En dehors du cas des Vefa publiques, les organismes HLM doivent respecter l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation. Cet article réglemente les conditions dans lesquelles ils peuvent acquérir en Vefa ; à cet égard, il indique également que ces Vefa doivent porter sur des « logements inclus dans un programme de construction ».
L’obscur critère de l’acquisition partielle
L’obscur critère de l’acquisition partielle
Une lecture prudente : la prohibition de la Vefa dite « 100 % »
Une lecture stricte du texte invite alors à y voir une condition particulière aux termes de laquelle les logements acquis en Vefa doivent s’insérer dans un programme de construction plus large ; autrement dit, les organismes HLM ne pourraient pas acquérir la totalité d’un programme de logements en Vefa.
Pour donner une portée à l’idée d’inclusion dans un programme de construction, la pratique a donc eu tendance à prohiber les acquisitions en Vefa par les organismes HLM de la totalité d’un programme de construction. C’est notamment la position officielle adoptée à l’heure actuelle par l’Union sociale pour l’habitat, dans un souci d’équilibre entre maîtrise d’ouvrage publique et privée. En effet, tant que les Vefa dites « 100 % » demeurent prohibée, la maîtrise d’ouvrage privée restera cantonnée aux opérations comportant une mixité sociale ou fonctionnelle. Cela garanti le maintien d’un certain niveau de maîtrise d’ouvrage publique, nécessaire en termes de compétence des OLS/I ne serait-ce que pour être de bons acheteurs en Vefa, et dont le rôle “contracyclique” en temps de crise immobilière est également une assurance pour le secteur de la construction.
On peut parfois lire que cette prohibition repose également sur l’idée d’une nécessaire péréquation entre logements sociaux/intermédiaires et logements libres. Autrement dit, comme l’indiquait le Conseil d’État dans son rapport déjà cité de 2009, « le promoteur vend au bailleur social les logements sociaux à un prix inférieur à celui auquel il vend les logements privés. Cet effort n’est le plus souvent possible que parce qu’une collectivité publique a elle-même dissocié dans son prix de vente du foncier une charge foncière inférieure pour le logement social. Permettre d’acheter en Vefa 100 % d’un programme ferait disparaître toute péréquation et laisserait les bailleurs sociaux en situation d’infériorité face aux promoteurs ». On peut cependant penser que si le logement libre est parfois contraint de financer le logement social à l’échelle des programmes immobiliers ou des opérations d’aménagement, c’est surtout parce que le foncier a été acquis à un prix trop élevé (parfois en le cumulant au montant de la participation au coût des équipements publics), qui ne permet pas d’équilibrer le projet. Cette situation pose alors la question de la régulation des prix du foncier. La pratique des appels à projets depuis 2014, consistant à sélectionner les projets pour ce qu’ils sont et non pas car l’opérateur présente le meilleur prix de charge foncière est, à cet égard, une bonne pratique.
Reste enfin que l’enjeu lié à la conclusion d’une Vefa portant sur 100 % d’un programme immobilier demeure circonscrit dans la mesure où les objectifs de mixité, planifiés dans les documents d’urbanisme, les programmations en ZAC ou encore dans les appels à projets, impliquent nécessairement des acquisitions en Vefa limitées à une partie seulement de l’immeuble à construire. Faut-il alors brider les bailleurs qui le souhaiteraient, parfois en accord avec les promoteurs, notamment dans certaines situations de crise qui peuvent rendre difficile la commercialisation d’un programme, d’acheter en Vefa la totalité de ce programme ? Sans doute pas dès lors que le prix de la Vefa est cohérent et qu’aucune raison juridique ne s’y oppose.
Arguments en faveur d’une lecture ouverte du texte
Au moins deux séries d’arguments plaident en faveur d’une lecture plus souple de ce texte.
On notera d’abord que, nonobstant les dispositions de l’article L. 433-2, cette condition de l’acquisition d’une partie seulement d’un programme de construction n’est exigée par aucune règle de droit positif. En effet, dans la mesure où les autres conditions posées par l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation impliquent que l’organisme HLM qui souhaite recourir à la Vefa ne soit pas à l’initiative de la construction de l’immeuble, les travaux en cause ne devraient pas répondre à ses besoins propres et, partant, l’organisme HLM ne devrait pas avoir à assurer la maîtrise d’ouvrage des constructions ni à se soumettre son opération à une procédure de publicité et de mise en concurrence. On relèvera par ailleurs que cette exigence n’est posée que pour les opérations de logements, à l’exclusion des logements-foyers ou résidences hôtelières à vocation sociale qui peuvent être acquis sans de telles conditions.
Ensuite, les travaux parlementaires de 2009 relatifs à la loi MOLLE puis à la loi pour l’accélération des programmes de construction nous révèlent que le législateur a voulu mettre un terme à une pratique qui consistait à limiter la part des logements acquis en Vefa par les organismes HLM au sein d’un programme de construction. Cette condition trouvait en effet sa source dans des circulaires liées au recours aux divers financements en matière de de construction de logements sociaux, et non dans des contraintes issues de la loi MOP ou du droit des marchés publics. Constatant que cette limitation « ne correspond à aucune exigence de nature juridique ou économique » les parlementaires ont donc supprimé la condition initialement contenue dans le projet de texte qui prévoyait que la SHON globale des logements acquis en l’état futur d’achèvement soit inférieure à la moitié de la SHON totale du programme de construction.
Néanmoins, la formule « logements inclus dans un programme de construction » a été conservée et demeure ambiguë. Malgré ce doute juridique, il existe des arguments solides en faveur d’une interprétation plus ouverte de l’article L. 433-2 du Code de la construction et de l’habitation, tant au regard du droit de la commande publique que des travaux parlementaires à l’origine de ce texte. Le gouvernement semble suivre cette voie. En effet, dans une très récente Réponse Ministérielle en date du 25 mai 2023 (et note : Rép. min. no 2550 : JO Sénat 25 mai 2023, p. 3414), il est indiqué, en réponse à une question sur la validité de la pratique de la cession de la totalité d’un programme de logements à un organisme HLM, que « sous réserve que les organismes HLM ou les SEM de construction et de gestion de logements sociaux se saisissent effectivement d’une opportunité immobilière et n’exercent pas une influence déterminante sur les caractéristiques des ouvrages, il leur est possible d’acquérir la totalité d’un programme de logements par VEFA. » En reformulant ce texte, l’objectif serait ainsi d’offrir la possibilité aux organismes HLM d’acquérir en toute sécurité juridique l’entièreté d’un programme de logements auprès d’un promoteur privé, comme peuvent l’exiger des périodes de crise – telle que la crise financière de 2008 ou la crise sanitaire liée au Covid-19. Sans prôner la Vefa 100 %, il s’agirait simplement d’offrir la souplesse nécessaire pour permettre aux organismes HLM de s’adapter à toutes les situations se présentant à eux, d’autant plus lorsque les conditions financières de l’opération sont satisfaisantes.
Précisons cependant que cette modification fut déjà demandée dans le cadre des discussions sur la loi Elan et fut rejetée pour des motifs tenant au droit de la commande publique – en ce compris les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique – qui pourtant, comme nous l’avons vu, ne peuvent raisonnablement prospérer, ainsi qu’à la protection de la maîtrise d’ouvrage sociale.
Garantie quant aux conditions financières d’acquisition des organismes HLM : l’avis « des domaines »
Les organismes HLM et SEM agréées doivent respecter le principe constitutionnel de bonne gestion des deniers publics et ne doivent pas procéder à des acquisitions à des prix supérieurs ou des cessions à des prix inférieurs à la valeur vénale ou de marché des biens concernés. L’obligation de recueillir une estimation de la valeur vénale des biens qu’ils acquièrent, prennent à bail, ou pour lesquels ils procèdent à des transferts de propriété ou de droits réels, auprès de l’autorité compétente de l’État (Direction de l’Immobilier de l’État, « DIE »), favorise le respect de ces principes.
L’avis de la DIE est requis préalablement à leurs acquisitions ou cessions immobilières, sans seuil de saisine (art. L. 451-5 du Code de la construction et de l’habitation). Le texte ne fait aucune distinction selon la nature et la superficie de l’immeuble. Il est donné par le directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques.
Cet avis doit être formulé dans le délai d’un mois à compter de la date de la réception d’une demande d’avis en état, à défaut de quoi, il peut être procédé à la réalisation de l’opération.
Toutefois, toujours selon l’article L. 451-5 du Code de la construction et de l’habitation, cet avis n’est pas requis préalablement aux acquisitions ou cessions immobilières relatives aux opérations entreprises en vue de l’accession à la propriété et de celles intervenant entre deux organismes HLM ou SEM agréées.
L’article L. 451-6 du Code de la construction et de l’habitation précise par ailleurs que sont exclues les cessions et acquisitions régies par le chapitre III du titre IV du livre IV du Code de la construction et de l’habitation. Ce chapitre dénommé « Accession à la propriété et autres cessions » (CCH, art. L. 443-1 à L. 443-18) regroupent uniquement des dispositions relatives aux cessions des organismes HLM et ne contient aucune disposition relative aux acquisitions.
En définitive, seules les cessions ou acquisitions n’intervenant pas dans le cadre d’opérations entreprises en vue de l’accession à la propriété, ou entre organismes HLM, ou dans le cadre des articles L. 443-1 à L. 443-18 du Code de la construction et de l’habitation (ex. vente de logements locatifs sociaux) sont concernées par l’avis des domaines. Les acquisitions en Vefa auprès d’opérateurs privés sont donc soumises à un tel avis « des domaines » ou de valeur.
La Vefa est donc une réalité de la production de logements sociaux et intermédiaire. Elle est même indispensable pour répondre aux objectifs de production assignés aux OLS/I. Pour autant, sa pratique ne permet pas toujours de répondre à leurs besoins. D’abord, parce que le recours à l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique reste une exception stricte aux règles de passation de la commande publique et n’a pas vocation à correspondre à toutes les situations dans lesquelles les OLS/I pourraient se porter acquéreurs de logements réalisés sous maîtrise d’ouvrage privée. Ensuite, parce qu’en dehors de la passation d’un marché public, le niveau d’exigences et de prescriptions formulées par les OLS/I sera nécessairement plus restreint ; mais, ce que l’on peut regretter, c’est qu’il soit, en l’état actuel du droit français, plus limité que ce que pourraient permettre les exigences relatives à la maîtrise d’ouvrage publique et à la commande publique pour au moins deux raisons. D’une part, parce que l’acquisition de 100 % d’un programme est une réalité qu’il conviendrait de confirmer par une disposition interprétative du texte actuel, dans la mesure où on ne relève aucun obstacle juridique tiré des exigences précitées. D’autre part, parce que le droit de l’union européenne permettrait aux OLS/I d’intervenir dans de nombreuses hypothèses avant le dépôt du permis de construire pour faire état de certains besoins auprès du maître d’ouvrage privé et, surtout, commander certains travaux d’aménagements sans que cela ne remette en cause le régime de la Vefa dite d’opportunité. Dit autrement, si le recours à la Vefa est encore objet de nombreuses critiques c’est peut-être tout simplement parce que, en l’état actuel des textes, il ne permet pas d’adapter suffisamment les programmes aux besoins des OLS/I. Et à cet égard, le simple fait de rendre public les cahiers des charges de chaque bailleur, en espérant que les promoteurs s’en saisiront, n’est pas satisfaisant car cela ne constitue en rien une garantie de réalisation effective d’un programme correspondant au besoin de l’OLS/I, d’autant plus que ces cahiers des charges méritent toujours une certaine adaptation à chaque contexte local et urbain. Il conviendrait donc de réfléchir à libérer la Vefa d’opportunité, en utilisant toutes les possibilités qu’offre le droit de l’Union européenne, pour à la fois sécuriser les actes mais, surtout, produire des logements mieux adaptés aux exigences de qualité et de fonctionnement des OLS/I, poursuivant un objectif de pérennité de l’objet construit en termes d’usage et d’entretien.
Ce développement d’une offre de logement correspondant aux attentes des OLS/I passera sans doute aussi par une association institutionnelle, le plus en amont possible, avec les opérateurs privés.