Les clauses anti-spéculatives

Les clauses anti-spéculatives

Les porteurs des appels à projets cherchent à lutter contre la spéculation immobilière via l’insertion de « clause anti-spéculative » dans leurs contrats immobiliers.
En termes de fondement juridique, ces clauses peuvent avoir une origine légale. C’est le cas notamment de la clause anti spéculative prévue à l’article L. 443-12-1 du Code de la construction et de l’habitation">Lien qui doit figurer dans les contrats de vente de logements HLM aux personnes physiques, sous peine de nullité des contrats de vente. C’est également le cas au titre du régime du bail réel solidaire (BRS) et du bail réel immobilier (BRILO) qui encadrent le prix de vente ou la valeur maximale des droits réels immobiliers.
En dehors des cas prévus par la loi, ces clauses relèvent de la liberté contractuelle. La clause anti-spéculative se présente généralement comme une sorte d’inaliénabilité conventionnelle car, sans interdire purement et simplement toute aliénation par l’acquéreur, elle va contraindre celle-ci quant au prix ou par la nécessité d’obtenir un agrément préalable.
Dans le silence de la loi, la jurisprudence a admis assez vite la validité des clauses d’inaliénabilité, aussi bien dans les actes à titre gratuit que dans les actes onéreux, sous la double condition d’une limitation dans le temps et d’une justification par un intérêt sérieux et légitime comme nous l’avons déjà évoqué. L’article 900-1 du Code civil depuis la loi du 3 juillet 1971 consacre la jurisprudence s’agissant des actes à titre gratuit : « Les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime » (C. civ., art. 900-1, al. 1). La doctrine s’est prononcée dans le sens du maintien de la jurisprudence s’agissant des actes à titre onéreux avant que la Cour de cassation le confirme dans une décision du 31 octobre 2007, toujours sous les mêmes réserves : « Dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux ».
Dans le cas des clauses anti spéculatives relative à la vente de logements, du point-de-vue de l’intérêt légitime, leur insertion dans les contrats de vente des collectivités est présentée à la fois comme une contrepartie légitime du fait que le prix du foncier a été fixé au regard du prix de sortie des logements, et comme un instrument naturel de lutte contre l’effet d’aubaine et la spéculation sur leur territoire. Il s’agit donc d’un intérêt général qui peut semble-t-il être suffisant pour justifier un « intérêt légitime ».
Ces clauses sont donc régulièrement employées dans les appels à projets sous deux réserves :
  • la première tient à la nature du transfert de droits : en effet, comme nous l’avons vu, toute limitation au droit de disposer contrevient en l’état actuel du droit au régime des baux à construction et des baux emphytéotiques de droit commun. Partant, seuls les ventes ou les titres constitutifs de droits réels administratifs peuvent aujourd’hui comporter de tels restrictions ;
  • la seconde tient aux effets indirects de ces clauses. Comme le note Augustin Chomel, « En principe le créancier, notamment hypothécaire, ayant fourni les deniers pour l’acquisition du terrain et la construction de la maison ou l’achat du logement, ne pourrait faire saisir et vendre le bien pendant la durée de validité de la clause, sauf à obtenir l’autorisation du bénéficiaire de la clause d’inaliénabilité (la collectivité locale) et, à défaut, du juge, le cas échéant par la voie de l’action oblique. C’est pourquoi, afin d’éviter que la clause d’inaliénabilité ne se retourne contre l’acquéreur en lui fermant l’accès au crédit, il est stipulé de façon quasi-systématique dans les actes de vente contenant ce type de clause, que celle-ci n’est pas opposable aux banques et établissements financiers ayant fourni les prêts nécessaires à l’acquisition. À défaut selon la jurisprudence dominante, la présence d’une clause d’inaliénabilité ne permettrait que l’inscription d’une hypothèque judiciaire, mais surtout ferait obstacle à toute saisie tant qu’elle est en vigueur ».
Lorsqu’elles sont possibles, ces clauses comportent généralement deux volets : l’un traitant les obligations du promoteur qui achète le foncier à la collectivité ; l’autre traitant des reventes par les accédants pour éviter certains effets d’aubaine.
– Volet promoteur. – Le promoteur s’engage dans les actes à offrir à la vente les logements à un prix plafonné. Il s’agit ici d’encadrer les prix de sortie pour éviter que le promoteur ne revende les logements à un prix plus élevé que les coûts d’acquisition qui lui ont permis de calculer son budget d’opération. L’encadrement porte alors sur un prix au m² -ce qui suppose une définition précise des éléments faisant partie ou non du prix de sortie (exemple : prise en compte des surfaces annexes). Ces clauses renvoient lorsqu’elles existent aux chartes initiées par les collectivités. Dans la rédaction de ces clauses il conviendra de bien déterminer si l’engagement est apprécié logement par logement, ou s’il peut être apprécié sur la moyenne des ventes effectuées sur le programme immobilier. En cas de non-respect de cette obligation, la personne publique est en droit de demander une indemnité, à titre de clause pénale lorsque cela est prévu dans le contrat, dont les modalités de calcul doivent être définies même si elles peuvent être révisées par le juge. Pour permettre à la personne publique de s’assurer du respect de cet engagement, il apparaît nécessaire de préciser les modalités de contrôle de cette obligation (transmission du bilan avec la grille de vente à la dernière commercialisation, etc.).
Autres dispositifs. On notera ici que d’autres dispositifs juridiques ont pu être utilisés pour garantir à la collectivité le prix de cession : le réméré permettant au vendeur de se réserver pendant une durée maximale de cinq ans le droit de racheter le bien vendu (C. civ., art. 1659 et 1673) ; le pacte de préférence dont il faut rappeler que la Cour de cassation a admis la légalité du point de vue de l’atteinte au droit de propriété, s’agissant d’un pacte d’une durée de vingt ans fixant un prix de rachat égal au prix de vente initial majoré selon la variation de l’indice INSEE. Cette clause étant justifiée par le prix initial auquel la collectivité à consentie à la vente, chaque partie tirait bénéfice des conditions de la vente et du pacte de préférence.
– Volet accédant. – Le second volet d’obligations pèse sur l’acquéreur du promoteur immobilier : afin de pouvoir pérenniser l’objectif de prix modéré et d’éviter toute spéculation future, le promoteur immobilier doit s’engager à transmettre aux acquéreurs des logements, lors des reventes successives, l’obligation de verser un intéressement en cas de revente pour un prix supérieur au prix de de sortie, réévalué au jour de la cession en fonction d’un indice permettant de jauger l’évolution du marché.
Aussi, l’objectif de cette clause n’est pas d’empêcher les acquéreurs de bénéficier de l’évolution du marché, mais d’éviter que la plus-value ne dépasse celle de l’évolution naturelle du marché. Étant une clause portant atteinte au droit de propriété, elle doit nécessairement être limitée dans le temps. Elle se transmet aux acquéreurs successifs pendant toute la durée de la clause. En cas de revente à un prix supérieur, le vendeur doit alors verser un complément de prix à la personne publique, calculé selon des modalités à définir dans la clause de façon extrêmement précise pour éviter tout risque d’indétermination du prix (cf. C. civ., art. 1589">Lien et 1591">Lien). Dans ce cadre, plusieurs options sont envisageables. On rencontre par exemple des clauses qui limitent l’effet d’aubaine à la restitution de la plus-value initiale, c’est-à-dire celle qui résulte structurellement du prix de vente du terrain ayant permis un prix de sortie des logements. Autrement dit, la plus-value naturelle du marché n’est pas concernée, ce qui se traduit par une revalorisation de la valeur d’acquisition des biens au moment du calcul de la plus-value en fonction des variations de l’indice INSEE des prix au m2 des appartements par départements depuis 1991.
Sur la durée, certaines clauses prévoient une dégressivité du complément de prix au-delà d’une certaine période. Mais de façon générale les collectivités tentent de concilier l’enjeu d’éviter un effet d’aubaine du fait d’une clause trop limitée dans le temps pour avoir un véritable effet compte tenu des statistiques de revente des biens entre sept et neuf années de détention.
Parfois des exceptions sont prévues, pour des « accidents de la vie » alors même que cela relève d’avantage d’une logique d’aide que de lutte contre l’effet d’aubaine.
S’agissant d’obligations personnelles, se pose enfin la question de savoir comment le vendeur, à l’origine de l’appel à projets, pourra obliger à son égard chacun des acquéreurs successifs de logements ? L’effet relatif des conventions supposera de mettre en place un système de transmission de la restriction dans chaque contrat…, sans doute sous peine d’inaliénabilité, et donc avec les mêmes réserves que celles exprimées plus haut s’agissant du risque relatif aux difficultés d’obtention des financements des logements. La solution serait alors d’exclure les effets de la clause pour les ventes forcées intervenant sur les poursuites de créanciers saisissants (au minimum celles du prêteur de deniers lors de l’acquisition, voire celles de tous créanciers hypothécaires, ou même celles de tous créanciers). Cette question de la transmission des obligations se pose également s’agissant des clauses de garantie de la programmation.