Aspects juridiques

Aspects juridiques

Entreprendre la transformation d’un immeuble tertiaire en logements paraît relever du parcours du combattant devant la diversité des normes législatives et règlementaires à prendre en considération. Ce fameux « millefeuille », made in France, ne peut être étudié en exhaustivité dans les présents développements. Aussi, nous nous concentrerons sur celles intéressants principalement la pratique notariale, que ce soit en droit public (Sous-section I) ou en droit privé (Sous-section II).

Applications aux règles de droit public

Une opération de transformation impacte en premier lieu la destination et l’usage du bâtiment (§ I). Ce changement de destination influe sur l’application d’autres règlementations et bénéficie à ce titre de certaines règles dérogatoires (§ II).

Le contrôle du changement de destination et d’usage

Le changement de destination

– Condition préalable : situation du projet dans une zone d’habitation du PLU. – Si les destinations et sous-destinations sont limitativement énumérées, il appartient au règlement de chaque plan local d’urbanisme de définir, à l’intérieur de chacune de ses zones, celles autorisées sans restriction, celles soumises à dispositions particulières et celles interdites. Une opération de transformation ne peut donc être autorisée que pour autant qu’elle se situe à l’intérieur d’une zone autorisant l’habitation.
Changement de destination. Le premier obstacle juridique à lever lors d’une telle opération est celui du changement de destination de l’immeuble.
Depuis le 1er janvier 2016, le Code de l’urbanisme connaît cinq destinations et, à ce jour vingt-trois sous-destinations, explicitées par un arrêté ministériel du 10 novembre 2016. Parmi celles-ci se trouve la destination « habitation » regroupant les sous-destinations « Logement » et « Hébergement ». Ainsi tout changement de destination, ou de sous-destination, doit respecter les règles prévues aux articles R. 421-14 et R. 421-17 du Code de l’urbanisme, à savoir :
  • aucun contrôle en cas de changement de sous-destination au sein d’une même destination, en l’absence de travaux modifiant la façade ou les structures porteuses ;
  • déclaration préalable en cas de changement de destination, en l’absence de travaux modifiant la façade ou les structures porteuses ;
  • permis de construire en cas de changement de destination ou de sous-destination s’accompagnant de travaux modifiant la façade ou les structures porteuses.
Les opérations de transformation, telles que nous les envisageons dans ces développements, nécessitent à tout le moins une non-opposition à déclaration préalable mais plus probablement un permis de construire. Cela implique la constitution d’un dossier idoine, des délais d’instruction et un risque de recours ou de retrait des autorisations délivrées.

Le changement d’usage

Le contrôle du changement d’usage a été traité dans les développements précédents. Aussi, nous nous contenterons de rappeler que la transformation d’un immeuble à usage autre que l’habitation vers un usage d’habitation n’est pas soumise à cette règlementation. Au contraire, une évolution dans ce sens permettra à son propriétaire de céder la commercialité y attachée, avec les contraintes qui ont déjà été soulevées. Le gain retiré par cette cession participera à la tentative de parvenir à un équilibre financier de l’opération.
Rappelons malgré tout qu’une fois ce changement d’usage effectué vers de l’habitation, tout retour arrière nécessitera alors de soumettre de nouveau au respect des règles sur la police du changement d’usage. Cette contrainte a souvent été considérée comme un facteur de blocage. C’est d’ailleurs pourquoi, depuis 2015, l’article L. 631-7-1 B du Code de la construction de l’habitation autorise l’affectation temporaire à usage d’habitation d’un immeuble « autre » pour une durée maximale de quinze ans. Cependant, comme déjà évoqué, cette durée est jugée trop courte pour être réellement incitative à l’égard d’opérations d’envergure.

L’urbanisme dérogatoire

Parce que jugées très ou trop complexes à réaliser et d’un équilibre financier incertain, les opérations de mutation d’immeubles en logements ne sont pas encore suffisamment significatives. C’est en ce sens que les pouvoirs publics, voulant encourager leur développement, ont tenté de lever les nombreuses contraintes s’y rapportant, en édictant des règles dérogatoires tant au droit de l’urbanisme (A) qu’à celui de la construction (B).

Les dérogations au droit de l’urbanisme

Le régime dérogatoire général, né de l’ordonnance n° 2013-889 du 3 octobre 2013 relative au développement de la construction de logement, est aujourd’hui codifié à l’article L. 152-6 du Code de l’urbanisme (I). L’article L. 152-6-4 prévoit quant à lui un régime dérogatoire propre aux opérations de revitalisation de territoire (ORT) (II).
Régime général des règles dérogatoires
Champ d’application territorial
Les dérogations au règlement du plan local d’urbanisme ne s’appliquent pas à l’ensemble du territoire. Le premier alinéa de l’article L. 152-6 prévoit qu’elles ne peuvent être accordées que pour des projets situés dans : :
  • les communes soumises à la taxe annuelle sur les logements vacants (zones tendues) ;
  • les communes de plus de 15 000 habitants à forte croissance démographique ;
  • les périmètres des Grandes opérations d’urbanisme (GOU).
Champ d’application matériel
Régime dérogatoire « ordinaire »
En application du 3° de l’article L. 152-6, dès lors qu’il est sollicité une autorisation pour effectuer une transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation, l’autorité compétente, sur demande du pétitionnaire, peut accorder des dérogations au règlement du plan local d’urbanisme (ou du document en tenant lieu), sur les règles relatives à la densité et aux obligations en matière de création d’aires de stationnement, dans la limite d’une majoration de 30 % du gabarit de l’immeuble existant.
Par ailleurs, lorsque la commune concernée ne fait pas l’objet d’un arrêté de carence au titre des logements locatifs sociaux, il peut également être dérogé à la servitude de mixité sociale prévue à l’article L. 151-15 du Code de l’urbanisme.
Relevons enfin que l’article 112 de la loi no 2022-217 du 21 février 2022, dite « loi 3DS », a supprimé l’obligation pour l’autorité compétente de motiver sa décision. Cependant les dérogations accordées devront toujours l’être en tenant compte de la nature du projet et de la zone d’implantation.
Régime dérogatoire « majoré »
En complément de cette majoration de 30 %, le 6° du même article ajoute deux bonus supplémentaires de constructibilité :
  • l’un de 15 % pour « les constructions contribuant à la qualité du cadre de vie, par la création d’espaces extérieurs en continuité des habitations, assurant un équilibre entre les espaces construits et les espaces libres », dans la limite d’un plafond de 50 % de dépassement au total ;
  • l’autre de 5 % si le projet, qui bénéficie d’ores et déjà de la dérogation, présente en outre « un intérêt public du point de vue de la qualité ainsi que de l’innovation ou de la création architecturales ». À la différence des deux autres majorations, celle-ci doit être motivée et doit faire l’objet d’un avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture.
Règles propres aux ORT
Les opérations de revitalisation de territoires ont fait leur entrée dans le corpus des règles dérogatoires prévu à l’article L. 152-6 du Code de l’urbanisme à l’occasion de la loi « Elan » de 2018. Depuis la loi « 3DS » du 21 février 2022, elles font désormais l’objet d’un dispositif propre codifié sous l’article L. 152-6-4 du même code, afin notamment de « faciliter le recyclage et la transformation des zones urbanisées ». Cet article contient les mêmes règles dérogatoires aux règles de densité et de gabarit dans la limite de 30 % ainsi que la majoration supplémentaire de 15 %. Il comporte également une possibilité de dérogation aux règles de stationnement. Mais surtout, cet article permet à l’autorité compétente d’autoriser une destination non prévue dans la zone urbaine du plan local d’urbanisme (ou du document en tenant lieu) dès lors que le projet « contribue à la diversification des fonctions urbaines du secteur concerné ». Inversement, il ne peut être dérogé aux objectifs de mixité sociale. De même, les dérogations accordées devront être motivées.
Néanmoins, plusieurs commentateurs et praticiens s’interrogent les fondements des pareilles dérogations, et plus encore depuis que leur motivation n’est plus exprimée. Pourtant, ces mesures doivent avoir un effet « déclencheur » sur les opérations de mutation de l’existant en ce qu’elles permettent aux acteurs impliqués de compenser leur surcoût et les pertes de surfaces. D’ailleurs, le ministère lui-même invite à accorder ces dérogations dès lors que le projet présenté permet une bonne intégration architecturale et urbaine. Restent alors à étudier les règles appartenant au droit de la construction.

Le régime du droit de la construction

– Un millefeuille de plus. – Basculer d’un usage tertiaire vers de l’habitation nécessite une adaptation du projet à de multiples normes de construction (normes d’incendie, d’accessibilité, d’isolation acoustique ou de performance énergétique, pour ne citer que les plus connues). Ces normes diffèrent d’un statut à l’autre, et certaines d’entre elles relèvent même de législations différentes et indépendantes, à l’instar de celle sur l’incendie, obligeant l’usager et son conseil à passer sans cesse de la consultation d’un ensemble de textes à un ’autre. À vouloir trop bien protéger, notre législateur ne serait-il pas devenu lui-même pompier pyromane ?
L’apport de la loi Essoc : préserver le droit à l’innovation. L’ordonnance no 2020-71 du 29 janvier 2020 dite « Essoc II », entrée en vigueur le 1er juillet 2021 a tenté d’éteindre l’incendie…Elle encourage le droit à l’innovation, né de la loi « Essoc », en le pérennisant par l’introduction de l’article L. 112-4 du Code de la construction et de l’habitation. Cet article repense différemment le respect des normes dans le processus de construction. Il permet en effet de mettre en œuvre toute solution technique adéquate pour tout projet de construction ou de rénovation, dès lors qu’elle respecte les objectifs généraux définis pour chacune d’entre elles .
Nous nous devons de saluer l’audace affichée par le législateur au travers de cette nouvelle approche du respect des normes de construction. Malheureusement à ce jour, le recours aux solutions innovantes et alternatives reste encore trop confidentiel. L’une des raisons en est que leur coût de mise en œuvre est plus élevé pour l’opérateur, grevant donc encore un peu plus son budget de réalisation.
Au-delà de ce principe du droit à l’innovation, les opérations de transformation en logement bénéficieront des règles dérogatoires prévues par le Code de l’urbanisme et pourront, voire devront, s’accompagner d’une surélévation. Il pourra alors être fait application des dispositions de l’article L. 112-13 du Code de la construction et de l’habitation. Sur ce sujet, nous renvoyons le lecteur aux développements propres à la surélévation.
Si le législateur semble avoir pris la mesure des contraintes du droit public inhérentes à ces opérations de transformation et a tenté de les lever ou de les améliorer, par touches successives, tantôt par des règles dérogatoires, tantôt en encourageant l’innovation, à quelles restrictions du droit privé ces mutations se heurtent-elles ?

Applications aux règles de droit privé

Les opérations de transformation en logement devront concilier les atteintes possibles tant au droit de propriété (§ I) qu’au droit de jouissance des occupants (§ II).

Transformation et droit de propriété

Des restrictions au droit de propriété lors des opérations de transformation peuvent venir contraindre le projet que soit en monopropriété (A) ou en copropriété (B). Les premières peuvent, d’ailleurs, se cumuler avec les secondes.

En monopropriété

La mutation d’un bâtiment entier détenu en monopropriété, n’emporte aucune contrainte particulière au regard du droit de propriété à une exception près : la contractualisation des règles stipulées dans les cahiers des charges de lotissement ou de zone d’aménagement concerté. En effet, si l’opération de transformation à engager se situe à l’intérieur de l’un de ces périmètres, la nouvelle destination et le projet dans son ensemble devront être conformes aux règles édictées par ces documents, ou à défaut, le propriétaire devra engager la procédure requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, respecter la règle de majorité prévue par les statuts de l’ASL ou pire, requérir un vote à l’unanimité selon la nature règlementaire ou non de la disposition à modifier. On sait que certains projets très importants de transformation ’se sont trouvés anéantis par la rédaction de documents datant de plus de soixante ans ! L’intérêt « supérieur » de telles opérations ne justifie-t-il pas de pouvoir passer au-dessus de l’addition des intérêts particuliers et de la « sacralisation » de son caractère contractuel, si cher à la Cour de cassation ?
Outre les difficultés pouvant être rencontrées au sein des lotissements et ZAC, celles-ci peuvent se cumuler avec celles liées au statut de la copropriété.

En copropriété

Dès lors que l’immeuble à transformer relèvera du régime de la copropriété, deux obstacles doivent être levés. Le premier relatif à la destination de l’immeuble et l’affectation des lots (I) et le second en cas de projet de surélévation (II).
Destination de l’immeuble et affectation des lots
Destination de l’immeuble
En application de l’alinéa 2 du I de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965, la destination d’un immeuble en copropriété « est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ». Il en résulte deux situations possibles.
– Dans le cas le plus fréquent où la destination de l’immeuble est définie précisément par son règlement de copropriété, et compte tenu de sa valeur contractuelle, l’opérateur de la transformation devra s’y conformer. Ainsi, si l’immeuble est à usage exclusif de « commerce » ou « bureaux », le changement de destination vers l’habitation devra faire l’objet d’un vote à l’unanimité des copropriétaires. La difficulté d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des copropriétaires sera alors proportionnelle à leur nombre au sein de la copropriété.
– Pour le cas, plus rare, où la destination générale de l’immeuble n’est pas définie par son règlement de copropriété, si sa rédaction est sujette à interprétation ou enfin tout simplement parce qu’il n’en n’existe pas de règlement de copropriété, elle résulte des caractères de l’immeuble (caractéristiques techniques, nature des occupations) ou de sa situation (environnement immédiat à l’échelle de la rue ou du quartier). Ce point est fréquemment source de contentieux puisque les juges du fond disposent, dans ce cas, d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Affectation des lots
Si le règlement de copropriété définit, outre la destination de l’immeuble, celle des lots, le copropriétaire souhaitant la modifier doit, là encore, recourir à l’unanimité, toujours en raison de son caractère conventionnel. Il s’agit, fort heureusement, d’un cas assez rare puisque l’affectation des lots résulte le plus souvent de l’état descriptif de division, dont la nature contractuelle reste débattue. Dans ce cas, il doit être fait application du premier alinéa du I de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 : « chaque copropriétaire (…) use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». En d’autres termes, un copropriétaire peut librement modifier l’affectation de son lot (définie par l’EDD) dès lors qu’il ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble, ne contrevient pas à une clause restrictive du règlement de copropriété justifiée par la destination de l’immeuble, ni ne cause un trouble anormal de voisinage. Notons cependant que, même dans ce cas, le projet de transformation, tel que nous l’envisageons, emportera très probablement une modification de la façade ou des parties communes. Dès lors, le projet nécessite une approbation en assemblée générale, à la majorité prévue par l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965.
Les difficultés inhérentes au statut de la copropriété sont à ce jour connues des pouvoirs publics. En effet, le 28 octobre 2021, la Commission pour la relance durable de la construction de logements, dite « Commission Rebsamen », remettait le Tome II de son rapport. Sa proposition numéro 19 est ainsi rédigée : « Dans les territoires où ces opérations (i.e. transformation de bureaux en logements) correspondent à un intérêt général manifeste, étudier une modification de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 sur les copropriétés permettant à l’assemblée générale de décider à la double majorité une modification du règlement de copropriété pour autoriser l’usage de lots privatifs à titre de logements sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des minoritaires. ». Faisons le vœu que cette proposition soit entendue par le législateur.
Le cas de la surélévation
Grâce aux bonus de constructibilité que nous venons d’évoquer, l’opération de transformation peut souvent s’accompagner d’une surélévation de l’existant. C’est ainsi que, si l’immeuble concerné relève du régime de la copropriété, et à moins que le droit de surélever n’ait été réservé au profit de l’opérateur ou constitué en lot transitoire, il sera fait application des dispositions de l’article 35 de la loi du 10 juillet 1965. En premier lieu, l’aliénation du droit de surélever doit être approuvée par l’assemblée générale des copropriétaires à la double majorité de l’article 26, réduite à la majorité de l’article 25 si le bâtiment est situé dans un périmètre où le droit de préemption urbain est institué en application de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme. Si l’immeuble comporte plusieurs bâtiments, un vote confirmatif en assemblée spéciale pour le bâtiment concerné sera requis, aux mêmes règles de majorité que ci-dessus. En second lieu, il doit être procédé à la purge du droit de priorité des copropriétaires des locaux situés, en tout ou partie, sous la surélévation.

Transformation et droit de jouissance

Le postulat de nos développements est que les opérations de transformation d’immeubles tertiaires en logements porteront prioritairement sur des bâtiments obsolètes et donc frappés d’une vacance locative. Dans cet ordre d’idée, l’immeuble devrait donc être libre d’occupant. Qu’en serait-il toutefois si, lors de l’étude du projet, un ou plusieurs locataires, a fortiori bénéficiaires de baux commerciaux, étaient en place ? Par principe, le bailleur ne peut délivrer congé qu’à l’expiration de la période de neuf ans du bail ou au cours de sa tacite prolongation. La situation peut alors devenir inextricable pour le propriétaire, surtout en cas de baux multiples ; elle peut même l’amener à renoncer à son projet.
C’est pourquoi un amendement, adopté lors du vote de la loi Elan de 2018, a instauré un nouveau cas de résiliation triennale à l’initiative du bailleur, codifié sous l’article L. 145-4 du Code de commerce : la transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation. Moyennant le versement au preneur une indemnité d’éviction, le propriétaire peut ainsi retrouver plus rapidement la libre jouissance de l’immeuble.
S’engager dans une opération de transformation nécessite enfin d’appréhender et d’anticiper les enjeux fiscaux qui s’y attachent.