Le droit de rétention appliqué aux actifs numériques

Le droit de rétention appliqué aux actifs numériques

– Un pouvoir de blocage du créancier. – Le droit de rétention se définit comme le droit pour le détenteur d'une chose de ne pas la restituer à son débiteur tant que ce dernier n'a pas exécuté son obligation. Il échappe dans une large mesure aux conséquences de l'ouverture d'une procédure collective. Il a donné lieu à de nombreuses analyses juridiques V. not. N. Catala, De la nature juridique du droit de rétention : RTD civ. 1967, p. 9 et s. avant d'être reconnu par le législateur, à titre de principe, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006. Il est codifié dans le Code civil à l'article 2286, outre les applications spéciales au contrat de vente (C. civ., art. 1612 et 1653), au contrat de location (C. civ., art. 1749), de dépôt (C. civ., art. 1948), au propriétaire d'une chose volée ou perdue vis-à-vis du possesseur (C. civ., art. 2277, al. 1).
C'est un pouvoir de fait sur une chose.
D'abord réservé aux biens corporels, seuls susceptibles d'une mainmise physique, le droit de rétention s'est vu reconnaître par le législateur ou la jurisprudence des assiettes incorporelles Par ex., le droit de rétention des créanciers nantis sur compte-titres (C. monét. fin., art. L. 211-20, IV) ; celui portant sur un fichier client inscrit sur une bande magnétique (Cass. com., 8 févr. 1994 : Bull. civ. 1994, IV, no 56) ; celui ayant pour assiette le solde du compte courant d'une société (Cass. com., 7 avr. 1998 : Bull. civ. 1998, IV, no 123) ; le droit de rétention des notaires sur les créances à l'encontre de leurs clients, tel le solde d'un compte d'indivision (Cass. 2e civ., 26 mars 2015, no 14-14.163). ; il obéit donc lui aussi au mouvement général de dématérialisation des sûretés Dont une illustration efficace réside dans le nantissement de compte examiné supra, nos à . .
– Application aux cryptoactifs : rôle primordial des clés multiples. – Le défi en matière de cryptoactifs relève de l'application pratique du droit de rétention bénéficiant au créancier garanti non mis en possession, droit expressément admis par l'article 2286, 4o du Code civil C. civ., art. 2286, 4o, issu de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008. Ce texte devrait être applicable à un nantissement de cryptoactifs non soumis à des dispositions spécifiques, et ce par le renvoi qu'opère l'art. 2355 du Code civil aux règles prévues pour le gage de meubles corporels. . En quelque sorte, le pouvoir de rétention est alors fictif M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 830. , mais légalement conforté pour offrir au créancier un pouvoir de nuisance contre l'usage par le débiteur des utilités du bien mis en garantie.
Comment atteindre les droits du débiteur sur une cryptomonnaie ou un token dont il serait titulaire ? La doctrine suggère la communication au créancier des moyens d'avoir accès à la circulation des cryptoactifs sur blockchain, soit par transfert sur une adresse contrôlée par le créancier ou par un tiers convenu, soit par remise du support de stockage des clés V. M. Julienne, Les cryptomonnaies : régulation et usages : RD bancaire et fin. nov. 2018, no 6, étude 19, spéc. no 17. . La technologie blockchain permettrait de conforter le processus, car elle pourrait transférer les unités à une adresse « multisignature », dont le fonctionnement ne validerait la libération des actifs qu'à l'aide par exemple d'au moins deux clés privées : celle du tiers convenu et celle du constituant ou celle du créancier V. not. D. Legeais, La blockchain confrontée au droit des sûretés, préc., p. 137. . De surcroît, un smart contract pourrait automatiser entièrement la réalisation de la garantie.