La construction réversible en droit positif

La construction réversible en droit positif

La notion de construction réversible n’existe pas en droit en Français. Celle-ci regroupant plusieurs aspects, il nous paraît utile de commencer par essayer d’en donner une définition (Sous-section I). À partir de celle-ci il sera possible d’analyser le droit positif actuel s’en approchant (Sous-section II).

Approche contextuelle de la réversibilité

Nous l’avons dit, la réversibilité se distingue de la transformation d’immeubles tertiaires en logements. La transformation est associée à un « héritage » de la construction existante ; la réversibilité se considère dès sa conception. C’est ainsi que Canal architecture la définit comme « la capacité programmée d’un ouvrage neuf à changer facilement de destination (bureaux, logements, activités…) grâce à une conception qui minimise, par anticipation, l’ampleur et le coût des adaptations ».
L’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise en Île-de-France (ORIE) en propose une définition très proche, à savoir : « l’anticipation, dès la conception, de l’évolution des usages d’un bâtiment dans le temps et sa transformation future en une autre destination sans besoin d’intervention sur le gros œuvre (éléments porteurs et enveloppe constituant l’ossature d’un bâtiment. ». L’ORIE aborde également la réversibilité sous un angle plus large avec trois axes :
  • la réversibilité de l’espace, qui est celle nous intéressant dans ces développements ;
  • la réversibilité du foncier, relative aux possibilités de démonter facilement un immeuble pour rendre le terrain à son état d’origine ;
  • la réversibilité des droits à construire, s’appliquant aux possibilités de surélévations, prévues dès la conception, par l’ajout d’étages ayant une destination autre que celle de l’immeuble support.
D’une manière consensuelle, les acteurs s’intéressant à la notion de réversibilité s’accordent sur le fait qu’un tel immeuble, parce qu’il pourra avoir « plusieurs vies » et sera donc évolutif, doit être compatible avec « le temps long du développement de la ville » ; et par voie de conséquence avec ses règles juridiques.
Cette exigence nous amène donc naturellement à nous interroger sur l’évolution et l’état actuel de notre droit positif.

Évolution juridique vers la réversibilité

Bien que notre législation ne connaisse pas de statut juridique propre à la construction réversible, divers textes issus d’évolutions législatives permettent d’accompagner des projets de constructions s’y rapportant. Il en est ainsi des permis d’expérimenter et d’innover (§ I). En parallèle de ces dispositifs, a été créé un permis de construire à double état, propre à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (§ II). Enfin, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a introduit un nouveau texte dans le Code de la construction et de l’habitation spécifique à la notion de réversibilité (§ III).

Les permis d’expérimenter et d’innover

Afin d’encourager l’effort de construction et l’incitation à l’innovation (ce qui est dans la droite ligne d’un projet de construction réversible), le législateur a instauré deux dispositifs particuliers relatifs aux normes de construction : le permis d’expérimenter (A) et le permis d’innover (B). L’un comme l’autre prêtent le flanc à la critique (C).

Le permis d’expérimenter

Un dispositif préparatoire…
Le permis d’expérimenter a été créé par l’ordonnance du 31 octobre 2018, dite « Essoc I », prise en application de l’article 49 de la loi no 2018-727 du 10 août 2018, pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) et complété par un décret en date du 11 mars 2019, permettant son entrée en application.
L’idée maîtresse de ce texte était d’autoriser le maître de l’ouvrage à déroger à certaines règles de construction en recourant à des moyens innovants dès lors qu’il était justifié d’un résultat équivalent à la règle à laquelle il était dérogé. Parmi les neuf règles auxquelles il pouvait être dérogé, figuraient :
  • la sécurité incendie ;
  • l’aération ;
  • l’accessibilité du cadre bâti ;
  • la performance énergétique et environnementale ;
  • l’acoustique.
Ce permis d’expérimenter était éligible pour tout projet de construction ou de travaux concourant à la production d’un immeuble neuf soumis à permis de construire, permis d’aménager ou déclaration préalable.
… À l’évolution du droit positif
Le permis d’expérimenter, entré en vigueur au 13 mars 2019, a été abrogé à compter du 1er juillet 2021 par la mise en application de l’ordonnance « Essoc II ». Ce texte procède à la réécriture du livre Ier du Code de la construction et de l’habitation en faisant, notamment, entrer dans le droit commun la notion de « solution d’effet équivalent », objet du permis d’expérimenter et alors connue sous le nom de « solution innovante ». De ce fait, il n’y a plus lieu de parler de dérogation à la norme de construction, l’opérateur étant désormais libre de recourir à la solution qu’il souhaite, dès lors qu’elle atteint « l’objectif assigné » par ladite norme. Ce nouveau positionnement dans les règles de construction constitue une avancée majeure pour les opérateurs et ne peut bien évidemment qu’aller dans le sens d’encourager la conception de bâtiments réversibles.
En parallèle de ce dispositif devenu le droit commun, co-existe le permis d’innover.

Le permis d’innover

Le permis d’innover est issu de l’article 88 II de la loi relative à la Liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016, modifié par l’article 5 de la loi du 23 novembre 2018 pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan).
Il s’agit d’un dispositif temporaire courant jusqu’au 23 novembre 2025 permettant à l’opérateur d’être autorisé à déroger à l’ensemble des règles de construction opposables au projet présenté, dès lors qu’il sera soumis à permis de construire ou déclaration préalable.
À la différence du permis d’expérimenter (lorsqu’il était en vigueur), celui d’innover n’est applicable qu’au sein d’opérations d’intérêt national (OIN), de grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou d’opérations de revitalisation des territoires (ORT).
Tout comme pour l’ancien permis d’expérimenter, la dérogation ne peut être accordée que s’il est justifié que l’objectif fixé par norme règlementaire, à laquelle il est demandé de déroger, sera atteint par la solution mise en œuvre.

Appréciation critique des dispositifs

Si ce n’est du fait de leur décalage temporel (pourtant limité), on ne peut que s’étonner de la superposition de deux dispositifs poursuivant le même objectif mais obéissant à des règles matérielles et géographiques différentes, d’autant que le permis d’innover n’est pas exclusif du recours aux nouvelles dispositions du Code de la construction et de l’habitation (venant remplacer le permis d’expérimenter). Or les textes ne donnent aucune indication sur leur articulation.
Quoiqu’il en soit, ces dispositions, déterminantes pour la construction réversible (sur le plan des normes constructives), demeurent trop confidentielles à ce jour, probablement en raison du surcoût qu’elles engendrent, de leur complexité de mise en œuvre et d’allongement des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. De ce fait, à ce jour seuls quelques grands projets, iconiques de cette mouvance, ont vu le jour.

Le permis à double état

Le permis à double état est au Code de l’urbanisme ce que les dispositifs ci-dessus sont au Code de la construction et de l’habitation. Son principal défaut est de n’avoir été institué qu’en prévision des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Afin d’en appréhender son mécanisme et ses effets (B), convient-il au préalable d’en comprendre sa genèse (A).

Genèse du dispositif

L’accueil des JO 2024 nécessite la construction de nombreux ouvrages notamment au titre du village olympique. Anticipant sur « l’après JO » il est prévu de reconvertir ces structures. À cet effet la loi relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a institué un dispositif particulier dit de « permis à double état ». Celui-ci a pour objectif de sécuriser les constructions en évitant les recours lors des opérations de reconversion. C’est ainsi que le texte prévoit que « lorsqu’un projet de construction ou d’aménagement comporte un état provisoire correspondant aux seules nécessités de la préparation, de l’organisation ou du déroulement des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et un état définitif propre à ses affectations ou destinations postérieures au déroulement des Jeux, le permis de construire ou d’aménager autorise cet état provisoire et cet état définitif ».

Le mécanisme du permis à double état

Le permis à double état constitue une première avancée dans la reconnaissance de la construction réversible par le droit de l’urbanisme. En effet, pour la première fois il est reconnu qu’une autorisation d’urbanisme puisse contenir deux destinations successives : la première destination, provisoire et propre aux JO ; et une deuxième destination, définitive post-JO. Ces deux destinations doivent être connues dès le dépôt de la demande de permis de construire.
S’agissant de l’état provisoire, le décret d’application autorise une dérogation aux exigences définies à l’article L. 421-6, alinéa 1 du Code de l’urbanisme, à l’exception des règles relatives à la sécurité et la salubrité publique.
À l’inverse l’état définitif de la construction devra répondre aux exigences de conformité propres à sa destination finale, dans le cadre d’un projet urbain durable en lien avec les projets des collectivités territoriales.
Dans le cadre du permis à double état, une déclaration d’ouverture de chantier est requise au commencement des travaux de chacune des deux destinations, de même que pour la déclaration d’achèvement de travaux.
Afin de veiller au respect de l’engagement de reconversion par le maître de l’ouvrage, il est prévu que celui-ci aura un délai de trois ans à compter de la fin des JO pour procéder à l’affectation définitive de la construction. À défaut, dans l’année qui suit, il devra procéder à l’enlèvement de la construction ou de l’aménagement et la remise en état du terrain, à ses frais. En cas d’irrespect de ce nouveau délai, le contrevenant s’expose alors à diverses sanctions, notamment financières.
Il faut saluer le pragmatisme du législateur dans la conception de ce permis à double état, première étape vers la reconnaissance d’un statut de la construction réversible. Cependant, on a pu parler à son égard d’une « réversibilité tronquée ». Certes, il est permis deux destinations successives, mais l’état provisoire n’existe qu’en attendant la destination finale, connue et encadrée dès l’origine tant matériellement que temporellement. En d’autres termes, les jeux sont faits d’avance !
Encore plus récemment, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 est venue ajouter une nouvelle pierre à l’édifice de la construction réversible.

L’apport de la loi Climat et Résilience à la construction réversible

L’article 224 de la loi Climat et Résilience a introduit une nouvelle disposition à l’article L. 122-1-1 du Code de la construction et de l’habitation dans les termes suivants : « Préalablement aux travaux de construction d’un bâtiment, il est réalisé une étude du potentiel de changement de destination et d’évolution de celui-ci, y compris par sa surélévation. La personne morale ou physique chargée de la réalisation de cette étude remet au maître d’ouvrage un document attestant sa réalisation. Le maître d’ouvrage transmet cette attestation aux services de l’État compétents dans le département avant le dépôt de la demande de permis de construire ». Le texte est entré en vigueur le 1er janvier 2023 mais son application nécessite un décret non encore pris à l’heure où nous mettons sous presse.
Nous voyons bien se dessiner, au travers des différentes évolutions législatives, la prise de conscience des pouvoirs publics sur l’intérêt que peut représenter la construction réversible et notamment sur la production de logements. Pour autant, ces premières étapes ne permettent pas encore de la rendre parfaitement effective.