Sans perdre de vue l’objectif général de préservation du logement, trois situations particulières font l’objet de règles spécifiques en termes de police du changement d’usage : l’affectation partielle de la résidence principale à usage professionnel ou commercial ou usage mixte (Sous-section I) ; la location meublée (Sous-section II) ; et l’affectation temporaire à l’habitation de locaux ayant une autre utilisation (Sous-section III).
Les adaptations du dispositif aux évolutions de la société
Les adaptations du dispositif aux évolutions de la société
L’usage mixte de la résidence principale
Ne voulant pas créer un frein au développement de nouvelles formes d’activités économiques pouvant être exercées à domicile, le législateur a introduit, par touches successives, de nouvelles dispositions en faveur d’une possible utilisation de sa résidence principale à des fins professionnelles ou commerciales. Ces dispositions sont désormais codifiées sous les articles L. 631-7-2 à L. 631-7-4 du Code de la construction et de l’habitation, qui définissent d’une part le champ d’application de la réglementation de l’usage mixte d’une résidence principale (§ I) et, d’autre part, son contenu, qui varie en fonction des nuisances qu’il peut engendrer (§ II).
Le champ d’application de la réglementation de l’usage mixte de la résidence principale
La règlementation de l’usage mixte ne concerne que les locaux à usage d’habitation constituant la résidence principale de l’occupant et n’est applicable que si le changement d’usage envisagé présente un caractère partiel
, le local devant conserver ses attributs propres à l’habitation (cuisine, pièce d’eau…).
De plus, l’usage mixte ne doit pas contrevenir aux stipulations contractuelles résultant d’un bail
(s’il existe)
ou d’un règlement de copropriété
(s’il existe)
.
Si ces trois conditions sont respectées, l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale (au sens large, et donc artisanale) devient possible, mais il peut, malgré ce, nécessiter une autorisation.
Les effets de la réglementation de l’usage mixte de la résidence principale
Les règles diffèrent en ce qu’elles permettent (A) ou non (B) de se dispenser de toute autorisation.
L’usage mixte libre
Une partie du local d’habitation occupé à titre de résidence principale peut être librement utilisée à des fins professionnelles ou commerciales dans deux cas.
L’absence de réception de public ou de marchandises
Le premier cas est celui dans lequel ces activités excluent toute réception de public et de marchandises. Cette règle concerne donc au premier chef le télétravail et le e-commerce. Elle s’étend aux représentants légaux des personnes morales
.
Les locaux en rez-de-chaussée
Le deuxième cas est celui dans lequel l’activité prévue comporte l’accueil du public et/ou de marchandises, mais s’exerce dans un local situé en rez-de-chaussée, et n’engendre ni nuisance ni danger pour le voisinage, ni désordre pour le bâti.
Ce régime dérogatoire n’est pas applicable aux logements appartenant aux organismes d’habitations à loyer modéré ; une autorisation identique à celle étudiée ci-après leur est toujours nécessaire.
L’usage mixte soumis à autorisation
Que les locaux soient situés en rez-de-chaussée ou en étage, et qu’il y ait ou non réception du public ou de marchandises, l’usage mixte d’une résidence principale est soumis à autorisation préalable dès lors que l’activité exercée pourrait comporter un risque de désordres. L’activité ne doit néanmoins engendrer, par principe, ni nuisance, ni danger pour le voisinage et ne doit conduire à aucun désordre pour le bâti. L’appréciation de ces critères relève du pouvoir du maire lors de l’instruction de la demande d’autorisation.
Ce régime particulier s’applique aux logements appartenant aux organismes d’habitations à loyer modéré mais uniquement pour des activités professionnelles, à l’exclusion des activités commerciales.
Tableau récapitulatif du régime dérogatoire de l’usage mixte
Usage mixte soumis à autorisation | Usage mixte dispensé d’autorisation | ||
Art. L. 631-7-2 | Art. L. 631-7-3 | Art. L. 631-7-4 | |
Niveau | Tous niveaux | Rez-de-chaussée | |
Local | Résidence principale du demandeur de l’autorisation | Résidence principale de la personne exerçant l’activité | |
Activités | Activités libérales/commerciales sauf opposition du bail et/ou du règlement de copropriété | ||
Réception de clientèle | Oui | Non | Oui |
Réception de marchandises | Oui | Non | Oui |
Tranquillité des tiers | Aucune nuisance ni danger pour le voisinage ni désordre pour le bâti | Pas de restriction particulière | Aucune nuisance ni danger pour le voisinage ni désordre pour le bâti |
La location meublée
Avec le Code du tourisme, la police du changement d’usage constitue aujourd’hui un rempart face aux dérives qui accompagnent le succès grandissant de la location meublée de tourisme. C’est d’ailleurs à cet effet que les communes qui sont en dehors de son champ d’application obligatoire peuvent en décider l’application volontaire.
L’objectif étant toujours la préservation du logement, le contrôle du changement d’usage ne s’applique cependant pas lorsque la location meublée permet d’en assurer la pérennité. Il en est ainsi s’agissant de la résidence principale du loueur ou du locataire (§ I). Seule la location meublée de tourisme est alors soumise à contrôle (§ II).
La location meublée libre
La mise en location meublée d’un logement n’est pas soumise à contrôle préalable lorsqu’elle porte sur la résidence principale de son loueur (A) ou de son occupant (B).
La résidence principale du loueur
En application du dernier alinéa de l’article L. 631-7-1 A, la location meublée « touristique » n’est pas soumise à autorisation lorsqu’elle porte sur la résidence principale du loueur. La définition de la résidence principale est celle retenue par l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Il s’agit du logement « occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du Code de la construction et de l’habitation ».
La résidence principale du locataire
Aucune autorisation n’est requise en cas de location meublée entrant dans les conditions de l’article L. 632-1 du Code de la construction et de l’habitation. Ce bail étant essentiellement régi par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et portant sur une résidence principale du locataire, la stabilité dans l’occupation et la préservation du logement sont atteints.
Notons que le bail mobilité créé par la loi Elan du 23 novembre 2018 est expressément exclu du contrôle de changement d’usage. Bien que s’agissant d’une location de courte durée et hors résidence principale, elle obéit à des considérations spécifiques au regard de la personne pouvant y prétendre et permet également de valoriser les « pied-à-terre » inoccupés, justifiant ainsi son exclusion du régime d’autorisation.
En dehors de ces cas particuliers, dès lors que la location meublée de courte durée est répétée et consentie à une clientèle de passage, elle tombe sous le coup d’une autorisation.
La location meublée soumise à autorisation
Le dernier alinéa de l’article L. 631-7 prévoit que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ». Ce texte pose donc le principe que la location meublée à des fins touristiques est soumise à autorisation préalable (A). Il existe cependant, là encore, un régime dérogatoire (B).
Le principe de l’autorisation
La législation de la protection du logement prend ici tout son sens. Le détenteur d’un local d’habitation ne peut pas l’affecter à une location touristique sans y être préalablement autorisé. Il s’agit là de lutter efficacement contre la déperdition des logements face aux tentations des plateformes de location en ligne. C’est d’ailleurs bien ce texte qui incite aujourd’hui de nombreuses communes, pourtant hors champ d’application obligatoire du dispositif, à le rendre volontairement applicable. En effet, contrairement à la législation relative au changement de destination, sa mise en œuvre est relativement simple pour la commune. Elle lui permet de faire une appréciation fine de ses besoins de protection et comporte des sanctions suffisamment dissuasives pour décourager volonté de s’y soustraire. C’est donc tout naturellement que la police du changement d’usage, couplée au Code du tourisme, est devenue le fer de lance de cette lutte.
Le texte prend soin de ne pas faire référence à l’article L. 324-1-1 du Code de tourisme qui définit « les meublés de tourisme ». Il lui emprunte la notion de clientèle de passage qui n’élit pas domicile mais prend pour critère d’application temporel, la location répétée de courte durée, sans la définir. Il semble ainsi laisser à la commune toute latitude pour fixer le curseur selon ses exigences et aux juges un pouvoir souverain d’appréciation des notions de durée et de répétition. Cependant, ces deux critères doivent aujourd’hui s’apprécier à la lumière de l’arrêt de principe de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 février 2021. La notion de répétition est caractérisée à partir de deux contrats conclus au cours de la même année. La notion de courte durée l’est si le contrat a « une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois ».
Si la pratique de location meublée répétée de courte durée le fait basculer dans le champ d’application du texte, le pétitionnaire doit solliciter une autorisation préalable de changement d’usage (indépendamment de la nécessité du respect des règles sur le changement de destination et des règles de droit privé).
La commune qui souhaite éliminer pareilles locations peut, en outre, subordonner son autorisation à une compensation, obérant le plus souvent la rentabilité de ces locations et ce, même si l’autorisation devient alors réelle.
Inversement, la commune souhaitant préserver une attractivité touristique via ces plateformes de location, tout en endiguant les abus, peut encadrer ces locations touristiques en instaurant un régime d’autorisation personnelle et temporaire.
Le régime d’autorisation temporaire
– Mécanisme. – L’article L. 631-7-1-A du Code de la construction et de l’habitation, créé par la loi Alur, permet à la commune (ou à l’EPCI) d’instaurer un régime d’autorisation temporaire de la location meublée touristique de courte durée. Il lui laisse le soin définir les critères et modalités de son application « en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements ».
Cette autorisation n’est délivrée qu’à titre personnel, le texte précisant que le local ne change alors pas de destination au sens du Code de l’urbanisme. Surtout, elle ne peut être délivrée qu’à une personne physique, excluant
de facto
du dispositif toute détention sociétaire.
Appréciation critique et conseil pratique. Si l’objectif de lutte contre la professionnalisation de ces locations est louable, il n’en demeure pas moins que l’impossibilité d’accorder l’autorisation temporaire à une personne morale constitue un frein à l’investissement ou à la transmission familiale. Il y a là, en outre, une source de responsabilité pour le conseil, qui préconiserait de recourir à la forme sociétaire sans vérifier la règlementation de la commune du lieu d’investissement. Enfin, la différence de traitement entre personnes physiques et morales pourrait apparaître comme une rupture d’égalité peu compréhensible, si ce n’est injuste.
Les régimes particuliers que nous venons d’étudier ont pour point commun de contrôler le passage de l’habitation à une activité. Il existe cependant un régime organisant le changement d’usage en sens inverse.
L’expérimentation d’un régime dérogatoire de « location mixte » à Nice
Depuis l’année universitaire 2022-2023, la ville de Nice a instauré un régime de location particulièrement novateur au regard de la réglementation sur le changement d’usage.
Il prévoit de coupler une location meublée étudiante (pendant une période de 5 à 9 mois, avec un loyer plafonné) à une location meublée touristique (pendant 3 mois l’été).
Dans cette hypothèse, le propriétaire (que ce soit une personne physique ou morale) peut bénéficier d’une autorisation de changement d’usage, sans compensation.
L’affectation temporaire à usage d’habitation
L’article 81 de la loi no 2015-990 du 6 août 2015, dite « loi Macron », a créé l’article L. 631-7-1 B du Code de la construction de l’habitation. Ce texte prévoit la possibilité d’affecter à un usage d’habitation des locaux ayant un autre usage, pour une période maximale de quinze ans. Son application nécessite une délibération du conseil municipal (ou de l’organe délibérant de l’EPCI) qui définira les règles de la déclaration préalable à respecter.
À l’issue de la période d’occupation et au plus tard dans les quinze ans, le local pourra retrouver son usage antérieur sans avoir à solliciter une autorisation régie par l’article L. 631-7-1. Le texte ne le précise pas, mais par le jeu du parallélisme des formes, on suppose qu’une déclaration identique à la déclaration initiale sera requise pour effectuer ce « retour arrière ». En effet, il est essentiel de constituer la preuve du retour à l’usage d’activité ; à défaut, le local sera définitivement regardé comme étant à usage d’habitation au sens de l’article L. 631-7.
En cas de mise en location, le bailleur doit mentionner l’affectation temporaire du local loué. Cela lui permettra alors de donner congé pour motif sérieux et légitime sur ce fondement lors de la réaffectation à l’état antérieur. Ce texte ne permet cependant pas de déroger à la règle légale sur la durée du bail, au sens de l’article 11 de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989.
Le contrôle administratif du passage activité / habitation : comme un air de déjà vu…
1. Fait surprenant, un dispositif quasi-identique à celui figurant à l’article L. 631-7-1 B du Code de la construction de l’habitation avait déjà été introduit sous l’ancien article L. 631-7-1 par la loi no 94-624 du 21 juillet 1994 avant d’être supprimé par l’ordonnance du 8 juin 2005. Sa réintroduction au Code de la construction et de l’habitation résulte d’un amendement présenté comme étant susceptible « d’avoir un effet réel sur le déblocage de nombreuses opérations foncières et immobilières, générant ainsi de l’activité économique pour le BTP, et d’optimiser ainsi le potentiel des territoires économiques où l’usage du foncier est le plus tendu. Les opérations de transformations de bureaux en logements ont notamment vocation à être incitées par cette disposition ».
2. Il est vrai qu’avec 4 , 4 millions de mètres carrés de bureaux inoccupés en Île-de-France (le télétravail apparaissant comme la cause de cette et désaffection des grands ensembles de bureaux) l’intention du législateur est louable. Cependant, dans les faits, ce dispositif avait été supprimé par l’ordonnance de 2005 en raison de la marginalité des opérations engagées malgré un dispositif d’incitation fiscale l’accompagnant.
3. Alors, aux mêmes causes, les mêmes effets ? Le cœur du problème réside dans le fait que ce texte n’est pas adapté aux opérations de transformations d’envergure des grands ensembles de bureaux. Les contraintes techniques, juridiques et le coût financier qui les accompagnent ne permettront pas à l’investisseur d’équilibrer son projet sur une période maximale de quinze années, s’il doit ensuite revenir à l’usage antérieur. Dans ces situations seule une réversibilité non contrainte sur une période aussi courte pourra inciter à y souscrire. Cela sera d’autant plus vrai que la durée d’affectation à l’habitation pourra être longue.
4. Finalement, en l’état actuel, ce texte n’a vocation à s’appliquer qu’aux immeubles conçus initialement comme de l’habitation, qui se sont trouvés affectés à un usage autre au 1er janvier 1970 et qui, de préférence, sont détenus en monopropriété. L’exemple type sera l’immeuble Haussmannien. Dans cette hypothèse, le propriétaire peut trouver intérêt à faire temporairement de la location d’habitation dans l’attente de trouver un nouveau locataire professionnel ou commercial.
Il ne peut donc constituer à ce jour le fondement juridique d’une augmentation significative du nombre de logements.