Inscrire les opérations immobilières privées dans la politique du logement

Inscrire les opérations immobilières privées dans la politique du logement

Les appels à projets entretiennent une relation de proximité avec le droit de la commande publique (§ II) en raison des objectifs et de la politique publique qu’ils traduisent ou permettent de révéler en matière de logement (§ I).

Les objectifs généraux poursuivis par les APUI en lien avec la politique du logement

La diversité des appels à projets et la multitude de sites pouvant être proposés au sein de chacun d’entre eux impliquent que les objectifs assignés par les APUI peuvent varier d’une consultation à l’autre. Malgré cette diversité apparente, les acteurs publics à l’origine de ces APUI font face aux grands enjeux déjà identifiés en matière de logement : la production de logements à prix maîtrisés, de qualité et répondant aux enjeux écologiques. Ces défis sont inscrits dans les règlements de consultation en vue d’orienter les projets privés qui seront proposés à la collectivité. Il y a là une subtile harmonie à trouver pour éviter tout risque de requalification en commande publique.

Les orientations des APUI pour répondre aux grands défis du logement

S’agissant de la production de logements à prix maîtrisés :
  • Réinventer Paris 1, règlement, p. 6 : « Au cours de la dernière décennie, la politique menée en faveur d’une mixité sociale renforcée a permis d’atteindre 20 % de logements locatifs aidés dans le parc résidentiel. La poursuite de cet effort est la première priorité de la municipalité. L’objectif est de créer 10 000 logements par an et parallèlement d’amplifier la diversification du parc pour atteindre 25 % de logements locatifs sociaux dans le parc à l’horizon 2025 ».
  • Réinventer Paris 3, règlement (préambule) : produire du logement par la reconversion de bureaux : « Créer du logement dans une ville aussi dense que Paris ne se fera pas en systématisant le comblement des dents creuses et de tous les espaces laissés vides (…). Nous poursuivons donc un double objectif : (i) construire plus de bureaux, pour répondre à la demande des entreprises de disposer de nouveaux espaces mieux adaptés aux nouvelles pratiques ; (ii) mais aussi convertir davantage de bureaux obsolètes laissés vacants afin de produire du logement plus massivement ».
  • Inventons la Métropole du Grand Paris (IMGP) 3, règlement, page 5 : « Plus spécifiquement, pour cette troisième édition d’IMGP, les projets des candidats devront poursuivre les objectifs suivants : (…) Soutenir les ambitions métropolitaines en termes de production de logements et notamment : La répartition équilibrée de l’offre de logement sur le territoire, La diversification des produits de logement ».
  • IMGP 3, règlement, page 6 : « La mise à disposition de ces sites vise à favoriser la transformation d’immobilier vacant en logements ».
S’agissant de la qualité des logements, notamment des enjeux de mixité fonctionnelle et la réversibilité des usages :
  • IMGP 3, règlement, page 6 : « La mise à disposition de ces sites vise à (…) promouvoir la mixité des usages : logements diversifiés et modes d’hébergement innovants (…), activités logistiques urbaines de proximité, équipements privés d’intérêt collectif (à vocation d’enseignement, culturelle, sportive ou récréative, liés à la création de logements) ».
  • Réinventer Paris 1, règlement, page 9 : « Les projets devront intégrer cette relation plurielle aux temps, travailler leur modularité, leur réversibilité en leur sein et dans leurs relations avec leur environnement urbain ».
  • AMI (appel à manifestation d’intérêts) référencement des futurs partenaires opérateurs immobiliers de Grand Paris Aménagement pour œuvrer à la construction d’une ville sobre, inclusive, productive et résiliente, lancé en octobre 2022 : « Grand Paris Aménagement s’engage dans une démarche stratégique d’amélioration de l’impact de ses opérations en renforçant significativement son référentiel de qualité de production immobilière, d’usages, et environnementale à travers 4 critères clés : (…) 4- La capacité à intégrer, dès la conception, les dispositions permettant la mixité d’usage, ainsi que la mutabilité future des bâtiments afin de permettre leur adaptabilité ».
S’agissant des enjeux écologiques :
  • Réinventer Paris 3, règlement (préambule) : « La lancement du présent appel à projets urbains innovants (…) s’inscrit également dans une démarche d’adaptation face aux diverses crises que nous traversons, aussi bien sanitaire que climatique. En effet, avec cet appel à projets, la Ville de Paris, soutenue par le C40, le réseau mondial des villes luttant contre le changement climatique, lance aussi une réflexion sur l’optimisation du stock existant de bâti dans le but notamment de réduire les besoins de nouvelles constructions et ainsi limiter les émissions de gaz à effets de serre associées. La reconversion de bâtiments se veut ainsi un outil pour accélérer un modèle de ville plus frugale, résiliente et écologique ».
  • Reinventing Cities, règlement, pages 3 et 11 : « Les propositions doivent porter sur diverses composantes, telles que l’efficacité énergétique, le choix des matériaux de construction, la résilience, la gestion de l’eau, la mobilité, la gestion des déchets et autres éléments qui permettront de donner naissance à un projet zéro carbone » / « Analyse du Cycle de Vie et matériaux de construction durables (obligatoire) : L’objectif de ce défi est de réduire le carbone intrinsèque (embodied carbon) du projet, qui fait référence aux émissions de gaz à effet de serre générées pendant le cycle de vie des matériaux de construction, incluant leur fabrication et transport, ainsi que le processus de construction et les émissions liées à la fin de vie du bâtiment »
  • Reinventing Cities – Site Porte de Montreuil, page 7 : « Une attention particulière sera portée aux projets participant aux ambitions environnementales et de neutralité carbone, et en particulier : l’utilisation des matériaux biosourcés et l’éco-conception dans les aménagements extérieurs » ; « Une attention particulière sera portée aux projets participant aux ambitions environnementales et de neutralité carbone, et en particulier : recyclage des déchets durant les travaux de construction, évolutivité et réversibilité des bâtiments ».
  • AMI référencement des futurs partenaires opérateurs immobiliers de Grand Paris Aménagement pour œuvrer à la construction d’une ville sobre, inclusive, productive et résiliente, lancé en octobre 2022 : « Grand Paris Aménagement s’engage dans une démarche stratégique d’amélioration de l’impact de ses opérations en renforçant significativement son référentiel de qualité de production immobilière, d’usages, et environnementale à travers 4 critères clés : (…) 2- La capacité à anticiper les niveaux 2025, 2028 et 2031 de la réglementation énergétique 2020 (RE 2020), tout en s’adaptant au climat de 2050 ; 3- La capacité à généraliser le recours aux procédés de construction hors site, et à l’utilisation des matériaux biosourcés, géo-sourcés et de réemploi aux fins d’accélérer la structuration des filières industrielles correspondantes et de leur renforcement au sein du grand bassin parisien ».

Le risque de qualification en marché public

En principe, l’appel à projets ayant pour objet un transfert de droits (cession ou mise à disposition) sur un bien immobilier, les contrats qui seront conclus ne devraient pas entrer dans le champ de la commande publique. En effet, les personnes publiques autres que l’État ne sont soumises à aucune obligation de publicité et de mise en concurrence lorsqu’elles cèdent une dépendance de leur domaine privé, et notamment pas celles issues de la commande publique. Etant précisé que si l’objet de l’appel à projets est l’attribution d’un droit réel temporaire sur une dépendance du domaine public ou privé, la publicité assurée à travers l’appel à projet suffit en principe à satisfaire aux obligations pouvant, le cas échéant, résulter tant de l’ordonnance du 19 avril 2017 que de la directive services du 12 décembre 2006 (pour les titres conditionnant l’exercice d’une activité économique et présentant un caractère de rareté).

Mise en concurrence des titres d’occupation des immeubles publics

Dans l’arrêt « Promoimpresa », sur le fondement de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, d’une part, et de l’article 49 du TFUE, relatif à la liberté d’établissement, d’autre part, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le droit de l’Union impose une obligation de publicité et de mise en concurrence des titres domaniaux lorsque :
  • les autorisations sont destinées à l’exercice d’une activité économique et entrent dans le champ d’application de l’article 12 de la directive 2006/123 (parce que le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, à l’instar des plages comme dans cet arrêt, ou de toute autre dépendance du domaine public naturel) ;
  • sans entrer dans le champ de l’article 12 de la directive 2006/123, les concessions domaniales en cause concernent un droit d’établissement dans la zone domaniale en vue d’une exploitation économique et présentent un intérêt transfrontalier certain (celles situées dans l’enceinte d’un grand port maritime ou d’une gare internationale par exemple).
Cette jurisprudence a donné lieu à une transposition en droit interne par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques modifiant le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) en vue d’instaurer des obligations de publicité et de mise en concurrence préalables à la délivrance certaines autorisations d’occupation du domaine public.
S’agissant du domaine public
Cette transposition adopte une approche « systématique » de la mise en concurrence des titres d’occupation du domaine public ayant pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique :
  • La procédure de principe : L’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit que : « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.
  • Lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité, l’autorité compétente n’est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution ».
Cette transposition érige donc un principe fort de mise en concurrence des titres d’occupation du domaine public lorsque le titre permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique. Les notions de rareté ou d’intérêt transfrontalier ne sont pas approfondies et elle ne fait pas non plus état du lien nécessaire entre l’exercice de l’activité économique et l’occupation du domaine public : dès qu’il s’agit de l’exercice d’une activité économique, il y a lieu d’appliquer le principe ou, éventuellement, de faire valoir une exception à partir des exemples visés par le législateur ou d’une justification apportée au cas par cas par le gestionnaire du domaine public et fondée sur les circonstances d’une opération rendant une telle procédure impossible ou non justifiée.
À cet égard, la récente jurisprudence « Paris Tennis » du Conseil d’État apporte un éclairage intéressant sur la notion d’autorisations disponibles en nombre limité : c’est cette vérification qui détermine si, en vertu de l’article 12 de la directive, cette autorisation doit être octroyée à la suite d’une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence.
Pour cela, le Conseil d’État ne tient pas uniquement compte du nombre des autorisations d’occuper le domaine public en cause ; il se fonde plus généralement sur l’existence d’emplacements équivalents. Autrement dit, bien que ce soient les autorisations qui doivent être en nombre limité, le Conseil considère qu’il convient de prendre en compte le nombre des ressources immobilières équivalentes, privées comme publiques.
En l’espèce, l’autorisation d’occuper six courts de tennis au sein du Jardin du Luxembourg à Paris doit être regardée comme étant disponible en nombre limité, dès lors que les biens qui en font l’objet, eu égard à leur localisation, à la faible disponibilité des installations comparables à Paris, en particulier au centre de cette ville, ainsi qu’à leur notoriété, sont faiblement substituables pour un prestataire offrant un service de location de courts de tennis et d’enseignement de ce sport dans la région parisienne (considérant no 16).
Les conclusions de la rapporteur publique Cécile Raquin nous éclairent sur le critère géographique pertinent pour analyser cette disponibilité en nombre limité ou non : il ne s’agit pas nécessairement du ressort territorial de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation mais plutôt de la zone de chalandise au regard de l’activité de service projetée.
Au vu de ces éléments, on peut donc penser que la solution serait différente en présence d’une dépendance du domaine public, objet d’une autorisation, qui serait comparable à d’autres emplacements en nombre important et permettant l’exercice de l’activité économique « autorisée ». Cette interprétation est utile, désormais, pour l’application de l’alinéa 2 de l’article L. 2122-1-1 du CGPPP.
Concernant le champ d’application de l’Ordonnance de 2017, on note que celle-ci a également vocation à s’appliquer à la prorogation de titre en cours d’exécution puisque l’article L. 2122-1-2 du CGPPP prévoit notamment que : « L’article L. 2122-1-1 n’est pas applicable : (…) 4° Sans préjudice des dispositions figurant aux 1° à 5° de l’article L. 2122-1-3, lorsque le titre a pour seul objet de prolonger une autorisation existante, sans que sa durée totale ne puisse excéder celle prévue à l’article L. 2122-2 ou que cette prolongation excède la durée nécessaire au dénouement, dans des conditions acceptables notamment d’un point de vue économique, des relations entre l’occupant et l’autorité compétente ».
L’article L. 2122-2 du CGPPP, auquel il est fait référence dans cette dérogation, mentionne quant à lui que « L’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire. Lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, sa durée est fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi ».
Aussi, une lecture stricte de l’exception prévue au 4° de l’article L. 2122-1-2 du CGPPP s’agissant des dépendances du domaine public conduirait à n’autoriser que des dispositifs de prorogation des titres de manière transitoire, admis de manière très restrictive par la Cour de Justice de l’Union européenne, en vue de dénouer des relations contractuelles existantes dans des conditions acceptables. Un tel dispositif ne serait donc mobilisable que pour « sortir » à court terme d’un titre en cours d’exécution et non pour le prolonger de manière significative en vue de permettre d’amortir un programme d’investissement nouveau et potentiellement dissociable de celui convenu initialement entre les parties.
S’agissant du domaine privé
Malgré ce caractère systématique de la transposition retenue en droit interne, le gouvernement n’était habilité à intervenir par ordonnance qu’à l’endroit du domaine public : il n’a donc pas transposé ce principe s’agissant du domaine privé.
On sait cependant que :
  • le droit de l’union européenne ne connaît pas la distinction domaine public ou privé : ce qui compte c’est l’accès à une ressource publique et/ou le fait que celui qui confère une autorisation est une autorité publique à laquelle s’impose le respect du principe de non-discrimination ;
  • le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 19 avril 2017 considère que malgré le champ d’application du texte adopté, le principe posé devrait également s’appliquer au domaine privé ;
  • des réponses ministérielles successives et concordantes sont venues indiquer que « les autorités gestionnaires du domaine privé doivent mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du [CGPPP] ».
En novembre 2021, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait quant à elle considéré que « la conclusion du bail emphytéotique [sur le domaine privé] ne constitue pas, en elle-même, une démarche à laquelle serait subordonné l’exercice d’une activité hôtelière (…) ou même la poursuite de son exploitation de l’hôtel du Palais et n’autorise d’ailleurs pas cette société à exercer une telle activité ou à exploiter cet hôtel. Elle n’entre ainsi pas dans le champ d’application des stipulations précitées de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 (…) », de sorte que celle-ci n’avait pas à faire l’objet d’une procédure préalable de publicité et de sélection des candidats potentiels.
L’analyse de la Cour s’écartait des réponses ministérielles précitées et de nombreuses positions doctrinales. Elle semblait cependant s’inscrire dans le droit fil des conclusions de l’avocat général Szpunar sur l’arrêt Promoimpresa (notamment § 54 et s.), tant sur la notion « d’autorisation » au sens de ladite directive (l’acte qui subordonne l’accès à une activité de service donnée) que sur la nécessité de réaliser une procédure de sélection selon que le nombre d’autorisations disponibles est ou non limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques, invitant à tenir compte in concreto des spécificités des zones domaniales concernées.
À la suite de cette décision, une réponse ministérielle a d’ailleurs nuancé l’application des obligations de publicité et de mise en concurrence relatives à la délivrance des titres d’occupation du domaine privé, le ministre indiquant qu’il resterait particulièrement attentif aux suites jurisprudentielles.
La position de la Haute Juridiction administrative était donc particulièrement attendue et c’est dans deux arrêts rendus le 2 décembre 2022 (Sté Paris Tennis, no 455033 et Cne de Biarritz, no 460100), que le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions s’agissant de l’application de la « directive Services » (2006/123/CE) et du principe de transparence découlant de l’article 49 du TFUE.
S’agissant de l’occupation du domaine privé (arrêt Commune de Biarritz), le Conseil considère qu’il ne résulte ni des termes de la directive 2006/123/CE, ni de la jurisprudence de la Cour de justice que des obligations de transparence s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux car ceux-ci ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice. Cette appréciation est très générale et dépend ainsi, selon le Conseil d’État, de la qualification de la dépendance domaniale. Partant, en l’absence d’autorisation, et donc notamment s’agissant d’un bail sur le domaine privé, aucune obligation de transparence ne découlerait de l’article 49 TFUE.
Autrement dit, conclure un simple bail, même emphytéotique, ne porte pas atteinte, en soi, à la liberté d’établissement et aux principes d’égalité et de transparence qui lui sont attachés. Ce raisonnement revient à considérer que les obligations de transparence découlant de l’article 49 du TFUE ne valent elles-mêmes qu’en présence d’une autorisation (ou d’un contrat de la commande publique) et non pour tout acte de gestion domaniale accordant un droit d’usage à une entreprise. C’est une interprétation a priori raisonnable de l’arrêt Promoimpresa à la lumière des conclusions de l’avocat général Szpunar déjà citées.
Reste toutefois que la distinction entre domaine public et domaine privé n’est pas en elle-même suffisante pour établir une différence de régime s’agissant de règles issues du droit de l’Union européenne. Il faut en effet pouvoir démontrer en quoi, sur le domaine privé, la nature du titre octroyé est insusceptible de constituer une autorisation au sens de la « Directive Services », contrairement aux autorisations d’occuper le domaine public.
Les conclusions de la rapporteur publique Cécile Raquin sur l’affaire Commune de Biarritz précisent à cet égard que la différence est fondée sur la distinction des domaines et sur la nature même de l’intervention de la personne publique, ravivant la distinction entre actes d’autorité et actes de gestion : « le domaine public ne pouvant, par essence, pas faire l’objet d’une occupation ou d’une utilisation privative sans titre par une personne privée, c’est bien le titre octroyé qui est la condition de l’activité économique ».
Sur le domaine privé, la personne publique ne se comporterait donc pas comme une administration qui délivrerait une autorisation d’exercer une activité économique, elle n’est donc pas « une autorité compétente délivrant une autorisation au sens de la directive » puisqu’elle « se comporte comme un opérateur ou bailleur privé, gérant son domaine privé sans prérogative particulière ». Il n’y aurait donc pas, selon le Conseil d’État, d’autorisation d’exercer une activité de services soumise à la directive 2006/123/CE dans le cadre de la délivrance d’un tel titre.
Pour autant, et alors même que les décisions rendues le 2 décembre 2022 ne se prononcent pas explicitement en ce sens, le droit français nous paraît aujourd’hui devoir être interprété en distinguant trois hypothèses :
  • les titres portant sur l’utilisation des biens du domaine privé ne présentant pas d’importance économique particulière ou ne conditionnant pas l’accès à une activité de service : dans ce cas, aucune procédure de sélection préalable n’est requise. Cela résulte clairement de la jurisprudence du Conseil d’État Commune de Biarritz et nous paraît compatible avec celle de la Cour de justice de l’Union européenne ;
  • les titres portant sur l’utilisation des biens du domaine public. Dans leur cas, le Code général de la propriété des personnes publiques soumet leur délivrance à une procédure de sélection préalable lorsque le nombre d’autorisation est limité. Bien que le Conseil d’État les assimile à des autorisations au sens de la directives « services », comme la majorité de la doctrine depuis l’arrêt Promoimpresa, le droit français paraît plus souple que le droit de l’Union, notamment s’agissant des dérogations à cette obligation. Si l’on admet une conception moins extensive de la notion d’autorisation, le droit français peut être considéré comme compatible avec le droit de l’Union ;
  • les titres domaniaux, portant sur le domaine public ou sur le domaine privé, dont la délivrance conditionne, en droit ou en fait, l’accès à une activité de services. Dans ce cas, l’entreprise ne peut pas (au moins raisonnablement) exercer son activité ailleurs que sur le domaine. Le titre constitue une autorisation au sens de la directive « services » et le régime prévu par la directive doit être appliqué strictement. Ce régime n’est pas applicable à l’utilisation d’une ressource économique rare puisque l’accès à une telle ressource n’est pas équivalent à l’accès à une activité. Il s’agit plutôt d’un avantage pour l’exercice d’une activité. Il reste alors à clarifier le point de savoir si une obligation de mise en concurrence s’impose en vertu du droit primaire de l’Union (et en particulier de l’article 49 du TFUE).
L’appel à projets conduit donc bien à la conclusion d’un acte ayant un objet immobilier et aussi un objet de travaux. Qu’il s’agisse d’une vente ou d’un titre constitutif de droits réels temporaires, l’acte conclu a en effet pour objet la réalisation du projet de construction lauréat, pour le suivi duquel la collectivité publique cessionnaire s’assure, à travers l’acte, un contrôle prégnant. Un risque de requalification en marché public de travaux existe donc. Mais la frontière existe entre l’opération répondant à des spécifications précises et individualisées de la personne publique et celle qui ne fait que suivre des objectifs formulés en termes généraux. On retrouve d’ailleurs cette distinction entre « appel d’offres » et « appels à projets » dans une circulaire qui laisse entendre que, pour éviter toute requalification en commande publique, l’appel à projets doit se contenter de définir des objectifs généraux et n’imposer aucune obligation précise. Une obligation formulée de façon trop précise pourrait en effet, dans de nombreux cas, s’apparenter à une véritable commande. Les personnes publiques doivent donc être vigilantes à la formulation de leurs attendus dans les documents de la consultation. Les collectivités contiennent ce risque en se contentant de définir, pour chaque site, des orientations urbaines et programmatiques relativement souples, laissant ensuite le soin aux porteurs de projets de définir la consistance exacte du projet et les modalités techniques, juridiques et financière de sa mise en œuvre.
Par ailleurs, il est important de rappeler que si « la notion de marchés publics de travaux, n’exige pas que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés matériellement ou physiquement pour le pouvoir adjudicateur, dès lors que ces travaux sont exécutés dans l’intérêt économique direct de ce pouvoir (…) L’exercice par ce dernier de compétences de régulation en matière d’urbanisme ne suffit pas pour remplir cette dernière condition. » C’est pourquoi il est utile de conseiller aux collectivités organisatrices de n’inscrire dans leurs consultations que des orientations, des défis, des ambitions (en s’appuyant par exemple sur celles figurant dans leurs chartes déjà étudiées) sans que d’autres spécifications que celles résultant de la réglementation d’urbanisme, ne s’imposent aux projets.
Les projets qui sont présentés par les candidats dans le cadre des APUI doivent ainsi simplement respecter les règles d’urbanisme applicables à l’assiette foncière sur laquelle ils s’assoient. La plupart des règlements prévoient ainsi un rappel des principales caractéristiques urbanistiques (zonage, plafond des hauteurs, OAP, servitudes de logements sociaux ou intermédiaires…). De nombreux sites sont aussi inclus au sein du périmètre d’une ZAC et sont donc encadrés par un cahier des charges de cession de terrain ou une convention de participation. Certes, les règlements de consultation font aussi état des documents de planification non-urbanistiques applicables à la zone de projet (Plan climat-air-énergie territorial ou « PCAET », Plan d’exposition au bruit ou « PEB »…), à des chartes ou pactes, et bien souvent les objectifs affichés orientent les opérateurs vers le développement d’externalités positives qui vont au-delà des PLU. Mais tant qu’il ne s’agit que d’orientations et que les personnes à l’origine de la consultation ne profitent pas d’un point de vue patrimonial des travaux et services développés dans les offres, le risque de requalification en contrat de la commande publique ne peut prospérer.
Au-delà de ces orientations permettant aux projets privés de développer des programmes ambitieux pour la Ville et ses habitants, notamment en matière de logement, certains appels à projets nécessitent une intervention directe de la collectivité ou de l’OLS/I qui cède le terrain ou transfert des droits réels, afin d’assurer la réalisation de certains équipements publics et, pour ce qui nous intéresse, de logements aidés.