L'examen de quelques législations étrangères nationales européennes
(§ I)
précédera l'interrogation sur l'émergence d'un droit européen ou international
(§ II)
.
Le droit comparé
Le droit comparé
Des droits européens
La loi allemande
– Travail législatif. – Comme la France, l'Allemagne a décidé d'inscrire les cryptoactifs et leurs services afférents dans son droit national
G. Marraud des Grottes et B. Mathis, Les cryptoactifs en droit allemand : plus de questions que de réponses, Lamy, Actualités du droit, Tech&Droit, 2 mars 2020.
. La https://www.bundesfinanzministerium.de/Content/DE/Gesetzestexte/Gesetze_Gesetzesvorhaben/Abteilungen/Abteilung_VII/19_Legislaturperiode/2019-12-19-Gesetz-4-EU-Geldwaescherichtlinie/3-Verkuendetes-Gesetz.pdf">Lienloi concernée a été adoptée le 19 décembre 2019, avec entrée en application au 1er janvier 2020.
Elle est le fruit d'une évolution commencée par un rapport du gouvernement fédéral publié le 7 mars 2019 (« Points-clefs pour le traitement réglementaire des valeurs mobilières électroniques et des cryptoactifs [en allemand] »), suivi le 18 septembre 2019, de sa https://www.bmwi.de/Redaktion/EN/Publikationen/Digitale-Welt/blockchain-strategy.html">LienStratégie Blockchain, laquelle promettait un projet de loi pour réguler l'offre publique de certains cryptoactifs.
Puis la transposition de la cinquième directive anti-blanchiment (PE et Cons. UE, dir. [UE] 2018/843, 30 mai 2018">Lien, dite LAB5) a influencé le projet de loi de transposition de la LAB5, soumis au Bundestag en octobre 2019.
– Une définition des cryptoactifs (
Kryptowerte
). – Rappelons que la transposition de la directive introduit plusieurs dispositions dans la loi bancaire allemande (Kreditwesengesetz), d'inspiration directe de la définition de la monnaie virtuelle introduite par l'article 1, (2), d) (18) de la LAB5 : « la représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement liée non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possède pas le statut juridique de monnaie ou d'argent, mais qui est acceptée comme moyen d'échange par des personnes physiques ou morales et qui peut être transférée, stockée et échangée par voie électronique ». On retrouve là presque mot pour mot les termes de la loi Pacte.
La loi allemande finalement adoptée a admis une finalité supplémentaire aux cryptoactifs : l'investissement. Et a expressément exclu tout lien avec une monnaie légale.
Sur le plan des catégories, la loi allemande ajoute ces cryptoactifs à la liste des instruments financiers, et assimile à un service financier la conservation de cryptoactifs ou de clés privées y donnant accès (Kryptoverwahrgeschäft) dans un souci de régulation par la BaFin, le régulateur allemand des marchés, grâce à ce rattachement exprès
Lamy, Actualités du droit, Tech&Droit, 2 mars 2020, préc.
.
La loi suisse
Le droit fédéral suisse a fait l'objet d'une réforme importante par la loi du 25 septembre 2020
B. Mathis, Loi sur l'adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres distribués : Dalloz actualités, 25 sept. 2020. Et sur la genèse de la réforme : étude par C. Lombardini, Cryptomonnaie – L'approche suisse des cryptomonnaies : RD bancaire et fin. mai 2020, no 3, dossier 14.
portant adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres distribués (TRD). Sans définir la TRD ou la blockchain, le législateur suisse énonce quatre exigences auxquelles le registre doit satisfaire : 1) donner aux créanciers, mais non au débiteur, le pouvoir de disposer de leurs droits au moyen de procédés techniques ; 2) être protégé de toute modification non autorisée ; 3) renseigner sur les droits et le mode de fonctionnement, en son sein ou non ; 4) permettre aux créanciers de consulter et vérifier l'intégrité du contenu du registre qui les concerne sans l'intervention d'un tiers.
L'innovation principale réside dans la création d'une nouvelle catégorie d'autorisation, dans le droit des infrastructures des marchés financiers, pour les systèmes de négociation pour les valeurs mobilières fondées sur la technologie des registres distribués (SNTRD). Les jetons d'utilité et de paiement (et ceux régis par un droit étranger) y sont éligibles, bien que n'étant pas qualifiés de valeurs mobilières. Formellement, la réforme est inscrite dans le droit civil, sans création d'autorité étatique régulatrice spéciale, pour laisser aux parties seules tout audit des jetons.
Comme le souligne un auteur
B. Mathis, op. cit. note précédente, qui souligne que ce cadre légal « permet la négociation, via une plateforme, de jetons d'investissement, là où la France l'a explicitement exclu, en cohérence avec le droit européen (V. B. Mathis, Quelle réglementation européenne pour les security tokens ? : RISF 2020, no 2). Il admet tous types de participants à ses registres distribués, là où le Luxembourg n'admet que les banques (V. B. Mathis, La blockchain pour la circulation des titres : comparaison des régimes français et luxembourgeois, Actualités du droit, 23 oct. 2018). Il porte sur tous les types de titres financiers là où l'Allemagne a reporté à plus tard le traitement des titres de capital (V. le projet de loi allemand pour l'introduction de titres électroniques [en allemand]). Il assujettit le SNTRD à la lutte antiblanchiment pour tous les cryptoactifs là où le droit européen n'y assujettit les « prestataires de services de portefeuille de conservation » que pour les cryptoactifs servant de « moyen d'échange » (Dir. [UE] 2018/843, 30 mai 2018, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, art. 1er, al. 2d) ».
: « Le cadre juridique créé semble le plus abouti à ce jour parmi les rares pays dotés de marchés financiers ayant entrepris de légiférer sur le sujet. (…) On retiendra que, parmi les pays dotés d'un marché financier sophistiqué, la Suisse est le seul qui ait, à ce jour, un cadre juridique pour un marché secondaire de security tokens ».
Autres aperçus de droit comparé
Nos voisins européens s'intéressent bien évidemment aussi à donner un cadre légal aux implications juridiques des nouvelles technologies
Étude L. Leguil, Intelligence artificielle et nouvelles technologies : que font nos voisins européens ? : JCP N 15 juin 2018, no 24, 1208.
. Toutefois, c'est surtout en termes d'identification numérique, de data, et de développement des systèmes de blockchain.
Sur le plan des qualifications juridiques, les autorités étatiques abordent la question surtout par le statut juridique des cryptomonnaies, pour en déduire un volet protection des consommateurs.
Sur le plan de leur rattachement à une catégorie juridique, deux tendances émergent. Soit la qualification de valeurs mobilières domine – pour contrôler leur utilisation comme des instruments négociables pouvant servir à lever des fonds. Les tokens sont alors qualifiés de securities (sur le modèle des États-Unis, du Canada), de titres financiers. Soit on assimile les cryptomonnaies à tous actifs génériques (biens corporels ou incorporels), ce qui les rend susceptibles d'être détenus, contrôlés, et échangés, avec des contraintes moindres
BRI, Réglementation des cryptomonnaies : évaluation des réactions du marché, rapport trimestriel, sept. 2018 (www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1809f_fr.pdf">Lien).
.
Un droit européen ou international ?
Comme l'a souligné un auteur
D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, nos 236 et s.
, une réponse unifiée européenne ou internationale sera difficile à rédiger.
Pour l'Union européenne, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF [en anglais : ESMA]), sans pouvoir législatif, a recensé les dangers et risques à qualifier de simples titres financiers divers cryptoactifs. Elle s'efforce donc d'orienter la législation de droit financier telle que proposée par la Commission vers une conformité et une harmonie réglementaires.
– Un cryptoeuro. – À défaut d'un corps de règles unifié, une cryptomonnaie étatique européenne pourrait voir le jour : le cryptoeuro
D. Legeais : JCl. Commercial, Fasc. 535, préc., no 50.
. Ainsi l'organisme Finance Innovation a formulé une proposition détaillée pour la mise en place d'un cryptoeuro
Finance Innovation, Livre blanc Intelligence artificielle, blockchain et technologies quantiques au service de la finance de demain, RB édition, 2019, p. 156.
. Il revêtirait deux intérêts : le premier pour les transactions de gros montants, par exemple les transferts interbancaires. Ainsi il pourrait être réalisé un règlement-livraison en monnaie banque centrale sur les marchés financiers en s'appuyant sur des plateformes type blockchain. La seconde utilité, à l'opposé, se manifesterait dans les transactions de petits montants ; le règlement en cryptoeuros se substituerait au paiement en liquide.