Les forces d'un contrat spécial

Les forces d'un contrat spécial

La tontine n'a jamais été dépassée ni même égalée dans ses effets ; elle n'a donc jamais été frappée d'obsolescence.

Une idée toujours neuve

– L'unique est à l'abri de l'usure. – Le pacte tontinier présente une utilité propre, et répond à un besoin réel. On peut en juger en considérant l'une des propositions de l'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, élaboré par la commission présidée par M. Stoffel-Munck. Au jeu, pari et rente viagère, déjà réglementés par le Code civil, la commission suggère d'ajouter la clause de tontine, et de regrouper l'ensemble en une catégorie nouvelle de conventions, les « contrats aléatoires par essence », tous dotés d'un régime commun.
– Un contrat à nul autre pareil. – Rappelons en quelques mots l'architecture de ce contrat sans équivalent. Dans le cadre d'une acquisition réalisée en commun par un couple (ou par plusieurs personnes), une clause stipule que chaque acquéreur sera réputé être le seul propriétaire du bien depuis l'origine, à condition d'être le dernier à survivre. L'édifice repose donc sur un double fondement : condition suspensive de la survie, condition résolutoire du prédécès. La rétroactivité des conditions suffit, dès lors, à faire le reste : le dernier vivant sera regardé comme seul et unique propriétaire depuis le jour de l'achat, et le prédécédé comme n'ayant jamais été investi de cette propriété. Il reste alors à apprécier les conséquences de la situation ainsi créée.
– Un décès, pas de succession. – Laissons pour l'instant à part les droits de mutation à titre gratuit, au titre desquels la tontine a les honneurs d'un régime particulier. Civilement parlant, puisque le bien « coacquis » est réputé n'avoir jamais appartenu au premier décédé, le survivant n'a aucun compte à rendre à ses héritiers, ni à ses créanciers. Néanmoins, deux conditions de validité sine qua non sont posées pour la validité du pacte, l'une par la jurisprudence, et l'autre par la loi.
– Condition classique : réalité d'un aléa. – L'avènement de la double condition évoquée doit être affecté d'un aléa réel. Si un élément concret de la situation des parties (trop grande différence d'âge ou d'état de santé, par exemple) laisse à penser que l'histoire était écrite d'avance, l'absence d'aléa peut amener à disqualifier le contrat, qui constitue alors une libéralité, avec toutes les suites juridiques et fiscales qui en découleront.
– Condition nouvelle : l'effet rétroactif expressément formulé. – L'autre condition de validité d'une tontine est beaucoup plus récente. Depuis la réforme du droit des obligations opérée par l'ordonnance du 10 février 2016, la réalisation d'une condition n'entraîne plus de plein droit un effet rétroactif. Seule une formulation expresse, par laquelle les parties entendent conférer un effet rétroactif à leur convention, permet d'atteindre le résultat recherché par le recours à la tontine.

Point d'attention

L'attention des rédacteurs doit être particulièrement appelée sur la nécessité d'assortir toute clause de tontine d'une stipulation expresse de rétroactivité des conditions. Ce point a été souligné à juste titre par nos confrères réunis, l'an dernier, au Congrès de Marseille.
Sous réserve de ces précautions, la clause d'accroissement déploie de puissants effets civils et fiscaux.

Un intérêt civil évident

– Contraintes de la réserve. – La tontine protège le coacquéreur contre les droits réservataires que pourraient faire valoir les héritiers du prédécédé. Au même titre que l'assurance sur la vie, on ne peut en principe y détecter aucune libéralité ; il ne faut y voir que l'effet d'une convention passée, de son vivant, entre le défunt et son coacquéreur. Dès lors, aucune indemnité de réduction ne peut être due par le bénéficiaire final de la clause, qui ne saurait être assimilé à un donataire ou un légataire. Si l'on rappelle une fois de plus que, dans la structure générale des patrimoines français, le logement occupe une place largement dominante, on mesure tout l'intérêt que peut, dans certains cas, présenter l'acquisition du logement « en tontine ». Un legs, même consenti seulement en usufruit, ne parvient généralement pas à un résultat équivalent en terme de protection du coacquéreur. De plus, et malgré leur particularisme, les effets fiscaux de la tontine suscitent un regain d'intérêt.

Un regain d'intérêt fiscal

Bien que dotée d'un régime fiscal autonome, la tontine peut présenter un intérêt fiscal dans deux situations particulières.

Régime fiscal de droit commun de la tontine

– Une fiction fiscale. – Alors qu'en droit civil le dénouement d'une tontine n'est en rien une succession, le droit fiscal la taxe comme si elle en était une, soumettant aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG) la valeur des droits transmis au(x) bénéficiaire(s) de la clause, selon le lien de parenté existant entre lui (eux) et le défunt (ou encore à 60 %, entre coacquéreurs sans aucun lien de parenté !). Le droit fiscal ignore donc l'effet rétroactif de la condition réalisée.
– Modeste exception en faveur de certains logements. – L'alinéa 2 de l'article 676 du Code général des impôts ménage, dans certains cas, la possibilité d'une moindre taxation, et remplace l'application du taux des DMTG par celui des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Mais les conditions à réunir à cet effet sont si draconiennes qu'elles sont rarement remplies. Le bien acquis en tontine doit non seulement constituer l'habitation principale commune (c'est-à-dire le logement) des parties au contrat, mais en outre représenter lors du premier décès une valeur inférieure à 76 000 € .

Intérêts fiscaux particuliers de la tontine

Un intérêt relativement récent résulte des dispositions de la loi Tepa de 2007. Il ne doit pas faire oublier celui qui s'attache à stipuler une clause de tontine non dans l'acte d'acquisition d'un logement, mais sur les titres de la société qui l'acquiert, par une clause des statuts.

Clause de tontine entre époux, partenaires, ou frères et sœurs vivant sous le même toit, acquérant ensemble leur logement

– Un apport de la loi Tepa. – La loi dite « Tepa », entrée en vigueur en 2007, prévoit une exonération totale de droits de mutation à titre gratuit au sein des couples, et pour les frères et sœurs célibataires et vivant sous le même toit, répondant aux conditions de l'article 796-0 ter du Code général des impôts. De ce fait, les partenaires, ou les frères et sœurs célibataires qui décident d'acquérir un bien, par hypothèse leur logement commun, sous le bénéfice d'une clause de tontine sont assurés de pouvoir se transmettre l'entier logement sans aucune confrontation avec les autres ayants droit, les créanciers du défunt, ou le fisc. Cette nouvelle configuration leur est si favorable que la loi les autorise à opter pour le régime des DMTG plutôt que celui des DMTO, autrefois recherché mais maintenant privé de tout intérêt dans ce contexte.

Option pour le régime des droits de mutation à titre gratuit

Encore faudra-t-il bien penser, dans de tels cas, à formellement exprimer cette option, requise au dernier alinéa <em>in fine</em> de l'article 754 A du Code général des impôts, au sein de la déclaration de succession ; car si la soumission aux DMTG pour les personnes exonérées de ceux-ci est une option de droit, l'application n'est pas de plein droit.

Clause de tontine dans les statuts d'une société acquérant le logement

– Une solution pour les couples de concubins. – Le mélange tontine + société est une solution inscrite, mais en creux, dans les termes mêmes de l'article 754 A du Code général des impôts. En effet, en son alinéa premier, il ne vise que « les biens recueillis en vertu d'une clause insérée dans un contrat d'acquisition en commun ». Texte d'exception, son interprétation restrictive s'impose. De ce fait, la taxation aux DMTG prévue par ce texte n'est pas applicable lorsque la clause est insérée non pas dans le contrat d'achat en commun, mais dans les statuts d'une société qui, elle, procédera à l'acquisition. Une fois la réalisation de la double condition advenue, les droits sociaux objet de la tontine sont dévolus au tontinier survivant, l'opération ne pouvant donner lieu qu'aux seuls DMTO (soit 5 % en présence d'une société à prépondérance immobilière, 3 % sous bénéfice d'un abattement proratisé dans le cas contraire, voire 0,1 % dans le cas d'une société par actions).
– Précautions à prendre. – Il convient d'écarter tout risque d'abus de droit fiscal (LPF, art. L. 64) ou de mini-abus de droit (LPF, art. L. 64-A). Sur ce point, nous renvoyons nos lecteurs au rapport du 118e Congrès, très détaillé sur ce point :
Lien web : renvoi vers rapport du 118e, numéros 10180 à 10190.">Lien
– Précaution supplémentaire. – Nous ajouterons toutefois un seul aspect, qui nous semble essentiel. Il est relatif à la validité des décisions collectives qui devront intervenir, après sa constitution, au cours de la vie de la société. À cet égard, une résolution régulièrement adoptée en assemblée générale, du temps où les deux associés co-tontiniers étaient bien vivants, pourrait-elle être remise en cause, du simple fait que l'un des votants, l'associé prédécédé, est censé n'avoir jamais existé ? Pour évincer tout risque de ce type, deux précautions nous paraissent devoir être prises lors de la rédaction des statuts :
  • stipuler que toute décision, ordinaire ou extraordinaire, requiert systématiquement l'unanimité des voix ;
  • permettre à un non-associé d'être gérant. Il s'agit d'éviter l'invalidation des décisions prises par un gérant également associé tontinier. En effet, la tontine opérant rétroactivement, le décès d'un tel associé l'efface rétroactivement de la société à laquelle il est supposé n'avoir jamais appartenu. Or, s'il était convenu que le gérant était obligatoirement pris parmi les associés, toutes les décisions qu'il a pu prendre seraient irrégulières.