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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 1 – Partie III – La mort dans le monde numérique

Partie III La mort dans le monde numérique

1354 – La mort. – La mort est avant tout un événement biologique ; « le seul auquel le vivant ne s’adapte jamais », disait Vladimir Jankélévitch549.
Sa définition a été, et demeure encore largement débattue dans le corps médical, tant il est difficile de saisir l’instant irréversible qui fait basculer un être de la vie à la mort.
Avec le progrès des connaissances scientifiques, la définition biologique de la mort évolue. À la perte des seules fonctions cardiaque et respiratoire, a été ajoutée celle, définitive, de la conscience et des fonctions cérébrales.
Par nécessité, le législateur s’est également risqué à apporter une définition juridique de la mort, que l’on trouve dans un chapitre de la partie réglementaire du Code de la santé publique, relative au prélèvement d’organes sur une personne décédée, et inscrite dans l’article R. 1232-1 dudit code :
« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
1o Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
2o Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
3o Absence totale de ventilation spontanée ».
1355 – Esquisse d’une définition de la mort dans le monde numérique. – Qu’en est-il de la notion de mort dans le monde numérique ? Y a-t-il une définition de la mort comprise sous son angle numérique ?
Dans le silence des textes, il est possible d’en esquisser une, en empruntant à la définition juridique de la mort biologique le caractère relatif à l’absence d’activité spontanée.
En effet, comme dans le monde matériel, une activité humaine peut se poursuivre artificiellement dans le monde numérique au-delà de la mort. Il peut s’agir d’actions programmées sommaires, tels de simples courriels à envoi retardé, jusqu’à des robots numériques utilisant l’image d’un individu, exploitant les données laissées par celui-ci de son vivant et dont l’exploitation peut donner l’illusion d’échanger avec lui, pourtant décédé depuis longtemps.
La mort numérique d’un individu pourrait ainsi être définie comme l’arrêt (total et définitif) de toute interaction humaine d’une personne physique dans la sphère numérique, consécutive à son décès biologique.
1356 – Une disparition numérique ? – Force est de constater que cette mort biologique, que le langage courant évoque par euphémisme sous le terme de « disparition », ne fait pas disparaître, dans le monde numérique, les innombrables traces laissées sur la toile par un individu biologiquement décédé. Le numérique conserve au contraire toutes ces traces, et au besoin continue de les répliquer.
En définitive, l’être humain disparaît par la mort, mais son existence numérique persiste, créant ainsi l’illusion d’une certaine forme d’immortalité, numérique.
À titre d’exemple, près de huit mille personnes inscrites sur Facebook décèdent chaque jour550, de sorte que des projections envisagent que Facebook devrait dénombrer plus de comptes de défunts que de vivants d’ici 2070 et 1,4 milliard de comptes de défunts à l’horizon 2100551.
Ainsi était-il utile d’organiser chronologiquement : la restriction par les individus de l’usage de leurs données personnelles, traitées au titre de la disparition numérique des vivants (Titre I), et le sort des données des disparus (Titre II), après une présentation ou un rappel sommaire du droit de la protection des données (Chapitre introductif).
L’ensemble de ces règles, relatives au contrôle des vivants et des morts sur leurs données, peut paraître éloigné de la pratique des juristes en contact avec le grand public, ou réservé seulement à certains d’entre eux, spécialisés dans ces domaines. Pourtant les professionnels du droit doivent avoir connaissance de ces règles de droit :

au titre des consultations qui peuvent leur être demandées, sur l’application de cette législation ou les dispositions à prendre pour celle-ci ;

au titre des informations qu’ils doivent eux-mêmes délivrer à leurs clients, au moment de la collecte d’informations personnelles sur ceux-ci ;

et enfin au titre de l’exercice de ces droits par leurs clients, au sujet du traitement que les juristes réalisent eux-mêmes sur leurs données.


549) La mort, Flammarion, 1977, p. 276.
550) L. Costes, Actualités du droit, 2 nov. 2020 (www.actualitesdudroit.fr).
551) Étude publiée en avril 2019 par l’Oxford Internet Institute, affilié à l’Université d’Oxford (https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/2053951719842540).


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