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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 1 – Chapitre I – En l’absence de dispositions de dernières volontés

PARTIE III – La mort dans le monde numérique
Titre 2 – La survie numérique après la mort

Chapitre I – En l’absence de dispositions de dernières volontés

1472 Même en l’absence de directives données de son vivant par la personne concernée, les héritiers d’une personne concernée décédée ont la possibilité d’exercer provisoirement l’ensemble des droits de celle-ci sur ses données personnelles, c’est-à-dire les droits à l’information, à l’accès, à la rectification, à l’effacement, à la limitation, à la portabilité et à l’opposition.
Il ne s’agit pas de l’usage matériel de ses identifiants et codes d’accès, en lieu en place d’un défunt, au motif que l’informatique le permet770, mais bien de l’exercice, en qualité de tiers, des droits qu’une personne concernée décédée avait sur ses données personnelles.
Cette disposition interroge sur le périmètre de ces droits (Section I) et leur régime (Section II).

Section I – Le périmètre des droits maintenus

1473 Comme souvent en matière de droit de la protection des données, l’apparence est trompeuse : sous une formulation restrictive (Sous-section I), les droits des héritiers sont finalement assez étendus (Sous-section II).
Sous-section I – Une formulation apparemment restreinte
1474 – Des circonstances comptées. – L’article 85 de la loi informatique et libertés771 limite le maintien des droits du défunt sur ses données personnelles :

aux mesures nécessaires à l’organisation et au règlement de la succession du défunt, afin d’identifier et d’obtenir communication des informations utiles à la liquidation et au partage de la succession ;

à la communication des biens numériques du défunt et des données s’apparentant à des souvenirs de famille, transmissibles aux héritiers ;

pour la prise en compte du décès par les responsables de traitement, par la clôture des comptes utilisateurs du défunt, par l’opposition à la poursuite des traitements de ses données ou par leur mise à jour.

Le troisième point reprend les dispositions de l’article 40 de la loi du 6 janvier 1978, dans sa rédaction issue de sa révision de 2004772, restée en vigueur jusqu’en 2016, lesquelles ne devraient donc pas présenter de difficultés nouvelles.
Le premier point évoque des pouvoirs minimaux, que la jurisprudence avait déjà accordés avec mesure à des ayants droit773, pour le règlement non numérique de la succession d’une personne concernée.
Par une formulation limitée, il faut toutefois observer des droits potentiellement étendus, à côté de dispositions particulières en matière d’accès aux informations bancaires, fiscales ou de santé ou de correspondance774, numériques ou non.
Sous-section II – Des droits toutefois étendus
1475 – Une communication de biens et données. – Plus surprenant est le deuxième point, de surcroît énoncé en fin d’alinéa, presque de manière incidente. Les héritiers « peuvent aussi recevoir communication des biens numériques ou des données s’apparentant à des souvenirs de famille, transmissibles aux héritiers »775.
Cette phrase ambiguë, semble-t-il peu ou pas commentée776, devrait avoir un brillant avenir d’interprétation jurisprudentielle ; spécialement compte tenu de l’importance croissante prise par les données numériques en général (écrits, images, sons, vidéos, etc.) et les biens numériques en particulier (choses appropriables et valorisables malgré leur virtualité : créations, interprétations, etc.)777.
En effet, le droit de communication évoqué est-il limité aux seuls données ou biens numériques s’apparentant à des souvenirs de famille ? Ou s’étend-il à tous les biens numériques, tout en étant réduit aux seules données s’apparentant à des souvenirs de famille ?
1476 La formulation restrictive de l’article pourrait laisser penser à une restriction générale ; d’autant qu’il serait paradoxal de prévoir la communication de tous biens numériques, mais des seules données s’apparentant à des souvenirs de famille.
Toutefois, les biens numériques prenant la forme de données, pourquoi écrire alors les deux expressions « biens numériques ou données s’apparentant à des souvenirs de famille » si la restriction ne s’applique pas uniquement aux secondes ?
La question se tranchera selon que la conjonction de coordination « ou » sera entendue de manière inclusive ou exclusive et selon le sens donné à la position de la virgule dans la phrase.
Et sur la notion de « souvenir de famille », spécialement si elle s’applique tant aux biens numériques qu’aux données personnelles, le législateur a-t-il bien saisi le périmètre très limité qu’en donne la jurisprudence778 ?
Celle-ci la limite aux objets ayant « une valeur essentiellement morale »779 pouvant « être confiés à titre de dépôt à celui des membres de la famille que les tribunaux estiment le plus qualifié »780 afin « d’assurer la conservation de certains biens dans le cercle familial, éviter leur dispersion à l’extérieur »781. Ils échappent à ce titre aux règles de dévolution successorale et de partage, à l’immobilisation par destination, à la saisie des créanciers du détenteur, etc.
Cette notion est singulièrement utilisée pour des données numériques, par nature réplicables, ce qui les fait échapper par principe aux disputes successorales dont sont habituellement l’objet les souvenirs de famille, uniques et non partageables.
1477 Et enfin que penser de l’ajout de la qualification de « transmissibles aux héritiers » ? Sachant que l’on qualifie plus volontiers de « transmissibles » les créances ou actions que les biens.
S’agit-il là encore d’une explication : les biens numériques ou données s’apparentant à des souvenirs de famille sont communicables aux héritiers car ils leur sont transmissibles ? Ou d’une condition cumulative : seuls des biens numériques ou données s’apparentant à des souvenirs de famille étant en outre transmissibles aux héritiers leur seraient communicables ? Et dans ce cas, que fera-t-il qu’un bien ou une donnée est transmissible782 ?
Il faut regretter que ce nouveau texte, à défaut d’une rédaction précise, interroge au moins autant qu’il répond à une attente, car les droits conférés aux héritiers s’en trouvent très variables et incertains.

Section II – La nature de la transmission des droits maintenus

1478 – Quels « héritiers » ? – Dans un texte qui, après le RGPD et tant de jurisprudence783, confirme la nature personnaliste et non réaliste (extrapatrimoniale et non patrimoniale) des données personnelles et des droits des personnes concernées à leur égard, la loi utilise maladroitement le terme très patrimonial d’« héritier ».
Le législateur ne souhaitait-il pas viser plutôt les simples successibles, qu’ils aient ou non accepté la succession, ou les ayants droit, à l’instar de ceux déterminés plus largement en matière de droit d’auteur784 ?
La lettre de la loi n’indique que les héritiers, probablement dans un souci, aujourd’hui fréquent, de simplification, mais au prix malheureusement d’une perte de précision. L’application de cette disposition, pour en respecter l’inspiration et l’esprit, élargira probablement cette définition. Pour le prédire, il faut noter que le décret d’application du 29 mai 2019 prévoit la justification par l’héritier prétendant exercer les droits qui lui sont reconnus sur les données personnelles du défunt, d’un simple livret de famille ou d’un acte de notoriété785. Le premier ne justifie que de la qualité d’un descendant, pouvant être exhérédé contre une simple indemnité de réduction. Le second ne présume pas l’acceptation de la succession d’un successible. Et, s’agissant de l’exercice de simples droits personnels de la personne concernée défunte, celui-ci n’emporterait pas acceptation tacite de sa succession. Il ne faudrait donc pas parler d’héritiers, malgré la lettre du texte, mais de simple successible, conformément au régime établi.
À quel mécanisme juridique de transmission de droits personnels leur maintien provisoire répond-il ?
1479 – Une exécution testamentaire ? – Celle-ci est limitée à une origine volontaire, et non légale. Or, à défaut de volonté de la personne concernée défunte, la loi prévoit aussi le maintien des droits du défunt sur ses données personnelles au profit de ses héritiers légaux.
L’exécuteur testamentaire peut disposer des biens de la succession. Ici, sur des droits non patrimoniaux, il n’est pas question d’acte de disposition, mais d’exercice de droits personnels.
Le décès de l’exécuteur testamentaire met fin à sa mission. Le contraire est ici prévu.
L’exécuteur testamentaire doit rendre compte aux héritiers. Ce qui au contraire n’est pas prévu ici.
1480 – Un mandat de droit commun, au besoin d’origine légale ?786 Un mandat est un contrat, devant par principe être consenti par un mandant. Or, les droits du défunt peuvent être exercés en l’absence même de directives du défunt.
Un mandat doit être accepté par le mandataire, ce qui n’est pas prévu pour le destinataire des directives, pas plus que pour les héritiers.
Un mandat suppose un accomplissement pour le compte de tiers. Or, il n’y aurait plus de mandant lors de l’exercice des prérogatives conférées aux héritiers ou au moment de l’exécution des directives données.
Le décès du mandant met fin au mandat, alors que sous cette qualification la mission du mandataire débuterait avec sa mort787.
Enfin, il est encore de l’essence du mandat que le mandataire rende compte de sa mission, au mandant ou à ses héritiers. Or, cette reddition de compte est impossible pour le premier, et n’est pas prévue pour les seconds.
1481 – Un mandat à effet posthume alors ? – Un mandat à effet posthume suppose une gestion de tout ou partie de la succession « pour le compte et dans l’intérêt d’un ou plusieurs héritiers identifiés »788, même s’il n’emporte pas représentation des héritiers789. Ce qui n’est pas le cas ici.
Un mandat à effet posthume doit en outre être « justifié par un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l’héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé »790. Ce qui est donc exclu s’agissant de l’exercice de droits personnels et extrapatrimoniaux du défunt.
La forme notariée est imposée pour ce mandat spécial. Ce qui n’est pas prévu ici.
1482 – Une succession anomale ?791 Une succession anomale n’est qu’une dévolution successorale dérogatoire, en raison de l’origine ou de la nature d’un bien792. Elle demeure une modalité, même particulière, de succession, c’est-à-dire, selon l’architecture même du Code civil, une – et d’ailleurs la première – manière dont on acquiert la propriété. Or, en matière de données personnelles, point d’appropriation envisageable de droits numériques extrapatrimoniaux. La loi informatique et libertés elle-même ne parle que d’exercice, de surcroît temporaire, des droits du défunt, et non de transmission ou d’appropriation de ses droits ou biens.
1483 – Alors quoi ? – S’agissant de droits personnels, extrapatrimoniaux, un parallèle plus probant peut être fait avec les directives (un même mot !) anticipées des patients793 et les personnes de confiance794 (là aussi !) qu’ils peuvent désigner795, pour exprimer leur consentement aux traitements (le parallèle est décidément troublant !) médicaux dont ils peuvent faire l’objet ; directives et désignation pouvant être modifiées à tout moment et pouvant être conservées sur un registre national796 (là encore !).
En matière médicale, comme dans le cadre de la protection des données, il s’agit d’exprimer une volonté soit par des directives, soit par la voix d’un tiers, présumé bien connaître les valeurs et intentions du défunt, à même de les exprimer fidèlement à sa place, le moment venu797 ; ce que les simples assistance ou représentation des personnes incapables n’assurent pas.
À l’image des directives anticipées et désignation d’une personne de confiance, le juriste va devoir se résoudre à la qualification d’un mécanisme sui generis, conçu pour l’exercice post mortem des droits personnels d’un défunt, maintenus temporairement pour les besoins d’une disparition organisée.
1484 – Quelques modalités de mise en œuvre. – Sur leur demande, l’exécution des instructions données par les héritiers dans la mise en œuvre des droits qui viennent d’être décrits798 doit leur être justifiée gratuitement par le responsable de traitement. À ne pas y déférer, le responsable encourt des sanctions799.
Pour la mise en œuvre de ces prérogatives, l’héritier doit justifier de sa qualité par la production d’un simple livret de famille ou d’un acte de notoriété800, selon le niveau de vérification que voudra réaliser le responsable de traitement sollicité.
En cas de litige entre plusieurs héritiers, celui-ci est tranché par le tribunal judiciaire compétent pour la succession.
L’apport de la loi pour une République numérique est finalement assez limité et imprécis sur le sort des données personnelles ab intestat. Il est plus significatif en ouvrant à toute personne la possibilité de rédiger des directives sur le sort de ses données personnelles à son décès.

770) Par principe, un profil sur un réseau social ou un compte de messagerie est strictement personnel et soumis au secret des correspondances.
771) L. no 78-17, 6 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, art. 85.
772) L. no 2004-801, 6 août 2004, art. 5 : JO 7 août 2004.
773) CE, 29 juin 2011, no 339147, Cts A.
774) www.cnil.fr/fr/mort-numerique-effacement-informations-personne-decedee. « Par principe, un profil sur un réseau social ou un compte de messagerie est strictement personnel et soumis au secret des correspondances » ; il en est de même pour les mineurs.

À l’inverse, mais en Allemagne, où par définition les dispositions de la loi française pour une République numérique relatives à la mort numérique ne s’appliquent pas, cf. Bundesgerichtshof, 12 juill. 2018, III ZR 183/17 : Rev. Lamy dr. civ. 1er janv. 2019, no 166, note A. Favreau, relative à la décision de la Cour fédérale allemande, admettant que le contrat d’un réseau social peut être transmis par la voie d’une succession universelle, car le secret des correspondances ne s’oppose pas à la transmission du compte après la mort de son titulaire.
775) L. no 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, II, 1o in fine.
776) Pour une exception, cf. C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, art. préc., p. 93-104.
777) Pour la notion de biens numériques, cf. A. Chaigneau et E. Netter (ss dir.), Les biens numériques, Ceprisca, coll. « Colloques », 2015.
778) Notion que le législateur s’est peut-être toutefois appropriée à la lecture de la contribution du Conseil supérieur du notariat lors de la consultation sur la rédaction de la loi pour une République numérique…
779) Cass. req., 14 mars 1939 : D. 1940, 1, 9, note R. Savatier.
780) Cass. 1re civ., 21 févr. 1978 : D. 1978, 505, note R. Lindon.
781) J.-F. Barbièri, Les souvenirs de famille : mythe ou réalité juridique ? : JCP G 1984, I, p. 356, no 4.
782) Dans le champ de cette disposition, il est peu probable qu’il s’agisse d’une référence aux contrats passés avec certaines plateformes, sur lesquelles les internautes ne sont pas propriétaires des données (musiques, films, etc.), mais d’une simple licence d’utilisation, par définition intransmissible.
783) A. Debet, La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, in Informatique et Libertés, La protection des données à caractère personnel en droit français et européen, Lextenso, coll. « Les intégrales », 2015, nos 256 et s.
784) CPI, art. L. 121-2.
785) D. no 2019-536, 29 mai 2019, art. 124.
786) Proposition de A. Favreau, Mort numérique : précisions sur la nature et le régime du contrôle post mortem des données à caractère personnel collectées : RLDI 1er déc. 2016, no 132 et C. Béguin-Faynel, La protection des données personnelles et la mort, in Regards sur le nouveau droit des données personnelles, Ceprisca, coll. « Colloques », 2019, p. 56 et s. (79-10-97323-05-9. hal-02357967).
787) Pour des exceptions ne pouvant trouver à s’appliquer ici, M. Mekki, Mandat – extinction du mandat : JCl. Civil Code, Art. 2003 à 2010, fasc. unique, 2012, spéc. no 30 : « Une clause contraire peut prévoir la continuité du mandat au-delà du décès du mandant », mais il ne s’agit pas ici d’achever après le décès une mission qui était entamée mais n’était pas terminée avant le décès, mais de n’exécuter la mission qui ne naîtrait qu’après le décès.
788) C. civ., art. 812.
789) G. Wicker, Successions – mandats successoraux – le mandat à effet posthume : JCl. Civil Code, Art. 812 à 812-7, fasc. unique, 2014, spéc. no 133-8.
790) C. civ., art. 812-1-1.
791) F. Bicheron, La transmission à cause de mort des données personnelles ou la mort numérique, in Mél. en l’honneur du Professeur M. Grimaldi, Defrénois, 2020, p. 86 : « … la succession anomale se justifiant par l’existence de droits extrapatrimoniaux dont nous sommes tous titulaires, il faut dorénavant compter sur le fait que toute succession traditionnelle se trouve doublée d’une succession numérique, succession anomale qui n’a finalement plus rien d’exceptionnel ». – C. Pérès, Les données à caractère personnel et la mort : D. 2016, p. 90 : « Le plus simple serait de voir dans le mécanisme institué par le texte une transmission volontaire ou légale de nature successorale. Cela présuppose, bien sûr, de considérer que les données ou les droits portant sur elles, constituant des biens du vivant de la personne, font partie de sa succession à sa mort » même si « cette approche patrimoniale cadre mal avec la dimension personnaliste du système juridique français et européen de protection des données personnelles ».
792) C. civ., art. 757-3 : droit de retour des frères et sœurs sur la moitié des biens d’un défunt disparu sans descendant reçu de leurs ascendants ; C. rur. pêche marit., art. L. 321-14, al. 1er : dévolution aux seuls enfants vivants ou représentés de son bénéficiaire de la créance de salaire différé ; etc..
793) Création par L. no 2005-370, 22 avr. 2005, dite « loi Leonetti », relative aux droits des malades et à la fin de vie.
794) L. 4 mars 2002. Il figure à l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique.
795) Personne de confiance qui doit cependant accepter sa mission, ce qui diffère de ce qui est prévu pour le tiers de confiance.
796) L. no 2016-87, 2 févr. 2016, dite « loi Claeys-Leonetti », créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
797) M. Grosset, Étude sur les directives anticipées et la personne de confiance : le rôle du tiers dans l’expression de la volonté du sujet empêché : D. 2019, p. 1947.
798) Droits à l’information, à l’accès, à la rectification, à l’effacement, à la limitation, à la portabilité et à l’opposition.
799) C. pén., art. R. 625-12.
800) D. no 2019-536, 29 mai 2019, art. 124.


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