La surveillance institutionnelle de la structure des prêts

La surveillance institutionnelle de la structure des prêts

– Un marché à réguler. – Pour financer les prêts qu’elles consentent, et notamment les prêts immobiliers consentis aux particuliers, les banques sont amenées à se procurer des capitaux sur les marchés financiers ou à se les prêter entre elles. On parle de refinancement. Lorsque le coût du refinancement augmente sur les marchés financiers, les banques répercutent ce surcoût sur les emprunteurs en augmentant le « loyer de l’argent », c’est-à-dire les taux d’intérêt. C’est pourquoi les perturbations qui affectent les marchés financiers (résultant des incertitudes économiques, de la dégradation du pouvoir d’achat, de la hausse des prix de l’énergie, etc.) et corrélativement la probable augmentation des situations de surendettement, peuvent avoir des conséquences néfastes sur le nombre et les conditions des prêts immobiliers octroyés par les banques.
– Surveillance institutionnelle. – Une surveillance institutionnelle est organisée pour éviter le désordre économique ; elle est assurée au niveau européen par la Banque centrale européenne (BCE), au niveau national par la Banque de France, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Les deux premières agissent spécialement sur la progression du taux du prêt (Sous-section I), et les deux autres sur l’endettement et son étalement dans la durée (Sous-section II).

Le taux

– Politique monétaire de la BCE. – La politique menée par la BCE, qui vise à stabiliser les prix, influence directement les taux des prêts immobiliers qui sont pratiqués par les banques commerciales internes. La BCE pilote trois taux directeurs, qui vont s’imposer aux banques faisant appel à elle pour des besoins de trésorerie :
  • le principal taux directeur s’appliquant aux opérations de refinancement pratiques par les banques internes, qui empruntent à la BCE des liquidités pendant une semaine. Il s’agit du « principal taux en temps normal » ;
  • le taux directeur répondant à des besoins urgents de financement. La banque emprunte ici pour vingt-quatre heures à la BCE. On parle de « taux de la facilité de prêt marginal », qui est plus élevé que le taux principal ;
  • le taux directeur destiné à rémunérer les banques commerciales qui, ayant un excédent de liquidités, veulent les déposer pour vingt-quatre heures à la BCE. C’est le « taux de la facilité de dépôt », plus faible que les autres taux directeurs. Le taux de cette facilité a d’ailleurs été négatif de juin 2014 à juillet 2022. Il résultait de cette situation que les banques avaient plus d’intérêt à consentir des prêts à leurs clients qu’à placer leurs disponibilités à la BCE.
– Contrôle de l’inflation par la BCE. – Dans le contexte inflationniste généré notamment par l’épidémie de Covid-19 et le début de la guerre en Ukraine, la BCE a plusieurs fois rehaussé ses taux directeurs et assume clairement sa position. Le crédit devient alors plus coûteux pour les ménages qui empruntent moins, donc consomment et investissent moins ; l’activité ralentit, tout comme le rythme de hausse des prix. Mais si, à l’inverse, l’inflation était trop basse, la BCE irait sans doute dans le sens contraire et diminuerait ses taux directeurs ; les ménages pourraient alors emprunter et investir davantage, et l’activité économique s’accélérer, comme la hausse des prix.
Pour une présentation des taux directeurs et leur actualité :
https://abc-economie.banque-france.fr/search-es?term=mda+taux+directeurs+20210226">Lien
– L’usure. – Le taux d’usure correspond au « taux d’intérêt maximum légal que les établissements de crédit sont autorisés à pratiquer lorsqu’ils accordent un prêt ». Le prêt est usuraire lorsqu’il est « consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier ». Il convient d’apprécier le taux effectif global (TEG) d’un prêt au moment de l’octroi de celui-ci pour savoir s’il est ou non usuraire, ce qui a pour conséquence d’exclure du calcul des éléments postérieurs, extérieurs à la volonté du prêteur, qui viendraient en accroître le coût, tels que des perceptions supplémentaires liées, par exemple, au jeu d’une clause d’indexation ou à la défaillance de l’emprunteur.
– Champ d’application de la réglementation sur l’usure. – Seuls sont concernés par les règles de l’usure les prêts accordés aux particuliers agissant pour leurs besoins non professionnels, ce qui est le cas des personnes physiques investissant dans un logement, et les prêts accordés aux personnes morales qui n’ont pas d’activité professionnelle, ainsi que les prêts accordés aux personnes morales ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale, sous forme de découverts en compte.
– Information des emprunteurs. – Les prêteurs doivent porter à la connaissance des emprunteurs les seuils de l’usure correspondant aux prêts qu’ils leur proposent. Les établissements de crédit tiennent cette information à la disposition de leur clientèle comme pour les conditions générales de banque mentionnées à l’article R. 312-1 du Code monétaire et financier.
– Rôle de la Banque de France. – La Banque de France est en charge du calcul des taux effectifs moyens qui ont été pratiqués au cours d’un trimestre civil par les établissements de crédit pour les catégories d’opérations de même nature comportant des risques analogues et entrant dans le champ d’application de la réglementation sur l’usure. Le ministre chargé de l’économie fait procéder à la publication au Journal officiel de la République française de ces taux ainsi que des seuils de l’usure correspondant qui serviront de référence pour le trimestre suivant. Comme le relève une auteure, une idée reçue consiste à penser que la décision de faire varier le taux d’usure dépend de la Banque de France, alors qu’elle ne fait que les calculer selon une méthode définie par les textes. L’intervention de la BCE pour assurer un équilibre économique, comme nous l’avons vu plus haut, semble quant à elle déterminante Le lecteur intéressé trouvera sur l’extension numérique du présent rapport quelques compléments importants sur l’usure.

La sanction de l’usure

Le respect du niveau de l’usure a des répercussions très importantes sur l’économie. Les banques qui pratiqueraient un taux usuraire s’exposent (outre à une mauvaise réputation) à de lourdes sanctions, pouvant être étendues à leurs « complices », tels que le notaire rédacteur de l’acte de prêt. L’article L. 341-50 du Code de la consommation dispose ainsi que :
  • le fait de consentir à autrui un prêt usuraire ou d’apporter à quelque titre et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire ou d’un prêt qui deviendrait usuraire au sens de l’article L. 314-6 du Code de la consommation du fait de son concours est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros ;
  • en cas de condamnation, le tribunal peut en outre ordonner :En cas de fermeture, le tribunal fixe la durée pendant laquelle le délinquant ou l’entreprise doit continuer à payer à son personnel les salaires, indemnités et rémunérations de toute nature auxquels celui-ci avait droit jusqu’alors ; cette durée ne saurait excéder trois mois.

L’usure : concept symbolique ou réalité économique ?

1. La règlementation de l’usure trouve ses racines dans l’Histoire ancienne. Déjà le Code d’Hammurabi fixait un maximum au taux des prêts. Dans la Rome antique, l’usure était un crime sévèrement sanctionné. En occident, le Moyen Âge confondra longtemps le prêt à intérêt avec l’usure. Malgré des arguments économiques plus rationnels apparus par la suite, et adoptés par la Réforme, il résulta longtemps de ces fondements historiques péjoratifs une certaine défiance de la société et de ses institutions à l’égard du crédit. Peu à peu pourtant, le prêt à intérêt s’imposa comme une prestation de services pouvant être rémunéré. Néanmoins, une loi du 28 décembre 1966, condamnant l’usure, fut adoptée. Les textes législatifs actuellement en vigueur, regroupés dans le Code de la consommation, traduisent une volonté de protéger l’emprunteur/consommateur contre les risques de surendettement.
2. Pour autant, la symbolique n’est-elle pas toujours présente dans les textes ? Face à l’inflation et la remontée des taux, certains professionnels du secteur bancaire en ont réclamé la modification. Le taux plafond, révisé tous les trimestres, n’évoluerait pas assez vite à la hausse. Si la réglementation sur l’usure ne suit pas, les prêts risquent de diminuer, alors même qu’ils constituent une part grandement majoritaire du financement des logements. Face au risque d’une crise immobilière, qui a été ressenti dès le début de l’année 2022, l’usure freinerait l’économie.
3. On peut nuancer ce jugement en indiquant qu’il existe une faculté de réajustement du taux de l’usure en cas de circonstance exceptionnelle (n’est-ce pas le cas d’une crise immobilière ?), qui sera peut-être utilisée par la Banque de France dans un contexte d’avant crise, du moins peut-on l’espérer.
4. Exclure l’assurance emprunteur de l’assiette du TEG pour le calcul du taux de l’usure, est une autre piste, qui semble cependant n’avoir que peu de chances d’aboutir étant donné le caractère obligatoire de cette assurance et le fait que les textes européens, qui ont la mainmise sur la définition du TEG, s’imposent à la France.

Le niveau d’endettement et son étalement dans la durée

– Un endettement croissant. – Les Français s’endettent de plus en plus, tant sur les montants que sur la durée. Les prix ne cessant de croître, ils n’ont d’autres choix que d’emprunter plus longtemps s’ils veulent accéder à la propriété. Ils étaient d’ailleurs incités à le faire tant les taux d’intérêt étaient historiquement bas à la fin de l’année 2021. L’Observatoire Crédit Logement (OCL)/CSA nous apprend qu’en novembre 2022, la durée moyenne des prêts s’établissait à 248 mois, un niveau encore jamais observé. Dans son tableau de bord de novembre 2022, il remarque que « comme les ménages encore sur le marché accomplissent des projets bien plus ambitieux que ceux qui en ont été exclus, le coût des opérations réalisées progresse toujours à un rythme soutenu (+ 5,4 % pour les 11 premiers mois de l’année, en glissement annuel, après + 4,7 % en 2021) ». L’apport des ménages a également crû (+ 11,1 % pour les onze premiers mois de l’année, en glissement annuel, après + 13,3 % en 2021), mais l’OCL constate qu’avec la flambée des prix de l’immobilier, il ne suffit plus.
– Hausse des prix et endettement : un risque de chocs économiques. – Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) relève qu’un secteur de l’immobilier en tension associé à une forte dette des ménages peut amplifier les chocs économiques : par exemple, une hausse du chômage (ou baisse des revenus) pourrait entraîner une hausse de la sinistralité, mais également une saturation de la contrainte de revenu des ménages. Cela diminuerait leur consommation, accentuant davantage la dégradation des perspectives économiques.
– Rôles du HCSF et de l’ACPR face à l’endettement des ménages. – Ces difficultés de financement engendrent un risque de surendettement des ménages, que deux institutions sont chargées de surveiller :
  • le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Il peut, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, « en vue de prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques, fixer des conditions d’octroi de crédit par les entités soumises au contrôle de l’ACPR ou de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et ayant reçu l’autorisation d’exercer cette activité ». Ces limites étaient auparavant de simples recommandations ;
  • l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) vérifie le respect de ces conditions d’octroi de crédit, et peut infliger blâmes et sanctions financières en cas de manquement, ce qui est déjà arrivé.
On peut consulter par le lien qui suit la présentation des « Travaux de la Banque de France et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en matière de stabilité financière » :
https://www.banque-france.fr/stabilite-financiere/travaux-de-la-banque-de-france-et-de-lacpr-sur-la-stabilite-financiere">Lien
– Décision du HCSF du 29 septembre 2021 : les niveaux maximaux à respecter. – Le HCSF a révisé les conditions d’octroi des crédits immobiliers, dans une décision prise le 29 septembre 2021, avec date d’effet au 1er janvier 2022. Désormais, la durée maximum d’un emprunt immobilier souscrit par un particulier est fixée à vingt-cinq ans. D’autre part, le taux maximum d’endettement, qui mesure le montant des annuités de remboursement par rapport aux revenus de l’emprunteur, ne doit pas dépasser 35 %, assurance comprise, contre 33 % auparavant.
Les ménages qui achètent un logement neuf sur plan, avant achèvement du bien, ou qui achètent dans l’ancien et engagent des travaux importants, dont le montant représente au moins 25 % du coût d’acquisition, peuvent bénéficier de deux années supplémentaires de durée d’emprunt.
Les établissements de crédit peuvent s’affranchir de ces conditions maximales de durée et de taux d’endettement pour 20 % des prêts octroyés. Ces dérogations doivent être réservées, pour 80 % d’entre elles, aux ménages qui achètent leur résidence principale, avec une proportion de 30 % aux primo-accédants, afin de ne pas exclure les emprunteurs aux revenus modestes ou disposant d’un faible apport, mais dont les dossiers sont toutefois jugés solides.
– Motifs de la décision. – La décision a été motivée par :
  • le constat que l’endettement des ménages est passé de 53,4 % du revenu disponible brut à 100,9 % entre le premier trimestre 2001 et le premier trimestre 2021, et que le crédit à l’habitat contribue significativement à cette dynamique ;
  • le constat que la robustesse du modèle de financement du logement prévalant en France s’appuie sur les bonnes pratiques que constituent en particulier la maîtrise du taux d’effort des emprunteurs et le caractère raisonnable de la maturité ;
  • le constat que le niveau d’endettement atteint, conjugué à la dégradation tendancielle des conditions d’octroi observée depuis 2015, est de nature à fragiliser les ménages ;
  • la nécessité de pérenniser un octroi prudent de crédit à l’habitat compte tenu du niveau d’endettement atteint.
La prudence dans l’octroi des crédits est de raison, mais ce principe ne permet pas en soi de régler les difficultés d’accession à la propriété rencontrées par un nombre certain de ménages.
– S’endetter encore plus longtemps, est-ce la solution ? – Lisser davantage le coût de l’emprunt est une piste souvent envisagée pour faciliter, au moins à court terme, l’accession des ménages à la propriété, et en particulier celle des primo-accédants. Cette question, qui met en cause la pérennité du logement, sera abordée par le rapport de la troisième Commission. Nous nous bornerons donc ici à quelques conjectures prudentielles.
– Nul ne doute que dans cette configuration, les banques renforceront les conditions du prêt à leur profit et exigeront des taux d’intérêt encore plus élevés pour financer les ménages, rendant ainsi le logement toujours plus cher.
– Plus la durée de remboursement est longue, plus le risque qu’un ménage soit en incapacité de payer ses mensualités est élevé, par exemple en raison du changement inattendu d’une situation personnelle ou professionnelle. Dès lors, on voit mal comment cet assouplissement s’accorderait avec un marché bancaire régulièrement en tension. Sauf à prévoir systématiquement des taux variables, les banques ne verront-elles pas d’un mauvais œil des conditions financières bloquées sur un aussi long terme ?
– Solvabiliser les ménages en lissant davantage leur endettement ne risque-t-il pas d’aggraver la hausse des prix de l’immobilier, et donc le niveau d’endettement des ménages, s’ils sont toujours plus nombreux à accepter un tel risque pour se positionner sur le marché immobilier ?