Le financement participatif (crowdfunding)

Le financement participatif (crowdfunding)

– Présentation. – Souvent présenté comme une alternative aux modes classiques de financement, le financement participatif ou crowdfunding (qui veut dire littéralement « financement par la foule ») permet à un porteur de projet de collecter des fonds sur internet, par le biais d’une plateforme en ligne dédiée, auprès d’investisseurs, généralement le grand public, pour financer un projet spécifique.
– Digitalisation de la collecte de fonds. – La pratique de la collecte est très ancienne. Des histoires, des causes ou des valeurs communes ont pu servir d’exemple à un projet de financement participatif. Ainsi des concerts de Mozart à Vienne ont pu avoir lieu, en 1783, grâce aux fonds collectés auprès du public en échange d’un petit mot et d’un autographe. De même en 1875, le sculpteur Auguste Bartholdi rassemble environ 100 000 souscripteurs pour la construction de la statue de la Liberté.
Le financement participatif innove en ce qu’il se place en dehors du système bancaire (que paradoxalement certaines banques rejoignent) et qu’il est géré par des plateformes en ligne, qui se rémunèrent généralement directement auprès du porteur de projet. Certains parlent de digitalisation de l’économie. Il ne faut pas croire pour autant que le crowdfunding, qui est une véritable source de financement, a créé un nouveau mode de financement.
– Développement d’outils connus. – Le crowdfunding développe des outils connus que sont :
  • le prêt (crowdlending). L’investisseur prête des fonds au porteur de projet qui s’engage à les rembourser ;
  • le don (love money). L’internaute fait un don, donc sans retour sur investissement, au porteur de projet. Une contrepartie non financière peut éventuellement être proposée (échantillons ou goodies, par exemple) ;
  • l’acquisition de titres de société (actions) (equity crowdfunding ou crowdequity). L’investisseur apporte une somme d’argent à la société du porteur de projet et reçoit en contrepartie des titres de société (actions) émis par cette dernière.
Ces techniques s’adressent à un large public de porteurs de projets, à commencer par les entrepreneurs qui ont besoin de lever des fonds supplémentaires pour créer ou reprendre une entreprise, le prêt bancaire n’y suffisant pas. Elles intéressent en parallèle des investisseurs soutenant un projet, tout en réalisant un profit pour certains (crowdlending et crowdequity), et sans retour sur investissement pour les autres (love money).
On peut lire ci-après un article paru sur Bercy Infos le 23 janvier 2023, intitulé Crowdfunding : tout savoir avant de se lancer ! :
https://www.economie.gouv.fr/entreprises/crowdfunding-financement-participatif">Lien
– Engouement pour le crowdfunding immobilier. – En France, les fonds que le financement participatif a permis de collecter seraient passés de près de 160 M€ en 2015 à près de 2 Md€ en 2021. Certains secteurs ont connu une croissance particulièrement importante, comme le crowdfunding immobilier, qui représenterait à lui seul plus de 400 M€ de collecte au seul premier semestre 2021. En effet, le financement participatif apporte une réponse aux promoteurs pour qui la problématique des fonds propres reste majeure, surtout depuis la crise immobilière de 2008. Ils peuvent se tourner vers le grand public et leur demander de soutenir un projet spécifique (construction, rénovation, etc.). Généralement, le crowdfunding assure, aux côtés du crédit bancaire, un effet de levier conséquent pour lancer un plus grand nombre de projets. Tout comme la simplicité d’utilisation des plateformes numériques, les rendements séduisent car ils seraient compris entre 8 et 10 %, ce qui permet d’expliquer l’engouement pour ce type d’investissement.
– Pratique notariale. – Le notaire se doit d’être attentif à cette nouvelle source de financement. Il pourrait « avoir une place croissante à prendre dans la sécurisation juridique du prêteur/investisseur ». Cela peut passer par la réalisation d’audits des actifs immobiliers portés par un crowdfunding, la prise d’hypothèques en garantie du remboursement de l’investissement, la prise en compte de ces actifs dans le cadre du règlement d’une succession.
En matière immobilière, la pratique a dégagé essentiellement deux techniques de crowdfunding, l’une basée sur la souscription d’obligations (Section I), et l’autre sur la souscription d’actions (Section II). Dans les deux cas, se pose la question de la gestion des risques liés à ce type d’investissement (Section III).

La souscription d’obligations

– Emprunt auprès des investisseurs. – Le porteur de projet va emprunter les fonds nécessaires au financement d’une société. Celle-ci lève des fonds en émettant des obligations auprès d’investisseurs qui se manifestent sur une plateforme numérique dédiée.
C’est l’outil privilégié par les promoteurs immobiliers. Les sociétés en question sont généralement des sociétés civiles de construction-vente (SCCV), des sociétés par actions simplifiées (SAS), ou encore des holdings, qui détiennent les sociétés chargées de la promotion.
– Fiscalité. – Les intérêts des placements en crowdfunding sont soumis au prélèvement forfaitaire unique au taux de 30 %, dit flat tax, dont 12,8 % d’impôt et 17,2 % de prélèvements sociaux. L’imposition globale est directement prélevée à la source. Toutefois, l’investisseur pourra toujours opter pour une imposition sur le revenu global, sans abattement possible.

La souscription d’actions

– Entrée dans le capital. – L’investisseur prend ici part au capital d’une société et participe directement à la création d’actifs immobiliers. L’idée est de placer son argent dans une société, généralement dans une holding détenant des parts d’une société civile de construction-vente (SCCV) créée par un promoteur. En passant par la holding, l’investisseur n’est pas solidaire des dettes de la SCCV et en cas de faillite, il ne perdra pas plus que son investissement de départ.
Les gains sont attendus à plus long terme : il faut plusieurs années pour pouvoir profiter de bénéfices, en raison du délai nécessaire au porteur du projet pour amortir le prêt bancaire.
– Fiscalité. – Trois mesures s’appliquent à l’actionnariat en crowdfunding :
  • la réduction d’impôt au titre des souscriptions au capital des sociétés non cotées, appelé « dispositif IR PME » ou « réduction d’impôt Madelin ». Elle permet de déduire 18 % des sommes souscrites, dans la limite de 50 000 € pour une personne seule, pour une réduction maximum de l’IR de 9 000 €, et de 100 000 € pour un couple marié ou pacsé soumis à imposition commune, pour une réduction maximum de l’IR de 18 000 € ;
  • l’imposition des dividendes : ils sont imposés, comme pour les intérêts des obligations, au prélèvement forfaitaire unique de 30 %, sauf option pour le barème de l’impôt sur le revenu. Le contribuable bénéficiera alors d’un abattement de 40 % et de la déduction de CSG à hauteur de 6,8 % ;
  • les plus-values de cession : elles sont également soumises, depuis le 1er janvier 2018, au prélèvement forfaitaire unique de 30 %, sauf option pour le barème de l’impôt sur le revenu. Dans ce dernier cas, il est appliqué un abattement sur le montant de la plus-value, selon le nombre d’années de détention :
  • aucun abattement si la cession intervient moins de deux ans avant la cession des titres concernés,
  • 50 % d’abattement entre deux ans et huit ans de détention,
  • 65 % à compter de huit ans de détention.

La gestion des risques attachés à l’investissement

– Aléas et distance par rapport au projet. – Comme pour tout investissement, il existe des risques. Le risque de ne pas faire fructifier une activité, pour un entrepreneur. Le risque pour un promoteur de ne pouvoir construire. Dans leur Guide du financement participatif à destination du grand public , l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) évoquent les risques spécifiques que présente le crowdfunding :
  • il existe un risque de perte, de tout ou partie du capital investi ou des fonds prêtés, notamment en cas de difficulté de l’entreprise émettrice ou emprunteuse ;
  • il est difficile de connaître la valeur de cession de titres non cotés et ces titres ne sont pas ou peu liquides, ce qui génère des difficultés pour les céder (alors même qu’une durée de détention aurait été recommandée lors de la souscription) ;
  • les fonds sont déposés auprès d’un établissement qui n’est pas nécessairement contrôlé, et il existe un risque de détournement des paiements effectués par le biais de la plateforme ;
  • il n’existe pas de garantie quant à l’affectation des fonds collectés au regard du projet initial.
Avant de prêter ou d’investir, il est donc nécessaire de prendre la mesure des risques, qui semblent tenir ici à la distance que génère la numérisation par rapport à la réalité physique des projets. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a donné une liste de bonnes pratiques pour investir avec le crowdfunding immobilier, qui méritent d’être étudiées.
Le cadre juridique du crowdfunding (Sous-section I), la mesure de compensation fiscale (Sous-section II), l’assurance du capital investi (Sous-section III) sont autant d’outils créés ou à développer pour diminuer ces risques.

Le cadre juridique du crowdfunding

– Nécessité d’un cadre juridique. – Devant la multitude des plateformes dédiées au crowdfunding , et afin de favoriser leur développement dans un environnement sécurisé, ne devant donc pas être le terrain privilégié de pratiques commerciales illicites, les activités du financement participatif sont réglementées. Ce cadre a été renforcé à plusieurs reprises au cours des dernières années. Ainsi, toutes les plateformes de financement participatif sont tenues de respecter la réglementation et les obligations correspondant aux activités exercées : collecte de fonds, conservation et gestion de fonds, appel public à l’épargne, distribution de produits financiers.
Nous présenterons quelques grandes lignes de cette vaste réglementation, qui ont trait aux versements (§ I), aux obligations de la plateforme (§ II), aux obligations du porteur de projet (§ III).

Réglementation des versements

– Montants et taux d’usure. – Le prêt avec intérêts ne peut pas excéder 2 000 € par prêteur et par projet. La durée du prêt est plafonnée à sept ans. Le taux d’intérêt est soumis au taux d’usure, c’est-à-dire un taux maximal que le prêt ne peut pas dépasser. Le taux de l’usure varie pour chaque catégorie de prêt (immobilier, consommation) ; plus le montant du crédit est faible, plus le taux d’usure est élevé.
Le prêt à titre gratuit (sans intérêt) ne peut pas excéder 5 000 € par prêteur et par projet.
La loi ne fixe pas de plafond pour le montant des dons.
Que ce soit pour un prêt ou pour un don, le montant maximum pouvant être levé par porteur de projet est fixé à 5 M€ sur douze mois.

Les obligations de la plateforme

– Statut. – Les plateformes de financement participatif sous forme de prêts avec intérêts et/ou de titres sociaux ont jusqu’au 10 novembre 2023 pour obtenir le nouveau statut de prestataire européen de services de financement participatif.
L’agrément est délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
À l’expiration de cette période de transition, seuls les prestataires agréés conformément au règlement européen pourront offrir des services de financement participatif en titres ou prêts avec intérêts en Europe. Ce statut remplacera le statut actuel de conseiller en investissement participatif (CIP).
En revanche, le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) est conservé, pour couvrir les prêts à titre gratuit, les dons, les cagnottes en ligne et le financement de projets ne générant pas de profit économique.
– Immatriculation. – Les plateformes de financement participatif (ou intermédiaires de financement participatif) doivent être immatriculées au registre unique des intermédiaires en assurance. Le registre est géré par l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias), et peut être consulté en ligne.
– Agrément. – Si la plateforme fournit elle-même les services de paiement, elle doit être agréée en tant qu’établissement de paiement. Cet agrément est délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), une autorité administrative indépendante adossée à la Banque de France.
En revanche, si la plateforme confie l’encaissement des fonds à un prestataire de services de paiement agréé, elle doit être agréée par l’ACPR en tant qu’agent de services de paiement.
– Informations à délivrer. – La plateforme de financement participatif doit respecter les obligations suivantes :
  • définir les conditions d’accès à la plateforme et les conditions d’accès aux services proposés : dans ses conditions générales de vente (CGV) et d’utilisation (CGU) ;
  • indiquer la procédure de souscription et l’éventuel remboursement en cas d’échec de la collecte ;
  • informer les internautes sur les caractéristiques financières du projet (montant, taux d’intérêt, remboursement par le porteur de projet, faculté de rétractation…) ;
  • déclarer à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) la collecte et le traitement des données personnelles des utilisateurs.
La plateforme doit également accorder des mesures de protection spécifiques aux investisseurs non avertis (non-professionnels). Ces mesures de protection prennent la forme d’un test de connaissances, d’une simulation de la capacité à supporter des pertes et d’un avertissement spécifique pour tout investissement dépassant un certain montant.
De plus, un délai de réflexion précontractuel de quatre jours permet aux investisseurs non avertis de renoncer à investir.
Elle fournit un rapport annuel d’activité et organise le suivi des opérations de financement, même si elle a cessé son activité.

Les obligations du porteur du projet

– Définition d’un projet. – Tout porteur de projet souhaitant faire appel au crowdfunding doit définir son projet en précisant les informations suivantes : objet du projet, montant, calendrier à respecter, projection financière et résultat attendu.
Cette obligation générale est source d’interprétations et donc de fraudes. En 2019, la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) révélait lors d’une enquête que certains sites de cagnottes étaient immatriculés en tant qu’intermédiaires en financement participatif (IFP) alors que leur activité ne portait pas sur un « projet » répondant aux caractéristiques prévues par l’article précité.
Le site « La finance pour tous » propose une étude sur le cadre réglementaire du financement participatif, mise à jour le 22 février 2023 :
https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-et-societe/nouvelles-economies/finance-participative-crowdfunding/le-cadre-reglementaire-du-financement-participatif/">Lien

Une mesure de compensation fiscale

– Soutien de l’État. – Pour soutenir le financement participatif, le législateur a mis en place une mesure de compensation fiscale.
La perte en capital subie par une personne physique, agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, en cas de non-remboursement d’un prêt participatif consenti à compter du 1er janvier 2016 est imputable, sur les intérêts générés par d’autres prêts participatifs, au titre de l’année au cours de laquelle cette créance devient définitivement irrécouvrable ou des cinq années suivantes.
Cette imputation, retenue pour la seule détermination de l’assiette imposable à l’impôt sur le revenu, est opérée lors de la déclaration d’ensemble des revenus.
Le montant total des pertes imputables ne peut excéder 8 000 € au titre d’une même année.

L’assurance du capital investi

– Prémices d’une nouvelle assurance. – Face aux risques de pertes du capital investi, surtout en période d’inflation, plusieurs plateformes se sont regroupées pour étudier le développement d’une offre complémentaire incluant la garantie du capital investi. Cette garantie serait possible, du moins envisageable, en raison des bons résultats constatés dans le secteur du financement participatif. Certaines plateformes, proposent déjà ce type d’assurance, qui prend la forme d’une caution solidaire de l’assureur. En cas de défaut du promoteur, l’assureur prend le relais et rembourse l’investisseur. Mais cette garantie a un prix, et l’investisseur doit accepter un rendement moindre qu’un crowdfunding sans assurance. L’avenir dira si le travail des acteurs du secteur aboutira à un développement de l’offre à grande échelle.

Un mode de financement de projet, mais pas d’accession à un logement

Ces montages en <em>crowdfunding</em>, s’ils sont bien mesurés, paraissent intéressants pour assurer un levier financier à la promotion immobilière, et au moins pour des projets d’envergure, lorsque le crédit bancaire et les fonds dont disposent les promoteurs ne suffisent pas. En revanche, le financement participatif n’apporte pas de solution directe aux particuliers souhaitant accéder à la propriété d’un logement individuel ou collectif. Nul doute que les banques, dont le concours sera le plus souvent crucial, comme les intermédiaires en financement participatifs (IFP), ne verront pas d’un bon œil l’entrée d’un groupe d’investisseurs privés comme parties prenantes d’un projet de petite taille, eu égard notamment aux impératifs de rendement. Quel investisseur privé voudra s’y risquer, sans qu’il y ait de réel poids financier du côté de l’accédant ?