Les opérations de transformation en logement devront concilier les atteintes possibles tant au droit de propriété (§ I) qu’au droit de jouissance des occupants (§ II).
Applications aux règles de droit privé
Applications aux règles de droit privé
Transformation et droit de propriété
Des restrictions au droit de propriété lors des opérations de transformation peuvent venir contraindre le projet que soit en monopropriété (A) ou en copropriété (B). Les premières peuvent, d’ailleurs, se cumuler avec les secondes.
En monopropriété
La mutation d’un bâtiment entier détenu en monopropriété, n’emporte aucune contrainte particulière au regard du droit de propriété à une exception près : la contractualisation des règles stipulées dans les cahiers des charges de lotissement ou de zone d’aménagement concerté. En effet, si l’opération de transformation à engager se situe à l’intérieur de l’un de ces périmètres, la nouvelle destination et le projet dans son ensemble devront être conformes aux règles édictées par ces documents, ou à défaut, le propriétaire devra engager la procédure requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, respecter la règle de majorité prévue par les statuts de l’ASL ou pire, requérir un vote à l’unanimité selon la nature règlementaire ou non de la disposition à modifier. On sait que certains projets très importants de transformation ’se sont trouvés anéantis par la rédaction de documents datant de plus de soixante ans ! L’intérêt « supérieur » de telles opérations ne justifie-t-il pas de pouvoir passer au-dessus de l’addition des intérêts particuliers et de la « sacralisation » de son caractère contractuel, si cher à la Cour de cassation ?
Outre les difficultés pouvant être rencontrées au sein des lotissements et ZAC, celles-ci peuvent se cumuler avec celles liées au statut de la copropriété.
En copropriété
Dès lors que l’immeuble à transformer relèvera du régime de la copropriété, deux obstacles doivent être levés. Le premier relatif à la destination de l’immeuble et l’affectation des lots (I) et le second en cas de projet de surélévation (II).
Destination de l’immeuble et affectation des lots
Destination de l’immeuble
En application de l’alinéa 2 du I de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, la destination d’un immeuble en copropriété « est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ». Il en résulte deux situations possibles.
– Dans le cas le plus fréquent où la destination de l’immeuble est définie précisément par son règlement de copropriété, et compte tenu de sa valeur contractuelle, l’opérateur de la transformation devra s’y conformer. Ainsi, si l’immeuble est à usage exclusif de « commerce » ou « bureaux », le changement de destination vers l’habitation devra faire l’objet d’un vote à l’unanimité des copropriétaires. La difficulté d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des copropriétaires sera alors proportionnelle à leur nombre au sein de la copropriété.
– Pour le cas, plus rare, où la destination générale de l’immeuble n’est pas définie par son règlement de copropriété, si sa rédaction est sujette à interprétation ou enfin tout simplement parce qu’il n’en n’existe pas de règlement de copropriété, elle résulte des caractères de l’immeuble (caractéristiques techniques, nature des occupations) ou de sa situation (environnement immédiat à l’échelle de la rue ou du quartier). Ce point est fréquemment source de contentieux puisque les juges du fond disposent, dans ce cas, d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Affectation des lots
Si le règlement de copropriété définit, outre la destination de l’immeuble, celle des lots, le copropriétaire souhaitant la modifier doit, là encore, recourir à l’unanimité, toujours en raison de son caractère conventionnel. Il s’agit, fort heureusement, d’un cas assez rare puisque l’affectation des lots résulte le plus souvent de l’état descriptif de division, dont la nature contractuelle reste débattue. Dans ce cas, il doit être fait application du premier alinéa du I de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 : « chaque copropriétaire (…) use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». En d’autres termes, un copropriétaire peut librement modifier l’affectation de son lot (définie par l’EDD) dès lors qu’il ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble, ne contrevient pas à une clause restrictive du règlement de copropriété justifiée par la destination de l’immeuble, ni ne cause un trouble anormal de voisinage. Notons cependant que, même dans ce cas, le projet de transformation, tel que nous l’envisageons, emportera très probablement une modification de la façade ou des parties communes. Dès lors, le projet nécessite une approbation en assemblée générale, à la majorité prévue par l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965.
Les difficultés inhérentes au statut de la copropriété sont à ce jour connues des pouvoirs publics. En effet, le 28 octobre 2021, la Commission pour la relance durable de la construction de logements, dite « Commission Rebsamen », remettait le Tome II de son rapport. Sa proposition numéro 19 est ainsi rédigée : « Dans les territoires où ces opérations (i.e. transformation de bureaux en logements) correspondent à un intérêt général manifeste, étudier une modification de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 sur les copropriétés permettant à l’assemblée générale de décider à la double majorité une modification du règlement de copropriété pour autoriser l’usage de lots privatifs à titre de logements sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des minoritaires. ». Faisons le vœu que cette proposition soit entendue par le législateur.
Le cas de la surélévation
Grâce aux bonus de constructibilité que nous venons d’évoquer, l’opération de transformation peut souvent s’accompagner d’une surélévation de l’existant. C’est ainsi que, si l’immeuble concerné relève du régime de la copropriété, et à moins que le droit de surélever n’ait été réservé au profit de l’opérateur ou constitué en lot transitoire, il sera fait application des dispositions de l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965. En premier lieu, l’aliénation du droit de surélever doit être approuvée par l’assemblée générale des copropriétaires à la double majorité de l’article 26, réduite à la majorité de l’article 25 si le bâtiment est situé dans un périmètre où le droit de préemption urbain est institué en application de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme. Si l’immeuble comporte plusieurs bâtiments, un vote confirmatif en assemblée spéciale pour le bâtiment concerné sera requis, aux mêmes règles de majorité que ci-dessus. En second lieu, il doit être procédé à la purge du droit de priorité des copropriétaires des locaux situés, en tout ou partie, sous la surélévation.
Transformation et droit de jouissance
Le postulat de nos développements est que les opérations de transformation d’immeubles tertiaires en logements porteront prioritairement sur des bâtiments obsolètes et donc frappés d’une vacance locative. Dans cet ordre d’idée, l’immeuble devrait donc être libre d’occupant. Qu’en serait-il toutefois si, lors de l’étude du projet, un ou plusieurs locataires, a fortiori bénéficiaires de baux commerciaux, étaient en place ? Par principe, le bailleur ne peut délivrer congé qu’à l’expiration de la période de neuf ans du bail ou au cours de sa tacite prolongation. La situation peut alors devenir inextricable pour le propriétaire, surtout en cas de baux multiples ; elle peut même l’amener à renoncer à son projet.
C’est pourquoi un amendement, adopté lors du vote de la loi Elan de 2018, a instauré un nouveau cas de résiliation triennale à l’initiative du bailleur, codifié sous l’article L. 145-4 du Code de commerce : la transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation. Moyennant le versement au preneur une indemnité d’éviction, le propriétaire peut ainsi retrouver plus rapidement la libre jouissance de l’immeuble.
S’engager dans une opération de transformation nécessite enfin d’appréhender et d’anticiper les enjeux fiscaux qui s’y attachent.