– Retour à la diversité. – L'étude de la prescription des créances susceptibles de naître au sein d'un couple (Sous-section I) permet, à nouveau, d'identifier un traitement différencié selon le mode de conjugalité (Sous-sections II
et III).
Les délais de prescription : retour à la différenciation des modes de conjugalité
Les délais de prescription : retour à la différenciation des modes de conjugalité
La prescription des créances entre époux
– Privilège indirect du mariage. – Engagée en 2008, la réforme du droit de la prescription dernière ne semble pourtant pas encore être entrée dans toutes les têtes. Elle a pourtant frappé fort : divisant par six la durée du délai de droit commun, elle fixe désormais l'extinction des actions mobilières (dont dépendent les poursuites d'une créance) à cinq ans, au lieu de trente auparavant. Le fait pour la créance d'être née au cours d'un mariage (à raison d'une surparticipation au budget de l'ex-logement commun, notamment) ne jouit, à cet égard, que d'un particularisme indirect : le délai de prescription de telles créances est bien de cinq ans, que l'on soit ou non en matière d'indivision. Mais c'est son point de départ qui varie, et ceci change tout.
– Pas de prescription en cours de mariage. – La Cour de cassation a rappelé récemment que le délai de prescription quinquennale frappant les créances entre époux commence à courir seulement lorsque le divorce a acquis force de chose jugée
. La même décision précise, s'il en était besoin, que le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage. Au visa des articles 815, 1479, alinéa 1er, 1543 et 2224 combinés du Code civil, elle rappelle que l'imprescriptibilité du droit de demander le partage ne saurait donc lui être applicable.
Prescription des créances entre partenaires
– Extension (apparente) du privilège. – Les partenaires de Pacs profitent eux aussi des dispositions de l'article 2236 du Code civil, lequel indique que la prescription ne court pas ou est suspendue entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Précision faite que les effets du partenariat prennent fin, dans les rapports entre les partenaires, au jour de l'enregistrement de la dissolution. Le partenaire titulaire d'une créance contre l'autre, notamment à raison d'un profit subsistant sur le logement, peut donc, lui aussi, se trouver dans une situation confortable. Toutefois, il s'agit d'une situation beaucoup plus fragile que dans le cas d'époux. Faut-il rappeler que la dissolution du Pacs peut être obtenue unilatéralement par l'autre partenaire, au prix d'une simple notification ? « Jouer la montre » le temps d'une procédure ne sera donc pas ici concevable, comme ce pourrait l'être dans le contexte d'un divorce contentieux, pour lequel la date de dissolution n'est pas à la main exclusive de l'un ou l'autre des époux.
Prescription des créances entre concubins
– Rigueurs du droit commun. – Le concubin qui ne sera pas prémuni par une convention dérogatoire (très rarement rencontrée en pratique) ne relève, pour les créances dont il peut être titulaire contre son concubin, que du droit commun qu'exprime l'article 2224 du Code civil. Ses dispositions sont redoutables : le concubin créancier doit agir dans les cinq ans à compter du jour où il a eu connaissance de son droit, c'est-à-dire à compter du jour où il se sait (ou se pense) créancier… donc à compter du jour où il a payé !
– Possibilité et défis d'une convention contraire. – L'article 2234 du Code civil permet de déroger à cette règle, par une convention fixant le point de départ du délai. À notre avis, ce décalage ne peut excéder la limite posée par l'article 2232, soit vingt ans maximum à partir du jour de la naissance du droit. L'alinéa 2 de cette disposition écarte cette règle entre époux et partenaires, mais ne cite pas les concubins. Reste à définir le plus clairement possible le nouveau point de départ issu de ce décalage, lequel ne peut pas ici correspondre à une dissolution formelle, comme pour le divorce ou la dissolution du Pacs.
– Cas de l'indivision. Cas du remboursement d'un prêt. – Le fait que la créance soit détenue à l'encontre de l'indivision existant entre les ex-concubins ne change rien quant au point de départ de son délai de prescription. La créance est exigible immédiatement, et ce qu'elle soit dirigée contre l'autre concubin, ou contre l'indivision pouvant exister entre eux. Par conséquent, le délai de prescription démarre tout aussi immédiatement. Dans l'hypothèse où sa créance provient de la prise en charge exclusive des échéances successives d'un emprunt dont il n'était pas ou pas le seul emprunteur, le délai de cinq ans commence à courir à partir de chaque échéance pour la somme concernée : agir dans les cinq ans suivant le remboursement intégral du prêt ne permettra donc de revendiquer une créance que sur les cinq dernières années, aucunement sur les précédentes.
– Conclusion. – Il n'existe aucun droit commun du couple lors de la séparation, en matière de financement du logement ; c'est peut-être là un des signes les plus marquants de la différenciation qu'entend laisser subsister le Droit français entre les différents modes de conjugalité. Qu'en est-il à présent de la propriété et de la jouissance de ce logement, et de son sort, lorsque le couple de ses occupants cesse d'exister ?