C’est la raison d’être du dispositif (Sous-section I) qui détermine son champ d’application (Sous-section II).
Les contours du dispositif
Les contours du dispositif
Raison d’être du dispositif
L’idée maîtresse du dispositif, restée constante depuis sa création, est que dans certaines villes, un local d’habitation, pris dans son acception sociale de « logement », doit être préservé comme tel. En conséquence, son affectation à un autre usage est interdite, du moins sans autorisation.
Seul l’intérêt général peut justifier pareille atteinte au principe, de valeur constitutionnelle, de liberté du commerce et de l’industrie et surtout aux attributs du droit de propriété (et spécialement à l’usus), ce d’autant plus que cette législation est indépendante de celle relative au changement de destination des immeubles qui, loin de s’y confondre, vient s’y superposer : tout changement dans l’usage d’un local d’habitation nécessite une autorisation préalable et ce, sans préjuger de toute autre autorisation pouvant être rendue nécessaire par une autre règle de droit public ou de droit privé.
Les crises succédant aux crises, le définitif a, comme c’est souvent le cas, succédé au provisoire : les règles de protection de l’usage des logements se sont trouvées pérennisées, codifiées mais aussi modifiées à de si nombreuses reprises que leur application en devenait malaisée, la pratique et la doctrine critiquant même le caractère inintelligible de certaines dispositions. Le législateur en ayant pris la mesure, une ordonnance no 2005-655 du 8 juin 2005 vint réformer l’ensemble du dispositif, en particulier quant à son champ d’application. Peine perdue : si les règles actuelles sont encore animées par l’esprit de ce texte, plusieurs nouvelles retouches ont été nécessaires quant à sa lettre, notamment pour tenir compte de l’évolution d’autres législations. Ces ajouts et modifications successifs sont le signe d’une législation trop complexe et ont pour conséquence de rendre de nouveau le dispositif réformé de 2005, instable.
Malmené, critiqué, il a pourtant été consacré par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 septembre 2020, repris et complété par trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 18 février 2021, à l’occasion de contentieux sur la location meublée à des fins touristiques. La Cour ainsi pu énoncer, notamment, que « la règlementation (…) est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle ». Elle répond en ce sens aux exigences de clarté et d’objectivité de la directive « Service » de l’Union européenne. Il est certain que cette position jurisprudentielle rend de l’éclat au blason, souvent terni, de la police du changement d’usage et lui octroie une légitimité ne pouvant plus être contestée.
Champ d’application du dispositif
L’ordonnance de 2005 redéfinit le champ d’application géographique (§ I) et matériel (§ II) du contrôle des changements d’usage.
Champ d’application géographique
S’agissant d’une restriction importante du droit de propriété, le contrôle du changement d’usage des locaux d’habitation (qualifié autrefois de « changement d’affectation ») ne saurait concerner l’ensemble du territoire national, de manière générale et absolue. Aussi a-t-il, dès l’origine, été présenté comme étant « à géométrie variable », impératif dans certaines communes, facultatif dans d’autres. Cependant, depuis l’après-guerre, ce contrôle ne trouvait une réelle application qu’à Paris, dans le département des Hauts-de-Seine, et sur une partie des communes de Lyon, Nantes et Chambéry.
C’est pour tenir compte de ce décalage entre théorie et pratique que l’ordonnance de 2005 procédât à une réécriture des règles, restreignant leur domaine d’application de plein droit (A) tout en maintenant la possibilité d’une application volontaire (B).
Le champ d’application obligatoire
Le législateur ne contrôle les changements d’usage qu’en présence d’une réelle tension sur le marché du logement. C’est pourquoi, selon l’article L. 631-7, alinéa 1 du Code de la construction et de l’habitation ce contrôle s’applique obligatoirement :
- dans toutes les communes des Hauts-de-Seine (92), de la Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94), quel que soit leur nombre d’habitants ;
- et dans les communes (et non pas les agglomérations) de plus de 200 000 habitants au regard du recensement de la population réalisé par l’INSEE.
Pour autant, en dehors de ces communes, la réalité matérielle peut nécessiter d’instaurer volontairement ce même dispositif.
L’extension volontaire du dispositif
L’ordonnance du 8 Juin 2005 maintient la possibilité d’une application volontaire et différenciée du contrôle des changements d’usage au-delà du champ d’application obligatoire de ses dispositions. Cette louable intention de souplesse, qui permet aux pouvoirs locaux d’adapter la règlementation à la réalité du marché du logement, ne va pas sans un inconvénient pratique : le propriétaire (et son notaire) aura parfois du mal à déterminer s’il convient ou non de solliciter une autorisation avant d’opérer un changement d’usage.
La situation ne se simplifie guère lorsqu’après avoir ainsi exploré le champ d’application géographique du contrôle, le praticien se confronte à ses critères matériels.
Hors des communes dans lesquelles le contrôle du changement d’usage est impératif, comment savoir si un bien y est malgré tout soumis ?
Le praticien doit connaître les règles de compétence de l’instauration volontaire du contrôle, puis se renseigner sur son éventuelle modulation géographique. Encore lui faut-il savoir à qui s’adresser !
– Les règles de compétence de l’instauration volontaire
Principe : l’instauration volontaire du dispositif d’autorisation de changement d’usage résulte d’une initiative du maire de la commune mais ne sera applicable qu’après arrêté préfectoral.
Exception : Si la commune concernée fait partie des 1 149 communes dans lesquelles est applicable la taxe annuelle sur les logements vacants l’instauration du contrôle relève du pouvoir exclusif de l’Établissement public de coopération intercommunale ou, à défaut, du conseil municipal.
– La possibilité de modulation territoriale
Le contrôle des changements d’usage peut n’être instauré que sur une partie du territoire communal. Cette précision, apportée par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, permet d’en circonscrire l’application aux seuls quartiers dans lesquels il se justifie (centre-ville historique ou zone littorale par exemple).
Champ d’application matériel
L’essence même du dispositif est la protection du logement au sens d’habitation stable et pérenne d’un foyer.
Cette volonté de protection du logement au sens large affecte donc tant les personnes visées (A) que les locaux concernés (B).
Les personnes visées
Le dispositif de contrôle du changement d’usage s’applique à toutes les personnes qu’elles soient physiques ou morales, privées ou publiques.
Seuls les organismes d’habitation à loyer modéré et les sociétés d’économie mixte bénéficient, à cet égard, de dispositions particulières.
Les locaux concernés
Le texte ne définit pas l’usage d’habitation, mais il émane clairement de la circulaire diffusée pour son application qu’il doit être entendu d’une façon très large. Le contrôle du changement d’usage est donc applicable à tout local à usage de logement, indépendamment de toute autre considération.
La nature des locaux : un logement et ses annexes
L’alinéa 2 de l’article L. 631-7 définit les locaux à usage d’habitation protégés comme « toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1 ou dans le cadre d’un bail mobilité conclu dans les conditions prévues au titre Ier ter de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ».
Bien que n’ayant pas valeur normative, la circulaire UHC/DH2 n° 2006-19 du 22 mars 2006 prise en application de l’ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005 précise que cette notion « recouvre tous les locaux d’habitation ainsi que leurs annexes quels que soient les parcs dont ils relèvent, privé ou public, et leur date de construction ».
Il n’est donc désormais plus fait de distinction au sens de « l’usage », qu’entre les locaux d’habitation et les autres locaux.
Les circonstances indifférentes
Il importe peu, en revanche, que le local soit habité ou vacant. Il n’est même pas nécessaire qu’il soit habitable : Le contrôle reste applicable à un logement frappé d’un arrêté de péril ou d’insalubrité, d’une interdiction d’habiter ou de diviser. Peu importe également que ce local réponde ou non aux normes de décence (Il est notamment fait référence aux chambres de service).
De même, le contrôle s’applique quelle que soit l’organisation juridique du local (monopropriété, copropriété, lotissement, volumétrie…) et son mode de détention (pleine propriété, démembrement, indivision, location, commodat…).
Enfin, outre les précisions (non limitatives) apportées par le texte sur certaines catégories de logements (logements-foyers…) afin d’éviter des interprétations jurisprudentielles, le changement d’usage d’un local annexe à l’habitation est également soumis à autorisation.
La date d’appréciation de la notion d’habitation
La date de référence du 1er janvier 1970
La preuve de l’usage du local au 1er janvier 1970 ou de son évolution conforme depuis, constitue l’élément essentiel de la police du changement d’usage dans la protection du logement. En effet, l’alinéa 3 de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation dispose que « pour l’application de la présente section, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés », puis en son alinéa 4 : « Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation ».
Si de prime abord cet article est compréhensible, sa mise en œuvre est sujette à de nombreuses difficultés.
La date du 1er janvier 1970, retenue par la réforme de l’ordonnance de 2005, avait pour ambition de régler les multiples difficultés d’application du régime connues jusqu’alors. Elle correspond à la date de la dernière révision des valeurs foncières, pour laquelle tout propriétaire devait déclarer à l’administration les caractéristiques de son local et donc son usage. Dès lors, l’examen du fichier des propriétés bâties constitue la pierre angulaire du dispositif, réalisant, en quelque sorte, une « photographie administrative » du local à cette date. Il est accessible auprès des Centres des impôts fonciers par tout propriétaire et mis à disposition des professionnels ayant besoin de le consulter.
Cependant, comme pour tout fichier faisant l’objet d’un classement depuis plus de cinquante ans, son exploitation peut être difficile, notamment en cas de destruction de la fiche, d’erreur dans son indexation, ou encore d’incohérence de l’information relevée lors de la création de la fiche ou lors d’une actualisation…
C’est pourquoi le Code de la construction et de l’habitation réserve la possibilité de prouver par tout autre moyen l’affectation du local considéré. La pratique s’en remet classiquement aux désignations dans les actes de vente, règlements de copropriété ou baux ainsi qu’à toute pièce administrative ou fiscale en possession du demandeur (taxe sur les bureaux, autorisations de travaux…).
L’évolution de l’usage depuis le 1er janvier 1970
Il n’est pas tenu compte de la situation antérieure, pas plus que de son évolution postérieure, sauf si depuis le 1er janvier 1970 :
- le local a fait l’objet d’un changement de destination, régulièrement autorisé, par un permis de construire ou une déclaration préalable ;
- le local entre dans un des cas particuliers que sont à la fois l’affectation temporaire à l’usage d’habitation d’un local autre entre 1994 et 2005 ou le changement d’usage avec compensation réalisé avant 2005.
La charge de la preuve de l’usage
Selon une jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation, il appartient à la commune de prouver l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 si elle entend faire valoir un usage illicite du local à ce jour. Relevons cependant qu’un arrêt du Conseil d’État a procédé (à tort ?) à une distinction quant à la nature de la preuve à apporter selon que le local est à usage d’habitation ou à un autre usage. Dans le premier cas, en application du principe de « réputation », la preuve se rapporte par la situation de « fait » au 1er janvier 1970 alors que dans la seconde hypothèse, il faut se référer à la situation de « droit » à cette date : « Il résulte des termes mêmes de cet article qu’en l’absence d’autorisation de changement d’affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu’il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date. En revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’attacher pareilles conséquences au constat, au 1er janvier 1970, de l’affectation d’un local à un autre usage que l’habitation ».
Dès lors qu’il est établi que le changement d’usage du local entrera dans le champ d’application du dispositif, le propriétaire, le locataire ou l’occupant devra alors solliciter l’autorisation spécifique prévue par le texte, sans préjuger des autres autorisations pouvant être rendues nécessaires.