Quel avenir pour le prêt viager hypothécaire ?

Quel avenir pour le prêt viager hypothécaire ?

Si son bilan actuel n'a rien de satisfaisant (Sous-section I), il nous semble cependant que le prêt viager hypothécaire conserve un intérêt certain pour les générations senior, ce qui justifierait de lui apporter plusieurs améliorations (Sous-section II).

Le constat d'un insuccès

– Un piètre bilan. – À ce jour, plus aucun établissement bancaire ou financier ne propose de prêt viager hypothécaire. La seule banque en France qui le distribuait, sous le nom commercial Reversimmo, était le Crédit Foncier de France dont l'activité de distribution de crédits a cessé en 2019. Plus aucun prêt viager hypothécaire n'a donc été accordé depuis. Dans une étude publiée en 2016, M. Gijsbers dresse la liste des raisons de cet insuccès.
  • L'attachement à la propriété. Les Français sont attachés à la propriété immobilière et beaucoup rejettent toute idée de monétisation de leur logement. Même si l'emprunteur conserve, en théorie, la propriété de son logement, il sait qu'il ne sera pas transmis à ses héritiers, lesquels devront le vendre pour honorer les dettes de leur auteur, ou l'abandonner à la banque.
  • Des conditions financières rédhibitoires. Commercialiser ce type de prêt n'intéresse pas les banques qui supportent seules le double risque de longévité de l'emprunteur et d'évolution à la baisse du marché immobilier. La dette peut atteindre un montant supérieur à la valeur du bien hypothéqué du fait de la capitalisation des intérêts, d'une part, et de la diminution de la valeur du bien hypothéquée, d'autre part. Or la dette est plafonnée à la valeur du bien immobilier au décès de l'emprunteur. Pour limiter le risque et maintenir un certain équilibre économique, les établissements de crédit pratiquent un taux d'intérêt plus élevé que pour les prêts classiques et prêtent un montant peu important, ce qui freine les emprunteurs.
– Un insuccès confirmé. – Malgré des aménagements légaux successifs, notamment la capitalisation des intérêts, la possibilité de stipuler les conditions dans lesquelles l'emprunteur pouvait accélérer les versements de son prêt et, depuis la loi du 17 août 2015, la possibilité de versement périodique des intérêts d'emprunt, le développement du prêt viager hypothécaire ne s'est pas accéléré.
Pourtant, le prêt viager hypothécaire peut s'enorgueillir de certains avantages par rapport à la vente en viager, pourtant bien plus communément admise.

Prêt viager hypothécaire vente en viager : une comparaison instructive

Un objectif commun. Le prêt viager hypothécaire et la vente en viager ont pour objectif commun de permettre au propriétaire d'un bien immobilier de le mobiliser afin d'obtenir des liquidités quand il n'a pas les ressources financières suffisantes pour contracter un prêt classique ou des économies lui permettant d'assurer ses vieux jours et/ou de faire face à une dépense ponctuelle. Le propriétaire préfère, en général, ne pas avoir recours à l'aide de sa famille, qui n'en a peut-être pas les moyens, ou bien il n'a pas droit aux aides sociales ou ne veut pas laisser de dette à ses héritiers s'il touche une aide sociale récupérable. Ni le prêt viager ni la vente en viager ne sont réservés aux personnes âgées mais, en pratique, seuls les seniors y ont recours.
1) Les avantages du prêt viager hypothécaire. Le prêt viager hypothécaire présente plusieurs avantages sur la vente en viager, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal.
Sur le plan civil : l'aléa supporté par le seul prêteur. L'emprunteur conserve la propriété, et donc la libre disposition de l'immeuble « mobilisé » pour obtenir des liquidités. Si l'emprunteur possède finalement des liquidités suffisantes, il peut solder le prêt et libérer de toute charge son immeuble. Ses héritiers peuvent également choisir de payer la dette d'emprunt avec le reste de l'actif successoral afin que l'immeuble leur soit transmis. Évidemment si, au terme de l'emprunt, et donc au décès de l'emprunteur, l'actif successoral est insuffisant pour couvrir la dette, l'abandon de la propriété de l'immeuble est inévitable.
En outre, si la valeur de l'immeuble est supérieure au montant de la dette d'emprunt, la différence est acquise aux héritiers. Dans le cadre d'une vente en viager, même si les versements effectués par le débirentier sont inférieurs à la valeur du bien suite au décès prématuré du crédirentier notamment, les héritiers de ce dernier n'ont aucune possibilité de conserver l'immeuble puisqu'il est déjà sorti du patrimoine de leur auteur. Ils ne peuvent pas, non plus, demander un versement complémentaire au débirentier, égal à la différence entre la valeur du bien et les versements effectués du vivant du crédirentier, puisque cela supprimerait tout aléa.
À l'inverse, si, à l'échéance du terme, la dette est finalement supérieure à la valeur de l'immeuble donné en garantie, la perte incombe au prêteur.
Finalement, l'aléa pèse uniquement sur le prêteur.
Sur le plan fiscal, l'avantage est double :
  • l'immeuble étant simplement donné en garantie, il n'y pas d'aliénation à titre onéreux pouvant générer une plus-value immobilière taxable, notamment si l'immeuble ne constitue pas le logement du cédant ;
  • le capital, même versé périodiquement, comme une rente, ne constitue pas un revenu taxable.
2) Les inconvénients du prêt viager hypothécaire. Le prêt viager hypothécaire ne permettra au propriétaire de l'immeuble ni de se procurer autant de ressources qu'en cas de vente en viager, ni de diminuer les charges afférentes à la propriété de l'immeuble. Enfin, il nécessitera des prises de décision et des démarches contraignantes pour les héritiers à son décès.
Un versement à durée déterminée. D'une part, en cas de versements périodiques du capital prêté, la durée du versement dépend du capital emprunté, lequel dépend lui-même de l'âge de l'emprunteur. Les versements sont donc susceptibles de s'arrêter avant le décès du propriétaire de l'immeuble, contrairement à la rente versée dans le cadre d'une vente viagère.
Une rente non indexée. En outre, le montant des versements périodiques ne tient pas compte de l'évolution du coût de la vie, contrairement à la rente viagère qui, si l'indexation n'a pas été prévue conventionnellement, fait l'objet d'une révision légale annuelle.
Des versements inférieurs à la valeur de l'immeuble. Enfin, la somme prêtée est toujours inférieure à la valeur de l'immeuble au jour de la conclusion du contrat de prêt, le prêteur voulant s'assurer de pouvoir recouvrer non seulement le capital prêté, mais également les intérêts. En revanche, dans le cadre d'une vente en viager, la somme du bouquet et de la rente théorique, calculée en fonction de l'espérance de vie du vendeur, doit être égale à la valeur du bien. À défaut, la vente encourt la nullité absolue pour défaut d'aléa. Le montant total versé par le débirentier, tant au titre du bouquet que de la rente, pourra ainsi dépasser la valeur de l'immeuble au jour de la vente si le vendeur, ou le bénéficiaire éventuel de la réversion de la rente s'il lui survit, dépasse son espérance de vie.
La conservation des charges. Si l'emprunteur a l'avantage de conserver la propriété de son logement, il doit, en contrepartie, continuer d'assumer la totalité des charges.
Les contraintes au décès. Le prêt viager hypothécaire, à son terme, est plus contraignant que la vente en viager. En effet, les héritiers ont la charge du remboursement du prêt et ils peuvent être en opposition d'intérêts, comme nous l'avons vu pour le conjoint survivant, quant au sort de l'immeuble, conservation ou vente. À l'inverse, les héritiers n'ont pas à se soucier d'un quelconque remboursement ou du sort de l'immeuble au décès du crédirentier. Tout au plus auront-ils à vider l'immeuble de ses meubles s'il était encore occupé par le vendeur à son décès.

Des propositions concrètes d'amélioration

– Un outil de financement de la dépendance incontournable. – L'insuccès de prêt viager hypothécaire est tout à fait regrettable car il constitue une solution au financement de la dépendance des personnes âgées qui n'ont pas anticipé les conséquences liées au grand âge et à la perte d'autonomie. Il peut être souscrit à un âge très avancé. Vivette Lopez, sénatrice du Gard, s'inquiète du sort du prêt viager hypothécaire depuis l'arrêt de sa commercialisation par le Crédit Foncier, comme en témoigne la question posée le 14 novembre 2019 au ministre de l'Économie et des Finances : « (…) Cette situation place de très nombreux propriétaires âgés en quête de liquidités dans un grand désarroi (…). En effet, à bien des égards, le prêt viager hypothécaire apparaît comme un dispositif pertinent, notamment en ce qu'il permet à des personnes âgées de conserver plus longtemps leur autonomie (…) ».
Il ressort d'une enquête Share (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), qui a évalué les épisodes d'incapacité et leur coût pour les soixante-cinq ans et plus dans neuf pays européens, ainsi que la capacité à financer les dépenses liées à la perte d'autonomie selon les pays, la richesse ou le sexe des individus, que les prêts viagers hypothécaires permettraient de transférer aux générations plus âgées une partie du financement des dépenses liées à la perte d'autonomie, sans augmenter la contribution des générations futures.
Pour en savoir plus à ce sujet :
– Pour un nouveau départ. – Plusieurs pistes d'amélioration pourraient être explorées pour donner un nouveau départ au prêt viager hypothécaire.

Un taux adapté à l'état de santé

André Masson, économiste, directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS, suggère qu'un taux d'intérêt plus bas soit appliqué aux emprunteurs en situation de dépendance dans la mesure où ils ont une espérance de vie plus courte compte tenu de leur état de santé. Un certificat médical devrait être produit pour justifier de l'état de santé.

Un prêt viager dépendance

Dans le même sens, Dominique Libault, dans son rapport « Grand âge et autonomie » rendu en mars 2019, propose d'utiliser le mécanisme du prêt viager hypothécaire pour créer un nouvel outil de financement de la dépendance : le prêt viager dépendance. Ce prêt serait réservé aux personnes en dépendance lourde, qu'elles soient à domicile ou en établissement, non éligibles à l'ASH. Il fonctionnerait comme un prêt viager hypothécaire classique. L'établissement bancaire proposerait un taux de l'ordre de 4 %, nettement inférieur au taux de 8 % pratiqué pour le prêt viager classique. Dans l'hypothèse d'une personne placée en établissement, le prêt prendrait la forme d'un prêt relais dans l'attente de la vente du logement. Ce prêt pourrait être réversible si la famille souhaite le rembourser et conserver le bien immobilier en cas de départ en établissement ou de décès de l'emprunteur.

Un fonds de garantie institutionnel

La création d'un fonds institutionnel qui garantirait le remboursement de la partie de la dette liée à une surlongévité de l'emprunteur serait de nature à encourager les banques à commercialiser le prêt viager hypothécaire en contrepartie d'un taux non prohibitif, proche des taux proposés pour des prêts classiques et de l'octroi d'un capital plus important. Dans les pays de common law, le risque de longévité exceptionnelle de l'emprunteur fait l'objet d'une couverture spécifique. Aux États-Unis, ce sont des assurances contre garanties par un fonds fédéral qui couvrent ce risque.

L'ouverture aux prêteurs non professionnels

La loi autorise seulement les établissements de crédit et les établissements financiers à pratiquer le prêt viager hypothécaire. Pourquoi ne pas l'étendre aux prêteurs non professionnels, et notamment au cercle familial ? En effet, un enfant peut souhaiter aider ses parents parce qu'il en a les moyens mais trouve inéquitable de le faire à fonds perdu, s'il a des frères et sœurs qui, eux, ne contribuent pas. Pourquoi ne pas lui permettre de financer la perte d'autonomie de ses parents en leur consentant un prêt viager hypothécaire, à condition d'en encadrer légalement le régime, notamment pour le taux d'intérêt ?

Une meilleure articulation avec le droit des successions

Nous l'avons vu, le régime du prêt viager hypothécaire occulte totalement le droit des successions. En premier lieu, le délai d'option des héritiers quant au sort de l'immeuble devrait être le même que celui de l'option successorale. En deuxième lieu, la prédominance du droit temporaire au logement du conjoint survivant sur les droits du prêteur devrait être affirmée par le législateur. En troisième lieu, il devrait être clairement précisé que le démembrement de propriété n'entraîne pas l'exigibilité anticipée du prêt s'il résulte du décès du prémourant des coemprunteurs et que l'usufruitier est le coemprunteur survivant, que l'usufruit résulte de sa vocation successorale légale ou conventionnelle. Enfin, l'hypothèse du legs du logement hypothéqué à un tiers peut être problématique pour les héritiers. En effet, si le légataire particulier rembourse le prêt afin de conserver le bien, ou abandonne le bien à la banque pour éteindre la dette, s'agissant d'une dette successorale il pourra exercer un recours contre les héritiers s'ils acceptent la succession. Cette solution est inconcevable mais inévitable en l'état actuel du droit français. Le seul moyen de s'y soustraire serait de faire du prêt viager hypothécaire une dette réelle pesant à titre définitif sur la personne qui reçoit la propriété de l'immeuble donné en garantie.