accès invariants ou prévoir un point de dépôt invariant pour recueillir leurs évolutions, tels un coffre-fort numérique, le « trousseau »813 de certains systèmes d’exploitation, ou l’enregistrement des codes d’accès des navigateurs internet qui les enregistrent, ou simplement les codes de déverrouillage de l’ordinateur qui les contient.
1498 – Un registre toujours attendu. – La loi dispose que : « Les références des directives générales et le tiers de confiance auprès duquel elles sont enregistrées sont inscrites dans un registre unique dont les modalités et l’accès sont fixés par décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié »814 de la Cnil.
Cette disposition ne semble imposer que l’enregistrement des références des directives générales (et non celui des directives elles-mêmes) et du tiers de confiance auprès duquel elles sont enregistrées815, et seulement en cas de recours à un tiers de confiance numérique labellisé par la Cnil.
Le site internet du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, consulté en mai 2021816, indiquait que le décret d’application était encore « à venir ». Ainsi, près de cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi pour une République numérique, les personnes concernées ne peuvent toujours pas s’adresser à des tiers de confiance numérique labellisés par la Cnil.
Peut-être ce défaut traduit-il l’absence d’attente réelle des internautes, qui ne se préoccupent pas, à chaque navigation internet, du sort de leurs données ? Peut-être s’agit-il de l’embarras des pouvoirs publics à instituer un nouveau corps d’agents juridiques, à côté d’autres déjà parfaitement pertinents et pouvant servir ? Peut-être est-ce un peu tout cela.
Toutefois, ce fichier, même mis en place, ne résoudrait pas la difficulté d’application des directives d’un défunt par une personne ignorant sa désignation, lorsqu’elle n’était pas tiers de confiance numérique labellisé par la Cnil dont la désignation serait à ce titre enregistrée dans le fichier attendu.
En attendant, le recours à un tiers labellisé n’étant pas obligatoire, quelques sites marchands proposent des services d’enregistrement de directives générales817.
1499 – Un enregistrement souhaitable, où que ce soit. – Des offres sont ainsi faites dans le monde numérique. Elles émanent le plus souvent d’acteurs marchands, à la pérennité incertaine, avec des propositions techniques pas toujours elles-mêmes pérennes, ce qui est regrettable pour des dispositions de long terme.
Dans l’intérêt de la mise en œuvre de ce droit de prendre des directives générales, des propositions devront être faites.
À cet égard, on pourra relever la proposition de Michel Serres dans un article de presse paru en 2015818 : « Un capital est en train de se former, qui est le capital des données. La question est de savoir qui sera le dépositaire de ces données. De même que les notaires sont en grande partie les dépositaires de mes secrets, de mon testament, de mon contrat de mariage, parfois de mon argent, il nous faudrait inventer des « dataires », des notaires des données. Elles ne seraient confiées ni à un État, ni à Google et à Facebook, mais à un nuage de dépositaires. Et ce serait au passage une nouvelle manière d’exister pour le notariat ».
En effet, parmi les acteurs du monde juridique819 le notaire est un agent naturel de la confiance, si naturel qu’il s’agit même de sa mission, de sa raison d’être, illustrée par sa déontologie et son texte fondateur820. Avec son statut semi-public, le notaire est même reconnu comme autorité de confiance, le dispensant d’avoir à revendiquer l’étiquette réductrice de tiers de confiance, que ce soit dans l’univers numérique ou en dehors.
De fait, le notariat ne s’est pas désintéressé de ce sujet puisque la contribution du Conseil supérieur du notariat à la consultation sur le projet de loi pour une République numérique indiquait : « … le notaire pourrait être un tiers de confiance numérique certifié. En effet, il présente d’ores et déjà les qualités susvisées en raison des obligations déontologiques qui pèsent sur lui et des outils numériques qui sont à sa disposition », et au titre du registre centralisé « Le Fichier des dispositions de dernières volontés [administré par le notariat] pourrait être ce registre ».
De même, le rapport du Congrès des notaires de Lille indiquait : « Le notaire, par son statut d’officier public, son système d’information, son organisation et l’environnement technique mis en place par la profession est, à ce jour, l’un des rares professionnels à réunir l’ensemble des conditions du tiers de confiance »821.
À défaut de directives générales, les personnes concernées peuvent prendre des directives particulières.

Section II – Les directives particulières

1500 Les directives particulières sont celles qui ne concernent que les traitements qu’elles visent expressément. Elles doivent être enregistrées auprès de ceux-ci.
1501 – Des directives éparpillées. – Les directives particulières ne concernent que les traitements de données à caractère personnel mentionnées par ces directives.
Il ne s’agit pas simplement, par exclusion, des directives qui ne seraient pas générales. À la différence de celles-ci, des directives particulières peuvent n’être que partielles, ne portant que sur certaines données d’un traitement identifié. Ce sera le cas par exemple si les directives portent sur les photos d’un site particulier et non sur les correspondances qui leur sont associées.
1502 Partielles, ces directives risqueront d’être incomplètes, toute énonciation étant sujette à omission. Dans ce cas, les données pour lesquelles des directives particulières n’auront pas été prises seront traitées selon le régime prévu en l’absence de directives.
On mesure rapidement ici la limite de telles dispositions, tant les données personnelles sont éparpillées, sans connaissance ou conscience précise par les personnes concernées de l’ensemble des responsables de traitement auprès desquels il conviendrait de les consigner.
Ceci est d’autant plus aigu si l’on ajoute aux responsables de ces traitements leurs sous-traitants, pour lesquels rien n’est expressément prévu afin d’assurer la transmission de ces directives particulières jusqu’à eux. Toutefois, même en l’absence d’indication légale ou réglementaire expresse, il pourra être soutenu que cette transmission devra être faite de la même manière, que la personne concernée soit morte ou vivante, sur le fondement du maintien temporaire des droits des vivants.
1503 Partielles, ces directives seront en outre par nature éparpillées (comme les données elles-mêmes) auprès des différents responsables de traitement que la personne concernée aura identifiés, en oubliant les autres.
Ces aspects partiels et éparpillés des directives présenteront forcément une limite, sinon à leur exécution, du moins au contrôle de celles-ci. Sans parler du moyen pour le responsable de traitement de prendre connaissance et de se faire justifier du décès de la personne concernée, en vue de leur exécution.
1504 – Des directives formatées. – Ces directives doivent faire l’objet d’un consentement spécifique et ne peuvent résulter de la seule approbation de conditions générales d’utilisation. Il ne sera donc pas possible de prévoir des directives automatiques ou par défaut.
Et rien n’obligera non plus les responsables de traitement, au-delà de l’information qu’ils doivent aux personnes concernées sur la possibilité de prendre des directives particulières (ou générales), d’obtenir de telles directives à l’occasion de la collecte de données. Ainsi qu’il est spécifiquement indiqué pour les prestataires de service de communication au public en ligne822, seule une information est obligatoire sur le sort des données d’une personne à son décès et son droit de les communiquer ou non, à un tiers qu’il désigne.
Les directives particulières doivent être enregistrées auprès des responsables des traitements concernés (réseaux sociaux, messageries, fournisseurs, prestataires de toutes sortes).
À cet effet, les grandes plateformes internet ont prévu des fonctions particulières sur leurs sites. Celles-ci sont tout autant des guides que des carcans, suggérant les décisions à prendre, mais les limitant parallèlement.
1505 – Un possible exécuteur ? – La personne concernée peut-elle désigner une personne chargée de la mise en œuvre de ses directives ? Ou cette faculté est-elle réservée à l’exécution des seules directives générales ?
Le 8e alinéa de l’article 85 de la loi informatique et libertés, qui prévoit la désignation d’un exécuteur, énonce : « Les directives mentionnées au premier alinéa du présent I peuvent désigner une personne chargée de leur exécution… ». Cette formulation, qui semble réserver cette faculté à certaines directives seulement, fait cependant référence à l’alinéa qui les vise toutes, générales comme particulières. C’est le deuxième alinéa de l’article qui vise les seules directives générales, et le quatrième qui ne vise que les directives particulières.
Pourquoi cette formulation inutilement troublante ? S’il s’agissait d’ouvrir cette faculté à toutes les directives, il aurait alors suffi de viser au 8e alinéa « les directives, générales ou particulières » ou simplement « toutes les directives ».
S’il avait été question de réserver cette faculté aux seules directives générales, ce qui était peut-être l’intention initiale du législateur en cohérence avec la suite du texte, c’est le deuxième alinéa qu’il aurait fallu viser, et non le premier.
Dans le doute, il appartiendra aux plateformes elles-mêmes, dans leurs formulaires de recueil de directives, de prévoir ou non la désignation d’un tiers.
Dans ce cas, même si la loi ne l’a pas expressément prévu, comme pour les directives générales823, il serait possible de désigner plusieurs personnes, ensemble ou à défaut les unes des autres.
1506 – Quelques exemples : Google et Facebook. – La loi ou le décret n’ont pas prévu de forme spécifique aux directives particulières. Ce sont les plateformes, d’ailleurs dès avant la loi, qui les ont prévues pour faciliter l’enregistrement et la mise en œuvre des directives des personnes concernées sur leurs données après leur mort, ou la prise en compte du décès de titulaires de compte.

801) V. supra, no 1458.
802) C. civ., art. 904.
803) V. supra, no 1459.
804) V. supra, no 1460.
805) V. infra, nos 1490 et 1504.
806) Ce qui ne remettrait pas en cause les dispositions non numériques du testament que seul un testament postérieur, authentique ou non, pourrait révoquer.
807) Rapport du 116e Congrès des notaires de France, Paris, 2020, Protéger les vulnérables, les proches, le logement, les droits, 2e commission, no 2514.
808) Pour des illustrations, C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, préc., p. 64-67.
809) L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, I, al. 2 : « Les directives générales (…) peuvent être enregistrées auprès d’un tiers de confiance numérique certifié par la » Cnil.
810) L. fin. rect. 2010, no 2010-1658, 29 déc. 2010, art. 68, instaurant la mission de tiers de confiance définie par l’article 170 ter du Code de général des impôts.
811) C. santé publ., art. L. 1111-6.
812) V. supra, no 1478.
813) « Trousseau » : application du système d’exploitation présent sur les ordinateurs de la marque Apple.
814) L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, I, al. 2.
815) L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, I, al. 3.
818) B. Ferran, L. Ronfaut et M. Serres, La question est de savoir qui sera le dépositaire de nos données : Le Figaro 13 mars 2015.
819) C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, in Regards sur le nouveau droit des données personnelles, préc., p. 55 : « Le notaire remplit les conditions prévues par ce règlement [PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2014/910, 23 juill. 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur] et semble un interlocuteur parfait non seulement pour l’enregistrement des directives générales, mais aussi pour aider à leur rédaction ». – L. Castex et al., Défendre les vivants ou les morts ? Controverses sous-jacentes au droit des données post mortem à travers une perspective comparée franco-américaine : Réseaux 2018/4, no 210, p. 120. – C. Bordes, Prévoir sa mort numérique. Le devenir des données numériques post mortem : RDLF 2020, chron. 9, II. – T. Douville, Droit des données à caractère personnel, Gualino-Lextenso, p. 69, no 103. – M. Julienne, Pratique notariale et numérique : état des lieux : Dalloz IP/IT 2019, p 96, « il va sans dire que les notaires sont particulièrement bien placés pour compléter d’un volet numérique le conseil qu’ils délivrent quotidiennement à ceux de leurs clients qui entreprennent d’anticiper leur succession….On peut regretter que l’État se prive de la sorte d’un puissant relais dans l’application de ces nouvelles dispositions ».
820) Extrait du discours prononcé par le conseiller d’État Pierre-François Réal (qui fut avocat), devant le corps législatif, lors des débats de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803), votée à la quasi-unanimité (1 999 voix pour, 14 contre), qui a organisé le notariat moderne, après les empires romain et carolingien et l’Ancien Régime : « À côté des fonctionnaires qui concilient et qui jugent les différends, la tranquillité appelle d’autres fonctionnaires, qui, conseils désintéressés des parties, aussi bien que rédacteurs impartiaux de leur volonté, leur faisant connaître toute l’étendue des obligations qu’elles contractent, rédigeant ces engagements avec clarté, leur donnant le caractère d’un acte authentique et la force d’un jugement en dernier ressort, perpétuant leur souvenir et conservant leur dépôt avec fidélité, empêchent les différends de naître entre les hommes de bonne foi et enlèvent aux hommes cupides avec l’espoir du succès, l’envie d’élever une injuste contestation.

Ces conseils désintéressés, ces rédacteurs impartiaux, cette espèce de juges volontaires qui obligent irrévocablement les parties contractantes, sont les notaires.
Cette institution est le notariat ».
821) Rapport du 113e Congrès des notaires de France, ≠Familles ≠Solidarités ≠Numérique, Lille, 2017, 3e commission, no 3327, reprenant Chambre des notaires de Paris, Rapport « 10 propositions notariales pour la sécurisation de l’économie numérique », 8 oct. 2015.
822) L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, III.
823) V. supra, no 1493.


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