La loi no 82-526 du 22 juin 1982, dite « loi Quillot », avait autorisé le bailleur qui souhaitait vendre le bien loué libre, sous certaines conditions, à donner congé à son locataire pour vente (art. 7). La loi no 86-1290 du 23 décembre 1986, dite « loi Méhaignerie », avait supprimé ce droit de préemption pour les baux conclus à compter du 24 décembre 1986, sous réserve de mesures transitoires. La loi no 89-462 du 6 juillet 1989 a rétabli de manière permanente ce droit de préemption en son article 15, II. Le dispositif a été depuis régulièrement retouché. Nous étudierons la mise en œuvre de ce droit de préemption (Sous-section II) après en avoir défini ses conditions d’existence (Sous-section I).
En cas de congé pour vente
En cas de congé pour vente
Conditions d’existence du droit de préemption
Le bailleur peut souhaiter vendre le logement loué en cours de bail. Il peut tout d’abord le vendre « occupé », le bail étant continué par l’acquéreur : le locataire ne bénéficie pas, alors, d’un droit de préemption, sauf première vente consécutive à la division ou la subdivision de l’immeuble (V. supra, nos
et s.). Pour vendre les locaux libres et éviter que le bail ne soit tacitement reconduit, le bailleur doit donner congé au locataire pour vente dans les termes de l’article 15, II de la loi de 1989 (§ I). Le champ d’application du droit de préemption est cependant cantonné au contrat de location en cours relevant de la loi de 1989 et la titularité du droit de préemption réservée au locataire en titre (§ II).
Les conditions relatives à la location
Un bail soumis à la loi de 1989
– Le contrat. – Le champ d’application du droit de préemption de la loi de 1989 est beaucoup plus réduit que celui de la loi de 1975. Pour que le droit de préemption puisse être ouvert suite à un congé pour vente, il faut que le contrat de location en cours soit soumis à la loi no 89-482 du 6 juillet 1989. Ce qui exclut notamment du champ d’application les locations soumises à la loi du 1er septembre 1948, les locations meublées, les autres locations visées par l’article 2, alinéa 3 de la loi de 1989 ainsi que les locations conclues avec des collectivités publiques, avec des organismes d’habitation à loyer modéré (HLM) ou portant sur des logements conventionnés.
– Les locaux. – Le contrat de location doit porter sur des locaux à usage d’habitation principale et à usage mixte d’habitation et professionnel. Sont donc exclues les locations à usage purement professionnel, les locations non affectées à l’habitation principale du locataire, les locations de garages, de boxes s’ils ne sont pas loués comme accessoires du logement appartenant au même bailleur.
Les exclusions du droit de préemption
– Vente à un proche parent. – L’article 15, II, alinéa 7 de la loi de 1989 précise que le locataire ne peut pas bénéficier du droit de préemption lorsque la vente intervient « entre parents jusqu’au troisième degré inclus, sous la condition que l’acquéreur occupe le logement pendant une durée qui ne peut être inférieure à deux ans à compter de l’expiration du délai de préavis ». Ce texte, contrairement à la loi de 1975, ne vise pas les alliés.
– Locataire âgé à faibles revenus. – L’article 15, III de la loi de 1989 interdit au bailleur de s’opposer au renouvellement d’un bail en donnant un congé pour vente à un locataire âgé de plus de soixante-cinq ans dont les ressources sont inférieures au plafond pour l’attribution de logements locatifs conventionnés, sauf à le reloger dans un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités. Cette protection cesse soit lorsque le bailleur est âgé de plus de soixante-cinq ans, soit lorsque le bailleur a lui-même des ressources inférieures audit plafond.
– Logements vétustes. – Selon l’article 15, II, alinéa 7 de la loi de 1989, le droit de préemption ne s’applique pas lorsque la vente porte sur des immeubles « mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 126-17 du Code de la construction et de l’habitation ». Il s’agit des immeubles frappés d’une interdiction d’habiter ou d’un arrêté de péril, déclarés insalubres ou comportant pour un quart au moins de leur superficie des logements loués ou occupés de la catégorie IV de la loi du 1er septembre 1948.
Les bénéficiaires : locataires en titre
Le bénéficiaire du droit de préemption ne peut être que le locataire en titre. En cas de colocation, chaque colocataire doit être destinataire du congé, peu importe que les colocataires soient simplement conjoints ou solidaires. Si l’existence du Pacs ou du mariage a été portée à la connaissance du bailleur, chacun des partenaires ou des époux bénéficiera du droit de préemption. Dans le cas contraire, la notification du congé faite au seul locataire en titre sera opposable au conjoint ou au partenaire.
La mise en œuvre du droit de préemption
Nous étudierons successivement la délivrance d’un congé en vue de la vente (§ I), la réponse apportée par le locataire (§ II) et l’ouverture d’un second droit de préemption en cas de prix ou de conditions plus favorables (§ III).
La délivrance d’un congé en vue de la vente
Forme et délai du congé
Selon l’article 15, I, de la loi de 1989, le congé peut être donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par exploit de commissaire de justice ou par remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette dernière modalité a été ajoutée par la loi Alur. Le congé donné par le bailleur doit être notifié au locataire au moins six mois avant l’arrivée du terme du bail. Le délai commence à courir à compter de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l’acte de commissaire de justice ou de la remise en main propre. Si le délai minimum de six mois n’est pas respecté, la nullité du congé est encourue et le bail sera tacitement reconduit à échéance. Le congé peut valablement être donné par anticipation mais, en ce cas, le délai pour accepter l’offre de vente est reporté « à la date d’échéance du contrat ou de la période pour laquelle il aurait dû être donné ». Le bailleur n’y gagne donc rien.
De l’inutilité du congé donné par anticipation
Si un bail expire le 1er décembre 2022 et que le bailleur délivre un congé pour vente en janvier 2022, le délai de deux mois donné au locataire pour accepter l’offre de vente ne commence à courir que le 1er juin 2022.
– Contrainte pour l’acquéreur du logement. – Pour l’acquéreur d’un logement occupé, la loi Alur a ajouté de nouvelles restrictions qui ont été retouchées par la loi Croissance du 6 août 2015. L’article 15, I, de la loi de 1989 prévoit les règles suivantes :
« – lorsque le terme du contrat de location en cours intervient plus de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur peut donner congé à son locataire pour vendre le logement au terme du contrat de location en cours ;
– lorsque le terme du contrat de location en cours intervient moins de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur ne peut donner congé à son locataire pour vendre le logement qu’au terme de la première reconduction tacite ou du premier renouvellement du contrat de location en cours ;
– lorsque le terme du contrat en cours intervient moins de deux ans après l’acquisition, le congé pour reprise donné par le bailleur au terme du contrat de location en cours ne prend effet qu’à l’expiration d’une durée de deux ans à compter de la date d’acquisition ».
Auteur du congé
Comme pour le congé donné sur le fondement de la loi de 1975, le congé de la loi de 1989, s’accompagnant nécessairement d’une offre de vente, nécessite la capacité et les pouvoirs nécessaires pour vendre l’immeuble. Si le bien dépend d’une communauté conjugale, l’accord des deux époux est nécessaire pour délivrer le congé pour vente, alors même que chacun pouvait signer seul le bail. Lorsque l’immeuble est indivis, le congé pour vendre ne peut être donné qu’à l’unanimité des indivisaires (C. civ., art. 815-3). Le congé donné par un seul indivisaire pourrait être validé a posteriori si les coïndivisaires le ratifient ou si l’auteur du congé se voit allotir de l’immeuble loué dans le partage. Si le bien loué est grevé d’un usufruit, le congé pour vente doit être délivré conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire. Si le bien loué a fait l’objet d’une donation, le donateur doit intervenir au congé délivré par le donataire pour lever les charges et interdictions de la donation (interdiction d’aliéner ou stipulation d’un droit de retour conventionnel).
Contenu du congé
Le congé pour vente est soumis à un formalisme décrit à l’article 15 de la loi de 1989 qui, s’il n’est pas respecté, peut entraîner la nullité du congé. Le congé doit tout d’abord être « motivé », c’est-à-dire mentionner de manière explicite l’intention de vendre du bailleur. Il doit indiquer le prix, ses modalités de paiement ainsi que les conditions essentielles de la vente projetée. Le congé pour vente doit porter sur l’intégralité des locaux loués, y compris les accessoires. L’article 15, II, alinéa 6 impose de reproduire les alinéas 1er à 5 de l’article 15, II de la loi de 1989.
Contestation du congé
Le locataire peut contester le congé même après l’expiration du délai qui lui est imparti pour préempter, même s’il a quitté les lieux. L’action en contestation se prescrit par trois ans, en vertu de l’article 7-1 de la loi de 1989, créé par la loi Alur. Les principaux motifs de contestation sont le caractère frauduleux du congé ou la violation des règles régissant le congé et l’offre de vente.
– Le congé frauduleux. – Les juges du fond, saisis d’une contestation de congé, doivent rechercher si le congé n’a pas été donné frauduleusement. Le locataire pourrait démontrer que le prix est dissuasif pour le décourager à préempter et obtenir son éviction. La fraude pourrait aussi résulter du comportement général du bailleur révélant une absence d’intention de vendre. La cour de Versailles a rappelé que le « congé pour vendre implique nécessairement l’accomplissement d’actes positifs par le bailleur en vue de parvenir à une vente effective ».
Si le congé est jugé frauduleux, le bailleur encourt des sanctions civiles et pénales. L’amende pénale maximale est de 6 000 € pour une personne physique et de 30 000 € pour une personne morale. Son montant est proportionné à la gravité des faits constatés (L. 1989, art. 15, IV). Sur le plan civil, le congé frauduleux est considéré comme nul. Les conséquences de la nullité seront différentes selon que le locataire est toujours dans les lieux ou qu’il a quitté le logement lorsqu’elle est prononcée. Si le locataire est toujours dans les lieux, le bail est reconduit jusqu’à ce qu’éventuellement le bailleur lui adresse un nouveau congé. Si le locataire a quitté les lieux, les tribunaux accordent le plus souvent des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. Ils sont, en revanche, peu enclins à prononcer la réintégration du locataire dans les lieux.
– Non-respect des règles de forme du congé. – L’article 15 de la loi de 1989 impose à peine de nullité le respect des règles de forme. Cependant, la nullité n’est pas toujours prononcée ; elle n’est encourue qu’à charge pour le locataire de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. Les tribunaux font application des dispositions de l’article 114 du Code de procédure civile.
La réponse du locataire
Comme pour le droit de préemption de la loi de 1975, le locataire peut soit refuser l’offre de vente, soit l’accepter. Mais, à la différence de ce qui se produit lorsque la loi de 1975 est applicable, le locataire qui n’a pas accepté l’offre dans les délais est « déchu de plein droit de tout titre d’occupation » (L. 1989, art. 15, II, al. 3). À échéance du bail, il doit quitter les lieux, dont le bailleur pourra retrouver la jouissance.
L’ouverture d’un second droit de préemption
À l’origine, l’article 15, II, alinéa 4 de la loi de 1989 prévoyait que si le bien était vendu à un tiers à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur que ceux prévus dans l’offre de vente, le locataire qui n’avait pas accepté l’offre initiale avait la faculté de se substituer à l’acquéreur dans un délai d’un mois à compter de la notification du contrat de vente. La loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l’habitat a remplacé la faculté de substitution par l’ouverture d’un nouveau droit de préemption. Le dispositif actuel est codifié à l’article 15, II, alinéa 4 précité.
– Conditions. – Outre les conditions de l’article 15, II, alinéa 1er de la loi de 1989 (V. supra, nos
et s.), l’ouverture d’un second droit de préemption requiert des conditions supplémentaires. D’une part, le locataire doit avoir refusé l’offre de vente contenue dans le congé aux fins de vente. D’autre part, le bailleur doit avoir décidé de vendre à un prix ou à des conditions plus avantageux que ceux initialement notifiés.
– Notification au locataire. – La notification incombe au bailleur ou, à défaut, au notaire rédacteur de l’acte (L. 1989, art. 15, II, al. 4). La forme de la notification n’étant pas définie par les textes, on peut penser qu’elle doit revêtir les mêmes formes que le congé initial. Pour être valable, la notification doit reproduire les dispositions des alinéas 1 à 5 de l’article 15, II de la loi de 1989 et indiquer, bien sûr, le nouveau prix et les nouvelles conditions.
– Option du locataire. – L’offre de vente contenue dans cette seconde notification est valable un mois. Le locataire peut renoncer expressément à se porter acquéreur, ou tacitement. En effet, l’offre de vente devient caduque du seul fait de l’expiration du délai d’un mois. Il peut également accepter l’offre de vente dans le délai d’un mois à compter de sa notification. Il devra, à peine de caducité, réaliser la vente dans un délai de deux mois à compter de l’envoi de sa réponse, porté à quatre mois s’il manifeste sa volonté de recourir à un prêt.
– Contestation du congé. – Si le bailleur ou le notaire ne notifient pas au locataire les conditions de vente ou le prix plus avantageux, l’article 15, II, alinéa 4 de la loi de 1989 frappe de nullité le contrat de vente conclu ultérieurement avec le tiers. L’action en nullité doit être intentée par le locataire dans un délai de trois ans à compter du jour où « il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit » (L. no 89-462, art. 7-1).