La pratique de plus en généralisée du travail à distance crée un besoin d'adaptation des logements
(§ I). Le Droit doit aménager les moyens de le satisfaire (§ II).
Le télétravail dans son logement
Le télétravail dans son logement
Un besoin d'adaptation
– Une adaptation nécessaire. – Décideurs et constructeurs doivent aujourd'hui penser en termes de multifonctionnalité des lieux de résidence, ce qui implique non seulement de satisfaire les besoins présents des habitants, mais en outre d'anticiper sur leurs besoins futurs. On pourrait, par exemple, concevoir des logements divisibles en deux unités : l'une consacrée à la vie privée, et l'autre réservée au télétravail, ou tout au moins aisément adaptable en vue de permettre celui-ci (connectique, cloisons déplaçables, etc.). Au surplus, cette modularité est susceptible de répondre à des besoins d'une tout autre nature (nécessités familiales telles qu'arrivée, croissance, puis départ d'enfants ; séparation ; cohabitation, décohabitation ; besoin d'assistance du fait de l'âge ou de l'invalidité, etc.).
Obstacles et risques de l'adaptation des logements au télétravail
1. En avril 2020, l'Insee s'est livré à une analyse des conditions de confinement en fonction du territoire concerné, du logement occupé et de la composition des ménages. Il en ressort notamment que l'expansion du télétravail rencontre deux principaux obstacles.
1.1 – La taille des logements
39 % des Français disent manquer d'espace dans leur logement. Il en résulte évidemment que « le télétravail, l'école à la maison, la tranquillité ou le besoin de s'isoler ne font effectivement pas toujours bon ménage ».
1.2 – La capacité d'adaptation des logements
Il ressort de cette étude un vrai désir d'évolution dans le sens d'une plus grande flexibilité propre à favoriser, d'une part, le bien-être des habitants (notamment en cas de nouvelle crise sanitaire) et, d'autre part, la continuité de la vie économique, grâce à la possibilité d'y exercer une activité professionnelle à distance. Ce dernier impératif implique que l'habitant puisse disposer d'un minimum de surface, d'aménagement et de connexion.
2. Ces évolutions sociétales devraient être prises en compte dès la conception des logements. Il faut les concevoir mutables, adaptables, personnalisables, autrement dit considérer, outre les nécessités du présent, les besoins futurs des occupants.
– Mais une adaptation à encadrer. – Le risque de cette adaptation « à marche forcée » des logements est de la voir s'opérer au détriment de la qualité de vie de leurs habitants, sinon au détriment de leur vie privée. Certains mettent en garde contre un accroissement excessif de la capacité d'autonomie du logement, qui pourrait présenter selon eux l'effet pervers d'amener les ménages à un repli sur eux-mêmes. Un logement dont on pourrait ne plus avoir besoin de sortir deviendrait aliénant. C'est précisément à cet égard que le rôle des juristes se trouve porté au premier plan : si l'adaptation des logements au télétravail est souhaitable, voire nécessaire, elle appelle la définition d'un cadre juridique respectueux des droits préexistants.
Les moyens de l'adaptation
La concrétisation de ces adaptations passe, entre autres, par la règle de droit, tant de droit public et d'urbanisme (A) que de droit privé et de rapports locatifs et de voisinage (B).
En droit de l'urbanisme : télétravail et police du logement
Permettre à un logement d'accueillir une activité « téléprofessionnelle » renvoie aux problématiques de classification et de changements d'usage. Dans la préface d'un ouvrage récemment actualisé et réédité, un auteur invite à s'interroger sur les effets du fort développement du télétravail sur l'offre de locaux à usage de bureaux. Il observe la disparition en pratique des opérations de transformation de logements en bureaux, et leur remplacement par l'opération inverse. Nous ne nous attarderons pas sur cette question, et renvoyons le lecteur aux travaux de la première commission.
En droit privé
Travailler dans son logement, c'est y exercer une activité professionnelle. Les clauses d'un règlement de copropriété (I) ou celles d'un bail (II) peuvent s'y opposer. Pareilles interdictions peuvent-elles être étendues au télétravail à domicile ?
Télétravail et copropriété
– Une question classique. – Le télétravail repose, en copropriété, la question classique des clauses d'habitation bourgeoise.
Les clauses d'habitation bourgeoise en copropriété
Le droit de la copropriété oppose deux types de clauses dites « d'habitation bourgeoise » :
- la clause d'habitation bourgeoise simple, qui s'oppose à toute activité commerciale, mais n'empêche pas l'exercice de professions libérales et intellectuelles ;
- la clause d'habitation strictement bourgeoise, dite encore exclusive, qui prohibe toute activité professionnelle – censée être source de nuisance par le va-et-vient plus intense qu'elle peut générer –, même si cette activité est non commerciale (à la différence de la clause d'habitation bourgeoise simple, qui n'empêcherait pas l'exercice de professions libérales et intellectuelles).
– Le travail dans un immeuble d'habitation n'est pas interdit. – Même les clauses d'habitation bourgeoise les plus restrictives ne peuvent interdire à un locataire ou un propriétaire de travailler depuis chez lui, dès lors qu'aucun préjudice n'est causé au voisinage. L'intéressé dispose, en effet, du libre usage de ses parties privatives. La plupart des règlements de copropriété qui les contiennent remontent à une époque où le travail à distance n'existait pas encore. Ces clauses ne visent donc pas, ne pouvaient pas viser le télétravail en tant que tel. Elles visent en réalité les nuisances qui peuvent découler, pour le voisinage, de l'exercice d'une activité professionnelle génératrice de désagréments : réception de clientèle, livraisons, usage de machines, réunions, etc. Il n'est pas concevable d'y assimiler le fait de travailler à distance, pas plus qu'on ne pourrait le faire pour empêcher un étudiant de bachoter ses examens, un professeur de corriger ses copies, un écrivain de rédiger ses œuvres et pourquoi pas une grand-mère de tricoter des écharpes pour ses petits-enfants !
– Seule est sanctionnée la nuisance. – Pour la Cour de cassation, et sans entrer dans la distinction entre clauses d'habitation bourgeoise simples ou exclusives, le seul critère à prendre en considération est la réalité de l'activité développée dans les locaux. La seule présence d'un bureau, la seule domiciliation d'une entreprise, même commerciale, n'est donc pas contraire à l'habitation bourgeoise et ne peut être interdite à un occupant. De même, la domiciliation d'une personne morale dans les locaux à usage d'habitation pris à bail par son représentant légal, n'entraîne pas un changement de la destination des lieux si aucune activité n'y est exercée. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il nous semble acquis qu'en l'absence de toute nuisance, le télétravail dans un logement ne peut fonder aucun recours de la part d'un copropriétaire ou du syndicat des copropriétaires.
Télétravail et location
– Là encore, seul compte le respect de la paix des lieux. – La solution nous paraît identique si la question se pose au sein d'un rapport locatif. L'une des principales obligations du locataire est d'user paisiblement des locaux loués, suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location.
Pour le rappel des obligations du locataire, on peut lire ici le contenu in extenso de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 :
Dès lors, le locataire en télétravail peut utiliser un bureau et exercer son activité professionnelle dans les locaux loués, mais il ne doit créer aucune source de nuisances pour son voisinage. Il ne peut pas recevoir de clientèle ou stocker de la marchandise dans le logement loué. Si ces conditions sont respectées, il n'apparaît pas nécessaire qu'il obtienne l'accord du propriétaire. Il peut domicilier une entreprise dans son logement pour les besoins de son immatriculation (V. supra, no
) ou y exercer des activités de télétravail, de commerce électronique ou de prestation intellectuelle.
– L'assurance du locataire, un point à vérifier. – En revanche, il sera prudent de vérifier que l'assurance habitation du locataire couvre bien l'exercice du télétravail ainsi que les équipements et matériels mis à disposition par l'employeur. C'est d'ailleurs également une obligation de l'employeur. Fréquemment, l'assurance habitation du salarié locataire couvre la situation de télétravail sans des frais supplémentaires.