Le texte fonde donc la création de « sociétés pouvant réaliser des opérations d’aménagement ou conclure une convention de projet urbain partenarial ». Les deux branches, la « possibilité » (Sous-section I) et la nature des opérations (Sous-section II), de cette disposition méritent d’être clairement explicitées car ils convient de les respecter strictement pour constituer régulièrement une société loi Molle.
Objet de la société
Objet de la société
La « possibilité » de réaliser certaines opérations : capacité ou réalité ?
À cet égard, on note en premier lieu que le texte indique que les sociétés doivent « pouvoir réaliser » des opérations d’aménagement ou conclure une convention de projet urbain partenarial. Est-ce qu’il suffirait que la structure dispose de la capacité juridique pour faire de telles opérations, alors même que son objet serait beaucoup plus large et diversifié ? Doit-elle réellement réaliser ces opérations ? La lettre du texte pourrait plaider en ce sens mais ce serait ignorer l’intention du législateur qui était d’offrir « aux organismes d’HLM la possibilité de se grouper avec d’autres organismes, publics ou privés, afin de se voir confier par une collectivité territoriale un projet urbain partenarial ou une opération d’aménagement. Les textes actuellement en vigueur en matière d’HLM ne le prévoient pas : ils ne les autorisent à participer qu’à une SCI d’accession sociale à la propriété, outil peu adapté à la réalisation d’opérations d’aménagement ou de projets urbains partenariaux. » Une telle incertitude pourrait être gênante en pratique mais il ne faut pas oublier que l’article L. 422-2 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que la participation à la société est soumise à l’agrément du représentant de l’État dans le département du lieu de l’opération ou du projet (qui peut être express ou tacite, son silence valant acceptation à l’issue d’un délai de deux mois). La compétence rationae loci implique donc que le projet porté par la société soit bien réel et qu’il soit présenté au préfet territorialement compétent qui ne se bornera donc pas à vérifier la compétence théorique de l’organisme.
La définition lapidaire des opérations concernées
En second lieu, sur le projet lui-même, la rédaction du texte est particulièrement lapidaire sur les notions d’opération d’aménagement (§ I) et l’alternative consistant en la conclusion d’une convention de projet urbain partenarial (§ II).
Les opérations d’aménagement
Il est d’abord fait référence à une opération d’aménagement qui n’est pas une notion juridique facile d’accès dans la mesure où le Code de l’urbanisme ne la définit que par ses buts : aux termes de l’article L. 300-1 dudit Code, « Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l’optimisation de l’utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. »
La doctrine majoritaire a cependant dégagé des critères à partir de la notion d’aménagement telle qu’interprétée par le Conseil d’État, induisant nécessairement, d’une part, la réalisation de travaux ou l’installation d’équipements d’une certaine consistance et, d’autre part, des travaux d’équipement d’une ampleur telle qu’ils sont de nature à exercer une véritable influence sur l’organisation urbaine.
Le texte du Code de la construction et de l’habitation sur la société loi Molle ne renvoie cependant pas à la notion d’opération d’aménagement au sens du Code de l’urbanisme. La tentation peut alors être forte de concevoir l’aménagement dans un sens très large, en considérant par exemple qu’une opération immobilière en volumes permettant de produire du logement dans un ensemble immobilier complexe avec une mixité d’usage pourrait relever d’une opération d’aménagement au sens de l’article L. 422-2 du Code de la construction et de l’habitation. Là encore, le préfet jouera un rôle notable dans l’interprétation du dispositif, même si l’on peut penser qu’il tentera de ne pas s’écarter de la lettre du texte et recherchera si, au-delà de la simple réalisation d’une opération de construction incluant du logement, la société porte un projet répondant aux caractéristiques susvisées des opérations d’aménagement. In fine, c’est au juge qu’il appartiendra de définir cette notion qui pourrait s’attacher à celle du Code de l’urbanisme ou s’en éloigner.
Reste que le texte vise alternativement la possibilité pour la société de réaliser une telle opération ou de conclure une convention de projet urbain partenarial (PUP).
La conclusion d’un projet urbain partenarial
Également issue de la loi Molle le projet urbain partenarial, dit le « PUP », est régi par les articles L. 332-11-3 ; L. 332-11-4 et R. 332-25-1 à R. 332-25-3 du Code de l’urbanisme et peut se définir comme un contrat entre la collectivité compétente en matière de PLU (ou l’État dans le cadre d’une OIN) et un porteur de projet permettant de faire participer ce dernier, en sa qualité soit de propriétaire, d’aménageur ou de constructeur, au financement des équipements publics nécessaires à la réalisation de son opération, si celle-ci est située dans les zones urbaines et à urbaniser du PLU. La convention fixe donc le programme des équipements publics, leurs modalités de financement et conditions de réalisation. Une telle convention peut être conclue (i) ponctuellement à l’initiative de la collectivité compétente en matière d’urbanisme ou du porteur de projet ou (ii) dans le cadre d’un périmètre de PUP mis en place dans les conditions de l’article L. 332-11-3 du Code de l’urbanisme.
Là encore, la formule du texte invite à se demander s’il suffit que la société ait la capacité de conclure une telle convention pour être constituée, ou s’il faut a minima que le projet porté soit susceptible de donner lieu à une telle convention, ou encore s’il faut que cela soit clairement prévu dès la constitution de la société, ce qui serait extrêmement réducteur.
À la vérité, on peut se demander si la formule de l’article L. 422-2 du Code de la construction et de l’habitation n’est pas issue de l’ambition initiale du législateur à propos des PUP, qui en faisait des opérations d’urbanisme contractualisées, pouvant donc être vue comme un outil distinct mais concurrent de l’opération d’aménagement, ce qui donnerait ainsi de la cohérence à l’alternative proposée par le texte. Il faut en effet rappeler qu’à l’origine de ce dispositif, on trouve l’initiative de praticiens (SNAL, géomètres experts) désireux de doter notre droit positif d’un outil d’aménagement privé permettant à des opérateurs économiques de proposer à la collectivité publique, sur des terrains maitrisés par eux, un programme d’aménagement et d’étudier ensemble les conséquences en termes d’urbanisme et de financement d’équipements publics. Pour les géomètres-experts, le PUP devait permettre de lutter contre la rétention foncière et permettre aux élus locaux de promouvoir des partenariats publics-privés dans le cadre de l’urbanisme de projet. L’exposé des motifs du projet de loi déposé au Sénat le 23 juillet 2008 mettait bien en avant ce même objectif de permettre le développement de l’urbanisme opérationnel d’initiative privée. Mais le texte proposé n’a pas repris cette ambition, en introduisant le PUP dans notre droit positif en tant que simple mode de financement des équipements publics.
Le législateur lui a néanmoins conféré une dimension tout à fait singulière dans le paysage des participations d’urbanisme. En effet, face aux besoins de construction de logements, la contractualisation des participations d’urbanisme, dès lors qu’elle est encadrée, est apparue comme un bon moyen pour faire émerger un équilibre entre les intérêts publics et privés, équilibre propice à libérer les opérations immobilières. C’est la raison d’être du PUP. Pour les opérateurs, cet outil de contractualisation se présente comme un moyen de favoriser la réalisation des équipements rendus nécessaires par le projet d’aménagement ou de construction qu’ils portent, et dont le financement a posteriori par la seule taxe d’aménagement pourrait être difficile et causer un blocage de leur projet. Pour la collectivité publique, l’intérêt est de percevoir une participation supérieure à celle qui résulterait de la seule taxe d’aménagement et de fixer plus librement les modalités de versement et donc de préfinancement.
En tout cas, la volonté du législateur concernant l’activité des sociétés loi Molle auxquelles peuvent participer les organismes d’HLM semble bien coïncider avec l’ambition initiale du projet de loi qui faisait des PUP des opérations qui, sans constituer des opérations d’aménagement, génèrent une volonté d’organisation de l’espace accompagnée d’un besoin en équipements publics. Le critère de constitution d’une société loi Molle ne serait donc pas la participation des organismes d’HLM à des structures dont le financement des équipements publics générés par leurs opérations peut prendre la forme d’une convention de projet urbain partenarial, laquelle est sur le principe envisageable pour tout projet immobilier donnant lieu au dépôt d’un permis de construire. Il s’agirait plutôt de vérifier que le projet de société partenariale a pour but la participation à une opération d’une certaine ampleur, incluant donc des logements parmi d’autres usages, et susceptible de générer un besoin en équipements publics allant au-delà d’une simple opération de construction aisément finançable dans le cadre d’une taxe d’aménagement de droit commun. Ce qui apparaît alors comme une véritable alternative à l’opération d’aménagement, plus stricte dans les critères de qualification, permettant ainsi aux organismes d’HLM de prendre des participations dans toute structure portant un projet immobilier dont la taille est susceptible de générer des besoins en équipements publics pouvant justifier le recours à un PUP.
Focus sur la qualité de pouvoir adjudicateur de la structure commune ainsi créée
Quelle est la situation de ces sociétés du point de vue des règles de la commande publique s’agissant des marchés qu’elles devront conclure ? C’est une question récurrente à laquelle il convient d’apporter une réponse au cas par cas. On peut cependant retenir que la qualification de pouvoir adjudicateur dépendra de deux critères cumulatifs consistant à rechercher, d’une part, si la société a été créée pour satisfaire un besoin autre qu’industriel et commercial et, d’autre part, si elle se trouve sous « influence publique » (CCP, art. L. 1211-1). Sur la première condition, le juge tâchera de vérifier s’il y a un « risque que la société se laisse guider dans ses décisions par des considérations autres qu’économiques » ou, à l’inverse, si on est en présence d’une société que le pouvoir adjudicateur associé soutiendrait à tel point qu’elle ne supporterait plus le risque financier inhérent à ses décisions. Sur la seconde condition, tout dépendra de la situation majoritaire ou minoritaire de l’organisme HLM dans la société et, même dans ce second cas, il conviendra donc d’étudier les statuts et pactes d’associés pour vérifier que le bailleur social n’est pas en position d’influencer seul les décisions stratégiques.
Ces sociétés semblent être de nature à créer un partenariat entre les opérateurs privés et les bailleurs sociaux plus transparent, les engageant dans un projet d’intérêt commun dans lequel l’OLS/OLI aurait un rôle à mi-chemin entre une intervention directe et autonome sous sa maitrise d’ouvrage et le recours à une simple VIC. Les bailleurs sociaux et intermédiaires disposent donc aujourd’hui d’outils leur assurant une relation équilibrée, contractuellement ou institutionnellement, avec les opérateurs privés qui contribuent, eux aussi, au développement d’une offre de logements de qualité. Sans étoffer plus encore la palette d’outils juridiques dont ils disposent, notre objectif serait ici de sécuriser, clarifier ou ouvrir les textes encadrant les structures présentées de façon à offrir plus de perspectives et plus de sécurité juridique pour ces partenariats.
C’est pour garantir cette sécurité juridique qu’il convient, in fine, de déterminer dans quelles conditions ces partenariats peuvent prospérer au regard du droit de la commande publique, notamment lorsque l’OLS/I a vocation à acquérir des logements auprès de la structure. À ce sujet, ces derniers pourront acquérir des logements, et partant pourront s’associer à un opérateur privé, sans avoir à respecter une procédure de publicité et mise en concurrence, dès lors que l’acquisition à venir entrera dans l’une des trois hypothèses déjà identifiées, à savoir :
- la VIC dite « d’opportunité », ce qui conduit cependant à ne faire intervenir l’OLS/I qu’une fois que le projet de construction pourra être considéré comme « entamé » ;
- la VIC comme élément accessoire d’un contrat (ou ensemble contractuel) dont l’objet principal – en vertu de la théorie des contrats à objet mixte prévu par l’article L. 1311-1 du Code de la commande publique – serait une vente ou un contrat de nature immobilière, étant ici rappelé que cela n’est pas aisé à démontrer ;
- la VIC conclue en tant que marché public dérogeant aux règles de passation, en vertu de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique, ce qui suppose que le promoteur ait déjà le terrain et un projet sur ledit terrain démontrant la nécessaire imbrication des ouvrages à acquérir par l’OLS/I, situation qui ne correspond pas toujours à la réalité opérationnelle.
À défaut d’entrer dans l’une de ces hypothèses, et pour aller au-delà des limites qui leur sont intrinsèques, ne pourrait-on pas envisager de lancer une procédure de publicité et mise en concurrence en bonne et due forme pour sélectionner le partenaire privé ? À cet égard, les OLS/I disposent d’outils souples, comme le marché public de conception-réalisation, même lorsqu’ils sont soumis aux dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique. En principe, rien ne semblerait donc de nature à s’opposer à une telle mise en concurrence.
Cependant, alors même que le droit de l’Union européenne n’y voit aucun obstacle, la véritable difficulté réside dans le fait qu’il est impossible en l’état actuel du droit français de conclure directement un marché public ou une concession avec une personne distincte de celle dont l’offre a été retenue à l’issue de la procédure de publicité et mise en concurrence. Dit autrement, la conclusion du marché public ou d’une concession ne pourrait intervenir qu’avec le promoteur immobilier attributaire et non pas avec la société constituée, au cours de la procédure, entre le pouvoir adjudicateur et l’attributaire.
En effet, depuis 2009 le Conseil d’État affirme que le droit interne ne permet pas de prévoir comme modalité d’exécution, au stade de la passation du contrat de la commande publique, la constitution d’une société à capital mixte à laquelle l’opérateur privé serait tenu de participer : « les textes en vigueur édictent tous la règle de l’identité entre le candidat ayant présenté une offre et le titulaire du contrat à l’issue de la compétition, quelles qu’en soient les modalités qui peuvent notamment comporter la candidature d’un groupement déclarant son intention de constituer une société s’il est choisi. Il ne peut y avoir, dans le cours de la procédure de passation, de “substitution” d’une personne morale distincte, incluant une participation du pouvoir adjudicateur, à un candidat participant à la sélection lorsqu’il est susceptible d’être retenu ».
Cette interdiction a été dégagée s’agissant de contrats conclus à l’initiative d’une personne publique et non pour les contrats de la commande publique conclus entre personnes privées, mais la réaffirmation à l’article L. 3 du Code de la commande publique des principes généraux du droit de la commande publique sur lesquels se fonde le Conseil d’État doit conduire à généraliser cette solution à tous les contrats relevant du champ d’application de la commande publique.
Les dispositions du Code de la commande publique relatives à l’attribution des contrats correspondent toujours, en substance, à celles qui avaient été interprétées par le Conseil d’État. Ainsi, les articles L. 2152-7 et L. 3124-5 prévoient que le contrat « est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse […] » ;
L’article R. 2152-13 du même code précise également, s’agissant des marchés, que « l’acheteur et le soumissionnaire retenu peuvent procéder à une mise au point des composantes du marché avant sa signature. Cependant, cette mise au point ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles de l’offre ou du marché ».
S’il est depuis lors devenu possible pour les collectivités territoriales de constituer une SEMOP en vertu des articles L. 1541-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, afin de sélectionner l’attributaire co-actionnaire de la société avec laquelle le contrat doit être signé, et malgré les fermes critiques de l’avis de 2009, cet instrument n’est toujours pas ouvert aux OLS/I en l’absence de disposition législative expresse.
Il est toutefois envisageable que l’attributaire cède le contrat, une fois celui-ci attribué, à une entité constituée à cet effet entre le pouvoir adjudicateur et l’attributaire. En effet, la pratique répandue des sociétés dédiées à l’exécution d’un contrat de la commande publique déborde le cadre rappelé par le Conseil d’État et malgré la jurisprudence peu fournie sur le recours à une société dédiée prévue contractuellement dès l’origine, une partie de cette pratique prend la forme d’une cession de contrat à une société constituée postérieurement à l’attribution du contrat.
La solution pourrait donc être de choisir un opérateur selon les règles de la commande publique puis de procéder à une cession de contrat au profit de la structure commune dans les conditions prévues au Code de la commande publique, en vertu d’une clause claire et précise définissant la nature et le champ de la cession.
En l’absence de jurisprudence contraire à date, une telle cession semble en effet conforme aux règles de modification des contrats de la commande publique dès lors que ces éléments (cession intégrale et sans modification du contrat initial, identité et caractéristiques de la société cessionnaire) sont connus dès la procédure de passation initiale et que cette société présente une capacité équivalente à celle exigée pour la participation à la procédure de passation initiale.