La fiducie a été présentée et commentée lors de plusieurs congrès antérieurs. Nous reviendrons seulement sur ses traits essentiels (§ I), et sur la controverse qu'elle suscite (§ II).
Régime général du contrat de fiducie
Régime général du contrat de fiducie
Caractéristiques essentielles
– Fondement de la fiducie. – Selon l'article 2011 du Code civil : « La fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ». Là réside, à notre sens, le trait le plus caractéristique du contrat de fiducie : l'intérêt à poursuivre est celui du bénéficiaire, et seulement le sien. La fiducie est conçue pour circonscrire un patrimoine spécifique, existant ou à constituer, entre les mains d'une personne qui contracte l'obligation de le dédier exclusivement à la poursuite d'un objectif déterminé, dans l'intérêt d'un bénéficiaire.
Controverse relative au transfert de propriété
Pris à la lettre, l'article 2011 du Code civil vise un « transfert » de biens au fiduciaire, sans préciser si ce transfert a lieu en propriété, possession ou jouissance. Faut-il donc voir dans le fiduciaire un véritable propriétaire et, par conséquent, dans la fiducie un authentique transfert de propriété ? Deux thèses s'affrontent.
Thèse favorable au transfert de propriété
L'existence d'un transfert de propriété au profit du fiduciaire a été communément admise par la doctrine lors de la création du contrat de fiducie et de ses immédiates réformes. Elle s'exprime encore aujourd'hui avec assurance. Une propriété « finalisée » et « ordonnée » vers un but précis, le contrat organisant un encadrement original et « sur mesure » des prérogatives du propriétaire. Cette thèse argue notamment de la codification des dispositions relatives à la fiducie, sous le titre XIV du livre III du Code civil, lui-même intitulé : « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».
Thèses favorables au patrimoine d'affectation
Deux autres thèses ont cependant été soutenues, qui toutes deux dénient au fiduciaire la qualité de propriétaire. L'une voit en lui le titulaire d'un droit réel sui generis, l'autre un mandataire investi de pouvoirs de gestion. Toutes deux se rejoignent pour soutenir que le contrat de fiducie donne naissance à un patrimoine d'affectation.
– Le droit réel
sui generis
. – En 2017, les travaux, déjà visés, du 113e Congrès des notaires relatifs à la fiducie conclurent à l'existence d'un droit réel, sui generis. Selon nos confrères, « le patrimoine concerné par la fiducie est un patrimoine d'affectation. Cette qualification a deux incidences. Tout d'abord le fiduciaire dispose sur le patrimoine d'un droit réel. Ce droit est limité selon les stipulations du contrat, et temporaire. Il ne s'agit donc pas d'un droit de propriété tel que défini par le Code civil ».
D'autres auteurs, plus contemporains, ne retiennent de la thèse précédente que la naissance du patrimoine d'affectation, et font du fiduciaire un mandataire investi des pouvoirs nécessaires à sa gestion. Selon cette thèse, il serait erroné de penser que le fiduciaire est propriétaire au seul motif qu'il détiendrait sur les biens concernés des pouvoirs dont le constituant s'est conventionnellement dessaisi. Le fiduciaire ne détient en effet que les pouvoirs que le contrat, et lui seul, détermine et lui attribue. Libre au constituant d'investir le fiduciaire de pouvoirs similaires à ceux que confère la propriété ; c'est là une autre chose, qui ne doit pas faire confondre la cause avec les effets. Si l'on suit cette thèse, c'est du contrat seul, et non d'un droit de propriété, que le fiduciaire tient ses pouvoirs. Cette position se fonde notamment sur les termes de l'article 2023 du Code civil qui dispose que, dans ses rapports avec les tiers de bonne foi, le fiduciaire est « supposé avoir les pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire ». La formulation est calquée sur celle relative aux pouvoirs du représentant légal d'une société ; or, celui-ci, même s'il dispose de pouvoirs étendus sur l'actif social, n'en est évidemment pas le propriétaire.
– La propriété demeure où elle est. – Mais si l'on admet que le fiduciaire n'est pas propriétaire des biens qui font l'objet du contrat de fiducie, à qui appartiennent-ils donc ? Certaines composantes du régime de la fiducie laissent à penser qu'ils demeurent la propriété du constituant. En effet :
- le fiduciaire doit rendre des comptes au constituant : à qui d'autre les rendre qu'au propriétaire ? ;
- le constituant peut à tout moment désigner un tiers contrôleur chargé de veiller à la préservation de ses intérêts dans l'exercice du contrat ; le constituant a donc un intérêt personnel à contrôler les actes du fiduciaire ;
- l'opération présente une parfaite neutralité fiscale.
Finalement, dans cette conception, et pour reprendre la formulation d'un auteur, le contrat de fiducie organiserait (a minima) la création temporaire d'un patrimoine d'affectation, avec transfert de prérogatives de gestion à une personne (un professionnel), à charge pour elle d'administrer ce patrimoine selon la finalité prévue au contrat.
Quoi qu'il puisse en être de l'une ou l'autre thèse, deux certitudes demeurent. La première est que, depuis sa création, la fiducie peine à rencontrer son public. La seconde est que, cependant, elle est susceptible d'apporter une aide non négligeable à la pérennité d'un logement.