L'occupant est héritier

L'occupant est héritier

L'occupant est héritier

L'occupant est, bien évidemment, davantage protégé lorsqu'il est héritier. Cette protection est particulièrement forte pour le conjoint disposant d'une vocation universelle en usufruit (Sous-section I). Dans tous les autres cas, l'occupant est exposé à la précarité de l'indivision successorale. Inéluctable lorsque l'occupant est en concours avec d'autres cohéritiers et n'a qu'une vocation héréditaire en propriété (Sous-section III), cette menace peut être présente même lorsqu'il est l'unique héritier, en raison de l'existence de divers droits de retour légaux ou conventionnels (Sous-section II).

L'occupant est le conjoint usufruitier : la complexité de l'imputation

– Bref historique. – De 1891 à 2001, en présence de descendants, le Code civil accordait au conjoint un quart de la succession en usufruit, autant dire bien peu de chose ! Pas plus que le reste du patrimoine familial, le logement n'était protégé, ce qui mettait trop souvent le conjoint à la merci des héritiers. Au cours du XX e siècle, la législation a évolué par touches successives en faveur d'une plus grande protection du conjoint survivant bénéficiaire de libéralités. Bien des notaires se souviennent que l'institution contractuelle (dite « donation au dernier vivant ») était alors systématiquement conseillée et présentée comme « l'assurance-vie » des époux. Mais cette protection demeurait soumise à la volonté du défunt, et ne résultait pas automatiquement de la loi.
Le pas décisif ne fut franchi qu'à l'aube du XXI e siècle, avec la loi du 3 décembre 2001, complétée par celle du 23 juin 2006, qui fit du conjoint un héritier de premier plan.

L'évolution contemporaine des droits successoraux du conjoint survivant

1. Première étape : 1972 – La quotité disponible spéciale entre époux. La loi autorise un époux à grever de l'usufruit viager de son conjoint survivant la réserve héréditaire de ses descendants (en ce, toutefois, qu'elle leur est fournie sur les biens existants). Le conjoint survivant peut désormais conserver la jouissance non seulement du logement, mais encore de tous les biens de sa succession dont le défunt n'a pas disposé de son vivant. Il peut également bénéficier d'un quart en propriété et de trois quarts en usufruit ou de la propriété de la quotité disponible ordinaire.
L'attribution de cette quotité spéciale n'est pas de droit ; elle suppose une disposition de dernières volontés exprimée par le disposant par voie conventionnelle : donation dite au dernier vivant ou testament. Sauf si la donation au dernier vivant a été faite dans le contrat de mariage, le disposant peut la révoquer à tout moment.
2. Deuxième étape : 2001 – La promotion successorale du conjoint survivant. La deuxième évolution législative majeure est celle contenue dans la loi du 3 décembre 2001, qui renforce considérablement la protection du conjoint survivant, désormais héritier de premier plan, parfois même réservataire, et investi d'un droit particulier sur le logement qu'il occupait à l'époque du décès et les meubles qui le garnissent.
3. Troisième étape : 2006 – Compléments, corrections et retour en arrière. Présentée comme l'achèvement de la réforme successorale de 2001, la loi du 23 juin 2006 opère notamment une correction et un problématique retour en arrière.
Alors que la loi du 3 décembre 2001 privait le conjoint de toute vocation héréditaire en cas d'existence d'un jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée, l'article 29 de la loi du 23 juin 2006 supprime cette restriction, rétablissant ici une certaine logique. Le conjoint, même régulièrement séparé de corps, demeure un conjoint.
Est également réintroduite une règle d'imputation des libéralités adressées au conjoint sur ses droits légaux, non sans quelques maladresses que nous évoquerons plus loin (V. infra, nos et s.).
– Pouvoir sécurisant de l'usufruit du conjoint survivant. – Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, le conjoint survivant peut, à certaines conditions, recueillir par le seul effet de la loi l'usufruit de tous les biens successoraux, incluant donc le logement et son mobilier. Dans une très grande majorité de cas, ce démembrement de propriété le place dans une situation plus enviable que ne le serait une indivision. Le conjoint usufruitier est assuré de demeurer dans le logement garni de son mobilier sous réserve d'en acquitter les charges périodiques et d'en assurer l'entretien. Les nus-propriétaires ne peuvent en demander le partage, ni exiger une contrepartie financière de son occupation. Ils peuvent seulement demander en justice la déchéance de l'usufruit pour abus de jouissance tel qu'un défaut d'entretien. Cependant, cet usufruit légal, présenté comme « universel », est subordonné à la réunion de plusieurs conditions (§ I) et présente une surprenante fragilité en présence de libéralités adressées par le défunt au conjoint survivant (§ II).

Un usufruit toujours conditionnel

L'ouverture, au profit du conjoint survivant, d'une vocation à l'usufruit de l'intégralité de la succession est subordonnée à deux séries de conditions tenant, d'une part, à la composition de la famille et, d'autre part, à l'absence de volonté contraire du défunt.
– Composition de la famille. – La nature et le quantum des droits du conjoint survivant dépendent de la composition de la famille du défunt :
  • si le prémourant laisse exclusivement des descendants issus de son union avec le conjoint survivant (enfants communs ou leurs descendants), une option lui est ouverte. Il peut, à son choix exclusif, fixer ses droits au quart de la succession en pleine propriété, ou bénéficier de l'usufruit de l'ensemble des biens successoraux ;
  • en présence de descendants non communs aux deux époux (enfants d'un précédent lit et leurs descendants), qu'il y ait ou non des enfants communs, aucune option n'est ouverte au conjoint survivant. Ses droits successoraux légaux s'établissent au quart en propriété des biens de la succession.
– Absence de volonté contraire. – En présence de descendants, la vocation héréditaire du conjoint survivant n'est pas d'ordre public : libre à un époux d'exhéréder totalement son conjoint, directement (au moyen d'un testament, quelle qu'en soit la forme) ou indirectement (en disposant de ses biens au profit d'autres personnes).

Un usufruit pas toujours universel

– Principe de l'imputation. – Même en présence de descendants tous communs, le conjoint survivant n'est pas assuré de bénéficier de l'usufruit de l'ensemble des biens du défunt (et donc du logement). En effet, les libéralités qu'il a pu recevoir du vivant du défunt s'imputent sur ses droits successoraux légaux. Le conjoint survivant peut donc conserver toutes les libéralités non réductibles qui lui ont été adressées par le défunt. Mais celles-ci viennent diminuer, voire annihiler ses droits légaux dans la succession.

Une situation fréquente – Une omission à éviter

Pareille situation est assez fréquente, notamment lorsque le défunt a consenti une donation en nue-propriété à ses enfants, en stipulant l'usufruit réservé réversible sur la tête de son conjoint. Lorsqu'elle a été consentie à titre gratuit, cette réversion d'usufruit s'impute sur les droits successoraux du conjoint survivant. Encore faut-il, toutefois, que le liquidateur soit vigilant (ce que l'on admettra sans réserve), et la règle d'imputation compréhensible, ce qui, en l'état actuel du droit, ne va pas de soi.

– Sources des incertitudes. – L'imputation des libéralités adressées au conjoint survivant, règle en apparence simple, a été réintroduite dans le Code civil par la loi de 2006, après avoir été ignorée par celle de 2001. Elle est, depuis, l'objet de douloureux mystères. Il faut en rappeler les textes fondateurs, qui méritent ici une relation littérale.
Article 758-5 du Code civil :
« Le calcul du droit en toute propriété du conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport.
Le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour ».
Article 758-6 du Code civil :
« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article1094-1 ».
– Position des problèmes. – Deux questions se posent, non résolues à ce jour. La première interroge le champ d'application de l'article 758-6 en présence d'une vocation légale du conjoint en usufruit (A) ; la seconde interpelle le liquidateur sur la difficile combinaison des dispositions des articles 758-5 et 758-6 du Code civil (B). Il émane, du tout, un sentiment d'insécurité juridique qui ne manque pas de surprendre, car il en résulte, entre autres, que contrairement au vœu de la loi, le cadre de vie du conjoint survivant ne se trouve pas toujours si bien assuré qu'on pourrait le croire.
La délimitation du champ d'application de l'article 758-6
– Une divergence doctrinale. – De prime abord, l'article 758-6 du Code civil ne fait aucune distinction selon la nature, en propriété ou en usufruit, des droits successoraux du conjoint survivant. Une interprétation littérale du texte conduirait donc à imputer les libéralités reçues par le conjoint survivant sur ses droits légaux quelle que soit la consistance, d'une part, de la libéralité reçue et, d'autre part, de sa vocation successorale, en propriété comme en usufruit. Pourtant, certains auteurs écartent l'application de ce texte lorsque la vocation légale du conjoint survivant est en usufruit, tandis que d'autres en réservent l'application à l'imputation des seules libéralités consenties en usufruit.
– Un argument de codification. – La place du texte pourrait inviter à ne l'appliquer que lorsque la vocation légale du conjoint est en propriété. En effet, l'article précédent détermine la masse de calcul des droits successoraux en toute propriété et l'article 758-6 du Code civil semble en être la suite logique. Ne peut-on en déduire que l'opération d'imputation des libéralités reçues par le conjoint est réservée aux seuls cas où il a une vocation successorale en propriété ? À cet argument, les partisans de l'exclusion du principe de l'imputation ajoutent que ce mécanisme a pour conséquence de priver en tout ou partie le conjoint survivant de sa vocation légale en usufruit alors qu'elle est universelle. Elle devrait donc porter sur tous les biens existant au décès. En outre, il est fort peu probable que le disposant, lorsqu'il a gratifié son conjoint, ait eu l'intention, par la même occasion, de l'exhéréder partiellement, voire totalement. Pour ces auteurs, les donations antérieures consenties au conjoint doivent demeurer sans effet sur sa vocation légale universelle en usufruit. Aucune imputation n'est donc à opérer. Il conviendra seulement, si la libéralité est en pleine propriété, de vérifier que la quotité disponible spéciale de l'article 1904-1 du Code civil n'est pas dépassée.
Approuvant cette argumentation, nos prédécesseurs, en 2010, ont proposé que les libéralités en usufruit consenties au conjoint survivant ne soient plus imputées sur sa vocation successorale légale en usufruit, sauf pour le disposant à imposer expressément l'imputation. Ayant ainsi adopté une position claire, qui emporte notre totale approbation, nos confrères se sont attaqués à une difficulté plus grande encore suscitée par les mêmes dispositions.
Le casse-tête de la combinaison des dispositions des articles 758-5 et 758-6 du Code civil
– Point de départ. – La question est à présent de savoir si, pour l'application de ces textes, il faut ou non traiter les libéralités adressées au conjoint survivant comme celles adressées aux héritiers réservataires du défunt. Et, sur ce point, force est de constater que la doctrine n'est pas univoque. Trois réponses différentes ont été présentées ; elles ont été résumées par un auteur et étudiées par la quatrième commission du 106e Congrès des notaires de France en 2010.
– Jurisprudence. – Ces interprétations doctrinales divergentes n'ont pas manqué de se répercuter dans la jurisprudence la plus récente. Requise de préciser la portée de la règle d'imputation, la Cour de cassation, par deux arrêts rendus le 12 janvier 2022, a répondu de la manière suivante : « Il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l'article 758-6 », et encore que « la présomption de dispense de rapport des legs prévue à l'article 843 du code civil est également inapplicable. Elle ne constitue pas une exception à la règle d'imputation de l'article 758-6 du code civil ».
– Critiques doctrinales. – Une partie de la doctrine a critiqué les termes de ces arrêts, qui semblent opérer une « confusion malheureuse entre imputation et rapport ». Pourtant :
  • d'une part, le mécanisme du rapport repose sur une absolue réciprocité : il n'est dû que par un cohéritier à son cohéritier. Le conjoint survivant, dont les droits ne peuvent préjudicier aux libéralités consenties aux descendants du défunt, ne peut en aucun cas profiter des rapports auxquels ces derniers peuvent être tenus. Il ne peut, par conséquent, être lui-même tenu au rapport (ce qui a sans doute justifié cette qualification de rapport « spécial »). Seules peuvent le concerner, d'une part, l'imputation qui vient d'être décrite et, d'autre part, la réduction, lorsque les libéralités qui lui sont adressées excèdent la quotité disponible spéciale du quart en propriété qui lui est assignée ;
  • d'autre part, contrairement au rapport, l'imputation ne conduit jamais à remettre à la masse l'intégralité de la libéralité reçue par le conjoint survivant. Tout au plus cette libéralité excède-t-elle ses droits légaux, elle les épuise mais le conjoint n'a rien à restituer. C'est pourquoi, dès avant les arrêts de 2022, et comme le relevait déjà le 106e Congrès des notaires de France, l'imputation avait déjà été qualifiée par certains auteurs de « rapport fictif » ou encore de « succédané de rapport ».
– Bilan. – Finalement, loin d'avoir éclairci un paysage déjà sombre, les arrêts de 2022 l'ont davantage embrumé. Non seulement l'interrogation principale sur l'incidence liquidative des libéralités conjugales n'y trouve pas de réponse définitive, mais l'assimilation de l'imputation à un rapport appelle de nouveaux questionnements :
  • puisque le rapport n'est pas d'ordre public, le donateur pouvant en dispenser le donataire, une libéralité pourrait-elle donc être consentie avec dispense d'imputation ?
  • l'imputation doit-elle s'appliquer en présence d'héritiers autres que les descendants ? Toute libéralité à un successible pouvant être stipulée rapportable, si l'imputation est un rapport, elle ne saurait concerner que certains ordres d'héritiers.
Une certitude demeure. En termes pratiques, et comme le constataient déjà nos prédécesseurs de 2010, il est très difficile, voire impossible de faire comprendre à un disposant que ce qu'il donne à son conjoint va réduire, peut-être à néant, la part successorale que la loi lui accorde.
– En guise de conclusion. – Compte tenu de la fréquence des libéralités conjugales et des difficultés d'application des textes, que ni la doctrine ni la jurisprudence n'ont permis de régler à ce jour, une intervention législative paraît s'imposer, visant, comme le propose un auteur, au moins à réécrire, sinon à supprimer l'article 758-6 du Code civil.

L'occupant est le seul héritier : la dangerosité des droits de retour

– Une situation confortable… mais pas totalement. – En l'absence de cohéritiers aux droits concurrents, l'occupant est, a priori, assuré de pouvoir préserver son cadre de vie. Ce propos optimiste doit toutefois être nuancé lorsque le logement appartenait au défunt au moyen d'une donation. Un droit de retour peut, en effet, être mis en œuvre. L'occupant se retrouve alors en concours non pas avec des cohéritiers, mais avec les bénéficiaires de ce droit, qui peut aboutir au retour de tout ou partie du bien transmis à titre gratuit entre les mains de l'ascendant donateur ou de ses descendants. Sa raison d'être est la conservation du bien donné dans la famille du donateur. Son origine peut être légale (§ I) ou conventionnelle (§ II).

Les droits de retour légaux

Trois conditions doivent être réunies pour que s'appliquent les droits de retour légaux :
  • l'existence d'une transmission à titre gratuit : donation ou succession ;
  • le décès du donataire avant celui du bénéficiaire du droit de retour ;
  • l'absence de postérité.
Les bénéficiaires des droits de retour sont les père et mère (A), les frères et sœurs ou leurs descendants par représentation (B) et les familles d'origine ou de l'adoptant dans la succession de l'adopté simple (C).
Le droit de retour des père et mère
– Bref rappel historique. Position du problème. – L'institution d'une réserve au profit du conjoint survivant a été actée dès la loi du 3 décembre 2001. Dès lors que le défunt ne laisse aucune postérité, et dans ce cas seulement, le législateur reconnaît au conjoint survivant une réserve héréditaire égale au quart de la succession. Pareille situation se rencontrait depuis longtemps dans de nombreuses législations étrangères, et ne devait pas, dans son principe, se heurter à trop de résistances. En revanche, la disparition de la réserve autrefois accordée aux père et mère est le fait de la loi du 23 juin 2006. Le législateur n'y parvint qu'au prix de longues discussions entre les parlementaires, qui aboutirent à un texte de compromis.
Dans l'intervalle de temps qui sépara l'entrée en vigueur de ces deux textes, l'article 758 du Code civil a accordé aux ascendants autres que les père et mère une créance d'aliments contre la succession, à condition qu'ils soient dans le besoin. La cohérence de l'ensemble était parfaite : les père et mère étant réservataires, point n'était besoin de les investir d'un droit à pension alimentaire. Les autres ascendants ne l'étant pas, ce droit à pension leur était reconnu. Malheureusement, la réforme de 2006 omit de modifier les termes de l'article 758, brisant, par cette omission, la logique du système. L'article 758 étant resté en l'état, les père et mère peuvent se retrouver dans une situation moins favorable que celle des autres ascendants, à savoir être privés de toute réserve, d'une part, et de tout droit à pension alimentaire, d'autre part !
– Solution du problème. – Une légère modification de l'article 758 du Code civil aurait permis de régler le problème. Or, plutôt que de choisir cette voie simple, le législateur de 2006 a imaginé une solution complexe et finalement moins protectrice. Il a accordé aux père et mère un droit de retour légal spécifique, lequel suscite de nombreux questionnements non encore tranchés, tant au niveau de ses conditions d'application (I) que de ses effets (II).
Les conditions d'application du droit de retour des père et mère
« Lorsque les père et mère ou l'un d'eux survivent au défunt et que celui-ci n'a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l'article 738, sur les biens que le défunt avait reçus d'eux par donation. » L'article 738-2, alinéa 1er du Code civil soumet le droit de retour légal des père et mère à deux conditions cumulatives, l'une tenant à la situation familiale (a) et la seconde à l'existence d'une donation (b). Une condition supplémentaire découle de la nature successorale de ce droit : père et mère doivent accepter la succession (c).
La situation familiale
La survie de l'ascendant donateur
– Condition de survie. – Le droit de retour légal ou conventionnel s'applique uniquement en cas de survie du père et/ou de la mère du donataire.
L'absence de postérité du descendant donataire
– Prédécès ou renonciation. – Le donataire ne doit pas laisser de descendance, soit qu'il n'en ait jamais eue, soit que tous ses descendants soient prédécédés. Mais qu'en est-il si tous les descendants renoncent à la succession ? La condition de l'absence de postérité est-elle défaillie ? La Cour de cassation assimile la renonciation des descendants à leur décès, et fait donc jouer le droit de retour légal dans cette hypothèse. Cette solution est logique : le droit de retour a pour objet la conservation des biens dans leur « famille d'origine ». Que les descendants du donataire soient prédécédés ou renonçants, le risque de voir les biens donnés transmis en dehors de celle-ci est le même. Elle est, en outre, conforme à la lettre de l'article 738-2 du Code civil qui vise l'« absence de postérité » sans distinguer parmi les causes de cette absence.
– Indépendance des vocations successorales. – On sait que l'héritier par ailleurs institué légataire bénéficie d'un droit d'option distinct pour ses droits légaux et pour ses droits testamentaires, et peut donc renoncer à l'un et accepter l'autre. Le fait que les descendants soient bénéficiaires d'un legs et qu'ils l'acceptent est sans incidence sur la mise en jeu du droit de retour légal dès l'instant où ils ont renoncé à leur vocation successorale ab intestat.
La question du conjoint survivant
– Source de la controverse. – L'application du droit de retour légal des père et mère en présence d'un conjoint survivant fait l'objet d'une controverse doctrinale non tranchée.
– Thèse de l'exclusion. – Certains auteurs l'excluent, sur le fondement d'un argument de codification qui traduirait un changement de justification du droit de retour. La place de l'article 738-1 du Code civil dans une section intitulée « Des droits des parents en l'absence de conjoint successible » tend à l'exclure en présence de celui-ci. Écartant la traditionnelle idée de conservation du bien dans la famille, ces auteurs avancent une nouvelle justification du droit de retour légal des père et mère, qui manifesterait désormais l'expression de la solidarité familiale. Comment, en effet, parler de conservation du bien au sein de la famille en présence d'un droit dont l'assiette, limitée à un quart, peut faire naître une indivision, au risque d'entraîner la vente et donc la sortie du bien de la famille ?
– Thèse de l'application. – D'autres, au contraire, font prévaloir la lettre du texte, qui accorde aux père et mère un droit de retour « en l'absence de postérité », sans y ajouter « et de conjoint » . Ces auteurs ne croient pas au changement de justification du droit de retour. À leurs yeux, elle demeure la conservation des biens dans la famille, et le droit de retour des père et mère est essentiellement utile en présence d'un conjoint. À défaut, il n'aurait de justification que dans les familles recomposées. Ils ajoutent que si seule la solidarité familiale était en cause, le droit de retour des père et mère aurait acquis une fonction alimentaire qui ne justifierait son existence qu'à la condition qu'ils soient dans le besoin.
L'existence d'une donation consentie par les père et mère
– Une donation et rien d'autre. – Le droit de retour légal des père et mère a en principe pour objet les biens donnés par ces derniers. Il est donc inapplicable :
  • à des biens donnés par d'autres membres de la famille, grands-parents notamment ;
  • ou des biens reçus par succession.
La nature de la donation, rapportable ou hors part, importe peu, de même que la nature des biens. Il peut s'agir de biens meubles ou immeubles et même de biens fongibles comme les sommes d'argent.
L'acceptation de la succession par les père et mère
– Un droit successoral. – Le droit de retour légal des père et mère est un droit de nature successorale. Il en résulte notamment :
  • que les parents donateurs ne peuvent pas y renoncer par anticipation. Une telle renonciation s'analyserait comme un pacte sur succession future prohibé par l'article 722 du Code civil ;
  • qu'en cas de renonciation à la succession du donataire, les parents donateurs perdent le droit de retour légal. Frappés d'indignité, ils en sont également privés.
En revanche, par exception, le droit de retour légal ne donne pas lieu à perception de droits de mutation à titre gratuit.
– Un droit très probablement d'ordre public. – Le droit de retour des père et mère aurait, selon la majorité de la doctrine, un caractère d'ordre public. D'une part, l'article 738-2 du Code civil dispose que le droit de retour s'applique « dans tous les cas ». D'autre part, le droit de retour légal des père et mère s'est substitué à leur ancienne réserve qui, elle, était indiscutablement d'ordre public. Une réponse ministérielle lui reconnaît également ce caractère d'ordre public, lequel découle du fait que le droit de retour est « un substitut de réserve à vocation alimentaire ». Si tel est le cas, les père et mère conserveraient donc leur droit de retour légal quand bien même le donataire les aurait exhérédés. Par voie de conséquence, le donataire ne pourrait y faire échec en léguant le bien donné par ses parents à son conjoint, partenaire ou concubin survivant (ou à toute autre personne) ou encore en l'instituant pour légataire universel. À ce jour, cependant, la jurisprudence n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur le caractère impératif du droit de retour.
Le quantum et l'assiette du droit de retour des père et mère
Le quantum du retour
– Un quart indivis. – La loi n'impose le retour au profit des père et mère qu'à concurrence d'une fraction déterminée par référence à leur droit successoral légal en l'absence de descendants tel que prévu à l'article 738 du Code civil, soit un quart pour chacun des parents. En outre, et cela n'est pas un détail, droit de retour et vocation successorale légale des père et mère ne se cumulent pas : la valeur du droit de retour s'impute sur leurs droits successoraux.
L'assiette du retour
– Mais un quart de quoi ? – La question de l'assiette du droit de retour légal des père et mère n'est pas à ce jour résolue. Deux thèses ont été proposées :
  • pour une doctrine majoritaire, la fraction qui fait retour doit être appliquée à l'intégralité de l'actif net successoral, sans pouvoir dépasser la valeur du bien donné ; autrement dit, le droit de retour porte sur la totalité du bien donné si sa valeur ne dépasse pas le quart de l'actif successoral ;
  • mais une autre partie de la doctrine enseigne que la fraction qui fait retour doit être appliquée à la seule valeur du bien donné, sans pouvoir dépasser celle de l'actif net successoral.
Les travaux parlementaires préparatoires n'ont pas permis de lever le doute. Une intervention législative paraît s'imposer pour unifier ces interprétations divergentes, les situations visées n'étant pas des cas exceptionnels. Pour mettre un terme à toutes les incertitudes du droit de retour légal des père et mère, nos prédécesseurs, en 2010, ont proposé de supprimer purement et simplement le droit de retour légal des père et mère et de lui substituer, en contrepartie, un droit alimentaire viager.
Pour ce qui nous concerne, nous nous bornerons à constater que tant l'existence de ce droit de retour que les incertitudes qui règnent sur sa mise en œuvre précarisent l'occupant survivant du logement du couple ou de la famille.

Outre-Quiévrain, point de retour

Une loi du 31 juillet 2017, réformant le droit successoral belge, a choisi la voie proposée par le 110e Congrès des notaires de France : la réserve des ascendants a été supprimée et remplacée par une créance alimentaire sur la succession, en cas de besoin. Dans ce droit pourtant très proche du nôtre, l'idée d'un droit de retour n'a pas été retenue.
Le droit de retour des collatéraux privilégiés
– Bref historique. – Depuis le 3 décembre 2001, si le défunt ne laisse ni enfant, ni descendant, ni père et mère, le conjoint survivant recueille la totalité de ses biens, dont le logement. Alors qu'il lui fallait jadis partager sa vocation successorale avec celle des collatéraux privilégiés (frères et sœurs et leurs descendants), il les évince désormais. Pour compenser cette éviction, le législateur de 2001 a mis au point un mécanisme de compensation : les frères et sœurs du défunt et, à défaut, leurs descendants, bénéficient d'un droit de retour sur la moitié (indivise) des biens d'origine familiale reçus à titre gratuit par le défunt.

Un retour des îles lointaines

La loi no 2019-786 du 26 juillet 2019 relative à la Polynésie française, en vigueur au 28 juillet 2019, introduit un particularisme local pour l'application, sur ce territoire, de l'article 757-3 du Code civil. Lorsque des biens immobiliers sont en indivision avec les collatéraux ou ascendants du défunt, ils sont dévolus en totalité à ses frères et sœurs ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission. Le conjoint survivant qui occupait effectivement le bien à l'époque du décès à titre d'habitation principale bénéficie toutefois d'un droit d'usufruit viager sur la quote-part indivise du bien incluse dans la succession.
Conditions du droit de retour légal des collatéraux ordinaires
– Notion de « biens d'origine familiale ». – Initialement limité aux biens que le défunt avait reçus de ses père et mère par donation ou succession, le législateur de 2006 a élargi le champ d'application du droit de retour des collatéraux privilégiés à l'ensemble des biens reçus à titre gratuit de ses ascendants. Seuls en sont exclus les biens acquis des ascendants à titre onéreux.
– Absence de volonté contraire. – Par ailleurs, la doctrine s'accorde à reconnaître que ce droit de retour n'est pas d'ordre public. Si le défunt a légué le bien reçu de ses ascendants ou consenti un legs de l'universalité de ses biens, les collatéraux privilégiés sont privés de leur droit de retour. Initialement, la Chancellerie avait refusé de reconnaître le caractère supplétif du droit de retour des frères et sœurs, mais elle est rapidement revenue sur son analyse.
– Existence des biens en nature. – L'exercice du droit de retour des collatéraux privilégiés se fait nécessairement en nature. Les biens reçus des ascendants doivent se retrouver dans la masse successorale. À défaut, l'assiette du droit de retour est inexistante : il n'y a pas, en pareil cas, de retour possible en valeur.
Effets du droit de retour légal des collatéraux privilégiés
Le conjoint survivant, s'il n'a qu'une vocation successorale légale, est donc moins bien protégé que le partenaire d'un pacte civil de solidarité bénéficiaire d'un testament. Les partenaires usent fréquemment du testament pour se protéger, aucune vocation successorale ne leur étant conférée par le législateur. Ainsi, le partenaire survivant légataire du logement pourra le conserver bien qu'il s'agisse d'un bien de famille. Il en ira de même si le partenaire a la qualité de légataire universel ou à titre universel. En revanche, le conjoint survivant, bien qu'ayant une vocation successorale universelle, devra laisser s'exercer le droit de retour légal des collatéraux privilégiés. La donation au dernier vivant conserve tout son intérêt.
– Naissance d'une indivision. – L'exercice du droit de retour légal des collatéraux privilégiés fait naître une indivision entre eux et le conjoint survivant. Les conséquences néfastes de cette situation sont bien connues : vente ou licitation du logement et, dans l'attente, versement d'une indemnité d'occupation, sauf application du droit annuel au logement du conjoint survivant, pendant les douze premiers mois, et hormis le cas où ce dernier peut se prévaloir du droit viager au logement.
– Bilan. – Les objectifs du législateur que sont la conservation des biens dans la famille d'origine, d'une part, et la protection a minima du logement du conjoint survivant, d'autre part, ne sont pas atteints.
– Suggestion d'amélioration. – Une solution aurait permis d'atteindre ces deux objectifs : prévoir une assiette plus large du droit de retour qui soit de la totalité des biens de famille et non pas de la moitié seulement, tout en octroyant au conjoint survivant l'usufruit des mêmes biens ou, a minima, du bien constituant le logement qu'il occupait avec le défunt au moment du décès. Cette proposition de M. Leveneur n'a pas été retenue par le législateur.
Le droit de retour dans la succession de l'adopté simple
Son principe
La succession de l'adopté simple décédé sans conjoint et sans postérité fait l'objet d'une dévolution successorale particulière : chaque famille, d'origine et adoptive, exerce la reprise des biens qui en sont issus et que le défunt avait reçus à titre gratuit ; les autres sont à répartir par moitié entre les deux familles ; une indivision se crée donc à leur égard.
Ses conditions
La situation familiale
– De l'adopté. – Le défunt ne doit laisser ni descendance ni conjoint survivant.
– De l'adoptant. – Les bénéficiaires sont, dans chaque famille, les père et mère et, en cas de prédécès, leurs descendants, frères et sœurs du défunt.
L'origine et l'existence des biens
– Origine : les biens reçus à titre gratuit. – Sont concernés par ce droit de retour les biens reçus par l'adopté simple de ses parents d'origine ou de l'adoptant par donation ou succession.
– Existence : retour en nature uniquement. – Le retour en valeur ne se conçoit pas ici ; seuls peuvent faire l'objet d'un retour les biens qui se retrouvent en nature. S'ils ont été aliénés du vivant de l'adopté ou légués, le droit de retour est privé d'objet.
L'acceptation de la succession
– Un droit successoral. – Ce droit de retour est de nature successorale. C'est pourquoi :
  • si un héritier renonce à la succession de l'adopté simple, il perd son droit de retour. Sa renonciation vient alors accroître, selon le cas, la part des seuls héritiers de la famille à laquelle il appartient (famille d'origine ou famille de l'adoptant) ;
  • chaque héritier, quelle que soit la famille à laquelle il appartient, doit contribuer au passif successoral dans la même proportion que ses droits dans la succession de l'adopté ;
  • chaque héritier doit aussi les droits de mutation à titre gratuit calculés sur le total de sa part, incluant donc les biens faisant l'objet du droit de retour légal.
Là encore, si un droit de retour conventionnel a été prévu dans l'acte de donation, il l'emporte sur le droit de retour légal, à condition de s'exercer sur la totalité du bien.

Logement commun : frères et sœurs, soyez prévoyants !

Il peut arriver que des frères et sœurs célibataires et sans enfants partagent le même domicile. Faute pour l'adopté d'avoir préparé sa succession, son frère ou sa sœur fera les frais du droit de retour. Il risque d'être ainsi privé de son logement.

Le droit de retour conventionnel

– Fondement textuel. – L'article 951 du Code civil, tel que modifié par la loi du 23 décembre 2006, dispose que : « Le donateur pourra stipuler le droit de retour des objets donnés soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants ». Et il ajoute : « Ce droit ne pourra être stipulé qu'au profit du donateur seul ».
– Différences avec le droit de retour légal. – Le droit de retour stipulé dans une donation comporte des différences importantes avec le droit de retour légal. Quant à ses effets notamment : la donation se trouve rétroactivement anéantie, et le bien donné réintègre le patrimoine du donateur en quelque main qu'il puisse se trouver. D'autres différences importantes avec le droit de retour légal méritent d'être soulignées. Elles s'apprécient, d'une part, quant à la condition d'absence de postérité (A) et, d'autre part, quant aux conséquences des renonciations pouvant survenir (B).
L'absence de postérité dans le droit de retour conventionnel
– En présence ou en l'absence de descendants. – Pour l'application du droit de retour légal, le donataire ne doit pas laisser de descendance. Cette condition n'est pas obligatoirement requise dans le cadre du droit de retour conventionnel. Le donateur peut donc se réserver un droit de retour dès l'instant où le donataire est prédécédé, qu'il laisse ou non des descendants. Au donateur de choisir, au moment de la donation, si le droit de retour s'appliquera même si le donataire laisse des descendants ou si ces derniers doivent également être prédécédés.
Renonciations et droit de retour
– Renonciation des descendants à la succession du donataire. – Lorsqu'un donateur entend se réserver un droit de retour en cas de prédécès du donataire sans postérité, il est souhaitable d'attirer son attention sur l'intérêt d'envisager, au sein même d'une clause idoine, le cas de la renonciation par un descendant à la succession du donataire. À défaut il sera fait application de la jurisprudence précitée qui assimile cette renonciation à l'absence de postérité.
– Renonciation du donateur à la succession du donataire. – En pareille hypothèse, le donateur :
  • perd son droit de retour légal, car la renonciation à succession emporte la perte de tous les droits attachés à la qualité d'héritier ;
  • conserve son droit de retour conventionnel, qui n'est pas de nature successorale, mais conventionnelle.
– Renonciation anticipée au droit de retour. – De même, et en raison de leur différence de nature, une renonciation par le donateur au droit de retour conventionnel qu'il s'était réservé est possible (et très usuelle). En revanche, aucune renonciation au droit de retour légal ne peut être valablement effectuée avant le décès du donataire.
– Forme de la renonciation. – On a pu s'interroger sur le point de savoir si la renonciation à un droit de retour conventionnel, stipulé dans un acte, par hypothèse authentique de donation, devait ou non être effectuée en la forme authentique. S'agissant d'une convention détachable de l'acte de donation, la réponse est négative.

Le droit de retour sur un bien ayant fait l'objet d'additions ou d'améliorations

1. Comment procéder si le bien objet du droit de retour non seulement se retrouve en nature, mais a fait l'objet d'améliorations ou d'additions ? La pratique rencontre fréquemment de telles situations, et notamment la construction sur un terrain reçu par donation ou succession.
2. Pour la majorité de la doctrine, le bénéficiaire du droit de retour en profitera sans devoir aucune indemnité à la succession. En revanche, si les travaux ont été financés en tout ou partie par le conjoint du donataire ou de l'héritier, il faudra tenir compte des droits de celui-ci, qui varient selon le régime matrimonial, l'importance de sa contribution (ou de sa surcontribution) au coût des améliorations et les clauses éventuelles de son contrat de mariage. Sur ces questions, et sur les maléfices de la clause dite de « contribution au jour le jour aux charges du mariage », on consultera avec profit le rapport du 118e Congrès des notaires de France.

L'occupant n'est pas le seul héritier : la précarité de l'indivision

– Hypothèses d'indivision. – Dans les hypothèses suivantes, la loi accorde au conjoint survivant en concours avec d'autres héritiers uniquement des droits en propriété. Il en est ainsi :
  • en présence d'un ou plusieurs enfants issus d'une précédente union du défunt, qu'il y ait ou non des enfants communs. Les droits successoraux du conjoint sont alors limités au quart en propriété des biens de la succession ;
  • lorsqu'à défaut d'enfants et autres descendants, le conjoint survivant est en concours avec les père et mère du défunt. Il recueille alors la moitié ou les trois quarts de la succession selon que l'un des parents est ou non prédécédé.
– Précarité subséquente. – La situation ainsi engendrée peut être dangereuse. Une indivision se crée entre les héritiers, exposant l'occupant à une action en partage (§ II). En outre, dans l'attente de la sortie de l'indivision, l'occupant est tenu au paiement d'une indemnité d'occupation (§ I).

L'indemnité d'occupation

– En indivision, l'égalité emporte indemnité. – Les indivisaires ont des droits égaux et concurrents sur le bien. Qu'en est-il alors de celui qui, ayant occupé le logement avant même le décès du propriétaire, s'y maintient ? Tant que dure l'indivision, sous réserve de la prescription quinquennale et à moins d'en être dispensé par ses cohéritiers, l'occupant est redevable d'une indemnité d'occupation dont il convient de présenter les conditions (A) et le régime (B).
Les conditions de l'indemnisation
Le débiteur de l'indemnité d'occupation
– Principe. – L'indivisaire qui occupe exclusivement le logement indivis est redevable d'une indemnité d'occupation au bénéfice de l'indivision, et ce jusqu'au partage ou à la date de cessation de la jouissance privative du bien si elle est antérieure. L'indivisaire occupant ne peut s'exonérer du versement de l'indemnité d'occupation au motif que le logement est vétuste et donc incompatible avec sa mise en location.
– Exception. – L'indemnité n'est pas due lorsque l'occupant exerce ses droits de jouissance en vertu d'un titre conventionnel ou légal. Il peut s'agir d'une convention d'indivision, ou encore d'un bail. Dès lors qu'il s'acquitte d'un loyer, même modique, l'indivisaire n'a pas à verser d'indemnité d'occupation ; il y a bien une contrepartie à son occupation. En effet, la Cour de cassation considère que l'indivisaire locataire ne porte pas atteinte aux droits égaux et concurrents de ses coïndivisaires, lesquels sont préservés par le versement d'un loyer à l'indivision, qui succède au bailleur dans ses droits comme dans ses obligations. On lira dans l'extension web ci-dessous un cas pratique établi à ce sujet à partir d'un arrêt rendu par la première chambre civile le 18 mars 2020.

Une contrepartie préexistante à l'indivision exclut le versement d'une indemnité d'occupation – Cas pratique

Mme C…, mère de deux enfants, a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Elle a dû être placée sous la tutelle d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) et hébergée dans un établissement spécialisé pendant les cinq années ayant précédé son décès. Elle était propriétaire de son logement, laissé vacant, que son fils a souhaité occuper. Ce dernier a convenu avec le MJPM du versement mensuel d'une somme de 500 € en contrepartie de cette occupation privative.
Au décès de Mme C…, sa fille, âpre au gain, a obtenu d'un professionnel un avis de valeur estimant la valeur locative mensuelle de ce logement à 1 200 € par mois.
De quelle somme le fils, occupant, doit-il s'acquitter envers l'indivision successorale à compter du décès de Mme C… ?
La Cour de cassation a tranché nettement :
Le fait que le bail soit simplement verbal et la valeur locative du logement nettement supérieure au montant du loyer acquitté par l'indivisaire locataire est sans incidence . Dès lors, le fils occupant l'appartement de Mme C… est redevable envers l'indivision, comme il l'était par le passé envers sa mère, de la somme mensuelle de 500 €, soit à verser chaque mois à sa sœur une somme de 250 €.
– Corrélation de l'indemnité à l'indivision. – S'il n'y a pas d'indivision, il ne peut y avoir de droits concurrents et donc d'indemnité d'occupation. Ainsi, aucune indemnité n'est due :
  • par le légataire universel, fût-il tenu au versement d'une indemnité de réduction, sauf option pour la réduction en nature (qui crée une indivision) ;
  • par le légataire particulier du logement, car il est propriétaire du bien légué dès le décès ;
  • par l'usufruitier du logement en cas de démembrement de propriété, quand bien même il serait en indivision pour la nue-propriété ;
  • par le conjoint survivant ayant opté pour le droit d'habitation du logement qu'il occupait effectivement à l'époque du décès.
– Durée de l'indemnisation. – L'indemnité est due, sous réserve de la prescription quinquennale :
  • tant que dure l'occupation. En cas de contestation sur la date de fin de la jouissance privative, il appartient à l'ancien occupant d'en apporter la preuve ;
  • tant que dure l'indivision, c'est-à-dire jusqu'au partage. Même lorsque le juge accorde l'attribution préférentielle à l'occupant, cette attribution ne prend effet qu'au jour du partage et non au jour du décès. L'indemnité d'occupation est donc due, et ce jusqu'au partage définitif.
Le caractère privatif de l'occupation
– L'exclusivité est source d'indemnité. – L'indemnité d'occupation est la contrepartie de la privation de jouissance subie par les indivisaires non occupants. Il faut donc, pour qu'elle soit due, que l'occupation d'un indivisaire soit exclusive de celle de ses coïndivisaires, c'est-à-dire qu'elle les empêche de jouir du bien indivis. Il doit exister, pour ces derniers, une impossibilité de droit ou de fait d'utiliser le logement. Tel est le cas s'ils n'en détiennent pas les clés ou si l'occupant a changé les verrous de la porte d'entrée notamment. L'indemnité est due même en l'absence d'occupation effective du bien ou si l'occupation est intermittente.
Le créancier de l'indemnité d'occupation
– Nature juridique de l'indemnité. – L'indemnité d'occupation est due par l'occupant à l'indivision et non à ses coïndivisaires. En effet, l'indemnité d'occupation vient compenser la perte de loyer. Elle est donc assimilable à un revenu. En ce sens, elle accroît à l'indivision conformément à l'article 815-10 du Code civil. Par suite, un indivisaire ne peut pas obtenir la condamnation de l'occupant du logement au paiement d'une indemnité d'occupation à son seul profit. Ainsi, l'indemnité est due pour son montant total et non au prorata des droits de l'occupant dans l'indivision.
– Conséquences. – L'assimilation de l'indemnité d'occupation à un revenu emporte diverses conséquences :
  • l'indivisaire privé de la jouissance du logement peut réclamer en justice la condamnation du coïndivisaire occupant au paiement de l'indemnité d'occupation sans attendre le partage ;
  • chaque indivisaire peut en réclamer sa part annuelle ;
  • l'action en paiement se prescrit par cinq ans, ainsi qu'on le verra plus loin.
Le régime de l'indemnité
L'évaluation de l'indemnité
– Méthode. – L'indemnité d'occupation se détermine en principe par référence à la valeur locative du bien (en l'occurrence, du logement) occupé privativement. Ce principe admet cependant certains tempéraments.
Principe de référence à la valeur locative
– Montant initial. – L'indemnité d'occupation est, en principe, déterminée par référence à la valeur locative du logement. Deux méthodes d'estimation sont admises :
  • la méthode par comparaison. Cette méthode consiste à rechercher le loyer qui pourrait être perçu si le logement était loué aux conditions normales du marché. Il convient de se référer au marché locatif local, tout en tenant compte des caractéristiques intrinsèques du logement ;
  • la méthode par capitalisation. La valeur locative est alors déterminée en appliquant un taux de rendement à la valeur vénale du logement.
– Révision. Capitalisation. – L'indemnité d'occupation est indexée sur l'indice de référence des loyers (IRL). À défaut de paiement, elle porte intérêt à compter de la date de la décision qui la détermine, au taux légal calculé annuellement.
Tempéraments au principe : les abattements
– Un pouvoir souverain du juge. – Les juges du fond sont souverains pour déterminer la méthode de calcul de l'indemnité d'occupation. Dès lors, ils ne sont pas tenus de se fonder sur la seule valeur locative du logement, même si ce critère ne saurait être exclu. La jurisprudence admet trois types de tempéraments, générateurs d'abattements susceptibles de se cumuler pour venir réduire l'indemnité d'occupation (i). Cependant, elle en écarte d'autres (ii).
Les abattements admis
– Abattement pour précarité. – Un correctif à la baisse est appliqué afin de tenir compte du caractère précaire de l'occupation par l'indivisaire. Contrairement au locataire, l'indivisaire n'est en effet protégé par aucun statut lui assurant un maintien dans les lieux. Bien au contraire, il est à tout moment exposé au risque d'une demande en partage. L'abattement pratiqué varie généralement entre 10 et 30 %, mais peut aller jusqu'à 50 % dans certains cas particuliers. À l'inverse, le juge peut parfois refuser d'appliquer un abattement pour précarité, considérant que les circonstances font perdre à l'occupation son caractère précaire. Il en est ainsi, par exemple, en présence d'une occupation très ancienne ou encore lorsque l'indivisaire occupant a refusé l'attribution préférentielle.
– Abattement pour vétusté. – Le juge prend parfois en considération le mauvais état du bien (désordres, vétusté) pour appliquer un abattement, à condition toutefois qu'il n'en ait pas déjà été tenu compte pour déterminer la valeur locative.
– Abattement en présence d'enfants. – Enfin, le juge apprécie si le fait que les enfants vivent dans le logement indivis, en fonction de leur âge et du mode de garde, influe sur la détermination du taux de l'abattement correctif appliqué à la valeur locative. Tel n'est pas le cas si la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants comprend les frais liés à leur hébergement.
Les abattements exclus
– Pas d'abattement pour occupation partielle. – Aucun abattement ne peut être appliqué au montant de l'indemnité d'occupation au motif que l'indivisaire n'occupe pas la totalité du bien, en raison de sa taille notamment. Il n'en reste pas moins qu'il en a la jouissance intégrale et non partielle.
– Ni pour surveillance, entretien et réparations. – La prise en charge par l'indivisaire occupant de travaux de modernisation ou d'entretien et du gardiennage de l'immeuble n'est pas de nature à minorer le montant de l'indemnité d'occupation due à l'indivision. L'indemnité sera calculée d'après l'état de l'immeuble après travaux. En revanche, l'occupant est alors en droit de réclamer à ses coïndivisaires une indemnité en contrepartie des améliorations apportées à l'immeuble, sur le fondement de l'article 815-13 du Code civil.
La prescription quinquennale de l'indemnité
– Principe de la prescription. – L'indemnité d'occupation ayant, comme on l'a vu, la nature juridique d'un revenu, conformément aux dispositions de l'article 815-10, alinéa 3 du Code civil, l'action en paiement de l'indemnité d'occupation se prescrit par cinq ans. La prescription court même si l'indemnité n'est pas encore fixée. Mais cette prescription peut être interrompue ou suspendue.
– Interruption de la prescription. – La prescription est interrompue :
  • si les coïndivisaires assignent l'occupant en paiement ou demandent, au fond, la réalisation d'une expertise judiciaire afin d'évaluer la valeur locative du logement ;
  • si le tribunal renvoie les parties devant le notaire commis pour procéder à la liquidation. En effet, dans cette hypothèse, le tribunal n'est pas dessaisi.

Quelques points d'attention en cas de partage judiciaire

1. Si l'assignation en vue d'obtenir la désignation d'un notaire liquidateur n'est pas assortie d'une demande d'indemnité d'occupation, la prescription n'est pas interrompue.
2. Un procès-verbal de difficultés établi par le notaire liquidateur dans le cadre d'un partage judiciaire doit faire expressément mention de la demande d'une indemnité d'occupation pour valoir interruption de la prescription.
– Suspension de la prescription. – La prescription est suspendue lorsque l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation est dans l'impossibilité d'exercer son droit, et donc d'interrompre la prescription.
Il existe deux types de causes de suspension :
– 1) Les causes particulières de suspension résultant de la situation personnelle du titulaire du droit. – Elles sont limitativement prévues par la loi :
  • les époux et les partenaires de Pacs ;
  • les mineurs non émancipés et les majeurs sous tutelle, à l'exclusion des majeurs sous curatelle ou sauvegarde de justice ;
  • l'existence d'un mode alternatif de règlement des litiges : médiation ou conciliation. De simples pourparlers transactionnels entre les parties, sans l'intervention d'un médiateur ou d'un conciliateur, ne permettent pas de suspendre la prescription ;
  • l'organisation d'une mesure d'instruction in futurum . La prescription reprend son cours le jour où la mesure d'instruction a été exécutée. Par exemple, lorsque le juge nomme un expert, le délai de prescription est suspendu jusqu'à la date du dépôt de son rapport.
Non visée par la loi, la mise en liquidation judiciaire de l'indivisaire créancier de l'indemnité d'occupation n'est pas une cause de suspension puisque le liquidateur peut agir à sa place.
– Liberté contractuelle. – D'un commun accord, les parties peuvent prévoir d'autres causes de suspension.
– 2) Une cause générale de suspension : l'impossibilité d'agir pour cause de force majeure. – L'impossibilité d'agir peut être matérielle ou morale. Elle peut résulter d'une faute ou de manœuvres déloyales émanant du débiteur de l'indemnité d'occupation, par exemple s'il déménage en secret ou ne donne pas sa nouvelle adresse. C'est à l'indivisaire créancier de prouver la faute ou les manœuvres déloyales du débiteur. Dans tous les cas, l'impossibilité d'agir ne doit pas être imputable au créancier de l'indemnité d'occupation. À titre d'exemple, il ne peut pas, a priori, se prévaloir de son incarcération. C'est à celui qui invoque la suspension d'apporter la preuve de la force majeure ayant entraîné pour lui une impossibilité « absolue » d'agir, selon le terme consacré par la jurisprudence, certes antérieure à la réforme de 2008, mais qui est restée a priori constante même si les juges ont pu, à l'occasion de certaines décisions, se montrer moins exigeants.
– Un allongement du délai de prescription. – Contrairement à l'interruption, la suspension n'arrête que momentanément la prescription. Lorsque la cause de la suspension prend fin, le délai de prescription qui avait commencé à courir reprend son cours. Il est allongé d'une durée égale à celle de la durée de l'empêchement.

L'action en partage

– Principe. – Nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision. Appliqué au logement, ce grand principe place l'indivisaire occupant dans une situation de grande précarité. Il peut en effet être amené à quitter son logement faute de pouvoir acquérir la part de ses cohéritiers s'ils lui en font la demande (A). À l'origine, ce principe ne souffrait aucune exception. L'article 815 du Code civil était ainsi rédigé : « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires ». La loi du 31 décembre 1976 a assoupli le principe. Le texte de l'article 815, issu de la réforme de 1976, offre à l'occupant la possibilité de demander et d'obtenir un délai (B). L'hypothèse retenue ici est celle où l'occupant n'entend pas se prévaloir des dispositions de l'article 831-2 du Code civil pour demander l'attribution préférentielle du logement, en raison du manque de moyens financiers notamment.
Le droit de demander le partage
Tout indivisaire dispose du droit absolu et impératif de demander le partage (I). Ce droit est également imprescriptible (II).
Un droit impératif et absolu
Nul besoin de la réalisation d'un acte ou d'un fait juridique pour avoir le droit de provoquer le partage. Il suffit à un indivisaire d'en faire la demande. Tout indivisaire (a) a le droit de provoquer le partage nonobstant toute volonté contraire (b).
Un droit acquis à tout indivisaire
– L'indivisaire ou son représentant. – Contrairement à l'option successorale, le droit de provoquer le partage ne constitue pas un droit personnel de l'indivisaire. C'est pourquoi l'action en partage peut être intentée par l'indivisaire lui-même ou par son représentant. Ainsi, lorsqu'un indivisaire est en liquidation judiciaire, le liquidateur exerce les droits et actions dont l'indivisaire est dessaisi en vertu de l'article L. 622-9 du Code de commerce, sous réserve que la succession ait été ouverte avant l'ouverture ou le prononcé de la liquidation. Le liquidateur peut également agir sur le fondement de l'article 815-17 du Code civil, en qualité de représentant des créanciers personnels de l'indivisaire, auxquels ce texte accorde également le droit de provoquer le partage. Ils disposent de l'action oblique leur permettant d'intenter l'action en partage si l'indivisaire s'y refuse. Un indivisaire peut donc indirectement provoquer le partage malgré lui !
Un droit acquis nonobstant toute volonté contraire
Le droit de provoquer le partage s'impose à tout indivisaire (i) et au juge (ii).
Un droit qui s'impose à tout indivisaire
Lorsqu'un seul des indivisaires souhaite sortir de l'indivision, l'opposition de ses coïndivisaires sera sans effet, sauf à ce que ces derniers invoquent l'attribution éliminatoire.
Un droit qui s'impose au juge
Le juge saisi d'une demande en partage n'a d'autre choix que de prononcer le partage. Les termes de l'article 815 du Code civil sont à cet égard sans équivoque : « le partage peut toujours être provoqué ». Le juge du fond n'a donc pas à apprécier les motifs de la demande de l'indivisaire qui, de ce fait, n'a pas à en faire état. Peu importe même que son action soit motivée par la seule volonté de nuire à l'occupant du logement.
Aucune règle de protection du logement ne permet au juge de rejeter une demande en partage.
Un droit imprescriptible
– Éviction de la prescription extinctive. – La jurisprudence est claire sur ce point : le droit de demander le partage est imprescriptible. Il ne s'éteint pas. Aucune prescription extinctive ne peut donc être opposée au demandeur. L'occupant du logement ne saurait arguer de la durée de l'indivision pour s'opposer à la demande de partage d'un coïndivisaire. Peu importe que des mois ou des années se soient écoulés depuis le décès qui a donné naissance à l'indivision.
– Possible application de la prescription acquisitive. – En revanche, l'article 816 du Code civil prévoit que le partage ne peut plus être demandé s'il y a eu « possession suffisante pour acquérir la prescription ». S'il a joui du bien indivis de manière privative et exclusive, l'occupant du logement peut donc opposer au demandeur la prescription acquisitive. Il doit cependant justifier d'une possession paisible, continue et non équivoque à titre de propriétaire pendant trente ans. Dans ce cas, il n'y a plus d'indivision entre l'occupant du logement et ses cohéritiers qui n'ont donc plus aucun droit au partage à invoquer.
Le droit de demander un délai
L'article 815 du Code civil prévoit la possibilité de reporter le partage par convention (I) ou jugement (II).
La convention d'indivision
– Principe. – À la demande de l'occupant du logement, les indivisaires peuvent conclure une convention aux termes de laquelle ils s'interdisent de demander le partage. Une telle convention, pour être valable, doit satisfaire aux prescriptions des articles 1873-2 et suivants du Code civil. Elle ne peut être conclue que par l'ensemble des indivisaires et doit être constatée dans un acte publié au fichier immobilier s'agissant d'un bien immobilier. La formalité de publicité foncière est requise uniquement pour l'opposabilité aux tiers et non comme condition de validité de la convention.
– But recherché. – La conclusion d'une telle convention assure un simple répit à l'occupant. Le législateur n'a pas voulu d'une interdiction absolue de demander le partage. Les coïndivisaires conservent le droit de provoquer le partage, mais sous certaines conditions. Il convient de distinguer selon que la durée de la convention est déterminée ou indéterminée.
– Durée. – Si une durée est définie dans la convention, elle ne saurait être supérieure à cinq ans. À son terme, elle peut être prorogée de manière expresse avec l'accord de l'ensemble des indivisaires.
Dans ce cas, les indivisaires peuvent demander le partage uniquement pour de justes motifs. L'appréciation des justes motifs relève du pouvoir souverain des juges du fond. Tel sera le cas si les intérêts personnels de la majorité des indivisaires se trouvent compromis par le maintien de l'indivision ou si l'occupant met en péril le logement.
– Renouvellement. – Il peut être prévu que la convention d'indivision se renouvelle « par tacite reconduction pour une durée déterminée ou indéterminée ». Si les parties ne s'accordent pas sur le renouvellement de la convention d'indivision, le droit commun de l'indivision s'applique et donc la possibilité pour tout indivisaire de provoquer le partage. Si la convention est conclue pour une durée indéterminée, les indivisaires conservent le droit de demander le partage à tout moment « pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps ». Finalement, la convention d'indivision accorde peu de sécurité à l'occupant du logement.
Le juge
Le juge peut surseoir au partage (a) ou maintenir l'indivision (b).
Le sursis au partage
La condition du sursis
– Une dépréciation certaine. – Une fois l'assignation en partage lancée, un indivisaire peut demander au juge de surseoir au partage si et seulement si sa réalisation peut porter atteinte à la valeur du logement indivis. Aucune autre raison ne peut être invoquée pour obtenir un sursis au partage. Les juges du fond sont souverains pour apprécier, en fonction des circonstances, l'opportunité de faire droit à la demande de sursis. Ils statuent en fonction des circonstances de l'espèce. Le risque de perte de valeur peut résulter d'une situation temporaire, comme des travaux en cours ou un litige avec un voisin ou un entrepreneur suite à des travaux. Dans pareil cas, il s'avère opportun d'attendre la fin des travaux ou du litige. Les juges ont ainsi fait droit à une demande de sursis en période de crise de l'immobilier. Cette solution sera assurément difficile à mettre en œuvre quand il s'agira de démontrer le risque de dévaluation du logement lié au partage.
– L'espoir d'une plus-value ? – À l'inverse, un indivisaire pourrait-il faire valoir qu'il est prévisible que le bien génère une plus-value dans les deux années à venir pour obtenir un sursis ? Tel pourrait être le cas si, par exemple, le logement est situé dans le périmètre d'étude d'un important projet d'urbanisme ou de rénovation urbaine. La question, à ce jour, n'est pas tranchée. Nul doute qu'elle se posera un jour en jurisprudence.
Le délai du sursis
– Une solution à court terme. – Le sursis est accordé pour deux années au plus. Le principe du partage est acquis. Seule son exécution est différée. Le point de départ du délai est la date de la décision judiciaire. Compte tenu du temps nécessaire à la procédure, le délai sera en réalité beaucoup plus long. Le sursis est donc une solution à court terme qui maintient le concubin ou le partenaire et, plus généralement, l'occupant dans une situation précaire. Lorsque les conditions sont remplies, il est préférable de recourir à la demande de maintien de l'indivision.
Le maintien de l'indivision
– Protéger la famille proche. – En vertu de l'article 821-1 du Code civil, le juge peut prononcer le maintien de l'indivision du logement effectivement occupé par le défunt ou son conjoint et du mobilier le garnissant. Les seuls bénéficiaires du maintien de l'indivision sont le conjoint survivant (ii) et/ou les enfants mineurs (i). L'objectif du texte est de les maintenir dans leur cadre de vie habituel. L'indivision peut également être maintenue à la demande de certains indivisaires sous réserve de faire droit à la demande de partage de leur coïndivisaire en lui attribuant sa part (iii).
Les enfants mineurs
– Maintien jusqu'à la majorité. – En présence d'enfants mineurs du défunt, la demande peut être faite par le conjoint survivant ou tout héritier ou encore par le représentant légal des enfants mineurs. Le maintien dans l'indivision est accordé pour une durée de cinq années. Il peut être renouvelé jusqu'à la majorité du plus jeune des enfants. Un concubin ou partenaire coïndivisaire qui a des enfants avec le défunt peut ainsi être maintenu dans les lieux tant qu'au moins un des enfants est mineur.
Le conjoint survivant
– Maintien à vie. – Si le défunt ne laisse aucun enfant mineur, seul le conjoint peut demander le maintien dans l'indivision et à la double condition d'être copropriétaire du logement et d'y résider au moment du décès. Peu importe que le conjoint soit propriétaire avant le décès ou le devienne du fait du décès seulement. En revanche, le conjoint simplement usufruitier n'est pas habilité à demander le maintien de l'indivision du logement. Le maintien dans l'indivision est également accordé pour une durée de cinq années et peut être renouvelé jusqu'au décès du conjoint. La Cour de cassation a précisé que le juge ne peut pas initialement accorder le maintien de l'indivision jusqu'au décès, obligeant ainsi le conjoint à renouveler sa demande après cinq ans.
L'attribution « éliminatoire »
– Une solution subsidiaire. – S'il existe au moins trois indivisaires, l'occupant du logement peut répondre à l'assignation en partage en déposant une demande reconventionnelle de maintien du logement dans l'indivision sous réserve d'attribuer sa part au seul indivisaire qui a demandé le partage. Cette innovation de la loi du 31 décembre 1976 a été qualifiée par M. Dagot d'« attribution éliminatoire ». Cette attribution n'est pas de droit et relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En outre, elle s'applique à titre subsidiaire. En effet, si le demandeur en partage demande l'attribution préférentielle et remplit les conditions pour en bénéficier, la demande d'attribution éliminatoire sera rejetée.
– Une demande nécessairement reconventionnelle. – L'attribution éliminatoire ne peut pas être demandée à titre principal. Elle suppose l'existence d'une demande en partage et en partage global, non partiel. Pour autant, elle est applicable quand bien même l'indivision comprendrait un bien unique. Elle est recevable tant que la décision relative à l'action en partage n'est pas passée en force de chose jugée et même tant que le partage n'est pas intervenu si la décision se borne à ordonner le partage et non la licitation.
La demande reconventionnelle d'attribution éliminatoire n'a pas être déposée par l'ensemble des défendeurs à l'action en partage. Elle suppose néanmoins qu'il existe a minima un autre indivisaire hormis le demandeur en partage et l'occupant du logement. À défaut, la demande ne peut aboutir puisqu'il n'y aura plus d'indivision une fois le demandeur alloti. Or il s'agit bien d'une demande de maintien de l'indivision.
Depuis la loi du 23 juin 2006, l'indivisaire à l'initiative de l'action en partage est alloti en valeur. Si les liquidités indivises sont insuffisantes pour couvrir sa part, seuls les demandeurs du maintien dans l'indivision doivent en principe s'acquitter de la somme due. Rien n'empêche toutefois les autres indivisaires de participer s'ils le souhaitent.
– Intérêt en cas de recomposition familiale. – L'attribution éliminatoire peut trouver application dans les familles recomposées si le défunt laisse à la fois des enfants issus de son union avec son concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité et des enfants issus d'une précédente union. À défaut d'accord, il est fort probable que ces derniers demandent le partage en justice. Le concubin ou partenaire peut alors faire une demande reconventionnelle de maintien du logement dans l'indivision à laquelle on peut penser que ses propres enfants ne s'opposeront pas. Encore faut-il que les deniers indivis et/ou ceux du concubin ou partenaire soient suffisants pour couvrir la part des demandeurs en partage.

L'essentiel à retenir

Dans les cas où le logement est appréhendé comme un bien, il est traité comme un actif successoral ordinaire au décès de son propriétaire. L'occupant se retrouve alors en situation de concurrence avec les (autres) héritiers et ne bénéficie d'aucune protection spécifique. La succession peut s'en trouver paralysée, ce qui est préjudiciable autant aux héritiers qu'à l'occupant qui peut être privé de son cadre de vie du jour au lendemain. Ce défaut de protection peut préjudicier au logement lui-même qui risque de ne plus être entretenu ni par l'occupant, ni par les héritiers. Le premier se retrouve dans une situation précaire et peut avoir à quitter les lieux à tout moment. Il va donc s'abstenir d'engager des dépenses. Quant aux héritiers, tant qu'ils n'ont pas accès au logement, ils ne peuvent pas l'entretenir. Fort heureusement, depuis quelques décennies le législateur a tissé peu à peu un statut protecteur du logement dont bénéficie essentiellement, mais non exclusivement, le conjoint survivant.