L’acquisition dans le cadre de la Vefa publique

L’acquisition dans le cadre de la Vefa publique

La définition des marchés publics de travaux, posée à l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, et depuis lors codifiée à l’article L. 1111-2 du Code de la commande publique, a supprimé la condition de maîtrise d’ouvrage publique de la définition de ces contrats de la commande publique.
On sait cependant qu’avant ce texte les opérations d’acquisition ou de baux en l’état futur d’achèvement de volumes imbriqués dans un ensemble immobilier complexe plus large avaient déjà été exclues par le Conseil d’État du champ de la loi no 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP, et ce quand bien même des spécifications techniques étaient imposées par la personne publique dans le cadre de cette acquisition.
Du fait de l’absence de maîtrise d’ouvrage publique, ces opérations étaient également exclues du champ d’application des marchés publics de travaux au sens du droit interne puisque le Code des marchés publics retenait, jusqu’en 2015, comme élément de définition d’un marché public de travaux le fait que la personne publique soit maître d’ouvrage desdits travaux. Elles devaient toutefois être soumises aux procédures de passation prévues par les directives communautaires lorsque l’opération était qualifiée de marché public de travaux au sens de ces textes et que le montant des travaux dépassait le seuil des procédures formalisées, ou au principe de transparence lorsqu’elles présentaient un intérêt transfrontalier certain. À défaut, elles pouvaient être conclues de gré à gré.
La suppression de la condition de maîtrise d’ouvrage publique impacte donc la pratique des « Vefa publiques » qui peuvent désormais être qualifiées de marchés publics et être soumises au Code de la commande publique même lorsque leur montant est inférieur au seuil des procédures formalisées. Le cas échéant, leur conclusion est donc soumise à une obligation de publicité et de mise en concurrence, et leur exécution aux règles applicables aux marchés publics.
Cela n’a pas échappé au pouvoir réglementaire qui, dans la même logique que celle de l’avis précité du Conseil d’État, a très vite remédié à cet effet collatéral de l’ordonnance de 2015 en prévoyant à l’article 30 du décret du 25 mars 2016 d’application de ladite ordonnance, désormais codifié à l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique, que des marchés publics négociés peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalable pour des raisons techniques « notamment […] lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ».
Cette dérogation aux règles de passation des marchés publics peut être utilisée par les OLS/I dans certaines conditions (Sous-section I) mais suppose de respecter les règles d’exécution des marchés publics (Sous-section II) et soulève encore un certain nombre de difficultés (Sous-section III).

Les conditions de l’exonération aux règles de publicité et de mise en concurrence

Concrètement, parallèlement à l’acquisition ou la location d’un bien immobilier par un pouvoir adjudicateur, le contrat visé à l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique permet de faire réaliser des travaux de gros œuvre et d’aménagement intérieur dudit bien ou volume par un opérateur économique choisi de gré à gré conformément aux prescriptions du pouvoir adjudicateur. Cette solution est particulièrement intéressante pour les OLS/I dans la mesure où elle peut leur permettre de procéder à des acquisitions de gré à gré de partie d’ensembles immobiliers en exerçant sur la conception des logements en cause (tant sur le gros œuvre que les aménagements intérieurs), la même influence que s’ils avaient été maître d’ouvrage des travaux.
Le champ d’application de cette exception est cependant strictement circonscrit aux opérations d’acquisition ou de location qui remplissent l’ensemble des conditions suivantes :
  • porter sur une partie minoritaire d’un immeuble à construire, seule cette partie faisant l’objet de spécifications de la part de l’acheteur public pour que les travaux considérés répondent à ses besoins ;
  • être indissociables du reste de l’opération de construction dont un opérateur économique a eu l’initiative,
  • ne pouvoir être réalisées que par cet opérateur, étant entendu que « la seule affirmation du caractère complexe et délicat d’un ensemble de travaux ne suffit pas à démontrer qu’il ne peut être confié qu’à un même entrepreneur, en particulier lorsque les travaux sont répartis en lots dont la réalisation doit s’étaler sur de nombreuses années » ;
  • n’exister aucune solution de remplacement raisonnable, et
  • démontrer que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des paramètres du marché.
Ces conditions sont particulièrement difficiles à satisfaire et à justifier de manière objective et incontestable. Cela suppose donc en pratique d’apporter les justifications nécessaires à cette dérogation aux règles de passation des marchés publics.
Il s’agira par exemple de démontrer l’importance de la localisation des logements considérés (par exemple leur programmation au titre d’un emplacement réservé ou dans les études urbaines d’une opération d’aménagement dans laquelle s’inscrit le site objet de la cession), étant entendu qu’une rareté du foncier ne suffit pas à démontrer l’absence de concurrence possible ; ou encore, de démontrer l’absence de construction sous maîtrise d’ouvrage publique ou par d’autres opérateurs proposant le même type d’immeuble dans le même secteur, etc.
L’OLS/I ne pourra ainsi se porter acquéreur que d’une partie minoritaire et imbriquée de l’immeuble et il devra démontrer que l’acquisition des logements en cause auprès de l’opérateur en charge de la réalisation de cet immeuble est la seule solution raisonnable en termes de situation, de coût, etc.

Le maintien de l’obligation de respect des règles d’exécution des marchés publics

Il est important de souligner que l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique organise seulement une exception à la mise en œuvre des procédures de publicité et de mise en concurrence préalables à la conclusion du marché public. Par contre, du point de vue du régime juridique du contrat et de ses conditions d’exécution, il s’agira en toute hypothèse d’un marché public. L’ensemble des règles d’exécution des marchés publics devront alors être respectées par le pouvoir adjudicateur contractant.
Aussi, sauf à ce qu’elle fasse partie des acheteurs publics bénéficiant de règles d’exécution financières assouplies pour leurs marchés, le pouvoir adjudicateur ne pourra par exemple pas procéder à des règlements partiels définitifs, mais devra verser des acomptes correspondants aux prestations réellement effectuées (au maximum tous les trois mois ) ne permettant pas de recourir à la pratique habituelle des échéanciers de Vefa. Des règles spécifiques existent également pour les cessions ou nantissements de créances.
Le sujet de la variation des prix au cours de l’exécution du marché est également important car en principe, le Code de la commande publique impose que les prix soient révisables lorsque « les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution ». Toutefois, si l’acheteur est un bailleur social, qu’il soit de droit privé (SA d’HLM, coopératives HLM, SEM agréées pour le logement) ou de droit public (OPH), il doit pouvoir se soustraire à cette obligation de révision de prix, même si ce sujet fait débat en période de forte tension sur les matériaux.
Le régime contentieux de ces marchés est aussi spécifique dans la mesure où s’ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du Code de la commande publique sont des contrats administratifs, soumis à la compétence du juge administratif et faisant l’objet de recours spécifiques, comme le recours en contestation de validité du contrat. Le contentieux des marchés des personnes privées est quant à lui de la compétence du juge judiciaire mais peuvent bénéficier des modes alternatifs de règlement des différends prévus par le Code de la commande publique, comme le comité consultatif de règlement amiable des différends.
Objet : Travaux de construction de logements sociaux acquis dans le cadre de l’article R. 2122-3 du CCP L’État et ses établissements publics (sauf EPIC), les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements OPH et « acheteurs publics » qui sont des
Type de contrat Les contrats relevant du Code de la commande publique conclus par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs CCP, art L. 6 : « (…) sous réserve de ceux mentionnés au livre V de la deuxième partie et au livre II de la troisième partie. Les contrats mentionnés dans ces livres, conclus par des personnes morales de droit public, peuvent être des contrats administratifs en raison de leur objet ou de leurs clauses ». Marchés privés
Exécution financière AvancesSoumisNon soumis sauf volontéNon soumis sauf volonté Possibilité de se soumettre volontairement aux mécanismes du Code de la commande publique relatifs à l’exécution financière dès lors qu’aucune disposition législative impérative régissant les contrats privés n’y fait obstacle.
AcomptesSoumisSoumis pour certaines dispositions (CCP, art. R. 2191-20 et R. 2191-21)Non soumis sauf volonté 110
Révision des prix si exposition à des aléas en phase d’exécution Lecture combinée des articles R. 2112-8 et R. 2112-13 du CCP. SoumisUne controverse existe actuellement entre le ministère des Finances et certaines instances professionnelles qui considèrent que ces acheteurs publics (incluant les entreprises sociales pour l’habitat, les coopératives HLM et les OPH) ne sont pas visées par les articles R. 2112-7 et suivants du CCP puisqu’ils peuvent revendiquer le régime dérogatoire prévu à l’article R. 2100-1 du CCP
Interdiction du paiement différé CCP, art. L. 2191-5. SoumisNon soumis sauf volontéNon soumis sauf volonté 110
GarantiesLe marché peut prévoir une retenue de garantie, une GAPD ou une cautionNon soumis sauf volontéRetenue de garantie La retenue de garantie existe pour les marchés privé au titre de la loi du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l’article 1779-3° du Code civil.
Cession ou nantissement des créancesSoumisNon soumis sauf volontéNon soumis sauf volonté 3
Délai de paiementfixé à 30 jours pour les pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu’ils agissent en tant qu’entité adjudicatrice (CCP, art. L. 2192-10 et R. 2192-10), sauf cas particuliers Par dérogation à l’article R. 2192-10, le délai de paiement est fixé à : 1° cinquante jours pour les établissements publics de santé et les établissements du service de santé des armées, et 2° soixante jours pour les entreprises publiques au sens du II de l’article 1er de l’ordonnance no 2004-503 du 7 juin, à l’exception de celles ayant la nature d’établissements publics locaux. (CCP, art. R. 2192-10).
Sous-traitance Aucune disposition du Code de la commande publique ne permet d’exclure expressément les règles relatives à la sous-traitance concernant les marchés conclus sur le fondement de l’article R. 2122-3 du CCP CCP, art. L. 2193-1 à L. 2193-14. . Toutefois, il est raisonnable de penser que ces dispositions (et notamment le droit au paiement direct des sous-traitants valablement déclarés) ne devraient s’appliquer que lorsque l’acheteur public est maître d’ouvrage des travaux réalisés, ce qui n’est pas le cas dans ce type de montage.
Limites à la modification du contrat/ régime des avenants À la différence de la passation des contrats de la commande publique, les directives européennes n’imposent pas un régime d’exécution desdits contrats, sauf s’agissant des modifications (Dir. 2014/24/UE, art. 72). SoumisSoumis
Imprévision/force majeure Application des principes dégagés par la jurisprudence administrativeApplication du Code civil
Résiliation ou modification unilatérale pour motif d’intérêt général SoumisNon Soumis
Recours Compétence du juge administratifCompétence du juge judiciaire CPC, art. 1441-1 et s.
Règlement alternatif des différends Recours à un conciliateur ou médiateur, dans les conditions fixées par le Code des relations entre le public et l’administration ;Conciliation, médiation, transaction § arbitrage suivant Code civil ou Code de procédure civile

Des difficultés à dépasser

Dans ce contexte, et bien qu’il apporte une solution importante en pratique, le dispositif ainsi prévu ne répond qu’imparfaitement aux besoins opérationnels des acheteurs publics, pour au moins trois raisons.
La première tient au fait que ce texte inclut, comme nous l’avons vu, les opérations en cause dans le champ d’application des règles d’exécution des marchés publics, alors même qu’elles ne sont pas imposées par le droit de l’Union européenne et qu’elles ont été conçues, pour certaines d’entre elles, pour des cas dans lesquels les acheteurs publics conservaient la maîtrise d’ouvrage des travaux. Des pans entiers de règles semblent pouvoir être exclus. Il s’agit par exemple des règles issues du secteur protégé applicable en cas de transfert de propriété d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation et comportant l’obligation pour l’acheteur d’effectuer des versements ou des dépôts de fonds avant l’achèvement de la construction, quelle que soit la qualité de l’acquéreur. Dans le cas d’un marché public de travaux, et non d’une vente d’immeuble à construire au sens du Code civil et du Code de la construction et de l’habitation, ces dispositions ne devraient pas trouver à s’appliquer : le Code de la commande publique organise déjà un régime protecteur de l’acheteur, distinct de celui du Code de la construction et de l’habitation. Les parties pourraient toutefois souhaiter les appliquer conventionnellement, dans la mesure où elles sont conciliables avec les dispositions du Code de la commande publique, afin de se rapprocher le plus possible d’une Vefa du secteur protégé. D’autres pans de règles devraient pouvoir être exclues, mais sans que l’on puisse cette fois en être certains : c’est le cas par exemple des règles sur la sous-traitance qui, en toute logique, ne devraient pas s’appliquer dans la mesure où l’acheteur public (OLS/I pour ce qui nous intéresse) n’assume pas la maîtrise d’ouvrage des travaux.
La deuxième difficulté est relative au fait que ce texte ne traite pas de la question du transfert de propriété sur l’assiette de l’ouvrage réalisé pour les besoins de l’acheteur public. De fait, des pratiques très diverses voient le jour (utilisation contractuelle de la technique de la Vefa, ou organisation d’un montage contractuel complexe avec une vente de volume à bâtir assortie d’un marché ad hoc de travaux), un peu comme ce fut le cas dans les opérations privées avant la création en 1967 du contrat de Vefa (on se souvient de la méthode dite de Grenoble ou encore des sociétés d’attribution qui ont été les principales manières de sécuriser les ventes d’immeubles à construire, sans atteindre véritablement le résultat escompté), et alors même que les opérations concernées, du fait notamment de leur quantité très importante, ont besoin de repères stables.
Enfin, la dernière difficulté qui apparaît immédiatement à la lecture de ce texte est son silence sur l’hypothèse, pourtant très fréquente, dans laquelle il y a identité entre le vendeur du terrain et celui qui souhaite acquérir une partie d’immeuble imbriquée dans le futur programme qui sera développé sur cette emprise. Concrètement, c’est le cas dans lequel une commune cède une emprise foncière à un promoteur privé en imposant, comme condition sine qua non de la cession, qu’une partie de l’ouvrage lui soit remis ou soit remis à un tiers, un OLS/I par exemple sur cette hypothèse.
Comme cela a déjà été indiqué, la possibilité de recourir à ce dispositif dans une telle situation semble compromise dans la mesure où la condition posée au dernier alinéa de l’article R. 2122-3 du Code de la commande publique, qui impose de démontrer que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des paramètres du marché, serait en l’occurrence difficilement satisfaite.
Par conséquent, sans revenir sur le fondement même de l’exception introduite par le pouvoir réglementaire, il serait important de compléter le texte de l’article R. 2122- 3 du Code de la commande publique pour uniformiser les pratiques, simplifier, là où cela est rendu possible par le droit de l’Union européenne, les règles d’exécution, et peut être déterminer le régime de cession des terrains destinés à faire l’objet en retour d’une construction incluant en partie des logements ou équipements publics à vendre à la personne publique ou à un OLS/I.