Acquisition avec clause d'accroissement. Le pacte tontinier

Acquisition avec clause d'accroissement. Le pacte tontinier

Lorsque des clients souhaitent procéder à une acquisition à plusieurs avec pour objectif que le survivant soit à terme le seul détenteur du bien, il est possible de recourir à la tontine, ou clause d'accroissement. Chaque acquéreur sera juridiquement supposé être le seul propriétaire du bien depuis l'acquisition d'origine, mais à condition d'être le seul survivant. Il n'y a donc pas de transmission et le bien échappe aux règles de la réserve héréditaire et des libéralités. Il pourra être transmis au-delà de la quotité disponible, avec un intérêt notamment dans le cas de personnes non mariées. Il conviendra toutefois de bien appréhender les règles fiscales de la tontine (§ I), et de recourir en fonction de la situation au pacte tontinier dans le cadre sociétaire (§ II).

Maîtriser l'intérêt fiscal de la tontine

Nous baserons nos développements sur les données du cas pratique suivant : « Acquisition avec clause d'accroissement ».
Deux concubins non pacsés souhaitent se porter acquéreurs de leur résidence principale, d'une valeur de 500 000 €. Ils n'ont pas d'enfants (ou ne désirent pas que le bien leur soit transmis en cas de décès). Ils souhaitent que le bien revienne au survivant d'entre eux.
Solution 1 : le testament.
= Désignation par testament du coïndivisaire comme légataire universel (ou légataire particulier du bien immobilier concerné).
Problème : le coût de la transmission, avec une taxation à 60 % sur la part transmise (supposée ici de la moitié).
Coût de la transmission = [(500 000,00 / 2) – 1 594] × 60 % = 149 044 €.
Solution 2 : le pacte tontinier.
– Régime fiscal. – Même si le bien acquis en tontine échappe civilement à la succession du premier défunt, des droits de mutation à titre gratuit seront dus à chaque décès : en application des dispositions du premier alinéa de l'article 754 A du Code général des impôts, les biens recueillis en vertu d'une clause de tontine insérée dans un contrat d'acquisition en commun sont, au point de vue fiscal, réputés transmis, à titre gratuit, à chacun des bénéficiaires de l'accroissement. Il y aura donc application des droits de succession selon le régime de droit commun, c'est-à-dire d'après le lien de parenté entre le défunt et le ou les bénéficiaires de la clause et sur la valeur de la part transmise à chacun d'eux.
Exception : pour les immeubles affectés à l'habitation principale commune d'une valeur inférieure à 76 000 € au moment du premier décès, la part transmise au survivant est passible des seuls droits de vente d'immeuble (soit 5,80 %, en vertu de l'article 754 A, alinéa 2 du Code général des impôts, sans condition de validité liée au lien de parenté).
– Limites du pacte tontinier. – En raison du faible montant de l'abattement prévu par l'article 754 A, alinéa 2 du Code général des impôts et de la fiscalité actuellement applicable entre personnes ni mariées ni pacsées, le coût de la transmission du bien acquis via une clause de tontine reste très élevé. Il peut alors être proposé d'insérer la clause de tontine dans les statuts d'une société qui se portera acquéreur du bien immobilier.

Le recours au pacte tontinier dans un cadre sociétaire

Solution 3 : le pacte tontinier inséré dans les statuts d'une société constituée entre les acquéreurs.
Afin de permettre, d'une part, une transmission avec clause d'accroissement dans le cadre d'une fiscalité réduite et, d'autre part, la souplesse du cadre sociétaire dans un objectif d'anticipation successorale, il pourra être conseillé (notamment à des concubins non pacsés) de procéder à l'acquisition par l'intermédiaire d'une société, dont les statuts prévoiront que les parts sociales sont attribuées à chacun des concubins sous la condition suspensive de sa survie et sous la condition résolutoire de son prédécès. Conclure un pacte tontinier sur des parts sociales est une pratique qui peut s'avérer très avantageuse mais doit être maniée avec précaution.
– Régime fiscal. – Dans l'hypothèse d'une clause de tontine insérée dans les statuts d'une société, seuls sont dus les droits de mutation à titre onéreux. L'application de l'article 754 A du Code général des impôts (conduisant à la perception des droits de mutation à titre gratuit, actuellement au taux de 60 % entre concubins) est écartée, la clause de tontine n'étant pas insérée « dans un contrat d'acquisition en commun », mais dans les statuts d'une société constituée entre les acquéreurs. Une réponse ministérielle de 1979 et un arrêt rendu par la cour d'appel de Chambéry du 18 novembre 2003 ont confirmé ce régime fiscal. Le survivant est assujetti à des droits de mutation à titre onéreux sur les parts reçues par effet du décès, au taux de 5 %. Les droits de mutation sont liquidés au tarif en vigueur au décès et sur la valeur appréciée à cette date qui est celle de la réalisation de la condition suspensive.

Pacte tontinier dans les statuts de société

Il est expressément convenu entre M. A et M. B, tous deux susnommés, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant d'entre eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la pleine propriété des parts numérotées de 1 à 249 et de 251 à 500 à eux attribuées en représentation de leurs apports respectifs, lesquelles appartiendront en totalité en pleine propriété au survivant d'eux, sur la tête duquel la pleine propriété sera censée avoir toujours reposé depuis ce jour.
La présente clause confère ainsi à chacun de M. A et M. B la pleine propriété desdites parts sociales en leur entier à partir de ce jour, sous condition suspensive de sa survie et sous condition résolutoire de son prédécès.
Par suite, seul leur commun accord pourra permettre l'aliénation des parts sociales dont s'agit et leur disposition sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, ou même leur nantissement.

Ingénierie notariale, tontine et société

Constitution d'une société entre deux personnes souhaitant se porter acquéreurs d'un bien immobilier d'une valeur de 500 000 € :
Constitution d'une société en vue de l'acquisition, au capital de 500 000 €.
L'associé A souscrit les parts 1 à 250.
L'associé B souscrit les parts 251 à 500.
Les statuts de la société prévoient une clause de tontine sur les parts 1 à 249 et 251 à 499 (les parts nos 250 et 500 restant exclues du mécanisme de la tontine).
Au décès de l'associé A, et en application de la clause de tontine :
  • B devient propriétaire des parts 1 à 249 (et 251 à 500) ;
  • la succession de A : de la part no 250.
Le coût de la transmission est de : (500 000 × 249/500) × 5 % = 12 450 €.
(Dans le cas inverse, au décès de l'associé B, et en application de la clause de tontine :
  • A devient propriétaire des parts 1 à 250 [et 251 à 499] ;
  • la succession de B : de la part no 500).
Alors qu'en cas d'acquisition en direct avec clause de tontine, le décès de l'un des acquéreurs rend exigibles les droits de succession sur la moitié du bien, soit :
(dans le cas d'une résidence principale)
[(500 000,00 / 2) – 1 594,00] × 60 % = 149 044 €.

Société, tontine et précautions

Pour éviter que la validité de la société puisse être remise en cause (et pour que la société ne se retrouve pas avec un associé unique), il est conseillé de maintenir une ou plusieurs parts en dehors de la tontine.
– Les clauses de participations croisées. – Après avoir constitué une SCI entre deux personnes avec une répartition équitable des parts sociales, il peut être dans un second temps réalisé un échange de l'usufruit des parts de chaque titulaire (A cédant l'usufruit de ses parts et recevant l'usufruit des parts de B et inversement).
Au décès de A, B consolide sa propriété sur ses parts initiales et conserve l'usufruit sur les parts initiales de A (les enfants recevant la nue-propriété des parts de A). Au décès de B, les enfants deviennent pleins propriétaires des parts initiales de A et reçoivent les parts de B (leur nue-propriété) ; ils ne sont imposés que sur la transmission de la nue-propriété des parts de B. La taxation n'aura donc concerné que la moitié des parts, au second décès.
– Applications pratiques. – Ce type de clause peut être utilisé pour transmettre un bien entre concubins non pacsés (comme dans l'exemple ci-dessus, pour diminuer le coût de la transmission) ou entre époux (mariés sous un régime séparatiste), notamment pour contourner la réserve héréditaire, mais également entre parents et enfants : les parents (ou l'un d'eux) constituent une société avec leurs enfants ou certains d'entre eux et prévoient dans les statuts une clause d'accroissement par laquelle, en cas de prédécès de l'un d'eux, les autres associés deviendront rétroactivement propriétaires de leurs droits sociaux. Le survivant des associés est réputé propriétaire de la totalité des parts ou actions.
– Précautions et limites :
  • la tontine est un carcan dont il est impossible de sortir sans l'accord des cotontiniers (à l'inverse des situations d'indivision ou de société civile immobilière classique comme envisagé ci-après) ;
  • attention à la qualification de donation déguisée : la Cour de cassation a récemment rappelé que le pacte tontinier compris dans l'acte d'acquisition d'un bien immobilier peut constituer une donation déguisée d'un époux en faveur de l'autre. Dans ce cas, il y a requalification en donation et celle-ci est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l'article 758-6 du Code civil (au cas d'espèce, le bénéficiaire était le conjoint survivant) ;
  • le risque d'abus de droit (ou de mini-abus de droit). Il conviendra d'être particulièrement attentif ici au risque de qualification d'abus de droit si la société n'était constituée que dans le but d'éviter l'application des droits de mutation à titre gratuit, et donc dans un but uniquement (ou principalement) fiscal. Àdéfaut, la différence de fiscalité pourrait être requalifiée en libéralité et rapportée à la succession.
Solution pratique. Respect de l'aléa et du caractère onéreux du contrat :
  • un démembrement de propriété concomitant pourra en atténuer le risque ;
  • de même qu'une répartition du capital social en fonction de l'espérance de vie de chaque associé (ou des âges proches des associés et états de santé similaires puisque les conditions de survie doivent être équivalentes).
– Le risque relatif à la prohibition des pactes sur successions futures. – La clause de tontine ne sera pas remise en cause sur le fondement de la nullité des pactes sur successions futures (C. civ., art. 722) s'il est indiqué dans l'acquisition, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant des acquéreurs sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété de l'immeuble ; ses héritiers ne pourront prétendre à aucun droit sur ce bien.
– Société constituée par un seul associé au décès d'un des deux acquéreurs. – Au décès d'un des deux associés de la société constituée avec insertion d'un pacte tontinier dans les statuts, et du fait de l'effet rétroactif de la clause d'accroissement, la société est réputée comme ayant été dès l'origine constituée par un associé unique.
Solutions pratiques :
  • régularisation : la société est certes devenue unipersonnelle, elle n'est pas pour autant dissoute de plein droit : outre le délai de principe d'un an pour régulariser, le juge (à la demande d'un tiers ayant un intérêt à agir) ne pourra pas prononcer la dissolution si, au jour où il statue, la situation est régularisée ;
  • une clause de tontine ne portant pas sur la totalité des parts : si l'on veut éviter que la société soit jugée nulle par l'absence d'une pluralité d'associés lors de sa constitution, il convient, comme dans l'exemple exposé ci-dessus, de ne pas faire porter la clause de tontine sur la totalité des parts, mais sur 99 % de celles-ci (sur 499 parts dans l'exemple).
Ànoter toutefois qu'il est préférable, pour ne pas ajouter les difficultés de l'indivision dans la société, de prévoir autant de parts hors tontine que d'héritiers.
– Nullité de la tontine postérieure à l'acte d'acquisition. – Il n'est pas possible de conclure un pacte tontinier postérieurement à l'acte d'acquisition, puisque dans ce cas la clause ne rétroagirait qu'au jour de l'acte complémentaire. Le bien aurait donc appartenu, pendant la période entre l'acquisition et l'acte complémentaire, au prémourant, et la prohibition des pactes sur succession future trouverait à s'appliquer.
– Autre intérêt de la tontine : protection vis-à-vis des créanciers. – Le droit de gage général des créanciers ne pouvant s'exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire, si la condition suspensive de survie n'est pas réalisée à la date de délivrance du commandement aux fins de saisie immobilière, le débiteur n'est pas titulaire d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie du bien. Le bien échappe alors aux créanciers des acquéreurs (sauf créanciers ayant une créance contre tous les tontiniers et sauf action paulienne).
– Vigilance sur la rétroactivité de la tontine. – Le mécanisme de la tontine repose sur la rétroactivité d'une double condition : condition suspensive de la survie de chacun des acquéreurs et condition résolutoire du décès de chacun d'eux. La rétroactivité de la condition formulée de manière expresse permet d'échapper à la nullité des pactes sur succession future. Suite à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 prise en son article 3, dont est issu le nouvel article 1304-6, alinéa 1 du Code civil, la réalisation d'une condition suspensive ne joue plus par principe rétroactivement. Les parties peuvent en revanche prévoir que « l'accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat ». Dans le cas d'une acquisition avec clause de tontine, il conviendra donc de bien prévoir cette dérogation, afin que la tontine puisse développer l'ensemble de ses effets et que le droit de propriété du survivant bénéficie bien de la rétroactivité souhaitée (pour la condition suspensive, puisque le principe de l'effet rétroactif demeure pour la condition résolutoire).

S'assurer de la rétroactivité de la clause de tontine

Les acquéreurs conviennent, à titre de clause aléatoire, que le premier mourant d'entre eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété de l'immeuble objet des présentes, qui sera censé avoir toujours été la propriété du survivant, depuis le jour de l'acquisition, la présente clause de tontine conférant ainsi à chacun d'eux la propriété de l'immeuble tout entier, à partir du jour de son acquisition, sous condition suspensive rétroactive de sa survie, par dérogation aux dispositions de l'alinéa 1er de l'article 1304-6 du Code civil, et sous condition résolutoire de son prédécès ; en conséquence, le dernier survivant des acquéreurs sera censé tenir directement et dès l'origine ses droits du vendeur.

Attention à l'accueil de la tontine à l'international

Le recours à la technique de la tontine devra s'accompagner d'une vérification, d'une part, de la possibilité de mise en œuvre dans un contexte international et, d'autre part, de la fiscalité applicable, et notamment dans le ou les pays de rattachement du patrimoine mondial du client concerné.

Tontine à l'étranger

Afin d'éviter des procédures compliquées de probate et les difficultés liées à l'application d'un testament, il peut être utile de prévoir dans l'acte d'acquisition par deux concubins une clause de joint tenancy qui n'aurait vocation à s'appliquer qu'à l'étranger et vis-à-vis de la fiscalité étrangère. Elle remplacera le testament et permettra une dévolution successorale anticipée.