Le régime des recours sur autorisations de travaux

Le régime des recours sur autorisations de travaux

Toute autorisation de travaux est un acte créateur de droits qui peut faire l’objet d’un recours.
De longue date, les recours sur permis de construire ont été présentés comme autant de freins à la construction en général, et à celle de logements en particulier.
Sensible à cette critique, le législateur a introduit dans la loi Elan un régime spécifique du contentieux de l’urbanisme visant notamment à lutter contre les recours abusifs.
Nous ne pourrons étudier ici l’intégralité des règles se rapportant au contentieux de l’urbanisme telles que résultant des articles L. 600-1 à L. 610-4 du Code de l’urbanisme et de ses dispositions règlementaires. Nous évoquerons seulement, dans un premier temps, les dispositions relatives à l’intérêt pour agir (Sous-section I), puis celles prises en faveur d’une accélération du traitement judiciaire des recours (Sous-section II), avant d’étudier la sanction des procédures abusives (Sous-section III).
À titre préalable, gardons à l’esprit que les tribunaux administratifs ne sont compétents que lorsque le requérant justifie de l’illégalité de l’autorisation contre laquelle il se pourvoit. Au contraire, si la décision attaquée est régulière mais lui cause un préjudice, c’est devant le juge judiciaire et non administratif que l’action devra être intentée.

Les recours sur autorisations de construire avant la loi Elan

Nonobstant les termes de plusieurs rapports soulignant les difficultés engendrées par de telles actions, et malgré plusieurs remaniements des textes les régissant, censés y remédier, recensait en 2015, environ 6 000 recours sur permis de construire, bloquant, selon la Fédération de la promotion immobilière, la construction de 30 000 logements. En 2017, avec un délai moyen de procédure en première instance de 23 mois, auquel il fallait ajouter 16 à 18 mois en appel et 14 mois en cassation, l’on aboutissait à un « temps judiciaire » de plus de quatre ans et demi. Cette situation était particulièrement préoccupante puisque couplée au fait que les grandes opérations d’aménagement étaient les plus à même d’être exposées aux risques d’un recours, dont la légitimité pouvait souvent céder le pas au simple caractère dilatoire. Il n’existait, en effet, pas de meilleur moyen de faire « enterrer » un projet, que d’agir contre l’autorisation délivrée puis d’attendre que le promoteur ne s’épuise dans les méandres judiciaires.
Parvenue à son paroxysme, cette tension s’est traduite le 10 novembre 2017 par une décision du Conseil constitutionnel devant reconnaître « qu’il est d’intérêt général » que le législateur entende « réduire l’incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements ». C’est ainsi, qu’en parallèle, le 11 janvier 2018 un nouveau rapport présidé par Christine Maugüé, conseillère d’État était rendu sous le titre : « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace ». Ce dernier a largement été traduit dans les textes par la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 (loi Elan) et un décret no 2018-617 du 17 juillet 2018.

L’intérêt à agir

Restreindre les risques de contentieux en droit de l’urbanisme s’opère dès l’initiative du recours en circonscrivant d’une part la notion d’intérêt à agir (§ I) et d’autre part les personnes ayant intérêt à agir (§ II).

La circonscription de la notion d’intérêt à agir

La notion d’intérêt à agir trouve son siège à l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Pour pouvoir engager une procédure contentieuse, le requérant doit établir que la construction, l’aménagement ou le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement.
Avant sa réécriture en 2018, le texte visait la notion de « travaux » au lieu de « projet ». De ce fait, des actions étaient alors engagées sur la base des troubles occasionnés par les travaux de chantiers et non au titre du projet lui-même ; élément pourtant contraire à l’esprit du texte. Avec cette correction, le législateur a restreint les risques d’interprétation pouvant donner lieu à contentieux.

La circonscription des personnes ayant intérêt à agir

– Condition de voisinage. – Peuvent avoir intérêt à agir les personnes qualifiées de « voisins immédiats ». L’intérêt à agir s’amenuise donc en fonction de l’éloignement du requérant par rapport au projet autorisé.
Aussi le requérant doit-il justifier, à l’appui de sa requête, d’un titre de propriété, d’une promesse de vente, d’un bail, d’un contrat préliminaire de réservation ou de tout acte justifiant de la nature régulière de son occupation ou détention.
Cas des associations. S’agissant des associations, afin d’endiguer les constitutions ad hoc, l’article L. 600-1-1 impose que leurs statuts aient été déposés en préfecture au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire attaquée et devra en justifier à l’appui de sa requête.
Relevons également, s’agissant des associations, que celles-ci ne sont plus autorisées à convenir de transactions pécuniaires.

La maîtrise du temps judiciaire

Rappelons à titre liminaire qu’une action engagée contre une autorisation d’urbanisme ne suspend pas, juridiquement, ses effets tant que l’illégalité n’est pas prononcée. En théorie, son bénéficiaire pourrait donc commencer à exécuter les travaux. Cependant, dans les faits, il est évident que le pétitionnaire actionné ne prendra pas le risque d’aller plus en avant au risque de devoir supporter, a minima, les frais d’une démolition. Pareillement, les opérations de construction étant bien souvent liées à un financement bancaire, les prêteurs seront réticents à apporter leur concours à une opération soumise à procédure. C’est d’ailleurs bien en ce sens que certains requérants ont tenté de profiter de cet effet de bord, aboutissant à un blocage de nombreux projets sur un temps (trop) long. Conscient des répercussions néfastes engendrées, en particulier en termes de production de logements, le législateur a introduit trois dispositions permettant d’en limiter l’impact : la règle de cristallisation des moyens (§ I), un encadrement du délai accordé au juge pour statuer (§ II) et, temporairement, la suppression du niveau d’appel (§ III).

La cristallisation des moyens et des référés-suspension

Le bouclier contre les recours perlés

Jusqu’au décret du 18 juillet 2018, rien n’empêchait un requérant dont le recours avait été rejeté d’en introduire un nouveau contre la même autorisation d’urbanisme. Il lui suffisait, pour cela, d’invoquer un nouveau motif d’illégalité. Ainsi, on voyait certains requérants enchainer les uns après les autres les moyens d’actions contre l’autorisation attaquée au fur et à mesure de leur rejet. Cela leur permettait de bloquer le projet sur un temps encore plus long, dans l’espoir d’arriver à un épuisement du pétitionnaire avant celui de leurs moyens d’actions, et d’obtenir une transaction avantageuse.
Pour y remédier, l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme prévoit désormais qu’aucun nouveau moyen n’est recevable passé deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Le stratagème connu sous le nom des « recours perlés » fait donc désormais face au bouclier de la « cristallisation ».
Le pétitionnaire attaqué a donc tout intérêt à répondre rapidement au mémoire du requérant. Notons toutefois que le juge peut écarter cette cristallisation lorsqu’il l’estime nécessaire.

L’encadrement du référé-suspension

Comme évoqué, le seul fait d’introduire un recours contre une autorisation d’urbanise permet bien souvent dans les faits de stopper l’avancée du projet correspondant. Lorsque cependant le pétitionnaire, sûr de son bon droit, engageait malgré tout les travaux, en réplique, le requérant lui répondait alors par une procédure de référé-suspension afin de faire stopper le chantier, parfois tardivement.
Le législateur, une fois de plus, est intervenu sur ce sujet en limitant la possibilité de recourir au référé-suspension (I) puis en encadrant ses effets (II).
Le délai d’engagement du référé-suspension
Avec la réécriture de l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, le législateur pose pour principe qu’un requérant ne peut plus engager une procédure de référé-suspension au-delà du même délai que celui de la cristallisation des moyens évoqué ci-dessus.
En pratique, s’il entend réellement bloquer le projet, le pétitionnaire doit engager à la fois une procédure au fond et en référé. Pour le pétitionnaire attaqué, cela peut être un moindre mal. En effet, si dans un cas comme dans l’autre son projet va temporairement être bloqué, la procédure de référé lui permet d’être fixé « assez » rapidement sur la probabilité que son autorisation soit entachée d’illégalité.
Les effets du rejet du référé-suspension
Si la procédure de référé-suspension aboutit à un rejet du recours au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, à cet état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’autorisation attaquée, l’article R. 612-5-2 du Code de justice administrative prévoit le désistement automatique de l’action au fond, à moins que le requérant ne confirme sa procédure dans le délai d’un mois.

L’encadrement du délai de jugement

Le contentieux de l’urbanisme fait partie des rares domaines dans lesquels le législateur est intervenu pour encadrer le temps laissé aux juges pour statuer. C’est en ce sens que l’article R. 600-6 laisse un délai de dix (10) mois au juge pour statuer que ce soit en premier ressort ou en appel.
Cette mesure est cependant limitée aux permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou aux permis d’aménager un lotissement. On peut pourtant inviter le législateur à étendre ce texte aux projets de travaux et lotissements soumis à déclaration préalable.
Par ailleurs, il ne semble pas qu’une sanction soit prévue en cas de dépassement du délai.

La suppression du niveau d’appel en zone tendue

Toujours aux fins d’accélération du temps judiciaire, jusqu’au 31 décembre 2027, l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative introduit une règle particulière en cas de recours exercé notamment contre le permis de construire d’un bâtiment comportant plus de deux logements et les autorisations de lotissement (qu’ils soient soumis à permis d’aménager ou à déclaration préalable), lorsque le projet se situe en zone tendue. Dans cette hypothèse, le juge de première instance statue en premier et dernier ressort. La contestation de la décision du juge emporte alors saisine du Conseil d’État, sans que l’affaire soit examinée par une cour administrative d’appel.
Le provisoire ayant souvent la vertu de préparer au définitif, il est possible que ce dispositif « accélérateur » soit à l’avenir pérennisé. On pourrait aussi envisager une réécriture de son champ d’application dans le sens d’un élargissement à l’ensemble du territoire et une extension, à l’instar de l’article R. 600-6 du Code de l’urbanisme visé ci-avant, aux décisions de non-opposition à déclaration préalable autres que celles des lotissement non soumis à permis d’aménager.

Les sanctions des recours abusifs

L’amende pour recours abusif

La première sanction encourue en cas de recours abusif est la peine d’amende prévue par l’article R. 741-12 du Code de la justice administrative. Elle autorise le juge à prononcer une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 euros, sans même l’obliger à motiver le caractère abusif du recours.

Les dommages et intérêts

Jusqu’à la création de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme par l’ordonnance du 18 juillet 2013, il ne pouvait être prononcé d’autre sanction que l’amende par le juge administratif. Le pétitionnaire lésé devait alors se pourvoir devant le juge civil pour obtenir réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, c’est-à-dire de saisir un ordre judiciaire différent, qui n’avait, jusqu’alors, jamais eu connaissance du dossier.
Par l’insertion de cet article, le législateur autorise le pétitionnaire qui s’estime lésé à former une demande reconventionnelle en dommages-intérêts contre le recours en excès de pouvoir engagé contre lui.
Malheureusement, la première version de cet article en empêchait, dans la plupart des cas, sa mise en œuvre. Le défendeur devait en effet démontrer d’une part que le recours excédait « la défense des intérêts légitimes du requérant » et d’autre part qu’il lui causait un « préjudice excessif ».
Face à cette défaillance rédactionnelle, relevée par le rapport Maugüé, le législateur est intervenu afin de rendre plus aisée la possibilité au pétitionnaire « triomphant » d’être indemnisé de son préjudice en supprimant la nécessité de démontrer le caractère excessif du préjudice et en remplaçant la notion d’excès par rapport à la défense des intérêts légitimes par celle de « comportement abusif ».
Rappelons enfin que :
– La possibilité d’être indemnisé par le juge administratif n’exclut pas la possibilité de saisir également le juge civil sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
– Les associations de défense de l’environnement bénéficiaient, jusqu’au 1er janvier 2019, d’une présomption d’intérêt à agir dans la limite des intérêts légitimes qu’elles défendent. Cette présomption n’a pas été reconduite, de sorte que ces associations doivent, comme toute autre, établir leur intérêt pour agir.
Observation conclusive. L’application de l’article L. 600-7 a, jusqu’à ce jour, été pour le moins parcimonieuse. Il semble en effet qu’un seul arrêt a été rendu à ce titre, l’indemnité allouée s’élevant à trois mille euros seulement. Il faut sans doute en conclure que les juges administratifs sont tout aussi respectueux de l’intérêt général qui s’attache à la production de logements que du respect du droit fondamental de tout administré à former un recours contre les décisions administratives qui lui font grief. Cette position ne saurait être critiquée car, même si un équilibre est parfois difficile à trouver, il y va du respect des fondements même de l’État de droit.

Fonction particulière de l’enregistrement des transactions en matière d’autorisation d’urbanisme

Le notaire, praticien du droit de l’urbanisme, peut être sollicité pour rédiger ou donner un avis sur protocole transactionnel relatif à une autorisation d’urbanisme attaquée ou susceptible de l’être. Il ne devra alors pas oublier que l’article L. 600-8 du Code de l’urbanisme impose l’enregistrement du protocole dans le délai d’un mois, sous peine d’une sanction exceptionnellement grave : les sommes perçues peuvent faire l’objet d’une action en répétition dans le délai de cinq ans.